Atelier de Lectures Oecuménique du 18 octobre 2023
“Les récits hassidiques”
de Martin BUBER
ouvrage présenté par Cladie Ruet
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Martin Buber est né en 1878 à Vienne, et mort à Jérusalem en 1965. Il est élevé chez ses grands-parents, à Lemberg, ville d’Ukraine qui fait alors partie de l’empire autrichien. La ville est habitée par des Ukrainiens, des Polonais et des Juifs, on y parle Allemand, Ukrainien, Polonais et Yiddish. Son grand père se consacre à l’étude. Ensuite il étudie à Vienne, Leipzig, Zurich et Berlin et présente une thèse sur la mystique chrétienne. Il enseigne à Berlin puis Heidelberg, jusqu’à l’arrivée des nazis. Il parcourt alors l’Allemagne pour animer une résistance spirituelle puis rejoint Jérusalem où il cherche àpromouvoir de bonnes relations avec les arabes de Palestine…
C’est donc pendant son enfance chez ses grands-parents qu’il rencontre des communautés hassidiques, Hassid signifiant fidèle. Comme il le dit lui-même « la légende des Hassidim (…) a grandi dans d’étroites ruelles et de sombres réduits, passant de lèvres malhabiles dans des oreilles anxieusementattentives…. Des livres populaires, des cahiers, des feuilles volantes me l’ont transmise, mais je l’ai aussi entendue de lèvres vivantes, de ces lèvres qui en avaient elles-mêmes reçu le bégayant message… je ne suis qu’un maillon dans la chaine des narrateurs, un anneau entre les anneaux, je répète à mon tour la vieille histoire et si elle sonne neuf, c’est que le neuf était en elle quand elle fut dite la première fois. »
Dès 1904 il entreprend ce travail de collecte qui aboutit à plusieurs publications dont en 1949 « les récits hassidiques ». Ce travail sur le Hassidisme a nourri toute son œuvre philosophique.
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Les Récits Hassidiques
Se plonger dans les « Récits hassidiques », c’est entrer dans un monde étrange, celui d’un mouvement spirituel juif, qui « parti de la Podolie et de la Volhynie vers le milieu du XVIIIe siècle, a saisi à la fin du siècle la communauté juive de tout le royaume de Pologne ainsi qu’une bonne partie de celle de la Hongrie du nord-est et de la Moldavie pour devenir, vers le milieu du XIXe siècle une formation spirituellement figée mais numériquement puissante qui existe encore aujourd’hui. » (p90 Le message Hassidique). Un monde étranger parce qu’il ne correspond peut-être pas à ce que nous savons ou croyons savoir du judaïsme biblique ou actuel, étranger par la distance entre notre quotidien et la vie de ces communautés d’Ukraine ou de Pologne, étranger par le vocabulaire, on y parle Yiddish, on lit la Thora en Hébreux, mais on parle aussi Allemand, Polonais, Ukrainien…
Alors comment présenter ce livre qui n’a pas un commencement et une fin, qui ne raconte pas une histoire mais une multitude d’histoires, d’anecdotes parfois obscures, surprenantes, pleines de miracles et d’actions bizarres… mais qui peuvent aussi nous rejoindre et se révéler « neuves » comme le dit Martin Buber. Pour contourner la difficulté j’ai choisi de me limiter au tome I qui présente les maitres du Hassidisme alors que le tome 2 présente leurs successeurs et de prendre comme fil conducteur la figure de celui qui est le fondateur du Hassidisme, le Baal-Shem-Tov, Israël ben Eliezer de Mezbij.
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Pour aller plus loin, quelques points de vocabulaire :
Hassid : fidèle (à Dieu) (pluriel hassidim). Ici s’entend des disciples du mouvement fondé par le Baal-Shem-Tov.
Baal-Shem-Tov : Le possesseur du Bon Nom. Il a existé des Baalé-Shem (maitres du Nom, qui connaissent un nom secret de Dieu et ont un pouvoir magique) mais un seul Baal-Shem-Tov.
Tsaddik : le juste. Celui qui conduit la communauté, remplit la fonction de médiateur entre Dieu et sa communauté. 3 fonctions : la prière liturgique, l’étude et l’enseignement de l’Ecriture et la prédication.
Le Rav est le chef de la communauté, enseigne la loi, il est le président du tribunal rabbinique.
Rabbi : chef d’une communauté hassidique qui n’a pas nécessairement de fonctions officielles, mais il peut être aussi le rav de sa communauté.
La cabbale : Kabbala, tradition. Doctrine secrète qui aurait été transmise depuis Adam et les prophètes. Pour la cabbale, la Bible recèle un sens caché. La cabbale a été florissante au Moyen-Age en Provence, Espagne, Italie… et elle a influencé des penseurs chrétiens. Après l’expulsion des Juifs d’Espagne au XVe siècle, se développe l’école de Safed (Maroc) avec Isaac Louria.
Le Hassidisme reprend les concepts développés par la Cabbale, mais s’en distingue en n’étant pas une doctrine réservée aux initiés et aux savants, « la légende hassidique exalte l’homme naïf sur un ton vigoureux, plein d’affection… » (le message du Hassidisme, page 139) Le Hassidisme met l’accent sur l’expérience de vie et non sur l’enseignement.
