Atelier de Lectures Oecuménique du 12 décembre 2024
“Les chrétiens et la violence“
de Jean Lasserre, publié en 1965 (Editions Olivetan)
Présentation
G. Bécheret
Les chrétiens et la violence
Jean Lasserre (1908-1983)
Jean Lasserre , né en 1908, entreprend des études théologiques à Paris entre 1926 et 1930. Il part pour une année d’études à New-york; il fait la connaissance de Dietrich Bonhoeffer avec lequel il se lie d’amitié. En 1934, il devient un pasteur de l’ERF dans les paroisses ouvrières comme Saint-Etienne après s’être vu refuser, dans un premier temps, par le synode, la consécration du ministère pastoral: il avait pris la défense d’un objecteur de conscience alors incarcéré.
En 1939, malgré ses idées pacifistes, il rejoint son régiment, la mort dans l’âme, « sachant très bien qu’(il) trahissai() (s)on Maître » et soutient la résistance..
A la Libération, il accepte d’être un avocat commis d’office pour la défense des collaborateurs: il réussira à en sauver un de la mort mais sera contraint d’assister à l’exécution des autres : ce sera pour lui un épreuve extrême et une expérience décisive dan son combat contre toutes les violences, notamment contre la peine de mort.
En 1953, Jean Lasserre a 45 ans. Il publie un premier livre de théologie de la paix « La guerre et l’Evangile » qui va « réveiller » beaucoup de chrétiens indifférents, passifs, fatalistes face aux bruits de guerre. Il y défend la thèse de « l’objection de conscience »
En 1957, il renvoie son livret militaire comme 6 autres pasteurs surtout pour appuyer le projet de statut légal des objecteurs de conscience .
Toute sa vie est orienté vers l’action civique non-violente: En 1961, il soutient par un jeûn les réfractaires à la guerre d’Algérie et devient secrétaire du Mouvement International de la Réconciliation dans la lutte contre la guerre d’Algérie et dans le combat contre la torture.
A partir de sa retraite, il organise des rencontres annuelles d’études théologiques sur le thème « Théologie et non-violence ».
En 1965, une sélection de ses conférences donne naissance à son deuxième livre « Les chrétiens et la violence »
Dans sa préface, Frédéric Rognon écrit:
Ce livre reste partiellement marqué par son époque: la seconde guerre mondiale, les guerres d’Indochine et d’Algérie sont encore proches ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Bien des paramètres ont changé : l’abolition de la peine de mort et de la conscription en France, l’implosion de L’Union Soviétique, et la fin de la guerre froide, les conflits militaires menés par les Etats conte des organisations terroristes internationales….
Ce livre est très dense. Je ne l’ai pas entièrement résumé mais ai choisi quelques chapitres qui peuvent nous interpeller actuellement.(*1)
Dans son prologue, Jean Lasserre explique qu’Il se limitera à la question de la violence physique dont le geste de Caïn est bien le type élémentaire de la violence commise sur l’être humain et à la position de l’Eglise qui dit depuis 15 siècles qu’il est honorable d’être à la fois soldat et chrétien.
L’ouvrage est divisé en 3 parties:
la 1ère partie s’intitule « L’ÉVANGILE ET LA VIOLENCE »,
divisée en 4 chapitres .
Ce sera la partie la plus importante de mon exposé:
1er chapitre: Jésus était-il le Prince de la paix?
Jésus, à travers les prophéties messianiques de l’Ancien-Testament, est annoncé comme celui qui détruirait la guerre et ramènerait la paix mais pourquoi ne trouvons-nous aujourd’hui aucun accomplissement des prophéties de paix?
Lorsqu’on parcourt le Nouveau Testament, nous retrouvons un écho fidèle des prophéties: les anges de la nuit de Noël chantent « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée! » (Luc 2. 14), ou bien Jésus dit »je vous donne ma paix » (Jean 14. 27); ce n’est pas seulement la paix de Dieu mais la paix avec les frères. En mourant, Jésus dit : »tout est accompli » . Jésus est mort en croyant et en proclamant qu’il avait tout parachevé, y compris la paix de Dieu . Se serait-il trompé, lui aussi?
Les écrivains chrétiens des 3 premiers siècles affirment que les prophéties de l’ Ancien-Testament sont réalisés; Certes, il y aura toujours des guerres jusqu’à la fin de ce monde; mais ce sont les païens qui les font et qui, en les faisant, montrent qu’ils sont païens. Or les disciples de Jésus sont appelés à être les témoins, les signes et les artisans de la paix du Christ.
Pourquoi les chrétiens n’ont ils pas continué sur la lancée des premiers chrétiens? car, la paix semble un rêve plus que jamais irréalisable.
Pourquoi les chrétiens n’ont ils pas incarné efficacement la paix du Christ parmi les hommes? croyons-nous vraiment que Jésus était le Prince de Paix?
Nous voici au 2 ème chapitre de la 1ère partie, Jésus et la violence
– Jésus a été victime de la violence pendant la Passion.
