Atelier de Lectures Oecuménique du 28 septembre 2023
Gérer les conflits dans l’Église
(édition Olivetan)
de Frédéric ROGNON
présenté par Michèle Lambotte
« Frédéric Rognon est pasteur de l’Église réformée de France,maître de conférence en philosophie , éthique et anthropologie de la religion à la faculté de théologie protestante de Strasbourg (Université Marc Bloch) »
I – Première partie : Théorie des conflits, entre Bible et sciences humaines
1 – La notion de « conflit »
2 – Les leçons des Écritures quant aux conflits
3 – L’enseignement des sciences humaines pour la gestion ds conflits
II – Seconde partie: Pratique des conflits dans l’Église locale
1– Conflits entre paroissiens
2 – Conflits ente jeunes de la paroisse
3 – Conflits entre le pasteur et ses paroissiens 4 – Conflits entre pasteurs
Conclusion : Pour une éthique du conflit
( Les pages indiquées sont celles de la « TOB », édition intégrale)
Avant de commencer, je vous lis ce passage des Lettres Persanes, lettre de Charles de Montesquieu (1720)
Rica à Usbeck son ami :
« Aussi puis-je t’assurer qu’il n’y a jamais eu de royaume où il y ait tant de guerres civiles que dans celui du Christ. Ceux qui mettent au jour quelque proposition nouvelle sont d’abord appelés hérétiques »
En 1960 environ, Martin Luther King :
« Il nous faut ou bien apprendre à vivre ensemble comme des frères, ou bien tous ensemble comme des imbéciles. »
Introduction
Les conflits sont-ils solubles dans l’Évangile ?
Le thème de la gestion des conflits connaît un essor inédit dans nos sociétés, mais également dans nos églises. Jusqu’à présent la stratégie majoritaire consistait à les nier ou à les relativiser. A présent, nous sortons du non-dit pour prendre en compte l’enseignement des Écritures au sujet des conflits. Le succès de l’œuvre de René Girard (Cf « Le bouc émissaire ») en milieu chrétien est révélateur ; c’est pourquoi notre auteur va s’en inspirer largement, et essaiera de poser les base d’une éthique du conflit.
Toute vie commune génère nécessairement des conflits en famille, de voisinage, au travail, au niveau d’un pays et évidemment dans l’Église. C’est un phénomène universel.
Dans nos Églises, on a tendance à nier les conflits par peur de la division sous prétexte que puisque nous sommes chrétiens, nous échappons aux lois sociologiques du monde : Il ne faut pas confondre l’Église et le royaume des Cieux comme si nous étions déjà parvenus à cet idéal où tout conflit aurait disparu. Mais l’amour fraternel, les bonnes conduites, le recours au pasteur ne suffisent pas pour surmonter ces conflits.
Avec F. Rognon, on va revisiter quelques textes bibliques et anthropologiques pour gérer les conflits dans l’Église locale.
– la première partie sera consacrée à la théorie des conflits,
– la deuxième partie servira à esquisser une pratique évangélique des conflits.
Première partie : Théorie des conflits , entre Bible et Sciences Humaines.
1 – La notion de « conflit »
Toute vie sociale suscite des conflits :
. pas de couple sans conflits, pas de vie de famille sans conflits, . pas de vie professionnelle sans conflits.
. pas de vie politique nationale ou internationale sans conflits, . pas de vie d’Église sans conflits.
a/ Qu’est-ce qu’un conflit ?
Un conflit (du latin « conflictus ») c’est un heurt, un affrontement qui résulte de la confrontation de forces opposées, des besoins, des intérêts, des valeurs.
ex. : . besoins d’accès à des ressources vitales : l’eau, la sécurité…
. un intérêt est moins impératif que le besoin, mais on souhaite défendre son bien- être social (salaire, emploi, retraite…)
. une valeur : les échelles de valeur varient d’un individu à l’autre du fait de sa culture, de l’éducation, du système de croyance…
Un conflit est un désaccord vécu comme un rapport de force, et c’est celui qui se sent victime qui réagit le premier.
b/ Quelles sont les propriétés d’un conflit ?
Quel est le sens d’un conflit ?
Qu’est-ce qu’un conflit apporte en négatif mais aussi en positif ?
L’ambivalence fondamentale du conflit est qu’il peut représenter soit un danger, soit une opportunité, selon que la gestion qui en est faite est soit destructive, soit constructive :
– Le conflit est destructeur lorsque il est nié, ou lorsqu’il glisse d’un conflit d’objets (besoins, intérêts, valeurs…) à un conflit de personne.
Lorsque ce seuil est franchi, c’est un engrenage de conflits qui passe par différentes phases de pourrissement et dégénère en violence.