Le Hassidisme développe l’enseignement de la Cabbale tardive selon laquelle les étincelles divines qui sont tombées dans les choses doivent être élevées par les hommes.
Le Talmud : composé de la Mishna, loi orale qui est un commentaire de la Thora écrite, et de la Guemara, commentaire de la Mishna.
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Le Baal-Shem-Tov, 1700 -1760
Dans sa préface Martin Buber le présente comme « quelqu’un qui vit avec et pour ses semblables dans sa relation avec le divin ». (Page 11). Il en retrace l’existence non pas dans un ordre chronologique mais dans ce qu’il appelle une « biographie intérieure ».
Je vais donc suivre l’ordre de cette « biographie intérieure », en choisissant les passages qui me paraissent les plus significatifs… et parfois en modifiant un peu l’ordre.
La vie cachée
Les légendes mettent en valeur le caractère exceptionnel du Baal-Shem-Tov, dès avant sa naissance : « Alors que les âmes humaines étaient toutes en Adam (conception de la Cabbale reprise par les Hassidim) à mesure que celui-ci s’approcha de l’Arbre de la Science, l’âme du Baal-Shem-Tov, dit-on, s’échappa et ainsi ne mangea point du fruit de l’Arbre. »
Cette élection inclut aussi sa famille, une anecdote concerne son père : « La légende rapporte qu’Eliezer, le père du Baal-Shem-Tov, qui habitait un petit village, était d’un naturel si hospitalier qu’il avait disposé des guetteurs autour de ce village afin qu’ils découvrissent et amenassent chez lui les pauvres en voyage, de sorte qu’il pût les soigner et les réconforter. On connaissait, au ciel, une grande joie pour pareille conduite ; mais un jour d’un commun accord, on y prit la décision de le mettre à l’épreuve. Aussitôt Satan se déclara prêt et s’offrit, mais le prophète Elie réclama la préférence et demanda d’être lui-même envoyé. Le voilà donc sous l’aspect d’un pauvre voyageur, avec besace et bâton, qui se présente à la maison d’Eliezer, dans l’après-midi d’un jour de Sabbath, et qui fait ses salutations. Eliezer sans s’arrêter à la profanation du Sabbath dans son souci de ne point faire rougir cet homme l’invita sur le champ à prendre place à table, puis le garda chez lui. Et le lendemain matin, quand son hôte prit congé, Eliezer ne lui fit non plus aucune remarque et n’exprima pas le moindre reproche. Ce fut alors que le prophète Elie se découvrit à lui, lui apportant la promesse d’un fils qui serait pour les yeux d’Israël une lumière. »
On reconnait divers thèmes bibliques : l’hospitalité, la promesse d’un fils, l’épreuve d’un homme particulièrement agréable à Dieu, comme celle que connut Job… Dans cette anecdote pointe une des leçons du Hassidisme : l’accueil de celui qui est dans le besoin est premier, quitte à profaner le Sabbath ou à se dépouiller soi- même. Et cet accueil n’est pas condescendant, donneur de leçon, Eliezer a le souci de ne pas « faire rougir cet homme », de le respecter pleinement.
Eliezer meurt alors que son fils est encore jeune, et avant de mourir il lui dit ces derniers mots :
« …rappelle-toi bien, mon enfant, que Dieu est avec toi ; et que donc, il n’est pas chose au monde que tu aies à craindre. La sentence est toujours restée dans le cœur d’Israël. »
L’enfant est pris en charge par les gens de la ville qui l’envoient chez un instituteur religieux, il se montre attentif mais il s’enfuit régulièrement dans les bois.
Par la suite, plus âgé, il s’emploie comme surveillant d’école, il chercher les enfants pour les conduire à l’école. Chemin faisant, « il leur apprenait les paroles qu’ils devaient dire en chœur pendant le service, comme celle de la prière : « Amen, béni soit Son Saint Nom de toute éternité » qu’il prononçait avec un accent de grande ferveur et d’adoration. Il chantait pour eux, en chemin et leur apprenait à chanter avec lui. … Les Hassidim assurent que le ciel se réjouissait des chants, chaque matin, autant que jadis des hymnes des Lévites au sanctuaire de Jérusalem. C’étaient des heures de grâce, pendant lesquelles les célestes cohortes se rassemblaient pour se pencher et entendre la voix des mortels… »
Bien entendu cela inquiète Satan qui entrevoit le danger à venir et il se glisse dans le corps d’un magicien qui savait se change en loup-garou… Israël triomphe du loup garou, dans un épisode qui mêle un monstre du folklore européen avec la foi dans « le Dieu qui est avec toi » léguée par Eliezer.