Puisque la foule a préféré à Jésus, Barabbas, homme de sang, résistant considéré comme terroriste, puisqu’elle lui a préféré César, empereur romain, distributeur de la peine de mort au non-violent qu’est Jésus; puisqu’elle lui a préféré Pilate, officier romain, le plus terrible ennemi du peuple juif: est-ce que la chrétienté, tout comme la foule de Jérusalem, ne continue pas de préférer, à la non-violence de Jésus, la soi-disant virilité des hommes de sang », des durs, des forts?
Et pourtant, ce sont deux hommes de sang qui ont les premiers, discerné dans la mort du Christ la victoire éternelle de Dieu vivant, la victoire finale de l’amour sur la haine, et de la violence sur la non-violence: le deuxième brigand dans Luc 23 v 42 et le centenier dans Marc 15.v39 ou Luc 23. v 47.
Enfin, dans quel groupe devrions-nous nous ranger en tant que chrétiens?
Dans celui qui dit comme Barabbas, Pilate et les prêtres de Jérusalem : »ta mort sera ma vie » ou dans celui qui dit, comme Jésus: « ma mort sera ta vie »?
Pour Jean Lasserre, Le vrai homme est celui qui, à l’image de Jésus, aime jusqu’au bout. Il devra être un non-violent à l’image du Maître
– Car Jésus n’a jamais été violent
Jésus ne s’est jamais battu, n’a jamais répondu aux coups et aux injures, interdisant à ses compagnons de prendre les armes pour le protéger. Sa miséricorde n’exclut aucunement une grande vigueur spirituelle et une ardeur que l’on retrouve dans quelques discours ou apostrophes virulents (Mt 23). Il a invité ses disciples à le suivre sur ce chemin de douceur et de la patience.
Mais Jésus n’a t-il pas légitimé la violence?
Jean Lasserre met en avant 4 textes du Nouveau Testament qu’on lui soumet pour neutraliser la condamnation que Jésus semble bien avoir portée sur la violence.
1er texte: Jean 2, v15 nous décrit le geste de Jésus chassant les marchands du Temple avec un fouet:
Ce récit est embarrassant pour les non-violents mais aussi pour ceux qui le prennent au sérieux.
Jean Lasserre nous livre les réflexions que tout un chacun pourrait émettre:
1) Jésus a été fouetté ;
mais l’horreur que nous inspire ce châtiment n’est-il pas atténué par la considération que lui-même a su se servir d’un fouet?
2) S’il est normal de se servir d’un fouet pour chasser les animaux,
n’est-ce pas manquer de respect que de s’en servir pour chasser des hommes? N’y a t-il aucun mépris dans le geste du Sauveur
3) Israël était une gérontocratie et le Temple était certainement rempli de vieillards.
Jésus qui avait 30 ans a t-il levé la main sur eux et n’a t -l pas respecté le 5ème commandement?
4) Les marchands avaient certainement obtenu le droit d’ installer leur commerce.
Pourquoi Jésus ne s’en est il pas pris aux autorités qui avaient accordé ce droit? n’a t -il pas été un peu injuste en frappant les marchands.?
Jésus n’a t-il pas contribué à créer du désordre par son geste perturbateur ?
5) Jésus aurait eu donc recours à la force contre des hommes pour une question de l’ordre spirituel.
N’aurait-il pas commis une confusion entre l’ordre temporel et l’ordre spirituel, en mettant la force au service de la religion?
Comme toutes ces observations sont gênantes, Jean Lasserre va se tourner vers le texte original en grec:
On n’y trouve justement pas la conjonction « ainsi que », laquelle implique que Jésus aurait chassé les marchands « ainsi que » les animaux.
Voici le texte grec original:
« Et ayant fait un fouet avec des cordes, il chassa tous du Temple les brebis et les boeufs ». Les mots « les brebis et les boeufs » explicitent quels sont ces « tous » que Jésus a chassés.
Jean Lasserre pense que sa traduction est la seule qui ne soit pas incohérente: La grammaire et le bon sens s’accordent pour exclure le prétendu usage du fouet pour chasser les commerçants.
2 ème texte : Matthieu 8, 5-13: La rencontre de Jésus avec le Centurion:
Jésus n’a pas reproché au Centurion son métier de soldat: serait-ce l’ indice qu’il ne voyait pas de contradiction entre la condition de soldat et l’obéissance à la foi? Dans ce texte, au contraire, Jésus pratique la non-violence à l’égard d’un ennemi. Il approuve la foi de ce soldat mais rien ne permet de supposer qu’il aurait approuvé la profession de cet homme.
3 ème texte: Marc 12, 13-17
« rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »
Jésus approuverait-il le partage entre les deux règnes temporel et spirituel?
Or, est-ce que tout n’est pas à Dieu? Ce qui est à César, c’est la pièce de monnaie. Mais tout le reste est à Dieu et surtout les hommes créés à son image.
Ainsi, Jésus ne justifie pas ce partage entre deux domaines dont Dieu n’aurait revendiqué qu’un seul.
4ème texte : Luc 22; 35-38
Jésus aurait il recommandé à ses disciples de s’acheter une épée?
Pour Jean Lasserre , Jésus ne parle pas d’une épée réelle; il emploie une image. Jésus prévient ses disciples qu’ils vont vivre des moments difficiles et résister aux assauts du Malin ; comme toutes les images employées par Jésus, il ne faut pas les prendre à la lettre.
