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Catégorie : ALO: PRÉSENTATION DES LIVRES

ALO: PRÉSENTATION DES LIVRES
21 février 2025

Atelier de Lectures Oecuménique du 13 février 2025

présenté par Gérard Houssin

 

Visages du Christ dans le Premier Testament

Michel Barlow, Editions Cabédita  2024

 

Michel Barlow n’est pas un nouveau venu dans l’édition. Ce lyonnais a écrit près d’une trentaine de livres, dans le domaine de la littérature, de la pédagogie, de la théologie. Catholique d’origine, il s’est converti au protestantisme il y a quelques années et a publié à ce sujet Le bonheur d’être protestant , un livre que certains ici connaissent. Il viendra d’ailleurs lui-même en mai nous parler de son itinéraire spirituel qu’il décrit dans son tout dernier livre, Le Christ, miroir de nos vies.

Mais revenons au présent ouvrage. De quoi s’agit-il ?

Nota bene : dans le résumé que je vous propose, ce sont le plus souvent les mots de l’auteur lui-même, complétés de quelques phrases de liaison de ma part.

On répète à l’envie que la venue du Christ avait été annoncée par certains auteurs du Premier Testament. L’évangile de Matthieu fait même de cette idée un refrain de ses récits : « Tout cela arriva pour que s’accomplissent les Ecritures. » Il faut y regarder de plus près ! Mais, comme toujours, le texte ne prend sens que dans son contexte : dans quelles circonstances, pour quels interlocuteurs cela a-t-il été écrit ?

Ainsi situées, ces annonces prémonitoires, ces « figures du Christ » sont-elles toutes ressemblantes ? Et sinon, l’écart, le décalage entre l’annonces et sa réalisation donne à penser et à prier, renouvelle, si besoin était, notre compréhension et surtout notre amour du Christ, notre espérance et notre vie.

C’est cette filiation entre les deux Testaments à propos du Christ que tente de décrypter Michel Barlow dans ce livre, Visages du Christ dans le Premier Testament qui vient de paraître en 2024 aux Editions Cabédita.

 

PREMIER CHAPITRE : L’EMMANUEL

Le livre commence immédiatement par une citation percutante : « Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’on déclaré les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit cela et qu’il entrât dans sa gloire ? Et, commençant par Moïse et pat tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait. »(Luc 24,27). Luc, et Michel Barlow, soulignent d’emblée un premier décalage entre l’attente des disciples d’un Christ puissant, et l’image du Christ humble et souffrant. 

Alors, semblables ou pas, les deux Testaments ? Matthieu nous en propose une synthèse en une phrase : Jésus  «n’est pas venu abolir, mais accomplir la loi et les prophètes » (Mt 5,17).

Le premier accomplissement, c’est la prophétie dite de l’Emmanuel, celle de l’incarnation, annoncée par Esaïe lui-même en 7,14 : « Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel ».

Mais, ajoute Michel Barlow, regardons-y de plus près. A quelle occasion et face à quelle situation Esaïe a-t-il prononcé cet oracle ? Les circonstances ! Toujours regarder les circonstances particulières, pour ensuite saisir la portée universelle !

Le royaume de Juda est en danger, Jérusalem et assiégé, le roi Akhaz prend peur. Esaïe lui dit d’avoir toute confiance en son Dieu qui promet un signe fort :  confiance ! L’avenir est assuré, car un enfant naitra d’une femme. On a à faire à une prophétie messianique qui annonce un avenir radieux pour le peuple juif d’alors, mais aussi pour les croyants à venir. Au-delà de la naissance d’Ézéchias, fils du roi, c’est le Messie, l’Emmanuel, qui est annoncée et proposée à l’espérance des croyants d’hier et de tous les siècles à venir. A noter, précise Michel Barlow, que le texte hébreu emploie le mot almah, qui veut dire femme, tandis que la traduction grecque dont nous avons hérité emploie le mot parténos, qui veut dire vierge.

Pour conclure ce premier chapitre intitulé l’Emmanuel, l’auteur évoque « la plus parfaite des citations d’accomplissement qu’on puisse trouver dans les évangiles », en Luc, chapitre 4 . A la synagogue, Jésus ouvre le Livre et lit un passage d’Esaïe, chapitre 61 : « l’Esprit de Dieu est sur moi. Le Seigneur, en effet, a fait de moi un messie, il m’a envoyé porter un joyeux message aux humiliés, aux captifs, etc. » Puis il referme le Livre sur le verset 21 : « aujourd’hui, cette écriture est accomplie », laissant l’assistance médusée : Cette bonne nouvelle d’être libérés s’adressait aux exilés de Babylone. Elle s’adresse aussi à eux, à nous.