Israël poursuit son existence qui parait un peu marginale. « La légende rapporte encore qu’Israël, dans la suite s’employa comme serviteur à la Maison d’étude. Il s’y trouvait donc retenu de jour et de nuit ; mais comme le ciel commandait à son sentiment de cacher et garder secrète l’ardeur de ses méditations, il avait pris pour habitude de dormir quand ceux de la Maison étaient éveillés, et de veiller quand ils dormaient, afin de se donner alors à la prière et à l’étude. Tous croyaient, néanmoins, que non seulement il dormait la nuit pleine mais encore dans le jour. »
Suit une autre histoire étrange : « Avant la naissance du Baal- Shem-Tov, vivait on ne sait trop où… un thaumaturge qui avait reçu le nom d’Adam et le surnom de Baal-Shem (c’est-à-dire l’adepte et le possesseur du Nom) comme avant lui déjà avaient été nommés de génération en génération, certains hommes miraculeux, exorcistes et magiciens faiseurs d’amulettes ; car il connaissait, comme eux, et savait prononcer parfaitement un Nom secret de Dieu, grâce auquel il accomplissait des choses singulières et particulièrement la guérison du corps et de l’âme des hommes. Or Adam Baal-Shem, aux approches de la mort ne savait pas à qui léguer les textes magiques auxquels il devait ses secrets. Certes son fils unique était homme de science et de grande piété ; mais il n’était pas digne malgré tout, d’un pareil héritage. Aussi le Baal-Shem avait posé, en un songe, la question au ciel ; et la réponse fut que les écrits devaient être remis, dans la ville d’Okoup à Rabbi Israël ben Eliezer, alors âgé de quatorze ans. Sur le point de mourir, Adam chargea son fils de la mission.
Arrivé à Okoup, ce fils ne parvenait pas à croire, tout d’abord, que le serviteur de la Maison d’étude, qui passait communément pour ignorant et inculte, pût être le destinataire. Il le surveilla donc et l’observa en cachette, après s’être installé lui-même dans la Maison d’étude où il l’avait à son service ; et il ne tarda pas à reconnaître comment cet Israël donnait le change au monde sur son être authentique autant que sur le vrai de son comportement. Alors il se découvrit à lui ; et tout en lui remettant les précieux écrits, il le supplia de bien vouloir accepter qu’il se mît lui-même, sous sa direction à l’étude des livres. Israël y consentit volontiers, sous condition toutefois que leur accorddemeurerait secret et qu’il pourrait, lui Israël, continuer comme devant à servir l’étranger. La chose étant acceptée, le fils de Rabbi Adam loua, hors les murs, une petite maison isolée. […] Mais il advint qu’un jour, pour obtenir l’éclaircissement de quelque point de doctrine, le fils de Rabbi Adam demanda au jeune Israël d’évoquer le Prince de la Thora par la méthode et les moyens consignés dans les vieux grimoires. Israël montra longtemps de la répugnance à cause des risques que comportait une telle entreprise, mais pour finir il céda devant l’insistance. » Mais au lieu du Prince de la Thora, c’est le Prince du Feu qui apparut et qui voulait incendier la ville. Cette mésaventure ne suffit pas au fils d’Adam, qui insiste en vain pour renouveler la tentative. Israël refuse, fermement, jusqu’au moment où le fils d’Adam l’adjure par la mémoire de son père… Israël finit par céder et la tentative se solde par la mort du fils d’Adam.
Cet épisode est un dévoilement de la force de la vie spirituelle d’Israël, reconnue par Adam et puis son fils, même si Israël continue sa vie cachée pendant de nombreuses années, exerçant divers métiers. Cependant sa réputation de sagesse se répand : « Jeune, Israël ben Eliezer devint maitre d’école suppléant non loin de la ville de Brody, dans une petite communauté. On ne savait rien de lui ; mais comme les écoliers, depuis qu’il était là, apprenaient avec enthousiasme et une application joyeuse ce qu’ils devaient savoir de la science sacrée, les parents eux aussi s’étaient mis à l’apprécier et l’estimaient beaucoup. Sa réputation de sagesse ne cessait de grandir. Les gens lui demandaient conseil ; et quand un différend les séparait, c’était au jeune maitre qu’on s’adressait pour l’arbitrer. Si juste était son jugement, que celui contre qui il était prononcé y trouvait une joie égale à celle que pouvait y goûter l’adversaire qu’il favorisait ; si bien que les deux parties s’en retournaientrassérénées et pleinement satisfaites.
Or, il y avait à Brody, en ce temps-là, un certain talmudiste de grand savoir : Rabbi Guershom. Et Rabbi Ephraïm son père, se trouvait en procès contre quelqu’un des membres de la petite communauté qui avait le Baal-Shem comme maître d’école. Rabbi Ephraïm , donc, ayant fait le voyage, était venuproposer à son adversaire de le ramener à Brody, où ils soumettraient leur affaire au jugement du Tribunal rabbinique de la ville. Mais l’intéressé mit tant d’éloquence et de chaleur à lui parler de la grande sagesse et de la parfaite justice du jeune maître, que Rabbi Ephraïm finit par accepter qu’ils allassent le consulter. A peine entré dans la petite chambre et au premier regard, Rabbi Ephraïm eut un choc de surprise : il venait de voir, en effet, briller au front d’Israël un tracé lumineux exactement semblable au signe inoubliable et béni qu’il avait vu, l’espace d’un instant, resplendir sur le tendre petit front de sa fillette nouvelle-née, au moment où la sage-femme lui avait présenté le bébé. Ce fut les yeux baissés et la langue hésitante de timidité qu’il présenta sa requête. Quand il osa relever le regard, le signe s’était évanoui. Israël qui avait écouté avec grande attention, posa certaines questions, écouta attentivement les réponses, puis prononça le jugement. Et aussitôt la paix entra dans le cœur des deux hommes, comme si quelque rayon de la juste lumière avait percé soudain le brouillard de leurs préjugés.
