Culte du 24 mars 2024
Textes
Esaïe 50.4-7
Philippiens 2.6-11
Marc 11.1-10
Prédication
Vincent Moulin
Amis, frères et sœurs,
Nous sommes dans les premiers jours du printemps, la nature sort de sa torpeur et nous aussi nous voyons notre énergie grandir ! Même si la guerre est toujours aux portes de l’Europe,
l’espérance doit guider notre vie. Le texte de ce jour en est une preuve éternelle
Mais nous sommes aussi le 6ème dimanche depuis le début du temps de Carême ou du temps de la Passion. Nous sommes le dimanche des Rameaux, qui ouvre la Semaine Sainte.
Ce jour des Rameaux est une fête, certes, mais une fête où se mêlent à la fois, la joie et la gravité d’un drame: d’une part la joie d’accueillir Jésus qui entre à Jérusalem et qui est salué
comme un Roi, et d’autre part, le drame de son arrestation, suivie de sa crucifixion et de sa mort.
Les Rameaux, est ainsi une fête paradoxale.
D’où vient-il, ce paradoxe ? Nous venons de le dire, une entrée de Jésus, au sein d’une foule qui l’acclame apparemment sans réserve, et pourtant dans quelques jours il sera crucifié. Il se dirige vers le cœur de la ville, là où se juxtapose les deux lieux de pouvoirs : d’une part, celui du gouvernement romain, impérial envahisseur de cette époque, et d’autre part, celui des garants de la Loi de Moïse et des Prophètes, entourés du tribunal ecclésiastique juif, le Sanhédrin. La cohabitation de plusieurs pouvoirs est source de tension, Jésus par son arrivée vers le temple en représentera une supplémentaire. Il se dirige donc vers le Temple où il va faire comprendre aux marchands que les sacrifices d’animaux ne seront bientôt plus nécessaires pour plaire à Dieu. Le sacrifice de Jésus sur la croix serra le dernier pour toute l’humanité ! Il est temps de mettre fin au commerce et sortir du Temple.
Cette entrée de Jésus à Jérusalem marque aussi un tournant dans sa vie et son ministère.
Jusqu’à présent, Jésus a enseigné, il a fait des miracles, il a rencontré et guéri des personnes dans toutes les couches de la société. Son enseignement, ses actes, son attitude avec chacun et chacune, ont marqué les esprits. Jésus impressionne par son autorité tranquille, douce et ferme à la fois, qui n’a rien à voir avec une prise de pouvoir, et il interroge aussi par la nouveauté de son discours, qui n’est pas seulement une doctrine religieuse séduisante, mais qu’il accompagne d’actes concrets, pour illustrer la cohérence de son message. Il parle d’un Dieu qui n’est plus au-dessus des hommes, surplombant leurs existences, tel un marionnettiste manipulant un pantin ; il annonce un Dieu, que les Évangiles appelleront par la suite, « Emmanuel », Dieu avec nous. Alors, il suscite auprès des foules une immense espérance et un enthousiasme débordant, et c’est cela que la foule est en train d’applaudir à l’entrée de Jérusalem en admirant Jésus, assis modestement sur son ânon.
Mais Jésus a aussi provoqué la peur et la suspicion, en particulier chez tous ceux dont il ne s’est pas gêné de critiquer ni les actions, ni la théologie. Jésus ne s’est pas fait que des amis, loin de là. Et on peut imaginer que les conversations allaient bon train dans les familles ou dans les rencontres amicales, au cours desquels surgit la question brûlante : est-il celui qui doit venir dans le monde pour régner ? Est-il le messie qu’on attend depuis des générations ? Il devient important de savoir qui suivre et qui détient la vérité.
Choisir Jésus ce ne sera pas facile, l’accepter comme un Messie, comme le Messie, c’est sans aucun doute se mettre à dos toute l’autorité des maîtres de la Loi de Moïse qui ne semblent pas de cet avis. Refuser de le suivre c’est mettre fin à cet espérance que Jésus a fait naitre.