La violence est la négation de l’autre, le désir de sa suppression en tant que personne humaine.
La violence est toujours orientée vers la mort de l’autre, physique, psychologique ou symbolique (conflits sociaux).
– Le conflit est positif lorsqu’il devient constitutif de l’identité et du développement du sujet.
Ex : attitude d’opposition de l’adolescent envers le monde des adultes. Une éducation équilibrée gère correctement le conflit entre le désir et la loi.
Le conflit est aussi le symptôme révélateur du dysfonctionnement, d’abus, d’exclusions, d’injustices…
Il est donc facteur de changement.
Le conflit met en jeu l’agressivité des protagonistes, c’est aussi convertir la colère en résistance active, afin d’être respecté au lieu de se laisser écraser ou d’écraser l’autre.
(cf N.T. Mathieu 21.12-16 : récit de Jésus chassant les marchands du temple p99 et 100)
Plusieurs auteurs, sociologues, se sont confrontés sur ces aspects négatifs ou positifs du conflit : par exemple l’allemand Georg Simmel : à ses yeux, toute vie sociale génère du conflit et notamment la communauté (famille, village, église…) lieu particulièrement riche en conflits
. entre époux,
. entre pays voisins,
. idem dans une même Église.
Pour G Simmel, le conflit bien géré a un aspect novateur.
c/ Conflit et violence : deux notions à distinguer.
La violence, ce n’est pas l’emploi de la force, mais l’abus de la force. Car la force peut être employée pour construire, pour rendre la justice, pour se défendre, pour faire la paix.
Kant : « Nous avons besoin les uns des autres, mais la violence commence lorsque l’autre n’est plus qu’un moyen »
Préceptes de non violence de Jésus ( Mt 5,21-22 et Mt 5,39-41 p 54 et P 56) :
« Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. Si quelqu’un veut te faire un procès pour prendre ta tunique, laisse-lui aussi ton vêtement. Si quelqu’un te réquisitionne pour faire un mille, fais en deux avec lui »
d/ Les formes de la violence :
1ère – Violence physique, qui blesse ou qui tue,
2ème – Violence psychologique, qui s’exprime sous des dehors plus diffus : manipulation, diffusion de rumeurs, rétention et distillation d’informations .
Ex 1 : Supérieur hiérarchique sur les lieux de travail,
Ex 2 : La femme dans le couple, physiquement inférieure, mais par contre la violence conjugale sous sa forme psychologique est massivement le fait des femmes ; Cf Elizabeth Badinter dans son livre « Fausse route ». Le débat est ouvert. !!!
3ème –Violence structurelle,
Ex : La misère ; il n’y a pas de coupables, mais il y a des victimes. D’où révoltes, révolutions, spirales de violences comme au Brésil et aussi en France (Cf Don Heller Caucare : Engrenage sans fin (1970))
4ème – Violence symbolique ou culturelle, (Pierre BOURDIEU)
Ex : femme victime d’un viol, elle porte plainte, mais son agresseur à la Cour se justifie ainsi : « Elle l’a cherché, habillée comme ça, à cette heure là, dans ce quartier là » A la violence physique et psychologique s’ajoute alors une violence symbolique ou culturelle .
Cf Boris Cyrulnik : « La résilience n’est possible que si la blessure peut se dire et être entendue par un autre avec bienveillance, compassion, empathie.Elle est fortement compromise si le regard et les paroles des autres transforment cette blessure en traumatisme . La violence c’est un viol de l’intégrité de l’autre.
En termes religieux, « la violence est la profanation du sanctuaire qui représente toute personne humaine ».
e/ La non-violence : qu’est-ce que dire « non » à la violence ?
Expérience de Gandhi :
Dans une perspective chrétienne, la non-violence n’est ni passive ni frontale ; c’est l’art de reconnaître, d’assumer, de gérer sa propre violence, de la maîtriser et la dépasser ; c’est-à-dire « domestication de la violence » Jusqu’à ce que surgisse une solution concurrente, c’est-à-dire sans perdant, où toutes les parties se retrouvent co-gagnantes.
f/ Origine et évolution des conflits : pourquoi ? Comment ?
La pensée de René Girard relie l’origine des conflits « au désir mimétique » comme observé dans le comportement des animaux.
C’est un désir triangulaire qui met en jeu 3 instances :
– le sujet désirant,
– un autre sujet désirant,
– l’objet désiré.
Exemple de fonctionnement :
– chez les très jeunes enfants pour un jouet : le désir de l’un crée le désir de l’autre, qui renforce celui du premier, et ainsi de suite.
– chez les adultes, ce fonctionnement existe aussi : la publicité utilise ce désir d’acheter ce même objet à la mode.