 

DEUXIEME CHAPITRE : LES QUATRE CHANTS DU SERVITEUR

Nous allons rester avec le prophète Esaïe, car le second chapitre s’intitule « les quatre chants du Serviteur ». Ce sont quatre textes poétiques répartis en plusieurs endroits du livre du prophète, mais qui forment un ensemble cohérent. Notons au passage que, ce n’est pas anodin, Esaïe et Jésus signifient étymologiquement tous les deux « Dieu sauve ».

Dès le début du premier chant (42,1-19), on a le sentiment de lire une description de l’action et de l’enseignement de Jésus-Christ : « Voici mon Serviteur que je soutiens, mon élu que j’ai moi-même en faveur, j’ai mis mon Esprit sur lui ». ce verset et les suivants sont cités presque mot pour mot par Matthieu (12,18-21), juste après la guérison d’un homme à la main séchée : « Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé en qui je trouve mon bonheur».

On entend « une voix venue du ciel » reprendre ces mêmes parole lors du baptême de Jésus (Mt 3,17), et dans la bouche du vieillard Siméon bénissant le bébé Jésus (Lc 2, 30-32).

Le deuxième chant continue dans le même sens, quand le fameux Serviteur déclare (49,6) « Dieu m’a dit : je t’ai destiné à être la lumière du monde. Puis, le chant amorce le thème qui sera magnifiquement orchestré dans le troisième et surtout le quatrième chant : l’incompréhension que rencontre le Serviteur, et que rencontrera Jésus. Ces deux chants semblent une annonce prémonitoire de la Passion de Jésus Christ. Ils parlent du Serviteur « livré aux moquerie de la soldatesque ». Matthieu écrira (26,7 et 27,30) « Alors ils lui crachèrent au visage et lui donnèrent des coups ; d’autres le giflèrent ». Chez Esaïe, « le Serviteur apparait sûr de l’aide du Seigneur (50,7) : « Le Seigneur me vient en aide ; je ne cède pas aux outrages, j’ai rendu mon visage dur comme du silex, dit-il ». « Cette expression fait penser à ce passage de Luc (9,51) qui dit « Jésus durcit son visage », lorsqu’il prend la route pour Jérusalem en sachant très bien que la mort l’y attend.

Le quatrième chant du Serviteur (Esaïe 52,13-53,12) annonce tout à la foi la Passion et la Résurrection de Jésus le Christ…, en une sorte de dialogue entre les souffrances du serviteur et la promesse de son exaltation. « Voici que mon Serviteur réussira, il sera haut placé, exalté à l’extrême… ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées ». En termes de rituel juif, on peut dire que le Serviteur fait de sa vie « un sacrifice de réparation (53,10), il s’interpose pour les pécheurs (53,12) ». Et Jésus, « l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde »(Jn 1,29) fait de même.

Mais finalement, qui était donc ce Serviteur, chez Esaïe ?

Il existe actuellement quatre hypothèses :

  • Pour certains, le serviteur aurait été un roi de Judas ou d’Israël, ainsi Yoakim, qui s’avança tout seul au-devant de l’armée ennemie pour se livrer à elle, et dont la captivité dura trente-sept ans. Peu probable, car ce fut par ailleurs un roi impie.
  • Pour d’autres, le serviteur serait l’un des prophètes ;Jérémie notamment.
  • Pour d’autres biblistes, le serviteur serait le peuple juif dans son ensemble, messager de Dieu pour l’humanité entière.
  • Finalement, conclue Michel Barlow, aucune de ces trois hypothèses n’apparait pleinement satisfaisante. Le Serviteur est un personnage trop absolu pour avoir existé. Son portrait n’est sans doute qu’une réalité promise qui ne peut se réaliser qu’en Dieu. et c’est bien ainsi que le Serviteur est une image anticipée de Jésus le Christ dans sa vie terrestre, mais aussi dans sa réalité divine.

Les chants du Serviteur seraient donc un éloge du sacrifice rédempteur ?

Je cite l’auteur : « les Chants du Serviteur ont souvent été mis au service d’un théologie du sacrifice rédempteur du Christ : celui-ci se serait sacrifié pour obéir à une mystérieuse volonté de Père, afin de racheter le péché de l’humanité. L’aspect « marchand » d’une telle présentation heurte bon nombre de croyants aujourd’hui ? Une théologie de la « rédemption » induit des idées de Dieu proprement blasphématoires ! Dieu serait un créancier impitoyable à l’égard de l’humanité, un père infanticide à l’égard de Jésus, et un être vénal qu’on pourrait « acheter » au prix d’un sacrifice, à condition que celui-ci soit à la hauteur de sa majesté divine ! C’est, en gros, la position d’Anselme de Canterbury au XIIe siècle.