D’ailleurs pourquoi blâmer Pierre de s’être servi de son épée et de terminer en disant « tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée » (Mt 26,52)
il est impensable que Jésus ait envoyé ses disciples à la mort.
Jean Lasserre conclut en affirmant que Jésus n’a ni pratiqué ni recommandé la violence.
Après avoir mentionné la fidélité des chrétiens des 3 premiers siècles, Jean Lasserre va exposer dans le
3ème chapitre: l’hérésie constantinienne, le changement important opéré au cours du 4ème siècle dans le comportement de l’Eglise face à la violence meurtrière.
En quelques mots, voici ce qu’en dit Jean Lasserre:
Pendant les 3 premiers siècles, la règle était le refus du service militaire, et d’être un juge.
3 raisons:
– les cérémonies païennes rendues à des faux dieux,
– l’immoralité qui règne dans l’armée (Luc 3. 14)
– et le fait qu’un chrétien ne peut verser du sang humain.
L’incompatibilité entre le métier d’armes et la foi chrétienne était alors clairement affirmée.
Dès le 4ème siècle, renversement complet:
Le métier de soldat est accepté par la masse des fidèles et ce sont les objecteurs de conscience qui vont être excommuniés de l’Eglise.
Jusqu’à l’époque de la rédaction de ce livre en 1965, les chrétiens vivaient sous l’ emprise de cette 2ème tradition. Cependant, il y a eu des objecteurs de conscience dans la plupart des pays chrétiens, Saint François d’Assise, les Mennonites dès 1793, les Quakers, le curé d’Ars etc…
Alors pourquoi ce revirement?
Un fait historique:
en 312, l’empereur Constantin se convertit.
en 313, il publie l’édit de Milan qui accorde la liberté religieuse et met fin aux persécutions des chrétiens.
en 314, l’empereur (notez le bien) convoque les évêques à un synode à Arles: seront excommuniés « les soldats qui jettent leurs armes en temps de paix, ou qui se révoltent contre leurs chefs ».
La conséquence est très grave: la souveraineté du Christ est perdue.
Du crédo primitif « Jésus Christ est le Seigneur », on a substitué ce credo restrictif : Jésus Christ est notre Seigneur » c’est-à-dire de l’Église (et non de l’état), des chrétiens (et non des païens et des fonctionnaires de l’état)
D’où des déformations du message chrétien:
1) – sur le plan théologique, l’Église, la Tradition, la Papauté, la Vierge deviennent de grands seigneurs
– sur le plan éthique, ce sont César et son empire qui deviennent de grands seigneurs.
2) Désormais, dans la théologie chrétienne, l’état est conçu comme autonome par rapport à l’autorité du Christ;
3) il en résulte un dédoublement redoutable de la morale chrétienne: le chrétien obéit à Jésus Christ dans sa vie privée mais obéit à l’état dans sa vie civique. Ce dédoublement sert à justifier tous les crimes et toutes les violences que les chrétiens et les Églises elles-mêmes ont commis.
4) la théologie chrétienne introduit du coup de nouveaux principes: la fin justifie les moyens ou le principe d’efficacité.
5) dernière conséquence: c’est le dédoublement de la personnalité de la personne humaine: on passe de la moralité évangélique à la loi de la jungle
Puis, Jean Lasserre développe longuement le
4ème chapitre: le paganisme et la guerre
Le propre de tous les paganismes est d’asservir l’homme aux tendances profondes de sa nature charnelle: tout l’art du paganisme consiste à exalter l’instinct combattif (dont il ne faut pas avoir honte), en le trompant par mille subterfuges: l’équipement, les galons, les médailles, les défilés et la phraséologie parlant de vertus, de grandeur et de gloire. Le dieu Mars se sert de tout pour alimenter et multiplier son triomphe et entraine tout dans son sillage, tout sauf Jésus-Christ qui a vaincu ce paganisme là.
Pour le dieu Mars, le plus cruel, le plus fort triomphe;
Jésus-Christ lui espère que nous croirons dans la victoire de sa croix.
Que font les chrétiens? Ils servent Dieu et Mars chacun dans son domaine.
Pour Jean Lasserre, il faut que l’Eglise revienne à sa première tradition.
Nous abordons maintenant la 2ème partie intitulée
« VRAIS ET FAUX RÉALISMES »
divisée en 5 chapitres
Dans le 1er chapitre, le chrétien et l’état,
Jean Lasserre pose la question de la soumission aux autorités. Jusqu’où peut-on obéir?
Pour Jean Lasserre, on ne peut obéir à l’état que dans la mesure où les ordres reçus de lui ne paraissent pas contraires aux exigences de l’Ecriture, à ce qui est mal aux yeux de Dieu.
Mais le 2ème chapitre , l’état et la violence pose la question suivante:
Une société qui ne connaitrait aucun pouvoir de contrainte, ni aucun recours à la force, ne serait -elle pas vouée au chaos et à l’autodestruction?
Pour Jean Lasserre, le pouvoir de la contrainte physique est indispensable dans une société tant qu’il ne dépasse pas une certaine limite d’intensité ou de violence; au-delà, cette contrainte ne protège pas la justice, mais l’injustice.
Alors où placer cette limite entre contrainte légitime et violence illégitime?