– autre cas : « l’éternel mari » de Dostoïewski, le mari trompé qui prend pour obstacle- modèle l’amant de la femme ; devenu veuf, il invite son ex-rival à l’accompagner chez sa nouvelle fiancée…
Même « désir mimétique ».
Nous allons chercher dans la Bible les moyens de vivre au mieux avec les conflits en nous appuyant sur leur ambivalence : au versant négatif se trouve un volet positif.
2 – Les leçons des Écritures quant aux conflits.
Dans l’Ancien Testament :
1er ex. – Caïn et Abel : premier meurtre, premier enseignement, premier exemple : Genèse 4,8 P 50: « Caïn parla à son frère Abel et lorsqu’ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère Abel et le tua. »
C’est le ressentiment de Caïn envers le regard favorable que Dieu avait porté sur le seul sacrifice d’Abel (cf : Gen. 4.4-5 page 50). C’est une carence de parole qui conduit au meurtre ; la violence s’est substituée à la parole (Caïn souffre de ne pas être reconnu par Dieu).
Conclusion : la parole devrait occuper un statut privilégié dans une gestion constructive des conflits.
2ème ex. – Jacob et Esaü : du mensonge et des non-dits à la réconciliation.
Second exemple de conflit entre frères, a fortiori entre jumeaux.
Jacob s’approprie la bénédiction promise à Esaü de la part de leur père, Isaac, au moyen d’un stratagème et d’un mensonge cf Gen. 27 page 84).
A cause de ce mensonge, Esaü éprouve de la haine envers son frère et projette même de le tuer (Genèse 27.41 page 86).
Puis 20 ans s’écoulent avant la réconciliation, 20 ans où il n’est pas question une seule fois d’Esaü. Puis Jacob va entreprendre une réconciliation avec son frère jumeau. Nous pouvons voir aussi la métamorphose de Jacob, qui au terme d’un combat contre lui-même mené au travers de son affrontement avec Dieu, reçoit une nouvelle identité et un nouveau nom : Israël ; Donc la restitution d’une représentation favorable de soi-même et de l’autre (lutte de Jacob avec l’ange). Désormais Jacob – Israël et son frère Esaü peuvent vraiment se séparer et vivre sans craindre l’autre.
3ème ex. – Joseph et ses frères : les impasses du mécanisme du bouc émissaire ;
Joseph est haï par ses 11 frères (1/2 frères) parce qu’il est le préféré de Jacob, son père, qui l’a eu dans sa vieillesse, et il est haï surtout parce qu’il est orgueilleux. Cf Gen. 37-3 (page 101) [NR : Jacob, c’est Israël] . Ses frères vont s’appuyer sur cet orgueil pour justifier leur propre comportement ;
Ce texte nous enseigne donc qu’une victime n’est pas forcement innocente, qu’elle a son lot de responsabilité dans l’épreuve.
Toutefois dira Lanza del Vasto dans son ouvrage « Technique de la non-violence : Les torts d’autrui ne nous justifient jamais ».
D’autre exemples dans la Bible de boucs émissaires : N.T Pilate dit qu’il ne trouve rien qui mérite la mort chez Jésus.
La réconciliation de Pilate et d’Hérode au détriment de Jésus.
Il y a donc de vraies et de fausses réconciliations (Luc 23.12 page 274).
Après Joseph, c’est au tour de Benjamin de devenir bouc émissaire (cf Gen. 44,1-17 page 116 et 117).
Le cycle de joseph se termine par une vraie réconciliation entre tous, qui passe par un travail de vérité et par un pardon mutuel (cf Gen. 44,8-34 page 117 et Gen. 45,1-15 page 117 et suite).
Le phénomène de « bouc émissaire » existe dans tous les groupes (écoles, lieux de travail, casernes, prisons, groupes religieux…) Ce phénomène n’est pas absent de nos familles et de nos Églises.
3 grandes leçons de l’histoire de Joseph :
– la victime n’est pas totalement innocente,
– les torts d’autrui ne nous justifient jamais,
– le phénomène de bouc émissaire est la pire méthode de gestion des conflits, car elle repose sur une injustice.
4ème ex. – David et Saül : le renoncement à ses propres atouts.
Ce 4ème exemple de confit oppose Saül le persécuteur à David le persécuté. Cf livre de Samuel 24,4 A.T. page 553 :
Il convient de résister parfois aux pressions de ses amis, de son conjoint, de ses paroissiens… pour éviter toute radicalité sans avoir recours à la lâcheté.
« Manifester sa bonne volonté afin de toucher le cœur de l’adversaire et de l’amener à faire de même ».
