Culte du 25 février 2024
Textes
Genèse 22. 1-18
Romains 8. 31-34
Marc 9. 2-10
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1 Après cela, Dieu mit Abraham à l’épreuve ; il lui dit : Abraham ! Il répondit : Je suis là !
2 Dieu dit : Prends ton fils, je te prie, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac ; va-t’en au pays de Moriya et là, offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je t’indiquerai.
3 Abraham se leva de bon matin, sella son âne et prit avec lui deux serviteurs et Isaac, son fils. Il fendit du bois pour l’holocauste et se mit en route pour le lieu que Dieu lui avait indiqué.
4 Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit le lieu de loin.
5 Abraham dit à ses serviteurs : Vous, restez ici avec l’âne ; moi et le garçon, nous irons là-haut pour nous prosterner, puis nous reviendrons vers vous.
6 Abraham prit le bois pour l’holocauste et le chargea sur Isaac, son fils, et il prit lui-même le feu et le couteau. Puis ils continuèrent à marcher ensemble, tous les deux.
7 Alors Isaac dit à Abraham, son père : Père ! Il répondit : Oui, mon fils ? Isaac reprit : Le feu et le bois sont là, mais où est l’animal pour l’holocauste ?
8 Abraham répondit : Que Dieu voie lui-même quel animal il aura pour holocauste, mon fils ! Et ils continuèrent à marcher ensemble, tous les deux.
9 Lorsqu’ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait indiqué, Abraham y bâtit l’autel et disposa le bois. Il ligota Isaac, son fils, et le mit sur l’autel, par-dessus le bois.
10 Puis Abraham tendit la main et prit le couteau pour immoler son fils.
11 Alors le messager du SEIGNEUR l’appela depuis le ciel, en disant : Abraham ! Abraham ! Il répondit : Je suis là !
12 Il dit : Ne porte pas la main sur le garçon et ne lui fais rien : je sais maintenant que tu crains Dieu et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique.
13 Abraham leva les yeux et vit par-derrière un bélier retenu par les cornes dans un buisson ; alors Abraham alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils. 14 Abraham appela ce lieu du nom d’Adonaï-Yiré (« YHWH voit ») . C’est pourquoi l’on dit aujourd’hui : A la montagne du SEIGNEUR, il sera vu.
15 Le messager du SEIGNEUR appela Abraham une seconde fois depuis le ciel ;
16 il dit : Je le jure par moi-même, — déclaration du SEIGNEUR — parce que tu as fait cela, parce que tu n’as pas refusé ton fils, ton fils unique,
17 je te bénirai et je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est au bord de la mer. Ta descendance prendra possession des villes de ses ennemis.
Prédication
Denis Turpin
Quel Dieu déconcertant que ce Dieu d’Abraham !
Dieu de l’Alliance, de la promesse… et Dieu terrible du sacrifice du Fils unique. Bien difficile à comprendre dans cet épisode, comme dans la Passion de Jésus. Bien difficile parfois à comprendre dans les épisodes douloureux de notre vie…
Pourtant, c’est aussi ce Dieu-là qu’il nous faut rencontrer dans la Bible même si nous avons du mal à admettre ces textes, à les interpréter d’autant plus qu’ils sont souvent mis en avant par tous ceux qui veulent nous prouver que la Bible est souvent un texte terrible.
Abraham sacrifiant son fils unique Isaac…Pour aller au-delà d’une réflexion sur l’obéissance absolue, ce texte nous oblige à des questions plus profondes sur Dieu.
Quel Dieu est-il, qui joue ce jeu cruel avec l’homme, qui lui donne un unique enfant puis lui demande de lui offrir la vie de cet enfant en sacrifice ?
Bien sûr, la fin de l’épisode est essentielle qui apporte une réponse pleine d’espoir :
non, le Dieu unique d’Abraham et d’Isaac n’est pas de ces dieux cruels, abondants aux dire de la Bible, dans l’ancienne religion cananéenne, qui exigent la vie des enfants en expiation des fautes de leurs parents ! (Comme dans Jérémie 19, v.5 « Ils ont bâti les hauts lieux du Baal pour jeter au feu leurs fils en holocauste au Baal »)
Il n’est pas de ces dieux créés par les hommes, toujours en quête d’apaiser leur colère. Des dieux à l’origine de tous les accidents, de toutes les maladies, de toutes les morts, de tous les mystères, cachés partout, épiant nos gestes et jaloux de notre liberté. Alors, pour se les concilier, les hommes ont cherché à les contenter par ce qui contente la chair (le boire, le manger, la danse, le spectacle…) voir à leur offrir ce qu’ils ont de plus cher, le sang d’un animal…ou d’un enfant, la vie fragile d’un enfant !