Pour Jean Lasserre, la limite à ne pas dépasser sur un curseur de 0 à 100 est
entre 20 et 30. La limite est le respect de la personne humaine
A 40, c’est le passage à tabac
A 60, c’est la torture, qui pour la victime est un supplice.
A 80, c’est la peine de mort
A 100, c’est la guerre.
Le 3ème chapitre est consacré entièrement à La peine de mort:
Nous avons vu combien Jean Lasserre a été marqué par l’épreuve d’assister à la mise à mort de collaborateurs de la dernière guerre.
Il se demande comment un chrétien pourrait-il parler de la peine de mort sans évoquer d’abord cette croix sur laquelle Jésus Christ a subi le châtiment suprême?
Jésus totalement séparé de son Père, « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné »?(Mt 27, 46)
Totalement séparé des hommes.
Pour Jean Lasserre, Jésus Christ s’est identifié à tous les condamnés à mort de l’histoire humaine depuis Abel.
Lorsque Jean Lasserre voit un condamné à mort, il discerne en lui la présence du Christ, dont l’agonie continue jusqu’à la fin du monde.
Comment les hommes ont-il osé faire mourir leur Sauveur?
Pilate a cédé à la pression de la foule et des grands-prêtre.
N’arrive-t-il pas aujourd’hui que la justice soit influencée par un groupe de pression, par la presse?
Dès que la justice se donne le droit d’infliger la peine capitale, elle franchit une limite. Dieu ne veut pas la mort du pêcheur mais qu’il se convertisse et vive (Ez 18.23)
Dans le passage de la femme adultère, Jésus confirme la légitimité de la peine de mort selon la loi de Moïse MAIS il la remet en question si celui qui la prononce n’est pas digne de le faire parce qu’il est lui-même pêcheur.
Seul Dieu est maître de la vie et de la mort.
Ainsi, la peine de mort est une anticipation insensée, un acte impie par lequel l’homme préjugeant la décision du Maître, devance son retour et prend sa place de Juge; il nie le retour du Seigneur en gloire.
Pour Jean Lasserre, un chrétien qui consent ou participe à une exécution capitale, montre qu’il ne croit pas que Jésus a expié les péchés des hommes sur la croix.
Ensuite Jean Lasserre consacre le 4ème chapitre à La guerre.
dont il distingue 4 types :
1) la razzia,
2) la guerre nationale présentant 4 aspects:
- affaire d’hommes (on ne s’attaque pas aux civils)
- un front mobile entre 2 camps
- une certaine moralité: pas de coups bas, tentatives d’humanisation avec la Croix Rouge
- affaire religieuse avec autrefois la chevalerie du M-A et maintenant, l’aumônerie militaire
3) la guerre totale avec Guernica en 1937
- civils attaqués
- plus de front
- l’aspect religieux est étouffé par l’aspect industriel qui permettra à la puissance la plus pourvue de l’emporter.
- moralité militaire disparait: instrument du pouvoir politique pour briser les grèves, les protestations populaires, ou neutraliser les « suspects ».
4) la guerre atomique depuis 1945
Jean Lasserre se demande quand une autorité spirituelle se dressera contre un gouvernement? Quand dira-t-elle « la guerre que tu mènes est injuste »?
Enfin le 5ème et dernier chapitre « Pour une vraie défense nationale », développe ce pour quoi Jean Lasserre a milité.
La population doit se former à la non-violence, à la résistance passive, par des boycotts, par des grèves générales, des campagnes de désobéissance civile par vagues successives ; nous en connaissons des modèles: Gandhi, Martin Luther King…
Est-ce une utopie?
Pour Jean Lasserre, c’est le vrai réalisme parce que c’est une conception qui prend Jésus-Christ au sérieux. Et la survie de l’humanité est à ce prix.
Enfin, Jean Lasserre termine par la 3ème et dernière partie intitulée :
UNE RÉVISION DÉCHIRANTE
Il explique en 10 thèses Le fondement christologie du pacifisme tel qu’il a été décrit dans les Evangiles:
1) La morale chrétienne est une morale de l’action de grâces car le Christ m’a sauvée.
Puis-je rendre grâce en tuant?
2)Elle est une morale de communion. la communion avec les frères est liée à la communion avec le Père du ciel.
En tuant, je refuse mon amour à ceux que je tue et je me sépare de Jésus Christ.
3)L’obéissance du chrétien est une obéissance du dialogue: obéir à Jésus Christ, c’est un dialogue quotidien avec Lui , étant inspiré par l’Esprit Saint sur mes actes personnels ou dictés.
Un chrétien peut-il oser affirmer que le Christ lui a commandé de tuer?
4)La morale chrétienne est non-violente:
si Jésus Christ a renoncé à la violence, ne dois-je pas être à sa suite un non-violent?
5)Elle est une morale de la victoire car le Christ est ressuscité, victoire sur le péché et la mort.
La victoire des violents est le contraire d’une vraie victoire comme celle du Christ.
6)L’obéissance du chrétien est une obéissance au Roi, car le Christ est monté au ciel. Notre obéissance concerne toutes nos activités qui ne lui sont pas indifférentes.
Si nous entrons dans le système de la violence, croyons-nous au Christ monté au ciel et à son règne sur le monde?