Cf Samuel 26,12 page 558, puis 1 Samuel 31,4 page 564 :
Si David l’emporte, c’est par des moyens militaires et du fait du suicide de Saül (cf A.T. 1 Samuel 31,4 page 631)
Par exemple, dans un couple, on connaît le talon d’Achille de l’autre ; pour enrayer la spirale, il faut s’interdire absolument d’exploiter les points faibles de l’autre.
5ème ex. – Le jugement de Salomon : sacrifice ou don de soi. A.T. : 1 Rois 3,16-28 (page 631)
La vraie mère est prête à abandonner son enfant pour le sauver de la mort. Selon René Girard, le « don de soi », comme celui du Christ, est une œuvre d’amour orientée vers la vie et vers le salut.
Dénouer les conflits suppose que l’on soit prêt à renoncer à un objet, afin de tarir le désir de l’adversaire à son endroit.
Dans le Nouveau Testament
1er cas – Jésus sauve la vie d’une femme.
Le récit de la femme adultère (cf Jean 8,1-11 page 313). Jésus s’est à nouveau baissé, et se remet à écrire parterre, c’est à dire qu’il leur laisse la possibilité de quitter le conflit sans perdre la face. Jésus calme le jeu.
En résumé :
. ne pas réagir spontanément à la provocation,
. prendre le temps de la réflexion et de la prière,
. se placer en situation d’infériorité par rapport à l’adversaire,
. détourner l’attention de la personne accusée vers l’objet du conflit,
. casser le manichéisme en renvoyant chacun à sa conscience,
. permettre à chaque adversaire de quitter le conflit sans perdre la face et sans humiliation,
. traiter chacun comme un sujet de parole,
. manier l’humour avec habileté pour dédramatiser la situation,
. distinguer la personne de son acte,
et enfin . Ramener tout conflit d’un conflit de personnes à un conflit d’objet. 2ème cas – Les marchands du temple : la conversion de la colère.
Récit dans les Évangiles : Mathieu 21.12-16 Marc 11.15-18 Luc 19.45-48 Jean 2.14-22 page 99 et 100
Jésus à-t-il été violent ?
Il ne s’est pas attaqué à la personne ds marchands, mais à leur comportement, à leur présence dans le temple pour en tirer un profit financier. C’est la localisation du commerce dans le temple qui était contestable.La colère de Jésus est perceptible, mais il la transfigure en action, en combativité, en paroles.
3ème cas – L’Église primitive : du mauvais et du bon usage des conflit.
Le livre des Actes des Apôtres commence par le tableau idyllique d’une communauté harmonieuse et sans conflit.
Acte des Apôtres 2.42 p 372 2.44 p 373
. Premier dérapage : (Acte 5.111 p 378) l’objet du conflit est le mensonge de Ananias et Saphira. L’attitude de l’apôtre Pierre est ambigue ; il ne s’inspire pas de l’enseignement du Christ quant à l’amour du prochain et au pardon.
. Le second conflit sera mieux géré : il s’agit de l’épisode de l’institution du diaconat (cf Acte 6.1-7 p 380 et 381) [Note : service des tables qui s’exerçait lors des repas avec Eucharistie et comportait en plus la gestion des biens en commun ; cela conduisait les Apôtres à sacrifier un peu leur mission première : annoncer la parole].
La communauté de Jérusalem comprenait des juifs de Palestine de langue araméenne et des juifs de la diaspora de langue grecque. Cette crise de croissance de l’Église sera réglée en créant de nouvelles fonctions, et par la division du travail. D’où l’institution des « diacres », c’est à dire des serviteurs chargés du service des tables.
Dans ce conflit positif, il y a création d’une nouvelle situation où tout le monde est gagnant.
4ème cas – La Conférence de Jérusalem : beauté et aléa du compromis.
Cf Actes 15.1-35 p 405
La Conférence de Jérusalem a pour objet un désaccord entre les apôtres au sujet des conditions de salut pour les pagano-chrétiens : doivent-ils être circoncis selon le rite de Moïse, comme les judéo-chrétiens (juifs)?
Certains pharisiens devenus chrétiens sont pour, tandis que Paul et Barnabas venus d’Antioche s’y opposent : pourquoi imposer un nouveau joug à ceux qui découvraient la liberté de l’Évangile, de la grâce ? Pierre puis Jacques proposent ce compromis : pas de circoncision pour les pagano-chrétiens, mais s’abstenir de sacrifices aux idoles.
Le compromis fut accepté par tous, chacun devant faire une concession et un pas vers l’autre. Principe que Lanza del Vasto appellera « la beauté du compromis ».
Cf Acte 15.23-29 p 408
Le compromis est formalisé par une lettre rédigée en commun au pagano- chrétiens d’Antioche.
