Culte du dimanche 2 février 2025
Texte
1 Co 12, 31b-14,1a
12, 31b Et je vais vous montrer la voie qui surpasse tout.
Prédication
Pasteur Benjamin Limonet
« Car ici-bas tout passe, mais non sa charité », venons-nous de chanter, en parlant de Dieu le Père. Les mots de ce cantique, assez datés j’en conviens, font référence à ce que certains appellent l’hymne à l’amour en 1Co 13. C’est vrai qu’il y a du rythme dans cet hymne. Et parmi les refrains qu’il contient, un mot justement, qui revient huit fois, autrefois rendu par charité. Et si nous lui préférons amour aujourd’hui, il convient d’en expliquer le sens.
On a bien compris que Paul érige l’amour en valeur absolue, mais de quel amour parle-t-il ? Trois mots grecs traduisent le français amour. Alors, est-ce l’amour que nous reflètent certaines émissions de téléréalité ? On n’a pas vraiment l’impression qu’il corresponde à la description exigeante de l’apôtre. Et l’on peut donc écarter erôs. S’agit-il de l’amour d’amitié, de la sympathie naturelle entre deux êtres ? La philia est souvent désintéressée et bienveillante mais elle consiste davantage dans le fait d’aimer que d’être aimé. Le troisième sera le bon : en 1Co 13, Paul utilise le grec agapè pour décrire les traits d’un amour actif et désintéressé envers le prochain, mais c’est le même amour que celui des humains envers Dieu. Dans la Bible, agapè désigne même d’abord l’amour qui appartient à Dieu et qu’Il donne. Ainsi, quand nous aimons notre prochain, c’est, au final, l’amour de Dieu qui le rejoint par notre intermédiaire.
Agapè : voilà donc le mot choisi par l’apôtre Paul pour indiquer aux destinataires de sa lettre comment il comprend la vie chrétienne. Et ce choix lui permet à la fois de dépasser le caractère sentimental implicite dans les deux autres mots, et aussi d’insister sur les comportements concrets que l’agapè implique. En treize versets, l’apôtre s’emploie à montrer aux Corinthiens « le chemin qui est supérieur à tout », « la voie par excellence » si vous préférez la traduction de Louis Segond. Et ce chap. 13 dans l’épître pourrait constituer une lettre à lui seul. Dans ce long passage qui forme une unité, Dieu, Jésus ou l’Esprit ne sont pas nommés. Saviez-vous que ce texte est assez connu et même utilisé par les non-croyants ? Oui, avec ce passage, Paul a eu un succès posthume dans le cœur des non-chrétiens comparable à l’écho des Béatitudes. Cela nous rappelle l’importance de renouveler parfois nos mots afin de permettre l’accès de tous à la Bonne Nouvelle.
Car s’ils ne sont pas nommés explicitement, Dieu, Jésus et l’Esprit Saint sont bien présents. Vous l’avez peut-être entendu tout à l’heure : la NFC traduit au v. 12 « alors, je connaîtrai Dieu complètement », pourtant Dieu n’est pas nommé dans les manuscrits. Ce passage trouve sa place au sein d’une épître destinée aux Corinthiens. À quoi ressemble donc cette communauté ? Elle a pour ainsi dire une double fondation : l’arrivée dans la cité de croyants d’origine juive chassés de Rome par la persécution de l’empereur Claude ; mais aussi l’activité missionnaire de Paul. D’autres prédicateurs et missionnaires se sont ensuite succédé, chacun avec leur sensibilité théologique. Des croyants d’origine polythéiste ont rejoints ceux qui venaient du judaïsme. Il faut aussi noter que cette ville très cosmopolite abrite plusieurs cultes à mystères venant d’Asie. Enfin, ce port marchand brasse différents milieux sociaux.
Toute cette diversité dans la ville se retrouve dans « l’église de Dieu qui est à Corinthe » (1, 2) à laquelle Paul écrit. Et c’est l’angle d’approche que j’aimerais partager avec vous. Car cette communauté inclusive au sein de laquelle cohabitent différentes sensibilités est-elle si éloignée de notre Église ? Je ne le crois pas et cet éloge de l’amour a de quoi nous édifier, à titre individuel mais aussi en tant que collectif. Bien sûr, je ne dis pas que la communauté de Corinthe ressemble en tous points à celle de Villefranche. Ainsi, dans les chapitres qui entourent ce passage, Paul réfléchit aux dons de l’Esprit. Il fait encore mention de certains charismes au début du chap. 13, notamment le parler en langues et la prophétie. Le premier, qu’on appelle aussi glossolalie, joue sans doute un rôle important dans la communauté de Corinthe. Quoi qu’on en pense, il fait partie de ces expériences spirituelles que l’apôtre encourage à désirer et qu’il ne faut pas mépriser. Pourtant, il rappelle ici fortement qu’un charisme parmi les autres ne doit pas être sous-évalué : l’amour, qui donne valeur et sens à tous les autres. Avec emphase dès les premiers versets, Paul affirme que les dons les plus voyants et les plus spectaculaires n’ont aucune valeur sans l’agapè, sans l’amour.