7)L’obéissance du chrétien est une obéissance dans l’Église car le Christ m’a implanté dans son corps qui est l’Église:
En tuant des chrétiens ou des incroyants, travaillons-nous à l’Évangélisation du monde ? ne saccageons nous pas l’unité du corps du Christ?
8)La morale selon l’Évangile est une morale de témoignage de la Bonne Nouvelle à travers nos engagements, car le Christ nous a envoyés.
En pratiquant la violence, proclamons-nous la puissance ou l’impuissance du Christ? Ne sommes-nous pas alors les témoins de l’inutilité de Jésus-Christ
9)La morale chrétienne est une morale de l’espérance car le Christ reviendra pour juger les vivants et les morts.
Ce n’est pas à l’homme de préjuger ce qui est l’ivraie et le bon blé.
10)La morale chrétienne est une morale de charité car le Christ nous a aimés pour que nous aimions les uns les autres.
Or, la violence nous entraine dans une situation où il n’est plus possible d’aimer ses ennemis.
Alors comment protéger les nôtres par des moyens autres que la violence?
Jean Lasserre propose la lutte non-violente, attitude évangélique qui n’est ni passive, ni lâche, qui n’abdique pas.
1) Elle est fondée sur la discrimination entre le crime et le criminel:
Jésus a toujours distingué le péché et le pêcheur.
2) Elle considère l’adversaire comme un homme avec lequel un dialogue est possible.
Jésus nous en a donné des exemples
3) Elle fait appel à la conscience de l’adversaire,
comme Jésus en a fait appel dans ses rencontres avec la Samaritaine, Zachée….etc
4) Elle implique nécessairement une désobéissance précise aux lois de l’adversaire sans le menacer.
Jésus a pratique cette désobéissance non violente (le Sabbat), la fréquentation des gens impurs par la loi, de mauvaise vie.
5) Elle demande d’être prêt à supporter la souffrance sans l’infliger à ses adversaires:
Jésus s’est offert en connaissance de cause aux dures épreuves qui l’attendaient
6) Elle se déroule toujours sous le signe de la vérité, jamais par ruse:
Jésus a dit »Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37); il a toujours agi dans ce climat de vérité transparente.
7) Elle se vit dans l’humilité
comme Jésus qui n’a pas chercher à écraser ses adversaires.(Jn 18.23, « si j’ai mal parlé, fais voir ce que j’ai dit de mal; et si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? »
8) Elle consiste à aimer son adversaire comme Jésus l’a dit et a vécu.
(Lc 6. 28) « aimez-vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous outragent »
Pour Jean Lasserre, la non-violence est l’attitude la plus proche de l’Évangile.
Dans son dernier chapitre Jean Lasserre demande Une Nouvelle Réformation:
Le 20ème siècle est celui de l’oecuménisme dont Jean Lasserre se réjouit.
Mais ce mouvement s’il veut être sérieux et aboutir à un authentique unité spirituelle des chrétiens, ne devrait-il pas déboucher sur un vrai pacifisme? sinon, la prétendue recherche de l’unité sonnera un peu faux .
Le 20ème siècle est aussi le siècle du retour à la Bible.
Mais ne faudra-t-il pas en venir à étudier enfin le problème de la participation du chrétien à la violence et à la guerre dans une perspective biblique, à la lumière des exigences de l’Ecriture?
Enfin, Jean Lasserre pense que le moment est venu pour les églises d’entreprendre une révision:
La première Réforme s’est bâtie autour du premier commandement, en proclamant « Sola scriptura, Sola gracia, Sola fixe, Sola Christus, Soli Deo gloria »
La Nouvelle Réformation devrait se construire autour du deuxième commandement en s’appuyant sur la redécouverte de la seigneurie de Jésus Christ sur la totalité de la vie humaine et la restauration de l’amour du prochain.
En conclusion, Jean Lasserre a contribué à son époque de façon essentielle à défendre la position des pacifistes chrétiens dans l’esprit des Béatitudes de Jésus, évangile de Matthieu 5, 9 « Heureux ceux qui procurent la paix car ils seront appelés fils de Dieu ».
(*1) : Les extraits du livre de Jean Lasserre apparaissent tous en italique
Dialogue fictif entre Jean Lasserre et Dietrich Bonhoeffer
présenté à l’occasion de la conférence internationale de Church and Peace
à la communauté de l’Arche de Lanza del Vasto qui a eu lieu du 19 au 22 mai 2011
en parallèle avec le Rassemblement Oecuménique International de Kingston en Jamaïque
par le pasteur Hans Häselbarth
Jean Lasserre et Dietrich Bonhoeffer
Deux témoins du message de la paix
Deux « Pères dans la foi » nous sont présentés ici, l’un français et l’autre allemand.
Ils ont fait connaissance dans les années trente du siècle dernier alors que tous deux étaient étudiants boursiers au « Union Theological Seminary », faculté de théologie protestante new-yorkaise. L’un des thèmes principaux de leur dialogue fut le Christianisme face à la question de la violence. Il est utile de comparer leurs réflexions d’alors avec les positionnements des chrétiens dans le dialogue actuel.