Toutefois, il y eu plus tard affrontement et même rupture entre les pagano- chrétiens et les judéo-chrétiens.
Mais l’Église n’est pas le Royaume et la Bible nous donne une double leçon : l’humilité et l’espérance.
Conclusion récapitulative : les 15 principes fondamentaux dans un esprit évangélique :
. privilégier la verbalisation, pour apaiser les tensions et maintenir le conflit en deçà du seuil critique,
. dire la vérité, refuser le mensonge et les non-dits,
. faire preuve d’audace , de courage et d’imagination pour entreprendre une réconciliation,
. reconnaître la nécessité éventuelle d’une séparation en la ritualisant,
. combattre la victimisation et le mythe de l’innocence,
. se souvenir toujours que les torts d’autrui ne nous justifient pas,
. lutter contre le mécanisme du bouc émissaire et les fausses réconciliations qu’il induit,
. résister aux pressions de ses amis qui nous incitent à la radicalité,
. refuser la lâcheté et l’exploitation des faiblesses de l’adversaire,
. manifester à l’autre sa bonne volonté,
. être prêt à renoncer à l’objet convoité, sans pour autant entrer dans une démarche sacrificielle,
. se donner du temps pour éviter les réactions épidermiques,
. distinguer chaque personne de ses actes,
. ramener tout conflit, d’un conflit de personnes à un conflit d’objet, et enfin
. trouver une issue sans humiliation pour personne.
3 – L’enseignement des Sciences Humaines pour la gestion des conflits.
3-1 La médiation : faire appel à un tiers.
Ex : Maintenir un employé dans une situation de dépendance par la rétention d’informations. Il ne s’agit pas de harcèlement moral, mais d’une violence très subtile ; d’une infantilisation.
Cet employé d’une PME n’a pas été entendu car ces fonctionnement sont en partie inconscients, justifiés par la structure de l’entreprise, les habitudes, les valeurs hiérarchiques.
Le seul recours est l’appel à un médiateur.
– Qu’est-ce que la médiation ?
Technique destinée à débloquer une situation figée, une rupture de dialogue. Le médiateur doit être indépendant, donc extérieur au conflit.
– Quelles sont les étapes du processus de médiation ?
. Dans un premier temps, le médiateur joue le rôle de tampon et de modération et ce médiateur doit être accepté par tous.
. Chaque partie s ‘exprime, le médiateur reformule.
. Le médiateur encourage les parties à trouver des points d’entente possibles.
. Si les deux parties sont satisfaites, le médiateur procède à un résumé de cet accord.
En cas d’échec, le médiateur renvoie les deux parties devant le juge qui tranche.
1 Négociation directe A <—-> B M /\
/\
2 Médiation A et B avec M A <——>B
3-2 : La prévention des conflits dans un groupe : « Mieux vaut prévenir que guérir »
Première mesure préventive : s’accorder sur un texte commun, une charte,c’est- à dire une règle de vie rédigée collégialement, et où chacun s’engage en la signant .
On sait que la plupart des conflits sont liés à des enjeux de pouvoir, aussi faudra- t-il que les fonctions soient officiellement attribuées et clairement distinguées des personnes qui en ont la charge.
La mesure préventive la plus adéquate consiste à instaurer la rotation des tâches pour une durée déterminée.
Il importe d’instituer des temps et des lieux de parole.
La fonction du modérateur de telles rencontres est cruciale, et doit être assumée par une personne compétente et formée à cet effet.
Est-il préférable de prendre les décisions par consensus plutôt que par un vote à la majorité ?
La meilleure organisation d’un travail de groupe ne remplacera jamais de bonnes relations de confiance.
Cf Jean 7.24 « Cessez de juger selon l’apparence, mais jugez selon ce qui est juste » (P311)
Cf. Colossiens (N.T) 3.25 « Qui se montre injuste sera payé de son injustice, et il n’y a d’exception pour personne. » (p 613)
Cf Deutéronome (A.T.) 1.17 p 340. Institution des juges.
Cf Ep. Aux romains (N.T.) 2.11 p 458 . Le juste jugement de Dieu.
Cf Lévitique (A.T.) 19.15 p 237. « Ne commettez pas d’injustice dans les jugements ; n’avantage pas le faible et ne favorise pas le grand. »
3-3 : Le monde des émotions : se connaître pour se contrôler.
La gestion des conflits ne peut faire l’économie de considérations psychologiques. La vie psychique d’un individu oscille entre continuité et discontinuité avec une certaine permanence dans ses goûts, ses sentiments, ses habitudes, ses choix… ; mais les émotions peuvent heurter cet équilibre. Alors que les sentiments sont des fixations durables de désir sur un objet stable qu’ils valorisent.