Tout le monde va bientôt connaitre la réponse, puisque Jésus entre à Jérusalem avec, sans aucun doute, cet objectif. Alors la foule qui l’acclame est une foule qui lui donne sa confiance, pleine et entière, remplie de l’espérance que Jésus a suscitée en elle. Et elle souhaite plus que jamais, que Jésus réalise concrètement cette espérance, et qu’il va établir un vrai nouveau royaume, dont Dieu sera pour toujours le souverain maître du monde, et dont Jésus est le bras droit.
Et Jésus continue d’avancer, assis sur son ânon. Combien sont-ils à percevoir la gravité de son visage ? Combien sont-ils à faire attention à la monture sur laquelle Jésus est assis ? Combien sont-ils à se souvenir de cette prophétie, annoncée dans le livre de Zacharie (chap. 9, v.9), mais qui est absente de la rédaction de l’Évangile de Marc : « Sois transportée d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ! Ton Roi vient à toi, il est juste et victorieux, il est humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse ».
C’est la référence la plus connue écrite dans le livre du prophète Zacharie, sur laquelle les évangélistes du Nouveau Testament s’appuient, pour faire le lien entre l’espérance d’un Messie attendu par les Juifs, et la joie de l’entrée de Jésus à Jérusalem, ce que les chrétiens, toutes traditions confondues, célèbrent à la fête des Rameaux.
A propos monture, Il est souvent cité que l’ânon n’est pas une monture de roi, et pourtant Salomon entre dans Guihon sur la mule de son père pour y être oint roi et régner sur le Israël et Juda. C’est écrit dans Rois livre 1/ Chapitre 1 V 33 Et le roi (David) leur dit : Prenez avec vous les serviteurs de votre maître, faites monter Salomon, mon fils, sur ma mule, et faites-le descendre à Guihon. Jésus sur un ânon ce n’est peut-être pas simplement de l’humilité, mais aussi le signe qu’il est ou va devenir roi.
Les trois évangiles synoptiques, Matthieu, Marc et Luc présentent cette entrée de Jésus à Jérusalem comme un achèvement. Dans cette entrée paradoxalement triomphale, il y a une sorte de synthèse de toute la prédication de Jésus. Assis sur son ânon, il se présente, certes comme le Christ, qui est le mot grec, le Messie, qui est le mot hébreu, mais un messie doux et humble de cœur, qui reste l’ami des plus petits, qui reste proche de tous les hommes, y compris de ceux qui se sentent coupables. Jésus se présente comme un messie religieux, ou plutôt un messie de la foi. Mais la foule l’accueille comme un messie politique, qui va enfin rétablir la royauté d’Israël et libérer le peuple de la domination romaine. Si, pendant un moment, la foule, les disciples et Jésus semblent être à l’unisson, cela sera de courte durée.
Jésus continuera d’afficher sa profonde liberté à l’égard des institutions, en chassant quelques heures plus tard, les vendeurs du temple, donnant ainsi le signal de la tragédie de la passion.
Impro sur les sacrifices change monnaie sans effigie, plus de sacrifices, Détruisez ce sanctuaire (Naos) et, en trois jours, je le relèverai, annonce de la passion.
Cette attente pour un messie « Politique et guerrier » fait écho à la fable de la Fontaine « les grenouilles qui, lassent de la démocratie, demandait un roi. Après avoir été entendues en recevant un roi débonnaire, elles demandèrent un roi plus autoritaire et furent exhaussées en recevant une grue qui les dévora. Il est certain que d’avoir un roi débonnaire et doux demande au peuple de se prendre en charge avec comme seule arme « l’amour ». Alors qu’avec un roi guerrier qui chasserait les romains de Jérusalem, le peuple serait rassuré quant au résultat.