La prise de position de l’apôtre bouleverse l’échelle de valeurs de certains Corinthiens. Comment exister réellement ? En se mettant en avant ? C’est tout l’inverse pour Paul qui va jusqu’à affirmer que livrer tous ses biens – attitude altruiste s’il en est – et même sa vie, « si je n’ai pas d’amour, cela ne me sert à rien ! ». Dépasser mes propres intérêts et mon besoin de m’affirmer, voilà l’attitude à laquelle je suis appelé par l’apôtre. La supériorité de l’amour va même au-delà de la foi, entendue ici non pas comme relation à Dieu mais comme conviction : je pourrais avoir la fameuse foi qui déplace les montagnes dont parle Jésus (Mc 11, 23), « si je n’ai pas d’amour, insiste Paul, je ne suis rien ! ». Voilà qui invite à l’humilité, vous ne trouvez pas ?
Et l’apôtre continue de bousculer son monde. La deuxième partie de son argumentation où il décrit l’amour – ce qu’il fait, ce qu’il ne fait pas – se termine sur l’affirmation : « L’amour est éternel ! ». Littéralement, il ne tombe pas, ne faillit pas. Paul enchaîne pourtant immédiatement sur la notion d’abolition ou d’annulation des prophéties, des langues et de la connaissance. C’est que l’amour est l’accomplissement de tout : « quand viendra la perfection – i.e. l’amour –, ce qui est incomplet – ou partiel – disparaîtra » (v. 10). Parmi les images utilisées par Paul, la comparaison entre la connaissance de l’enfant et celle de l’adulte. C’est toute la puissance d’interpellation du Nouveau Testament que de nous inviter tantôt à accueillir le Royaume comme un enfant seul peut l’accueillir (Mc 10, 15), tantôt à laisser derrière nous les choses qui relèvent de l’enfant (v. 11b). Nous disions tout à l’heure dans la déclaration du pardon : effaçant tout ce qui est d’hier, Dieu fait en nous toutes choses nouvelles. Mais il n’est pas question de se renier non plus.
En attendant la vie nouvelle, cette perspective où Paul affirme qu’il « connaîtra comme il est connu » (v. 12) – sous-entendu de Dieu –, ce n’est pas dans le spectaculaire que s’exprime le divin, mais dans l’amour. Et l’amour peut aussi nous permettre de rester à notre place ; c’est le sens du verbe demeurer dans la célèbre triade de Paul :
« Maintenant, ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance et l’amour ; mais la plus grande des trois est l’amour. » (13)
Verset célèbre s’il en est. Paul manie déjà ces trois notions dans le plus vieux texte du Nouveau Testament, en 1Thessaloniciens 1, 3, avec un vocabulaire plus religieux et pas dans le même ordre :
En effet, nous nous rappelons votre foi si active, votre amour qui se donne de la peine, et votre solide espérance en notre Seigneur Jésus Christ, devant Dieu notre Père.
Voilà l’enjeu exprimé avec des mots nouveaux à la communauté de Corinthe : garder et regarder l’amour comme un absolu. Car malgré l’ambiguïté du mot amour en français, l’agapè n’est pas un sentiment mais bien une attitude, un positionnement dans la vie, une manière de construire son identité. Cette attitude, à titre individuel, a forcément des effets sur le collectif. Et dans nos Églises aussi, comme dans celle de Corinthe au milieu du Ier siècle, nous sommes invités à accueillir l’autre, sans distinction d’orientation sexuelle, de statut social ou d’origine ethnique. Telles sont les implications de cet amour absolu qui « espère tout » (v. 7) pour son semblable. Il ne s’agit pas seulement de tolérer la différence mais d’être actif dans l’ouverture à l’autre en étant bon, i.e. bien faisant. Il ne s’agit pas de bons sentiments mais d’être délicat et attentionné envers l’autre.
L’amour comme chemin supérieur à tout, oui, telle est la vie chrétienne décrite par l’apôtre Paul : une marche sur le chemin qu’est l’agapè. Cette marche peut sembler d’accès difficile, parce qu’aimer est parfois impossible. Mais n’oublions pas que l’amour est discret. Frères et sœurs, et si nous nous faisions ne serait-ce qu’un peu confiance, pour nous retrouver ? Et si nous laissions un peu d’espace à l’autre, même et surtout quand il nous dérange ? Alors résonnera certainement en nous l’amour créateur de Dieu.
Amen
Prochain Culte
10h30 dimanche 9 février
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