Pour notre part, poursuit l’auteur (et personnellement je le suis très volontiers), nous préférons penser que Jésus le Christ est d’abord l’homme d’une droiture absolue qui accepte consciemment le risque d’être mis à mort pour ne pas transiger avec ses convictions… et c’est bien en vertu de cette générosité héroïque que, par-delà sa mort corporelle, il ressuscite ».

Pour clore le parallèle entre le Serviteur du livre d’Esaïe et Jésus, l’auteur incite chacun à se demander en quoi le portrait du Christ qui transparait dans ces Chants du Serviteur interpelle notre réflexion, notre prière, notre action.

  

TROISIEME CHAPITRE : LE FILS D’HOMME

Le troisième chapitre explore l’énigmatique expression « fils d’homme » ou « fils de l’homme » qui est utilisée dans les deux testaments. On la trouve chez Ezéchiel et Daniel d’un côté, chez Matthieu de l’autre.

Ezéchiel et Daniel ne donnent pas le même sens à l’expression.

Chez Ezéchiel, on lit « fils d’homme » et non pas « fils de l’homme ». On pourrait remplacer « fils d’homme » par l’interjection : « Eh, toi ! », qui banalise la personne. Mais l’expression « fils d’homme » fait aussi appel à la dignité de l’homme auquel il est demandé de se tenir droit, debout, et non pas la face contre terre. Si Ezéchiel ne dit pas tout simplement, « toi, homme ! », c’est parce que la filiation « par le père » a une importance capitale dans la tradition juive : fils de. On voit bien que, chez Ezéchiel, ce « fils d’homme » est essentiellement humain.

L’auteur nous dit que « chez Daniel, la connotation de « fils d’homme » est tout à fait différente. Bien loin de souligner la banalité de l’humain, sa petitesse, elle désigne un personnage auréolé de toute la gloire divine…Dans le livre de Daniel, les juifs retenaient surtout les textes de type apocalyptique : pour eux l’expression « fils d’homme » était surtout l’annonce du Messie à venir ».

Il n’est pas sûr, nous précise Michel Barlow, que tous les auditeurs de Jésus aient bien compris ce rôle essentiellement spirituel du Messie, si l’on fait référence, par exemple, « aux disciples d’Emmaüs qui avaient espoir que Jésus serait celui qui délivrerait Israël de l’envahisseur … Cependant, dans ce qu’il est convenu d’appeler son « discours apocalyptique », aux chapitres 24 et 25 de Matthieu, le « fils de l’homme » apparait …sur les nuées du ciel dans la plénitude de la puissance et de la gloire.

Plus loin, lors de son procès devant le sanhédrin, Jésus répond sans ambiguïté, en employant les mêmes éléments de langage que Daniel, les nuées, le mouvement d’arrivée, la souveraineté, la présence de Dieu le Père. Il déclare en effet, au chapitre 26, verset 14 : « vous verrez le Fils de l’Homme siégeant à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel ».

L’auteur ajoute : on pourrait considérer que la promesse de « la plénitude de la puissance et de la gloire » (Mt 24,30) est la définition même du Fils de l’Homme, souverain du monde à venir.

 

QUATRIEME CHAPITRE : ZACHARIE

Le chapitre suivant tourne autour du prophète Zacharie. Si je dis tourne autour, c’est que la pensée de ce prophète n’est pas toujours simple à décrypter, dans la mesure ou ses chapitres sont truffés de citations de ses prédécesseurs prophètes et du Deutéronome. Ce quatrième chapitre est donc lui-même assez complexe, et j’avoue qu’il me sera difficile de vous le résumer. Cependant, il faut bien souligner que les évangiles font souvent référence à Zacharie.

Par exemple, lorsque Jésus que Michel Barlow appelle pour la circonstance, « le roi débonnaire et pacifique », entre triomphalement dans Jérusalem monté sur un âne. Matthieu en 21,4 cite Zacharie « Dites à la fille de Sion : voici que ton roi arrive à toi ; modeste, il monte une ânesse et un ânon, petit d’un bête de somme ». mais ce qui est intéressant, c’est que, comme toujours, dans le contexte de cette citation, Zacharie déclare, avec le prophète Sophonie, que c’est Dieu lui-même qui sauve son peuple de l’ennemi, non par les armes, mais en messager de paix : « Le roi d’Israël, le Seigneur lui-même est au milieu de toi », dit Sophonie. Les juifs qui acclament Jésus entrant dans Jérusalem l’ont-ils compris, interroge l’auteur.