– La peur est une émotion fréquente au cours des conflits.
Pour l’envisager positivement, il faut l’apprivoiser.
C’est un signal d’alerte, ; si je suis seul, je la remets à Dieu.
Si je suis avec quelqu’un, je verbalise mon émotion, l’autre aussi, et on adopte la meilleure attitude possible.
– La colère constitue aussi une ressource pour faire face au danger. Elle permet de sauver sa vie et celle de ses proches face au danger ; elle fournit l’adrénaline nécessaire pour intimider l’adversaire.
L’objectif d’une gestion non-violente des conflits consiste à surmonter sa peur et convertir sa colère sans se laisser conduire par elles.
– La tristesse.
Cette émotion accompagne les expériences de frustration, de perte, de séparation, d’échec, d’abandon, de la déception vis à vis des autres, mais aussi de soi-même.
C’est en quelque sorte une colère retournée contre soi-même. Bien des conflits trouvent leur issue dans les larmes.
Deux dérives guettent : la victimisation et la culpabilisation. .
Victimisation : « C’est lui qui a commencé… »
Culpabilisation : S’accuser de la totalité des torts.
Seconde partie :
Pratique des conflits dans l’Église locale.
Des exemples vécus dans des Églises locales, de confession réformée ou luthérienne, dans l’espace francophone.
1 – Conflit entre paroissiens.
Le pasteur joue un rôle décisif du fait de son statut de référent spirituel et de garant de la cohésion communautaire.
1er cas : Une famille désunie : réconciliation après 25 ans de brouille grâce au pasteur.
Le pasteur Médiator reçoit une famille nombreuse qui veut organiser la cérémonie d’ensevelissement de sa maman : 6 frètes et sœurs de 30 à 42 ans. L’ambiance est électrique et seule la fille aînée parlera, car les autres ne veulent pas s’exprimer. Le pasteur trouve un prétexte pour retenir les deux benjamins : un frère et une sœur après le départ des autres, et engage la conversation avec eux. Il apprend que la famille est divisée depuis la mort accidentelle du frère aîné,Eric : Voiture plongée dans un fleuve à la sortie d’une boîte de nuit, et surtout les parents avaient caché ce drame aux 6 frères et sœur, leur faisant croire qu’Eric était parti en voyage.
Depuis 25 ans, leur vie de famille repose sur un mensonge et des non-dits. Et les frères et sœurs, une fois adultes, se brouillent et ne se voient plus.
Le pasteur suggère que l’enterrement de la maman soit l(occasion d’entamer un travail de deuil envers le frère aîné. S’en suit une rencontre avec la sœur aînée, puis encore avec les 6 frères et sœurs. D’où « catharsis » où chacun va s’exprimer, les contentieux tombent.
La libération de la parole permettra à chacun de faire le deuil du frère aîné et de la maman, et aussi de commencer à se réconcilier entre eux en vérité.
2ème cas : Un conseil presbytéral fractionné : surmonter le fonctionnement classique.
A la sortie du Culte, Mme Furieux empêche Mme Trésor de compter la quête, la soupçonnant de se servir dans la collecte. Le pasteur organise une réunion sans Mme Trésor qui se sent bafouée. Le pasteur rappelle que Mme Trésor a été régulièrement élue à la dernière assemblée générale, et là il entend cette simple remarque : « Elle n’est protestante que depuis 3 ans ».
Comme lors de chaque contentieux : protestants de souche et néo-protestants s’affrontent en deux camps adverses.
Le pasteur propose de consacrer un week-end de réflexion à cette question ; le véritable objet du conflit n’était donc pas financier, mais communautaire.
3ème cas : Un conseil presbytéral faussement unanime : construire le consensus.
Tout semble aller pour le mieux autour du pasteur Berger ; les échanges et tours de table sont peu conflictuels et l’unanimité finit par s’imposer. Or bon nombre de ces décisions prises à l’unanimité ne sont pas appliquées.
Le pasteur Berger menace de démissionner.
Ainsi il faut que le consensus soit un vrai consensus ; c(est-à-dire une décision qui respecte les diverses sensibilités, quitte à la modifier.
2 – Conflit entre les jeunes de la paroisse.
2-1 : Une catéchumène victime d’exclusion : le bouc émissaire.
Le pasteur Modérator perçoit un phénomène d’exclusion dont est victime une fille de 14 ans, originaire d’un pays du sud et adoptée.
Sonia contribue à sa mise à l’écart, elle arrive toujours en retard, et toujours réticente pour participer à des activités collectives. EN outre, les différents clans au sein du groupe se réconcilient spontanément contre elle.