1.Éléments biographiques
(B) Jean, mon ami, quelle joie de te rencontrer aujourd’hui à l’Arche de Saint-Antoine. Nous avons vécu ensemble pas mal de choses intéressantes à l’époque, dans les années trente. Je pense à des conversations inoubliables jusque tard dans la nuit, à New York. Je ressentais une profonde unité entre nous qui étions tous deux théologiens européens. Le roman de Erich Maria Remarque « à l’Ouest rien de nouveau », écrit en 1929, a inspiré ces conversations, ainsi que le film si cruel tiré du livre que nous avons regardé ensemble et dont nous sommes ressortis très secoués. Je me souviens avoir essayé de te consoler sur le chemin du retour…
(L) A cette époque, nos convictions pacifistes se sont approfondies. Nous fûmes amenés à reconnaître que la foi devait avoir plus d’autorité que le vieux patriotisme, plus d’autorité que les paroles de la Marseillaise : « Allons enfants de la patrie… »
(B) Et plus d’autorité que ce que nous chantions : « Deutschland, Deutschland über alles », car c’est bien plutôt ceci que nous devrions chanter : « Guide nos pas sur le chemin de la Paix » (Richte unsere Füße auf dem Weg des Friedens, Mennonitisches
Gesangbuch numéro 481).
(L) En dehors de ces discussions, nous avons aussi vécu de très beaux moments ensemble. Te rappelles-tu nos aventures en route vers le Mexique dans cette bagnole toute brinquebalante? Et l’étonnement des étudiants à Viktoria, lorsqu’ils entendaient un Allemand et un Français leur parler d’une seule voix?
(B) Tu m’as pour la première fois entraîné de ma théologie luthérienne vers une théologie davantage pratique, me rendant attentif à l’importance d’une obéissance plus radicale au commandement d’amour. C’était pour moi comme une conversion qui alla bien plus loin que je ne le pensais au départ. Plus tard, lorsque j’étais en prison, j’ai vu en toi un véritable saint ! C’est toi qui as inspiré mon livre « Vivre en disciple – le Prix de la grâce ». J’ai appris à porter un regard nouveau sur le sermon sur la montagne. Oui, tu as éveillé en moi le désir de saisir toute l’actualité de la grâce divine.
(L) J’étais certainement inspiré par mes profs à Paris – par exemple par Wilfried Monod – qui m’avaient appris à aimer les Béatitudes et à les considérer comme le fondement même de l’Evangile. Quant à moi, à cette époque, j’étais plutôt timide et réservé, mais toi, tu m’as encouragé à venir avec toi, en 1934 à Fanö au Danemark à la conférence œcuménique des jeunes où tu as prononcé ton discours sur la paix.
Tu disais : « Il n’y a pas de paix possible sur la voie de la sécurité, car la paix est une audace, c’est une aventure qui ne va pas sans risques. La paix, c’est le contraire de la sécurité. Donner priorité à la « sécurité » signifie méfiance qui à son tour entraîne la guerre. » Mais à ce moment-là, bien peu nombreux étaient ceux qui comprenaient cette vérité ! Pour ma part, ce qui comptait, c’était l’idée que le corps du Christ, et même l’ensemble de la famille humaine, ne soit pas détruit par les idéologies nationalistes. Nous nous sommes engagés pour l’objection de conscience, ce qui à cette époque, était encore une idée scandaleuse. Nous affirmions aussi qu’aucune guerre ne devrait jamais être qualifiée de « sainte ».
(B) La même année, je t’ai rendu visite dans le bassin minier, à Bruay en Artois. Tu vivais parmi les ouvriers. Cela aussi a contribué pour moi à un approfondissement de la question sociale et confirmé mon vœu d’être au côté des ouvriers et des
pauvres dans mon travail pastoral.
(L) Et il y a eu enfin cette visite de ta part dans notre chalet familial des Houches dans la vallée de Chamonix où je passais mes vacances. Ce fut notre dernière rencontre. À la date du 17/18 août 1932 tu as écrit dans notre livre d’or : « Dietrich Bonhoeffer, de Berlin, remercie de tout cœur pour deux journées magnifiques et inoubliables passées au sein de la famille de son ami Jean, au fil desquels j’ai ressenti ce que l’on peut appeler une atmosphère de profonde communion ». 3 Puis la guerre a éclaté et nous ne nous sommes plus jamais revus. Avec l’aide d’un soldat allemand du nom de Heinrich Gellermann, j’ai encore essayé, en pleine guerre, de te faire parvenir un courrier … C’est avec gratitude, mon cher ami, que je me rappelle nos différentes rencontres!
2. Nos entretiens sur le thème du témoignage en faveur de la paix
(B) Tous les deux, nous représentons une éthique politique fondée sur le Christianisme. Oui, le Sermon sur la Montagne doit être normatif pour notre vie. C’est ce que j’ai essayé de souligner dans mon livre sur la vie de disciple. Il ne nous faut pas prendre au sérieux les choses « dernières » – le Royaume de Dieu – seulement, mais aussi les choses « avant-dernières », ce qui est utile à l’être humain aujourd’hui. Dans mon livre sur l’éthique je pars aussi de la conviction que nous Chrétiens
sommes en mesure de mettre en pratique la politique de l’Evangile même si par là-même nous faisons quelque chose d’extraordinaire, que le monde ne comprend pas vraiment.