Si vous lisez ce livre, vous découvrirez les autres parallèles entre Zacharie et les évangiles. Par exemple autour du verset « Ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé, ou à propos des trente pièces reçues par Judas dont l’auteur se fait en quelque sorte le défenseur, en affirmant que Judas n’a pas agi par cupidité.

 

CINQUIEME CHAPITRE : ELIE

Dans le dernier chapitre, l’auteur va nous démontrer, toujours textes bibliques à l’appui bien sûr, que la figure d’Elie est à la fois annonciatrice et antithèse de celle de Jésus. Elie, dans le deuxième livre des rois, on s’en souvient, avait été enlevé au ciel sur un char de feu. Il n’était donc pas mort !

Elie semble hanter toute la vie de Jésus. Dès le début de sa prédication, lorsqu’il déclare que nul n’est prophète en son pays, c’est à Elie qu’il pense, lui qui fut envoyé jusqu’à Sarepta pour rencontrer une veuve, alors qu’il y en tant chez lui. Et ses derniers mots sur la croix sont « Eli, Eli, lema sabaqthani ! » Matthieu précise en effet que certains spectateurs croient qu’il appelle le prophète. Beaucoup l’interrogent pour lui demander s’il est Elie.

Bien souvent dans les évangile, Jésus est plutôt l’anti-Elie, nous dit l’auteur.

  • Les miracles de Jésus sont toujours des actes de bienfaisance, alors que ceux d’Elie sont des malédictions. Il fait « pleuvoir le feu » sur une escouade de cinquante soldat (2R1,10).
  • Jésus est ouvert aux païens, doux et humble de cœur, alors qu’Elie égorge 400 prophètes de dieux païens.

Mais Elie est cependant précurseur de Jésus.

  • Elie commence par demander de l’eau à boire à la veuve de Sarepta dont nous parlions tout à l’heure, et Jésus demandera de l’eau à la Samaritaine.
  • Ensuite, Elie fait en sorte que la cruche de farine de la veuve ne désemplisse pas (1 Rois 17,16), il multiplie la farine, en quelque sorte. Jésus multipliera les pains.
  • Ailleurs, Elie refuse à son disciple Elisée de prendre le temps d’aller embrasser ses parents lorsqu’il lui demande de le suivre. Jésus refusera à un futur disciple de prendre le temps d’enterrer son père avant de le suivre.
  • N’oublions pas non plus, ajoute l’auteur qu’Elie et Jésus passent quarante jours et quarante nuit dans le désert.
  • L’auteur note aussi que lorsque le successeur l’Elie, Elisée, son alter ego, procédera à une multiplication des pains, il y aura des restes, comme après celle de Jésus au chapitre 6 de Jean. Les biblistes s’accordent pour dire que cette image des reste signifie que l’humanité entière est concernée.
  • Enfin,« l’enlèvement au ciel » d’Elie n’est pas sans analogie avec l’Ascension de Jésus. Pour Elie, la mise en scène est grandiose, avec le char de feu. Les circonstances de l’Ascension de Jésus sont présentées de façon plus sobre dans les Actes, au chapitre premier. Et puis, l’enlèvement d’Elie vivant est significatif d’un retour. L’Ascension de Jésus annonce également le retour de celui-ci.

On l’a vu : Elie est une figure annonciatrice du Christ par certains côtés, par d’autres il en est l’exacte antithèse. Qu’est-ce que cela signifie pour nous aujourd’hui, interroge Michel Barlow ? En guise de réponse, l’auteur nous renvoie à l’épisode où Elie prie sur le mont Horeb. « Ce n’est pas dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu que Dieu se manifeste, mais dans la brise légère. En relisant chaque soir sa journée, conclue l’auteur, rien n’est plus religieux sans doute que d’y chercher les traces, même les plus ténues, du Royaume qui vient ».

 

ALO: PRÉSENTATION DES LIVRES
17 janvier 2025

Atelier de Lectures Oecuménique du 16 janvier 2025

Comment ça va pas? Delphine Horvilleur Editions Grasset

Présenté par Cladie Ruet

 

Delphine Horvilleur est née en 1974 à Nancy et elle est rabbin de l’association judaïsme en mouvement. Elle a écrit de nombreux livres.

Ce petit livre contient dix chapitres, dix « conversations ». Il est dédié à ses trois enfants et « à tous les autres, ces ”Mensch” en devenir qui à Paris, Tel-Aviv, Gaza ou ailleurs… se relèveront de la haine et sauront être des bougies dans le noir. »

Les différentes conversations sont autant de conversations avec elle-même, ses racines et bien sûr une conversation avec le lecteur. Elles sont écrites à la première personne, les phrases sont généralement courtes et assez proches du style oral. Ce ne sont pas des discours, des sermons, rarement des analyses mais plutôt le partage de l’expérience concrète et presque viscérale d’être juive depuis le 7 octobre.