Sonia est inhibée, fuyante, insaisissable.
Le pasteur décide de centrer la réflexion et les activités du groupe sur la thématique du bouc émissaire, en prenant deux exemples :
. les juifs et les tziganes au XXe siècle,
. les textes du cycle de Joseph.
Les catéchèses ont réagi positivement et ont décidé de soigner leurs relations personnelles avec Sonia et avec les autres.
Dans tout groupe de jeunes, il peut y avoir ce mécanisme d’exclusion, mais il en est inconscient en grande partie.
2-2 : Un groupe de jeunes transfiguré : le miracle de la charte.
Le pasteur Négociator a le projet d’un camp itinérant en roulotte en Irlande, mais dans ce groupe de jeunes (9 garçons et filles de 16 et 17 ans) il y a des clans.
Il décide alors de rédiger une charte, une règle de vie commune qui puisse faire référence pour tous. « C’est ça ou rien »
Tous acceptent de rédiger ensemble ce texte, et tous admettent qu’en cas de blocage, chaque jeune devra obéissance au chef de camp. Après d’âpres discussions, tous acceptent de signer la charte.
Une fois franchie la Manche, le groupe de jeunes s’avère méconnaissable : soudé, solidaire, volontaire…
Néanmoins, on aura recours à la charte 2 fois :
. un vol dans un Pub,
. une 2ème fois lors de la visite de Dublin où les deux clans se reconstituent. Intervention du pasteur à chaque fois : donc efficacité de la charte.
Par contre, l’éclatement du groupe au lendemain du camp confirme le miracle de la charte.
3 – Conflits entre le pasteur et ses paroissiens.
Si le pasteur est lui-même partie prenante du conflit, il faut alors faire appel, soit au président laïc du conseil presbytéral, soit à l’autorité hiérarchique de l’Église régionale ,soit à un tiers extérieur à l’Église
3-1 : Un cas de conscience : « je n’aime pas mon pasteur ».
Mme Nostalgie, conseillère presbytérale,a des états d’âme, elle regrette l’ancien pasteur et n’apprécie pas beaucoup celui qui le remplace.
Un dimanche où le nouveau pasteur est absent, elle en parle à Mr Providence, un pasteur à la retraite qui préside le culte. Mme Nostalgie décide de lui parler. il lui conseille alors de parler avec une autre conseillère presbytérale, Mme Hozange, qui ,elle, apprécie le nouveau pasteur. Du coup, son image du pasteur a totalement changé, et a découvert toutes ses qualités.
On peut donc avoir recours à une tierce personne pour restaurer en soi-même une image positive de ses adversaires. L’objectif est de regarder l’autre avec ses dons et ses zones d’ombre, avec ses charismes et ses limites, comme une créature aimée de Dieu.
3-2 : Une situation explosive : ritualiser la séparation.
Le pasteur Pfarrer est originaire d’une Église luthérienne et œuvre au service de l’Église réformé de Brouillis-le Haut depuis deux ans. Lors de son évaluation probatoire, ce pasteur perçoit une hostilité latente à son encontre ; néanmoins, il souhaite poursuivre sur place, et le conseil presbytéral opte pour le maintien de ce pasteur à ce poste.
Mais la crise éclate quelques semaines plus tard lors d’une célébration de la Sainte Cène, où ce pasteur prononce des paroles liturgiques choquantes pour l’assemblée : « le corps du Christ » et « le sang du Christ », en faisant passer la corbeille de pain et la coupe.
Le pasteur justifie son choix des formulations liturgiques en produisant le texte de la « Concorde de de Leuennberg » signée le 16 mars 1973 (Bâle, en Suisse), et le président du conseil se lève et jette la Bible sur la table….
Le pasteur décide alors de quitter la paroisse, et personne ne le retient.
Le président du conseil régional au cours de la dernière célébration ensemble rendra grâce pour l’œuvre accomplie malgré tout, et pour tout ce qui a été semé, en s’inspirant du texte : Acte 15 (p406) relatant la disjonction entre les apôtres après la Conférence de Jérusalem.
Dans ce cas, la séparation s’avérait nécessaire.
3-3 : Le ministère d’unité : surmonter les clivages théologiques.
Le pasteur Cévenol est apprécié ; il réussit bien aussi auprès des jeunes…, mais il se heurte à l’hostilité des trois membres du conseil presbytéral, dont les griefs ne sont pas franchement énoncés.
La crise éclate lorsque le pasteur Cévenol apprend que ces trois personnes ont sollicité un pasteur retraité, Mr Genevois, pour animer un groupe de prière à son domicile.
Or ce pasteur, Mr Genevois,, ne fréquente plus l’Église ; il le soupçonne d’avoir une piété charismatique affirmée.