Par la suite, Rabbi Ephraïm devait refaire le voyage et venir à nouveau trouver le Baal-Shem, il lui demanda cette fois s’il voulait accepter sa fille comme épouse. Israël acquiesça mais sous la double condition que leur accord serait tenu secret, d’une part, et qu’il ne serait fait nulle mention d’autre part, d’un titre ou d’un grade quelconque dans la science ainsi qu’il est d’usage, dans l’acte qu’ils allaient établir et signer. »
Le futur beau-père meurt très vite au retour de son voyage et dans ses papiers, son fils Rabbi Guershom découvre avec indignation « que sa sœur avait été promise à un homme du vulgaire, puisque son nom n’était relevé d’aucun titre en la science et qu’il n’appartenait même pas à une famille de quelque renom. Fort dépité, il s’empressa d’en informer sa sœur… la jeune fille, par contre, lui répondit avec calme que si telle était la volonté de son père, rien d’autre au monde ne saurait être juste et valide à ses yeux. »
A la fin de l’année scolaire, Israël se présente chez Rabbi Guershom, habillé en paysan « dont il adopte encore les manières et le langage » et il réclame son épouse. Scandale du frère, mais la sœur déclare que « s’il en avait été décidé ainsi c’est que Dieu le voulait ainsi » et elle conclut qu’il n’y avait qu’à préparer les noces. « Devant que de passer sous le dais nuptial, le Baal-Shem eut avec sa fiancée une conversation où il lui découvrit son secret. Mais elle dut lui jurer, quoiqu’il advînt de ne jamais le trahir : jamais au grand jamais. Il ne lui cacha pas, pourtant, que de dures épreuves et de grandes misères les attendaient. Elle eut pour unique réponse que c’était bien ainsi. »
Après la noce Rabbi Guershom essaie d’enseigner la Thora à son rustre de beau-frère qui apparemment n’en comprenait pas un mot… excédé il propose à sa sœur de divorcer, sinon de partir avec son mari. Israël et sa jeune épouse partent, elle s’installe dans un petit bourg des Carpates tandis qu’Israël s’aménage une hutte dans la montagne pour extraire de l’argile. Sa femme le rejoint deux ou trois fois par semaine et redescend vendre l’argile. L’épisode se conclut « quand il ressentait la faim, Israël mélangeait farine et eau dans un creux de rocher, pétrissait cette poignée de pâte et la laissait cuire au soleil ».
Cependant le mouvement hassidique n’est pas un mouvement ascétique. En témoigne une anecdote : « Rabbi Elimelekh de Lisenk ayant un jour prononcé que le jeûne n’était plus en soi, le bon service de Dieu, quelqu’un lui opposa : Mais le Baal-Shem-Tov n’a-t-il pas beaucoup pratiqué le jeûne ? Notre saint Baal-Shem-Tov, répondit-il, dans les années de sa jeunesse, avait pour habitude d’emporter, après Sabbath six miches de pain et une cruche d’eau pour passer la semaine entière dans sa retraite. Un vendredi, voulant reprendre son sac pour revenir, il le trouva pesant. Il l’ouvrit donc, et il dut constater que tous les pains y étaient encore… ce qui l’étonna beaucoup. Le jeûne de cette façon-là est permis. »
Rabbi Baroukh rapporte un autre dialogue : « La question fut posée un jour au Baal-Shem-Tov, mon grand’père : le vrai service de Dieu, en quoi consiste-t-il ? Car ce que nous savons, c’est qu’il a existé dans les temps d’autrefois des hommes qui faisaient acte et qui jeûnaient d’un Sabbath à l’autre Sabbath. Mais voilà que vous êtes venu et vous le supprimez, disant que celui qui se mortifie, c’est en tant que pêcheur qu’il lui faudra en rendre compte, parce que celui-là aura torturé son âme. Le vrai service de Dieu, alors expliquez-nous en quoi il consiste vraiment, et dites-nous quel le propre de la vraie dévotion. » « Je suis venu au monde pour ouvrir et montrer un autre chemin ; que l’homme voiedonc à faire sienne et à mériter ces trois choses : l’amour de Dieu, l’amour d’Israël, l’amour de la Thora – et des macérations, on n’en a plus besoin. » (Déjà le Talmud : il est interdit de se macérer par les jeûnes.)