I – Conversation avec ma douleur

Ce premier chapitre commence par deux mots en yiddish1 : « Oy a brokh’ » cette expression et ses variantes, par lesquelles débutaient souvent les conversations dans l’enfance de D H, peuvent signifier « quelle malédiction ».

Elles « mêlaient toujours, et de façon paradoxale, le désespoir et l’humour, la conscience du drame et une certaine façon de s’en moquer. Elles constituaient ce qu’on appelle en yiddish du krekh’ts, un mot difficile à prononcer. (…) Il désigne la capacité très juive de savoir se plaindre avec humour. La puissance d’un sanglot qui pouffe de rire.

Mon oreille d’enfant en reconnaissait parfaitement la mélodie. (…) Elle disait dans cette langue mystérieuse que nous étions à tout jamais reliés à notre histoire. Ces quelques syllabes charriaient de vieilles légendes, transmises presque religieusement, de génération en génération : la conscience du malheur et le devoir d’y survivre, le souvenir de tragédies et le refus de se laisser raconter par elles. « Ecoute mon enfant, disaient-elles, voilà ce qui nous est arrivé, mais nous ne sommes pas « que » ce qui nous est arrivé… seulement ce qu’on en fera. »

Cette expression yiddish 1« oy a brokh’ » lui donnait, écrit-elle « une conscience d’appartenance non pas à un judaïsme dont je me fichais pas mal, à une tribu ou un groupe religieux, mais à une sorte de confrérie humaine : une fraternité de la poisse, une confédération internationale de pas-de-bol, dans laquelle quoiqu’il arrive je pourrais toujours m’engager. ( …) Enfant j’aimais l’idée de tout ce que le yiddish portait de notre grandeur passée, un héritage de loser qui nous offrait un certain pedigree, une capacité à rire dans cette langue de tout ce qui nous était arrivé. »

Elle poursuit : « En grandissant bien sûr j’ai appris à parler d’autres langues. Plus solides, plus conquérantes et j’ai laissé mon yiddish s’endormir.

Je me suis sentie suffisamment en sécurité et je me suis convaincue qu’à nous, évidemment, cela n’arriverait pas. J’ai imaginé que pour ma génération, à l’abri des menaces, cette langue serait moins pertinente. Les trompettes du « oy a brokh’ » resteraient silencieuses ou presque. Et si ça se trouve, mes enfants ne les entendraient plus du tout résonner. Bref je me suis raconté des histoires. »

Et elle raconte justement une histoire, une histoire yiddish bien sûr :

« L’histoire de deux juifs qui ont traversé ensemble bien des épreuves et des tragédies. Et puis la vie les a séparés. Ils se sont perdus de vue pendant des dizaines d’années. Jusqu’à ce que miraculeusement ils se retrouvent un jour totalement par hasard. Le premier dit à l’autre :

– Je suis tellement heureux de te revoir, Moishé. Mais dis-moi, que deviens tu ? Comment ça va ?

Sans trop y réfléchir, Moishé répond : bien !

– Mais sérieusement, Moishé, dis-m ’en davantage : Comment ça va ? en deux mots…

– En deux mots ?… Pas bien ! »

Bien… Pas bien. Cette histoire, évidemment, c’est la mienne. Depuis le 7 octobre 2023, je suis Moishé, moi et beaucoup d’autres. (…)

On me demande : – Comment ça va ?

Je sais bien que mon interlocuteur, par cette question banale, ne me veut rien de mal, et parfois même, juste du bien. Il m’interroge avec bienveillance ou naïveté, et il cherche à établir un lien, sans percevoir l’acuité de ma douleur.

« Bien », je lui rétorque et au suivant je dis « Pas bien ! »

 

II – Conversation avec mes grands-parents

Elle sait que cette conversation n’aurait jamais pu avoir lieu dans la réalité : « Mon grand-père juif français sauvé par les non-juifs et ma grand-mère juive apatride pas du tout sauvée par des non juifs … ne se seraient jamais parlé ainsi. » Son grand-père paternel était agrégé de lettres, amoureux de la grammaire, du style et de la littérature française. Sa grand-mère maternelle, originaire des Carpates n’a jamais parlé le français correctement. L’un lui demandait de ne pas parler yiddish, l’autre ne savait que parler yiddish.

De sa grand-mère, elle ne connaît pas le passé : « je devinais qu’une catastrophe l’avait rendue muette… comme je savais parfaitement que toute question sur cette catastrophe m’était interdite. » Elle la fait dialoguer avec son grand-père, deux expériences différentes d’être juif. Delphine H est elle-même divisée entre les deux : d’un côté l’assimilation au risque d’oublier ses racines, de l’autre l’attachement aux racines parce que rien d’autre n’est sûr.