Le président du conseil régional réunit l’ensemble du conseil presbytéral. Finalement, au terme de plusieurs séances de discussion, chacun reconnaît ses torts, et le président du conseil régional clôt la procédure par la lecture d’un texte d’accord que tous signeront.
Cette Église s’oriente vers un plus grand pluralisme interne, dans le respect réciproque des diverses sensibilités théologiques.
Cf 1 Épître aux Corinthiens : 9.19-23 p 512
Tout pasteur est amené à endurer la tension entre des convictions théologiques personnelles et son ministère d’unité.
Le 97ème Synode national de l’Église Réformée de France a demandé au Conseil National de mettre en place une formation à la gestion des conflits pour les présidents de conseil régionaux, et de constituer une équipe chargée de la médiation dans l’Église Réformée (mai 2004).
4 – Conflits entre pasteurs.
4-1 : La guerre au sein de l’équipe pastorale.
Belleville s/Mer est une grosse communauté protestante, il y a 5 pasteurs. Ces 5 pasteurs ne s’entendent pas ; très forte hétérogénéité d’origines culturelles très diverses ; ils portent des valeurs, des goûts, des fonctionnements différents : ponctualité irréprochable pour les uns, disponibilité à toute épreuve pour les autres.
Par exemple : le port de la robe…
L’origine de la crise tient à une erreur qu’on laisse perdurer :
Les familles pastorales sont tenues de cohabiter dans la même bâtisse. Les familles se côtoient dans la vie quotidienne, les conjoints, les enfants se retrouvent dans la même cour.
C’est entre les enfants que le conflit surgit un jour avant de gagner les parents, les pasteurs et les conjoints. « C’est la caserne à pasteurs ! ».
Le conflit dégénère, une famille s’éloigne ; d’où une éclaircie dans les relations. Plus la proximité spatiale est grande, plus la potentialité conflictuelle est explosive ; surtout quand la proximité est imposée. Un des pasteurs a été sanctionné, mais trop tard pour réconcilier les autres ;
Tous ont fini par partir et la paroisse est restée divisée.
4-2 : L’humour comme antidote : « le bestiaire pastoral ».
Trois pasteurs desservent l’Église de Beaurivage, et ils ont des difficultés à collaborer ; mais ils ont le désir de faire équipe.
. l’un est volontaire, extraverti, une vraie locomotive.
. le 2ème est plus effacé ; c’est un grand mystique apprécié pour ses prédications.
. le 3ème rayonne dans un groupe ; il est attractif, sait mettre les gens en lien les uns avec les autres : « pelote de laine ».
Tous les trois ont de l’humour et pratiquent l’auto-dérision ; ils vont suivre ensemble une session de formation permanente animée par Jean José Romero, formateur au centre mennonite de Bruxelles. Il travaillent sur 4 types de personnalité à partir de deux critères :
l’affirmation de soi et la relation à l’autre.
Pôle Affirmation de soi
Style Requin | Style Chouette
Style Tortue | Style Nounours
Pôle Relation à l’autre
Le Requin est un passionné, émotif, spontané, n’hésite pas à imposer son point de vue.
Le Nounours est accommodant, il se sacrifie pour garder la relation à tout prix. On fait ce que tu veux, du moment qu’on est ensemble.
La Tortue finit dans la solitude, se réfugie dans sa carapace, se protège des contacts, e victimise et aime qu’on la plaigne.
La Chouette est sage, elle s’affirme tout en préservant la relation, elle prend du recul et du temps pour analyser.
Au cours de la méditation biblique, nos trois pasteurs cherchent à fixer l’attitude de Jésus, mais réalisent que Jésus passe d’un type à l’autre selon les situations : . Il est Requin quand il chasse les marchands du temple,
. Il est Tortue à son procès,
. Il est Nounours avec la Samaritaine et avec ses disciples,
. Il est Chouette avec la femme dont il sauve la vie et avec le jeune homme riche.
Finalement, rien n’est figé.
Nos pasteurs décident par dérision de construire leur bestiaire pastoral. Ils dégagent 6 types d’attitudes, tout en indiquant qu’il faut changer de rôle de temps en temps.
En conclusion :
l’humour permet de dénouer des crises s’il ne dérive pas vers l’ironie cinglante ou le sarcasme.
La forme d’humour la mieux ajustée est l’auto-dérision.
Conclusion
Vivre en frères et sœurs dans l’Église, c’est donc se disputer, faire des concessions, se pardonner, se réconcilier et parfois se séparer comme dans une famille.
Vouloir gérer les conflits implique de renoncer à les résoudre en leur trouvant une solution parfaite et définitive, car un conflit n’est pas statique.