Une autre histoire nous le montre pourtant jeûnant, il est vrai à un moment crucial de son existence : « Le Baal-Shem ayant reçu du ciel un avertissement qui lui commandait de prendre les guides d’Israël, il vint à sa femme et lui dit :« il a été décidé de moi, sache-le, qu’il faut que je sois le conducteur et guide d’Israël. » Sa femme interrogea : « Que faut-il que nous fassions ? » « Jeûner, répondit-il, c’est là ce que nous devons faire. » et ils jeûnèrent trois jours et trois nuits sans interruption, demeurant tout un jour et une nuit couchés à plat sur le sol, bras et jambes étendus. Au soir du troisième jour, le Baal-Shem entendit un appel d’en haut : « Va, mon fils, et conduis le Peuple ! » Il se releva donc et dit se tenant droit debout : si telle est la volonté de Dieu que je sois celui qui conduise, ainsi soit-il ! Je dois donc le prendre sur moi. »
La manifestation du Baal-Shem-Tov
Son beau-frère lui loue alors « un bout de terre avec une sorte d’auberge où l’on pouvait coucher les voyageurs de passage. Non loin de la maison, en traversant à gué, il y avait dans la montagne une caverne qu’on y avait creusée, où le Baal-Shem faisait retraite la semaine durant, plongé au plus profond de ses méditations. SI quelque voyageur se présentait à l’auberge, sa femme n’avait qu’à l’appeler là-haut depuis le pas de la porte et Israël s’en venait incontinent pour servir l’hôte. Le jour du Sabbath, par contre, il le passait à la maison, revêtant la blanche robe sabbatique. »
Passe un jour un élève du très savant Rabbi Guershom son beau-frère, auquel Israël sert le repas, puis il attèle les chevaux pour le voyageur très pressé. Puis il lui propose : « Mais que diriez-vous de rester avec nous pour le Sabbath ? L’hôte s’esclaffa à cette absurde invitation. Mais il n’avait pas couru une demi- lieu qu’une roue de sa calèche se cassait… »
Nouveaux empêchements le lendemain, surlendemain, puis le vendredi matin… il ne lui reste plus qu’à passer le Sabbath à l’auberge, où il s’étonne :
« Avisant la femme de l’aubergiste qui enfournait douze pains pour le Sabbath, il lui demanda, tout étonné, pour qui elle les cuisait. « Voyez-vous, lui répondit- elle, c’est vrai que mon mari n’est pas un docte savant ; mais c’est un homme honnête et droit. Aussi ce qu’on fait chez mon frère, je le fais de même chez mon mari. » Sur quoi l’étranger questionna encore : « Auriez-vous donc aussi un bain de purification ? –Bien sûr, fut la réponse, nous avons ici un bain rituel. – Mais à quoi cela vous sert-il ? s’étonna une fois de plus l’étranger. – Voyez-vous, répondit la femme, mon mari n’est point un savant, c’est bien vrai, mais c’est un homme digne et qui respecte les usages : c’est chaque jour qu’il procède à ses ablutions dans le bain rituel ».
Au cours de l’après-midi, à l’heure venue de la prière, l’hôte demanda à l’aubergiste où était son mari. « Aux champs, lui répondit-elle, à garder les moutons et le gros bétail. » Et ce fut ainsi que l’hôte se trouva seul pour la prière de l’après-midi et encore pour l’office du soir et l’entrée au Sabbath, car l’aubergiste n’était toujours pas rentré. Mais en réalité, il était en prière, là- haut, dans sa caverne. Mais quand enfin il regagna sa demeure, il avait repris ses façons paysannes et son langage patoisant… Puis afin que nul ne pût le surprendre dans les élans de sa ferveur, qu’il se sentait incapable de retenir, il ne tourna contre le mur, comme pour prier, demandant à son hôte de prononcer lui-même la bénédiction du vin… »
Israël persiste dans son attitude pendant tout le repas et c’est l’hôte qui commente le passage biblique. Mais continue le texte « c’est dans cette nuit même, qui était la dernière avant le jour où le Baal-Shem aurait révolu la trente-sixième année de son existence, que du ciel il reçut l’annonciation que le temps de sa vie cachée avait pris fin. Se réveillant en sursaut, en pleine nuit, l’hôte aperçut de sa couche, dans la salle d’auberge, une grande lueur qu’il prit pour un commencement d’incendie ; sautant sur pieds, il s’approcha, se rendant compte alors que ce qu’il croyait être du feu était une lumière éblouissante : une blanche lumière éblouissante qui rayonnait hors du foyer pour se répandre partout et emplir toute la maison. Renversé et aveuglé par une telle incandescence, l’homme tomba comme sous un coup et perdit connaissance. Et lorsque le Baal-Shem lui eut fait reprendre ses sens : « on ne regarde pas, lui dit- il, ce qui ne vous est pas accordé. »
Au matin, ayant revêtu la blanche robe sabbatique, le Baal-Shem se rendit tout d’abord dans sa grotte puis regagna sa demeure où il revint à découvert, portant la tête haute et sans dissimuler le rayonnement de son visage, cependant qu’il passait de pièce en pièce tout en chantant l’hymne mystique « Voici que je préparerai le saint Repas ».