Révélation de Dieu à Abraham : je ne veux plus verser de sang humain ! Pour les sacrifices de bêtes, passe encore ! Mais la vie humaine est plus précieuse que cela.
Le monothéisme juif innove là fortement !
Hélas pour nous qui avons bien du mal à le comprendre, il ne va pas jusqu’au bout du raisonnement. Il garde l’idée que pour détourner la soif de sang de la divinité (mais pourquoi aurait-elle soif de sang ?), on peut substituer une vie animale (= ici un bélier) à une vie humaine (Isaac). Joseph offrira deux tourterelles au Temple à la naissance de Jésus (Luc 2). Mais le judaïsme pose là de façon radicale l’idée que l’homme vaut mieux qu’une bête, qu’il n’est plus question de verser son sang (Déjà dans Genèse 21 avec l’égyptienne Hagar et son fils, rejetés dans le désert).
Ce sont bien là les bases d’une première forme de « droits de l’homme ». Mais on reste pourtant sur sa faim, avec le début de cette histoire, qui continue à nous gêner.
Car qui peut envisager sereinement d’obéir ne serait-ce qu’une seconde à un ordre aussi absurde sans y être contraint ?En 1914, dans les tranchées, des soldats fusillaient leurs compagnons d’arme qui refusaient d’aller se faire hacher sous la mitraille ennemie, certes, mais c’était sous peine de mort pour ceux qui refusaient de fusiller ou d’en donner l’ordre ! Mêmeordres sacrificiels dans les armées nazie ou soviétique à Stalingrad en 1943, dans l’armée russe en Ukraine en 2022
En plus, toute la mise en scène ici nous pousse à nous identifier à l’un ou l’autre de ces personnages, tellement la narration est claire ! Avec les questions teintées d’innocence et de vérité enfantine d’Isaac à son père, avec Abraham obligé de mentir à son fils, avec aussi les détails de la préparation du bois…
On se prend à penser à la psychologie de ces personnages, qu’ils aient ou non été réels, et à la contradiction qui amène à ce cas de conscience, qui parait absurde :
que veut Dieu exactement ?
La Bible le dit très clairement, dans ce texte même, plusieurs fois : mettre Abraham à l’épreuve ! Mais notre raison nous crie : quelle idée absurde ! Tellement en contradiction avec le Dieu que nous aimons ! Dieu de vie et de grâce, qui « ne veut déjà pas la mort du pécheur, mais qu’il vive ». (Ézéchiel 18, 23)
Comment accepter ce caprice indigne de lui : vouloir la mort d’un innocent ? Sans même dire « à la place du coupable » parce qu’Abraham n’était certainement pas aussi innocent !
Nombre de gens ont perdu la foi devant cet aspect du Dieu de l’Ancien Testament, comme à chaque fois que l’Ancien Testament présente un massacre politique comme voulu et décidé par Dieu. Et plus encore ont perdu la foi en découvrant dans le Second Testament que le Dieu de Jésus se présente aussi comme le sacrificateur de son fils… Ce n’est donc pas une question à traiter à la légère !
Je vous propose une piste…
La mort est constitutive de l’homme, c’est ce qui justement le différencie des dieux, de Dieu. Pourquoi le nier : nous sommes mortels. Dieu, le Dieu créateur, nous a permis de vivre mais d’une vie qui finira un jour, pénible réalité que nous devons bien accepter de Dieu. Et s’il est le maître de toutes choses, il ne peut qu’être le maître de toute vie. C’est lui qui décide de notre destin, du temps de notre vie ou de notre mort.
Il peut donc légitimement redemander sa vie à chacun comme il le souhaite. Pour les gens de l’Ancien Testament, le message était très clair ! Pour nous, c’est un schéma difficile à admettre, quelle histoire tordue…pour nous transmettre quel message ?