(L) Nous ne pouvons accepter de dédoubler notre vie du point de vue moral, c’est-à-dire de faire une distinction entre vie privée et vie politique. Le Christ nous veut tout entiers et ce n’est que dans cette unité que nous sommes crédibles. Cela doit se manifester particulièrement dans notre refus rigoureux de la violence, de la guerre et de la vengeance. Nous croyons en Jésus-Christ, prince de la paix – même si, précisément dans ce domaine, nous lui avons été trop souvent infidèles. L’Eglise ne peut pas supprimer la violence, mais elle peut cesser de légitimer la violence et la guerre.
(B) Tu nous as présenté l’image de Jésus dans sa passion, « Ecce Homo », de manière si vivante et tu l’as comparée avec notre idéal de virilité et d’héroïsme.
(L) Jésus nous a donné l’exemple de la non-violence absolue. Dans le Nouveau Testament, il n’y a pas un seul message qui contredise cette affirmation, pas même Jean 2 verset 15 qui évoque la purification du temple. Jésus ayant fait un fouet avec des cordes chasse les animaux du temple, mais naturellement pas les personnes. Et lorsqu’avant son arrestation il recommande d’acheter des épées, il ne s’agit pas non plus d’un appel à la violence. Il faut comprendre cet ordre au sens figuré. Jésus veut dire : la crise est imminente ! Non, l’obéissance de Jésus au commandement d’amour était absolue! Et à nous non plus, rien d’autre n’est permis.
(B) Tu as mis en évidence que les chrétiens des trois premiers siècles prenaient la non-violence très au sérieux. J’ai été très frappé par la liste des professions que (1) ceux qui demandaient le baptême n’acceptaient pas à l’époque, comme par exemple le service militaire et la prostitution4. Tu parles aussi de « l’hérésie constantinienne », à partir du IVème siècle, lorsque le Christianisme est devenu religion d’Etat. C’est là que tu situes le déclin de l’Eglise. Ni toi ni moi ne sommes historiens, mais il me semble que sur ce thème tu as brossé un tableau sans nuance.
Il y a certainement eu dans l’empire romain influencé par le christianisme, des personnes qui ont mis leur foi en pratique tout en assumant des responsabilités dans différents domaines de la vie publique.
(L) Je ne veux pas le contester. Mon interprétation radicale s’applique seulement à la question de la violence. Et à cet égard, l’ordre de Jésus a été trahi parce que l’être humain s’est adapté, ce qui se produit aujourd’hui encore. Nos Eglises n’ont-elles pas besoin, sur ce point précis, d’une conversion, pour redécouvrir que le royaume du Christ est un et indivisible ?
(B) Tu veux dire que c’est sur ce point que se décide si nous sommes fidèles au premier commandement de Dieu, si nous suivons le dieu païen Mars ou le Père de notre Seigneur Jésus ? Je suis tout à fait d’accord avec toi sur ce point. Il ne s’agit
pas seulement de la question idéologique, des guerres dites « saintes », mais aussi d’intérêts économiques et de profits, d’exactions contre des civils, de blessures morales et de dérive vers la barbarie, de perte des repères moraux dans l’armée, il
s’agit de l’impossibilité fondamentale, pour un disciple du crucifié, de tuer.
(L) Notre génération a réfléchi intensément à la question de la relation entre l’Eglise et l’Etat. Nous devons nous garder d’adopter une attitude de fausse servilité, mais ne pas nous replier non plus sur nous-mêmes. Que veut dire « être soumis aux autorités supérieures » selon Romains 13 ? Nous voulons respecter la loi, chercher le bien de la cité et nous engager sans renoncer pour autant à notre esprit critique.
Mais il y a des situations où il nous faut suivre notre conscience, où il faut résister face à l’injustice, où nous avons l’obligation de faire office de sentinelle prophétique vis-à-vis de l’Etat. C’est alors que s’applique la phrase : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Actes 5,29).
(B) Il fallait s’opposer à la souffrance incommensurable infligée à tant d’êtres humains par le régime hitlérien inique. J’étais proche de ton pacifisme, comme tu le sais, mais j’ai vu qu’il fallait intervenir. Il fallait supprimer Hitler. C’est pourquoi je me suis joint au groupe de résistance de l’attentat du 20 juillet. Je n’ai pas poursuivi, à ce moment-là, l’option de la résistance non-violente. Il y avait pourtant des exemples dans les pays occupés par l’armée allemande et même en Allemagne, comme par exemple les protestations des femmes de la rue des Roses à Berlin. Je me suis joint au groupe d’officiers résistants, ce fut une décision personnelle que je pris en conscience et que je ne puis généraliser. Il fallait que j’ose l’action violente et que j’accepte l’idée du meurtre du tyran. Comme tu le sais, ce fut un échec. J’ai mis très consciemment ma vie en péril. Ne rien faire c’était aussi se rendre coupable. S’engager dans la résistance comme le faisaient mes amis chrétiens, c’était aussi se rendre coupable. Ai-je été en cela infidèle à l’évangile ? Je ne sais pas…
J’aurais sans doute dû poser la question de manière plus précise : « qu’aurait faitJésus dans ces circonstances » ?