« Quand grand-père parlait de la France, glorieuse et résistante, il en offrait un récit de gratitude éternelle. Il devenait alors le parfait juif français, celui qu’on appelait jusque récemment un israélite. L’israélite est un patriote dont le judaïsme est affaire de discrétion absolue, et de pratique exclusivement domestique. Mon grand-père fut ce marrane de la République, un juif parfaitement assimilé, comme on en fait plus. Dommage diront certains. Personnellement, je n’en suis pas si sûre. La pratique juive des israélites, si discrète, presque invisible, cachait sans doute une peur profonde, la crainte de n’être jamais l’épouse légitime d’un pays adoré, de rester pour toujours sa maitresse clandestine, celle qu’on renie forcément un jour pour mettre à l’abri son foyer. La dette à la patrie abritait un peu de ce doute existentiel. Cette gratitude extrême était le vêtement flamboyant qui drape avec beaucoup d’élégance des angoisses et des douleurs bien juives : la peur de ne pas être aimé autant qu’on aime. ”

III – Conversation avec la paranoïa juive

La conversation fictive entre les grands-parents trouve un écho dans la réalité :

« Depuis le 7 octobre 2023, autour de moi, le monde se remplit de gens qui mènent, à peu près, la même conversation que la mienne, avec leurs parents vivants ou leurs grands-parents morts. Se multiplient des dialogues, conscients ou refoulés, avec les générations passées. Ça surgit dans les têtes et dans les rêves, dans les synagogues ou même sur des divans de psychanalystes. Ça parasite des pensées en pleine journée ou ça hante des cauchemars, nuit après nuit. Et moi je, je passe un temps fou à écouter des récits qui font écho les uns aux autres, des résidus de traumatismes hérités.

-“Madame le rabbin, j’ai besoin de vous parler” , me disent-ils…

– “Mon père/mon grand-père (au choix) me disait toujours : “ça reviendra et ne t’imagine pas que t’es à l’abri de la catastrophe…” Moi bien sûr, je n’y ai jamais cru. Vous pensez qu’en fait il avaitraison ? »

Ou alors :

– “Ma mère/ma grand-mère (au choix) me disait toujours : “Ne t’inquiète pas, le monde a compris maintenant. Tu peux être tranquille.” Vous croyez qu’elle avait tort ? Vous pensez qu’elle m’a menti ? ”

On lui confie aussi d’autres dialogues, bien actuels :

“Là, la police toque à la porte de mon appartement et elle me dit : “Et si vous enleviez tout de suitel la Mezouza qui est accrochée là ? Et euh… sinon, y a pas moyen de changer votre nom sur la boîte aux lettres ? Ça ne prendrait pas plus de dix minutes et ça rassurerait beaucoup vos voisins.”

J’écoute et je tais évidemment mes propres conversations, celles que j’ai avec mes enfants bienvivants ou avec mes grands-parents tout à fait morts. Je ne raconte surtout pas la visite de la police chez moi, ni leur suggestion d’utiliser dorénavant des pseudos pour réserver un taxi ou une table au restaurant. »

Elle rapporte ses propres angoisses, “Je ne leur dis pas à quel point je suis devenue paranoïaque, ni de quelle manière j’ai fini par voir des “juifs” partout. Pas des gens “juifs”, mais le mot “juif”. Depuis le 7 octobre, s’est renforcé chez moi un étrange phénomène hallucinatoire, à la fois visuel et auditif.

(…) C’est grotesque, je sais. Pourtant je ne suis pas la seule à souffrir de cette pathologie hallucinatoire. Des amis m’en parlent, eux aussi. Et je sais que bien des générations passées ont manifesté les mêmes symptômes : des auteurs, des intellectuels, des poètes. Albert Cohen, par exemple, le raconte dans son livre autobiographique O vous, frères humains. Il témoigne de ce jour anniversaire de ses 10 ans, où un camelot sur un marché l’a traité de “sale youpin” et il reconnaît ce fut que l’impact de cette insulte sur sa vie : “ depuis ce jour du camelot je n’ai pas pu prendre un journal sans immédiatement repérer le mot qui dit ce que je suis, immédiatement, du premier coup d’œil. Et je repère même le mot qui ressemble au terriblement mot douloureux et beau, je repère immédiatement suif et juif et en anglais je repère immédiatement few, dew, jewel. Assez. »

Assez, écrit Cohen qui sait bien que ce ne sera jamais assez. Ni pour lui, ni pour les autres. Cette hallucination paranoïaque fera encore et encore retour dans nos vies. Elle reviendra tout simplement parce que ce qui la déclenche ne disparaîtra jamais. (…)

Celui qui n’est pas héritier de cette peur ne peut comprendre ce qu’elle convoque, ni ce qu’elle provoque. ”

Elle est aussi témoin de cette incompréhension au sein de couples mixtes, y compris chez des gens qui dit-elle “se sentaient si peu juifs”.