Bien entendu, l’hôte méprisant raconte son aventure « une grande lumière est là toute proche de vous. Il serait bon et convenable d’aller vous–même la chercher afin de l’amener à la ville. »
Cette vision incandescente du Baal-Shem-Tov, qui nous rappelle Moïse, apparait dans d’autres récits, par exemple : « Rabbi Dov Baer de Mezritsh, un jour avait fait des supplications au ciel pour qu’il lui fût donné de voir un homme véritablement saint dans chacun de ses membres et jusqu’en la moindre des fibres. Ce fut alors l’image du Baal-Shem-Tov qu’il put voir : tout de feu incandescent. Il ne s’y trouvait plus une parcelle de matière : elle n’était toute qu’une flamme. »
D’après la légende, après sa mort il apparait à son fils Rabbi Zevi « sous la forme d’un volcan tout embrasé, fulgurant de milles étincelles. Je l’ai interrogé :Pourquoi m’apparais-tu sous cette forme ? Et sa réponse fut : « c’est ainsi que j’ai servi Dieu. »
Le Baal-Shem-Tov porte un reflet de la lumière divine et il est brulé par l’ardeur de son amour pour Dieu.
D’autres manifestations de l’intensité de sa prière et de sa relation à Dieu sont des tremblements, tremblements qui s’étendent parfois à ce qui l’entoure :
« Une fois, alors qu’il était en voyage, le Baal-Shem, pour prier, s’était tourné face au mur, vers l’Orient ; et dans la pièce, contre le mur opposé, il y avait tout un rang de barils ouverts et pleins de grain. J’ai vu dans cet instant les grains trembler dans chacun des barils. »
Certaines de ces manifestations semblent de l’ordre de l’extase. Mais dans certains cas, avec les chants et la danse qu’affectionnaient les Hassidim, on serait tenté de parler de transes.
« Au jour de fête de « la joie de la Thora » les jeunes disciples du Baal-Shem festoyaient, une fois, dans sa demeure. Ils dansaient et buvaient, ne cessant, d’instant en instant de faire monter du vin de la cave. Après un temps, la femme du Baal-Shem vint le trouver dans son cabinet et lui dit : « S’ils n’arrêtent pas de boire, il va tantôt ne plus nous rester de vin pour la sanctification du Sabbath. – Tout juste, lui répondit-il en riant ; alors vas-y et dis-leur d’arrêter ! » Or quand elle ouvrit devant elle la porte de la grand-salle, voilà qu’elle vit les jeunes gens qui dansaient en cercle ; et tout autour des danseurs montaient un éblouissant anneau de hautes flammes bleues. Alors elle attrapa une cruche de la main droite, une cruche de la main gauche et repoussant la servante, elle se précipita elle-même à la cave pour revenir au plus vite avec les cruches pleines. » (La femme qui tient un rôle d’intendante, soucieuse du lendemain et qui se fait rabrouer plus ou moins sévèrement par son mari se retrouve fréquemment dans les récits hassidiques.)
Le Baal-Shem-Tov aussi danse « Une autre fois, pour la fête de la joie de la Thora, le Baal-Shem lui-même dansait le soir avec ses disciples. Prenant à la main le rouleau de la Thora, il dansa ; puis il reposa les saintes Ecritures et dansa. Alors l’un des disciples, plus particulièrement familier et au fait de chacun des gestes du Maître, expliqua sans tarder à ses compagnons : Voici que notre Maître laisse à présent la Thora visible pour se saisir de la Thora spirituelle. »
Cependant cette spiritualité extatique est aussi très incarnée, elle peut se vivre dans le quotidien, selon les possibilités de chacun et n’importe où, comme en témoigne cette petite histoire : « Un Hassid, un jour, se rendait à Mezvij pour passer avec le Baal-Shem la Fête des expiations. Retardé, il se trouvait encore en pleins champs et à une bonne distance de la ville, à l’heure où naissent les étoiles. Navré, il ne peut que prier seul, en pleins champs. Pourtant quand il arriva à Mezbij, après l’office solennel, le Baal-Shem l’accueillit avec une franche joie et beaucoup d’amitié. « Ta prière, lui dit-il, a emporté et levé aux cieux toutes les prières qui gisaient, couchées à terre dans les champs. »
Dans la même veine, on peut citer une anecdote que vous connaissez probablement, sans la rattacher au Hassidisme : « Le Baal-Shem-Tov s’immobilisa, un jour, sur le seuil de certaine Maison de prière, qu’il se refusa de franchir. « Non, je puis y pénétrer, dit-il. Tout est plein, ici dedans, tout est comblé de mur à mur et du sol au plafond, de savantes paroles et de prières accumulées. Où donc pourrais-je trouver place ?