(L) Cher Dietrich, je respecte ta dernière décision. Tu ne voulais pas rester passif face au mal. Pourtant, même s’il s’agit de défendre et de protéger le prochain, la patrie ou d’autres personnes qui sont menacées, la fin ne justifie pas les moyens. Il faut que je sache quels moyens correspondent au commandement d’amour. Je sais très bien que beaucoup de gens pensent que le pacifisme est une attitude étroite, rigide, voire légaliste. Mais Jésus et les apôtres n’hésitaient pas à donner des directives éthiques bien concrètes qui, à côté des influences culturelles, s’appliquent à nous aujourd’hui encore. Nous avons découvert dans l’Evangile que Jésus est le « oui » de Dieu à notre égard. Nous pouvons donc le remercier en obéissant à sa (2) parole. La violence et le meurtre ne peuvent être en aucun cas l’expression de cette reconnaissance !
(B) Je suis très touché par ton engagement inconditionnel et sans détour à la suite de Jésus qui me donne matière à réfléchir. J’aurais peut-être pris une autre décision si j’avais été élève de Gandhi. Tu te souviens qu’il m’avait invité et que je voulais aller lui rendre visite en Inde, et que ce projet ne s’était pas réalisé car on m’avait confié une autre tâche.
(L) Oui, à l’époque cela t’aurait aidé et nous tous aussi. Mais essayons donc de définir encore une fois ce qu’est pour nous la résistance non-violente. Ce n’est certainement ni une attitude passive, ni de la lâcheté, ni une fuite devant la souffrance.
Nous ne voulons pas capituler face à la violence, mais nous ne voulons pas non plus nous rendre complices de la violence. Nous devons mettre en œuvre d’autres moyens que ceux de l’adversaire qui est prêt à faire usage de la violence. Faut-il dans ce cas-là penser au boycott, à la grève, au sabotage ?
(B) Ce qui est important c’est de ne pas se plier aux lois de l’adversaire, de respecter l’oppresseur en tant qu’être humain, de ne pas porter atteinte à sa dignité, de chercher le dialogue avec lui en faisant appel publiquement à sa conscience. Une telle désobéissance civile doit faire honte et faire pression, sans infliger de souffrance aux oppresseurs et à ceux qui préconisent la violence. C’est moi qui dois être prêt à accepter la souffrance, comme Jésus l’a acceptée sur la croix. La non-violence n’est pas une stratégie mais une attitude spirituelle, le style de vie qui correspond le mieux à l’évangile. Mais cela aussi il nous faut l’apprendre et nous y exercer. A l’époque je n’avais pas poussé la réflexion jusque là. C’est toi qui l’as fait en tant que rédacteur des Cahiers de la Réconciliation dans les années d’après-guerre et en publiant ton livre « la guerre et l’évangile » en 1953. Je t’en remercie.
(L) Ce qui est resté incomplet dans notre vie, nos descendants spirituels vont le poursuivre et l’approfondir. Pour œuvrer à la paix, il nous faut encore faire beaucoup de démarches et beaucoup de découvertes. Mais nous devons arriver à la conclusion de notre dialogue. Tu nous dis encore une dernière parole ?
(B) Ma vie a été trop courte. J’étais en train de commencer à comprendre toute la radicalité du commandement d’amour de Jésus. J’ai eu en 1934 un moment de clarté prophétique : c’était à Fanö, une année après la prise du pouvoir par Hitler qui a
conduit à la seconde guerre mondiale et à la mort de 50 à 60 Millions de personnes.
J’avais 28 ans alors et j’ai prononcé une phrase dont je n’avais pas encore saisi tout le poids de vérité : « il faut que soit adressée à tous les peuples la bonne nouvelle de la paix car l’Eglise doit, au nom du Christ, retirer les armes des mains de ses fils et leur interdire de faire la guerre. » Nous avons dû apprendre dans la douleur que l’objection de conscience et la non-violence sont vraiment le chemin sur lequel nous pouvons témoigner d’une manière crédible de la paix de Dieu et du commandement de l’amour du prochain.
(L) Oui, il nous faut prendre l’Evangile totalement au sérieux, peu importe si nous nous rendons impopulaires et si nous perturbons le vieil équilibre entre l’Eglise et le monde. Nous ressentons tous la nécessité d’une nouvelle Réforme. La première Réforme s’est concentrée sur le premier commandement et a souligné l’autorité des Saintes Ecritures, la justification par la foi, le témoignage intérieur du Saint Esprit et le sacerdoce universel. La nouvelle Réforme devrait mettre au premier-plan le commandement d’amour et chercher enfin des moyens autres que les moyens militaires pour protéger ce qui a besoin de l’être. Nos Eglises seront-elles capables d’une telle volte-face ? Peuvent-elles témoigner publiquement d’une repentance aussi profonde ?
Nous ne pouvons rien faire d’autre que de nous agenouiller et prier que le Saint Esprit touche toute la chrétienté. Pourquoi Dieu ne pourrait-il pas sus- citer une nouvelle Réforme ? Il n’est pas trop tard, mais c’est bien urgent !
1 Tiré de la correspondance avec Christiane Lasserre, fille de Jean Lasserre
2 Hippolyte de Rome, dans la Didache