Elle conclut : “Voilà. Le constat est sans appel. La peur s’est réveillée en même temps que tous nos fantômes. (…) Ça nous oblige à revisiter tous les récits qui nous ont construits, à déconstruire des légendes familiales, des narratifs à l’ombre desquels on s’est si longtemps abrité. »

Et donc elle relit l’histoire de sa famille, elle confie : “J’ai toujours su que je grandissais à l’ombre de deux histoires que tout oppose, à cheval sur deux récits inconciliables. Sur la faille, entre ces deux mondes, j’ai tenté de trouver ma place, et j’ai cherché des atouts pour ne trahir ni les uns ni les autres.

Je comprends aujourd’hui que pendant toutes ces années, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire résonner plus fort la première voix, celle de la confiance, pour qu’elle l’emporte sur la seconde, celle du désespoir.

J’ai construit des ponts et à mon tour, ouvert des écluses. J’ai écrit des livres, et tenu des paroles d’ouverture, et j’ai fait de mon monde, y compris de mon judaïsme, le lieu de toutes les rencontres, le terreau de tous les dialogues avec l’autre.

Mais… Mais… Voilà que depuis quelques semaines, Mémé a repris de la vigueur. »

Et Mémé se met à chanter, non pas une berceuse yiddish, mais un refrain de Claude François “Donna donna donna donna…” puis elle passe au yiddish avec la complainte d’un petit veau ligoté au fond d’une carriole qui le conduit à “Pitchipoï, le terminus de toutes les carrioles”.

Et dans son dialogue imaginaire, Delphine H interroge sa grand-mère : “Pourquoi les paysans n’arrêtent jamais la carriole ? Tu crois qu’il n’y a jamais personne dans l’histoire pour sauver les petits veaux ? » et la grand-mère de répondre : “il y a quelqu’un qui peut sauver le petit veau, c’est donna donna donna.”

et elle explique :

– On ne sait pas s’il existe. On ne sait même pas s’il entend nos prières. SI ça se trouve il ne répond pas parce qu’il ne parle pas le yiddish, ce shmok ! (…)

– De DIeu ? Tu parles de DIeu, Mémé ?

– Mais non. Ça, c’est les goys qui l’appellent comme ça, ceux qui croient en lui… Nous les yids, les jyifs, on lui donne toujours un autre nom. Parfois on l’appelle ADONAI, mais comme on est un peu intime avec lui et que ça fait très longtemps qu’on lui parle et qu’il s’en fout, alors on lui donne des petits noms mignons. “

Et la grand-mère chantonne “Adonai adonai… ” et explique : “la chanson en yiddish (…) elle dit que personne ne viendra sauver le petit veau. (….) C’est sûr, Dieu pourrait le sauver. (…) Mais si Dieu intervenait dans l’histoire, ça se saurait, non ?”

Mémé a continué à chantonner en yiddish et moi je me suis concentrée très fort pour ne pas pleurer. (…) Tout faire pour que ne lâchent pas les digues du monde, celles qui empêchent le chagrin de nous engloutir. »

 

IV – Conversation avec Claude François

Ce chapitre est court, petite pause avant le chapitre suivant plus difficile.

Avant Claude François, c’est son grand-père que DH convoque : il explique doctement une particularité de la grammaire hébraïque : le « crochet renversant ». C’est une lettre, VAV, qui placée avant un verbe en inverse la temporalité : le futur devient un passé et vice-versa. Et c’est la grand- mère qui en décrypte la portée : « la grammaire de l’hébreu, elle dit qu’il y a un lien entre ce qu’on a vécu dans le passé et ce qui se passe aujourd’hui. » et de revenir à Claude François : « c’est là qu’il dit en sautillant : « et ça s’en va et ça revient, c’est fait de tout petits riens »… Ah ah ah, tu vois bien  qu’il parle de l’antisémitisme. Tu crois qu’il s’en va, mais toujours il revient ».

 

V – Conversation avec les antiracistes.