Et voyant que ceux qui l’accompagnaient le regardaient sans comprendre, il s’expliqua : « De toutes les paroles dites du bord des lèvres par ceux qui prient comme par ceux qui enseignent, pas une ne monte au ciel. Pas un seul mot ne fut porté ici par un élan du cœur. Aussi tout resta-t-il dans la Maison de ces prières, qui a fini par en être pleine d’un mur à l’autre et du plancher au plafond. »
En opposition à ces prières stériles, il donne en exemple un marchand de bas, qui tous les matins avant de travailler se rend à la maison de prière pour y prier et qui le reste de la journée fabrique honnêtement des bas, tout en récitant les psaumes qu’il connaît par cœur. De même il cite aussi l’homme pressé :
« Voyez cet homme qui va du matin au soir, courant les rues et le marché, pressé par ses affaires : il a presque oublié qu’un Créateur existe. C’est seulement à l’heure de Minha qu’il s’en avise. « Je dois prier », se dit-il. Et du profond du cœur, il se désole et déplore d’avoir perdu son temps et sa journée à des activités si vaines. Il s’empresse alors de gagner quelque rue adjacente, où il se retire pour prier. Et il prie. Oui, c’est avec amour, un grand amour que Dieu le regarde et sa prière perce le ciel. »
Le Hassidisme est accueillant pour les humbles, sa spiritualité est accessible à tous, sauf peut-être aux orgueil fiers de leurs bonnes œuvres ou de leur savoir. C’est la prétention à la sainteté que fustige Le Baal-Shem-Tov : « Je laisse venir à moi les pécheurs quand l’orgueil ne les habite point ; mais les plus grands docteurs et ceux qui sont sans péché, si l’orgueil les habite, je m’en écarte et les écarte de moi. Car le pécheur, sachant qu’il l’est et se sachant indigne, Dieu est auprès de lui puisqu’il est dit qu’Il demeure avec eux au milieu de leurs impuretés (lévitique XVI). Celui par contre qui s’enorgueillit, dans sa superbe, de n’avoir à porter le fardeau d’aucun péché, Dieu dit de lui, comme il est écrit dans la Guemara : « Il n’y a point place pour lui et moi sur la terre. »
On a vu que dans sa relation avec son beau-frère, l’érudit Rabbi Guershom, ou avec l’élève de celui-ci, Israël se fait passer pour un paysan ignorant et sot, ce qui est une façon de se moquer des hiérarchies, intellectuelles ou sociales. Il relativise l’érudition rabbinique, comme on le voit dans sa conduite avec son petit-fils : « Moshe Haïm Ephraïm, le petit fils du Baal-Shem, s’adonnait aux études, dans sa jeunesse, avec un si grand zèle et une telle et exclusive ardeur qu’il ne tarda pas à devenir un puits de science, un grand savant rabbinique qui s’écartait par là de la voie hassidique de la simplicité. Ainsi son grand-père se faisait-il un devoir de l’emmener le plus souvent possible en promenade hors de la ville, au grand dam de notre homme d’études qui ne l’accompagnait qu’à contrecœur : toute ces heures perdues pour la recherche et les travaux ! Un jour en se promenant ainsi, ils rencontrèrent un voyageur qui arrivait d’une autre ville où le Baal-Shem avait une connaissance dont il lui demanda des nouvelles. « C’est un grand talmudiste, répondit l’autre, et toujours plongé dans ses livres, un éminent docteur rabbinique, qu’il est devenu. – Ah ! dit le alors de Baal- Shem, comme je lui envie son savoir ! Mais que faire ? Je n’ai point de temps à consacrer aux études puisqu’il me faut servir le Créateur. » C’est de cette heure que date le retour de Rabbi EphraÏm à la voie hassidique, à laquelle il consacrera toutes ses forces. »
Rien ne doit rivaliser avec le service du Créateur… même les études, elles ne sont pas nécessaires à la voie hassidique qui est ouverte à tous.
Le Baal-Shem-Tov manifeste une autre connaissance, celle des personnes et de leurs besoins : « En la ville de Satanov, rapporte la légende, vivait un docte savant qui consacrait tout l’effort de sa pensée et poussait ses recherches sur le pourquoi des choses. Il se demandait pourquoi quelque chose existe. Notre savant, un vendredi demeura à la Maison d’étude pour s’adonner encore à ses méditations, tout perdu qu’il était dans les inextricables emmêlements du fil de sa pensée subtile. Mais le malheureux avait beau mettre toutes ses forces à essayer de le démêler, il n’arrivait d’aucune manière à s’en sortir ; et son âme y était comme étranglée.