Jésus se retrouve face à une population divisée entre ces deux attentes, la victoire par l’amour ou la victoire par la guerre. Si nous avions vécu à cette époque-là, si nous avions été dans la foule, à Jérusalem, ce jour-là, si nous avions vu cet homme avancer dans la ville de cette façon-là, quel Jésus aurions-nous accueilli et acclamé ? Peut-être qu’on se serait laissé prendre à accueillir un Jésus qui nous arrange, et nous n’aurions vu que ce que nous voulions voir à savoir le futur roi d’Israël, comme autrefois le Roi David, qui au nom de Dieu aurait rendu à son peuple sa liberté. Il n’y a aucune honte à ça, ni aucune culpabilité, en disant que c’est tout à fait légitime d’accueillir quelqu’un d’invincible, qui viendrait nous sauver, avec force et pouvoir, en rétablissant l’autorité divine suprême, y compris sur les hommes, qui, par conséquent, se seraient retrouvés assujettis, à un nouveau pouvoir, fut-il divin. Et Dieu serait redevenu, sinon resté, cette « instance surplombante », intervenant quand bon lui semble, dans les affaires du monde.
La question reste d’actualité, aujourd’hui même si elle se pose de façon symbolique. Nous revivons cette entrée de Jérusalem, aujourd’hui, sur le plan de la foi. Alors que le monde est en effervescence, les guerres se multiplient.
Jésus avait un projet bien différent et bien plus large que nos attentes terriblement réductrices. Et par sa présence invisible, il continue d’avoir ce projet, qu’il a patiemment distillé dans le cœur des hommes par sa Parole et ses actes, en particulier par le don de sa vie.
En ce jour des Rameaux, si nous ne savons pas vraiment pourquoi Jésus entre à Jérusalem, lui, il le sait. Sans doute mesure-t-il déjà la distance qu’il y a entre lui et la foule qui l’acclame en cet instant ? Sans doute connaît-il déjà la déception et même l’incompréhension qu’il va provoquer chez ses disciples ? Jésus n’a ni programme, ni mandat, ni ambition. Jésus n’a qu’un seul but qui est toute sa vocation, et sa mission, non pas faire quelque chose, mais simplement ÊTRE.
Etre signifie vivre avec et au milieu des hommes et femmes de son temps, et ensuite devenir celui qui est en en chacun de nous et nous accompagne tout au long de notre vie. Etre celui qui nous rappelle que l’amour est plus fort que tout.
A l’aube de cette semaine, qualifiée de sainte, Jésus choisit de rester solidaires des hommes et des femmes y compris dans la mort, mais personne ne le sait encore. Même nous, aujourd’hui, nous pouvons avoir du mal à le reconnaître et à le croire. Il faut traverser toute cette incroyable semaine, qui s’ouvre, et dont personne ne soupçonne la véritable importance.
Jésus est venu offrir sa présence, son humilité, sa faiblesse comme ultime présence de Dieu dans la vie des hommes. Ce n’était que dans la faiblesse et l’humilité que l’amour de Dieu pouvait véritablement se donner. Il n’a pas voulu utiliser d’autres moyens que sa parole, sa prière et ses mains ouvertes pour affronter les autorités et les dominateurs de ce monde, afin de rendre l’être humain profondément libre et responsable.
Les Rameaux d’aujourd’hui se situent comme hier entre joie et gravité.
Joie parce que le Dieu de Jésus-Christ nous appelle à des actes humbles, qui ne brillent pas aux yeux du monde.
Gravité, parce que nous sommes appelés à vouer notre vie, par notre présence discrète, persévérante, parfois ignorée, luttant inlassablement pour le droit et la justice des plus petits, des laissés pour compte, pour être la voix des sans voix, être silencieux devant les fausses accusations, à travailler patiemment à la paix par la justice sociale et la solidarité entre les peuples, tout simplement parce que nous sommes reliés les uns aux autres, par la même humanité, dont il faudra réinventer la fraternité, dans le monde d’après les guerres.
Mais pour le moment, il nous faut traverser cette épreuve, tenir dans le temps, inventer de nouvelles façons d’être ensemble, ne pas cesser de nous aimer les uns les autres, et surtout, de garder une confiance absolue dans l’amour de Dieu, qui ne cesse d’être fidèle, et qui continue d’espérer en l’homme.
Je terminerai par ce texte de Jacques Brel
Quand on n’a que l’amour
Pour tracer un chemin
Et forcer le destin
A chaque carrefour
Quand on n’a que l’amour
Pour parler aux canons
Et rien qu’une chanson
Pour convaincre un tambour
Alors sans n’avoir rien
Que la force d’aimer
Nous aurons dans nos mains
Amis le monde entier
Amen