En fait, nous nous arrêtons à la psychologie des acteurs de cette histoire, qui est ici essentiellement un mythe des origines, comme le sont toutes les histoires de la Genèse, qui veulent nous présenter des situations-limites, ici, notre existence humaine. Pour nous interpeller. Justement d’autant plus que cette histoire nous paraît monstrueuse.
Et de nous poser alors une des questions de fond de cette histoire :
qu’est-ce que nous sommes prêts à sacrifier pour obéir à Dieu ?
Bien entendu seuls des personnages exceptionnels, des héros de mythe peuvent aller au bout du bout de cette obéissance. Ils nous indiquent une direction vers laquelle nous pouvons marcher mais à notre échelle humaine, en nous demandant…si Abraham a obéi jusqu’à être prêt à sacrifier son fils, alors moi, à mon échelle humaine, quel effort puis-je faire pour Dieu ?
Jésus sacrifié ne nous dit pas autre chose ! « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » dit le Jésus de Jean (15,13). En se laissant arrêter et supplicier, Jésus a vraiment détourné les coups de ses opposants destinés aux disciples qu’il aimait. Même si historiquement il a sans doute effectivement été mis à mort, comme l’ont certifié de nombreux témoins dans le Nouveau Testament, c’est une lecture ultérieure qui a voulu voir cette mort comme un sacrifice, en lien avec la culture sacrificielle hébraïque du Premier Testament.
Or, c’est précisément l’absurdité de l’histoire d’Abraham et d’Isaac qui nous fait dire que cette lecture n’est pas forcément la bonne. Pourquoi Dieu serait-il lui-même allé jusqu’au bout du geste monstrueux qu’il a évité à Abraham ? Pourquoi ce geste aurait-il plus de sens ?
Sinon en lisant à la lumière de la Trinité cet événement, pour comprendre que Dieu, « consubstantiel au Fils », s’est lui-même offert sur la croix en sacrifice, pour proclamer l’absurdité absolue du sacrifice, de la mort même de l’homme ! Voilà un bon moyen de retomber sur nos pattes dans une logique chrétienne.
Mais notre esprit moderne n’est pas forcément satisfait par la réponse de la Tradition Chrétienne, qui veut voir dans ce récit de la Genèse, un récit qui préparait les esprits au sacrifice du Christ par Dieu le Père. Qui ne voit pas dans cette crucifixion un sacrifice (pas de bois, de feu, d’autel, de couteau, de rite expiatoire…). Qui refuse cette lecture proposée par les épîtres de notre Bible. Ou plus exactement qui préfère une vision paulinienne (celle de l’épître aux Romains) à une autre (celle de l’épître aux Hébreux) qui n’est pas de Paul.
La lecture sacrificielle de la mort de Jésus (et d’autres gestes bibliques) n’est donc pas la seule possible !
Il vaut la peine de s’en délivrer pour parler de Dieu à des contemporains qui n’admettent pas la violence du Dieu de Bonté, de Dieu-Amour. Mais elle oblige du coup à relire la Bible toute entière sous un autre angle, ce qui est une bonne chose pour ne pas risquer de s’enfermer dans des idées toutes faites, dans un catéchisme parfois aussi inadapté à une lecture du monde moderne que les contes de fée. Il faut peut-être aussi accepter de cesser de parler de salut à des gens qui ne sont en aucun cas préoccupés par leur vie éternelle !
Mais quel message transmettre alors ?
Peut-être, en ce temps de Carême, transmettre la conversion toujours possible, comme un retour sur soi-même, une introspection qui permettrait de donner du sens à une vie qui dévirait vers trop de matérialisme, de désir de possession, de consommation.
Transmettre aussi la rédemption est toujours possible, avec un Dieu qui nous comprend et nous pardonne. L’amour de Dieu pour tous les hommes sans distinction.
Transmettre beaucoup d’autres valeurs et/ou questions qu’il vaut la peine d’explorer, y compris pour nous-même, si nous voulons communiquer notre foi à ceux qui nous entourent. Ce qui est, faut-il le rappeler, notre première mission d’église en ce monde.
Amen
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Bonne semaine