A travers la distance, le saint Baal-Shem-Tov eut connaissance de ce qui se passait là-bas. D’un bond, il fut dans sa calèche, et, usant d’un tel pouvoir miraculeux qui dévidait la route sous ses roues, en un rien de temps il arrivait à Satznov et pénétrait dans la Maison d’étude. Le penseur était là, perdu dansson angoisse. Le Baal-Shem, sans préambule et sans ambages, lui adressa la parole : « Vous approfondissez toujours la question de savoir si Dieu existe, Je ne suis qu’un sot, mais je crois. » Qu’un étranger eût lu dans sa conscience et connu le mystère du plus intime de sa pensée, c’en fut assez pour que le cœur du savant docteur connût soudain la paix et s’ouvrît enfin aux mystères. »
S’il y a connaissance et connaissance, celle des érudits et celle reçue du Ciel pour le service du Créateur, pour le Baal-Shem-Tov, les deux sont limitées :
« Au plus haut degré du savoir, je sais que je n’ai pas en moi une seule lettre de la Science, et je sais que je n’ai pas fait un seul pas dans le service de Dieu. » Et comme cette parole du Baal-Shem, Rabbi Moshé de Kobrin la rapportait à un autre Tsaddik, ce dernier rétorqua : « Mais n’est-il pas affirmé dans le Midrash :” La science te manque, que possèdes-tu ? Tu possèdes la science, que te manque-t-il ? – Et aussi est-ce la vérité, répondit le Rabbi de Kobryn. As-tu gagné le savoir, en effet, ce que tu sais alors et avant tout, c’est ce qui te manque. »
Cette modestie, cette reconnaissance de ses limites est le critère qui permet de juger de la valeur d’un homme qui se prétend sage :
« Les disciples du Baal-Shem ayant entendu parler de tel personnage comme d’un grand sage, certains eurent le désir de le connaître, soucieux d’apprécier par eux-mêmes sa valeur et la qualité de son enseignement. « Mais comment ferons-nous, demandèrent-ils au maître quand ils eurent reçu la permission, oui, comment ferons-nous pour voir et reconnaître si c’est un vrai Tsaddik ? – Vous n’avez qu’à lui demander un conseil, dit le Baal-Shem, sur la façon de vous y prendre pour ne pas vous laisser distraire, pendant la prière et la méditation, par des pensées étrangères. S’il vous donne un conseil, alors vous saurez que c’est un homme de rien. Car telle est l’œuvre de l’homme en ce monde, et jusqu’à l’heure de la mort, de se collecter avec des pensées étrangères une fois après l’autre et une fois après l’autre, de les élever à la sphère du Nom Divin. »
Dans la même ligne, quand les disciples du Baal-Shem-Tov lui demandent qui serait leur Maître après lui, celui-ci répond : « Celui qui saura arracher l’orgueil jusqu’à sa racine… celui-ci sera votre guide. » Après la mort du Baal-Shem, ce fut Rabbi Baer de Mezritsh qu’ils allèrent en premier interroger, lui demandant comment s’y prendre pour briser définitivement l’orgueil dans l’homme. « La superbe, dans son essence est la propriété de Dieu, comme il est écrit : « le Seigneur est roi ; il est revêtu de superbe ! » C’est pourquoi de conseil pour la détruire à jamais dans son essence, il n’en existe point. Il reste que tout au long et en chacun des jours de notre vie nous devons combattre l’orgueil et luttercontre lui. » Alors les disciples surent que c’est lui qui était le successeur. »
Mais le Baal-Shem-Tov pressent que les tsaddikim ne seront pas toujours dignes de leur fonction : « Nous étions une fois, raconte Rabbi Yehiel de Zlotshov, en voyage avec notre maitre, Rabbi Israël Baal-Shem-Tov, la Lumière des Sept jours (il est nommé du nom de la sainte Lumière qui lui a été infusée). Il avait gagné le profond d’un bois pour la prière de Minha, lorsque soudain, nous le vîmes qui se cognait la tête contre un arbre dans un grand gémissement. Quand nous l’interrogeâmes par la suite, il nous déclara : « Il m’a été donné de voir, par l’Esprit saint, que dans les générations à venir et avant l’Avènement du Messie, les rabbis hassidiques se multiplieront ainsi que les sauterelles et provoqueront le retard de la délivrance : parce qu’ils auront semé la division dans les cœurs et suscité la haine sans raison. »
Le véritable Tsaddik est solidaire de tous, il peut rejoindre chacun, y compris des pécheurs. Une petite histoire symbolise la manière dont le Baal-Shem-Tov est entièrement accueil pour chacun : « Chaque soir après la prière, le Baal- Shem regagnait sa chambre. Il avait alors deux chandeliers allumés sur sa table, et parmi d’autres volumes le « livre de la Création ». C’était l’heure à laquelle il recevait ensemble ceux qui avaient besoin d’un conseil, et il s’entretenait avec eux tous jusqu’aux environs de onze heures.
Un certain soir, au moment où se retiraient les visiteurs, l’un d’eux ne put s’empêcher de dire à quelque compagnon combien les paroles que lui avait adressées le Maître lui avaient fait du bien. Comment, protesta l’autre avec indignation, lui reprochant de parler à tort et à travers ; ils étaient bien tous ensemble, et depuis le premier instant, le Baal-Shem n’avait fait que lui parler, à lui seul. Un troisième, les ayant entendus, intervint à son tour, non sans sourire : vraiment, comment pouvaient-ils tous deux se tromper à ce point ? Le Rabbi, tout au long de cette soirée, avait eu avec lui un entretien intime et ininterrompu. Un quatrième, un cinquième firent de même, et pour finir les voilà tous en train de se raconter les uns aux autres ce qui s’était exactement passé. Mais un moment à peine, et alors tous faisaient silence. »
Le Baal-Shem-Tov était totalement présent à chacun, simultanément.
Il y aurait beaucoup d’autres anecdotes légendaires à citer, je n’ai pas mentionné ses capacités de conteur, par exemple.
Je voudrais conclure, non pas par le récit de sa mort, mais par ce qu’il dit à la mort de sa femme. « Un Tsaddik a raconté : le Baal-Shem-Tov s’attendait à être un jour enlevé au ciel comme Elie, dans un orage. Lorsque mourut sa femme, il eut ce mot : je m’attendais à être emporté au ciel comme Elie, dans une nuée de feu. Mais ce n’est plus désormais possible, car maintenant je ne suis plus que lamoitié d’un corps. »
Belle reconnaissance de la place de sa femme et de leur communion… même si le rôle des femmes dans le Hassidisme ne paraît pas vraiment enviable…