… Mais Il est encore beaucoup question d’antisémitisme. Selon Delphine H, la haine antisémite « n’est pas faite comme les autres. La preuve si vous êtes raciste, si vous haïssez par exemple les Noirs, les Chinois, les roux ou les haltérophiles, c’est immonde et pitoyable. Mais cette haine-là ne vous donnera à priori aucune explication du monde. Elle ne vous permettra pas de comprendre ses crises, son empoisonnement ou sa déliquescence. Elle ne résoudra aucun de vos doutes existentiels. Alors que l’antisémitisme a des arguments publicitaires beaucoup plus puissants et c’est pour cela qu’il se vend bien : « approchez messieurs-dames (…) En haïssant les juifs, vous détiendrez une solution à tous les malheurs de la planète, ainsi qu’un détachant hyper-efficace pour se débarrasser de toute responsabilité personnelle, et pour en charger un autre. Grâce à cette haine gratuite ou presque, vous gagnerez instantanément un savoir en économie mondiale, en géopolitique et même parfois une expertise virologique très fiable. Vous comprendrez pourquoi le marché s’effondre, la banque Rothschild tire les ficelles des lobbies mondiaux, les médias confisquent la vérité et le COVID se propage. Surtout vous saurez à qui profite le crime. »

Elle cite à nouveau le camelot qui a insulté Albert Cohen (2) le jour de ses 10 ans en lui disant : « sale youpin… ça roule sur l’or et ça fume de gros cigares pendant que nous on se met la ceinture, pas vrai messieurs dames ? tu peux filer on t’a assez vu, tu n’es pas chez toi ici, c’est pas ton pays ici (…)

Allez, file, débarrasse voir un peu le plancher, va voir un peu à Jérusalem si j’y suis »

Elle remarque au passage qu’au temps de Cohen, on disait aux juifs d’aller à Jérusalem et que maintenant on leur dit plutôt d’en partir.

Elle distingue aussi une évolution récente : racisme et antisémitisme étaient souvent liés, et combattus ensemble.

« Aujourd’hui paradoxalement c’est souvent au nom de son antiracisme qu’il (le camelot antisémite) harangue le chaland. Sur son stand il y a de la défense de la veuve et de l’orphelin en pagaille, du souci du pauvre et défavorisé et c’est cette haute conscience du destin des malheureux qui l’autorise à haïr en toute légalité et dignité, à cracher au visage d’un enfant juif (…) « Mais ça n’a rien à voir, crient les bonnes âmes. C’est juste antisioniste, on n’en veut pas aux enfants juifs mais juste aux enfants israéliens » Ah, ça va, alors, ceux-là sont forcément coupables… »

Elle insiste : « Le racisme et l’antisémitisme doivent et devront toujours être combattus avec la même vigueur. Tolérer l’un au nom de l’autre est une infamie. »

Mais elle pense cependant qu’il s’agit de deux structures mentales différentes :

« Prenez le raciste, par exemple il dit généralement : « Je ne suis plus ou mieux que toi. Car tu n’as ni la bonne nationalité ni la bonne culture. Ta civilisation n’est pas à la hauteur de la mienne. »

L’antisémite exprime lui quelque chose d’un peu différent. Sous la forme d’une question il demande au juif : « Pourquoi es-tu là où j’aurais dû être ? Pourquoi as-tu ce que j’aurais dû avoir ? Accès au pouvoir, à l’argent, à la terre, à la chance… (…) Là où le raciste souffre d’un complexe de supériorité lui se vit au contraire comme un amoindri, un amputé. «

Quittant les définitions un peu générales, elle revient à la situation post 7 octobre : « je me souviens d’un temps (…) où pour beaucoup d’entre nous il était clair que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ne faisait qu’un. (…) Mais je me sens étrangement beaucoup plus seule aujourd’hui.

Il y a tant de gens autour de nous qui sont persuadés que la mobilisation aux côtés des uns revient à manquer d’empathie pour les autres. »

C’est ce qu’elle a douloureusement expérimenté dans les manifestations contre l’antisémitisme auxquelles certains de ses « amis » se sont abstenu de venir, avec de « bonnes raisons » que ne comprend pas DH. Elle poursuit : « Aujourd’hui la haine contre les juifs s’alimente, de façon paradoxale, de l’antiracisme affiché. On fait un raccourci génial : soyons du côté des faibles, des victimes et des vulnérables. Le problème est que dans le catalogue des faibles, il y a beaucoup de monde… mais les juifs n’apparaissent nulle part. (…)

C’est comme si, même blessés ou morts, ils restaient riches et puissants. »

 

V I – Conversation avec Rose

Ce chapitre est d’une autre tonalité, il nous fait rencontrer DH dans son activité de rabbin, au chevet d’une mourante ou aux obsèques d’un ami.

Rose va bientôt mourir… Atteinte d’une maladie qui la laisse complétement paralysée, elle ne communique qu’avec un doigt qui tape sur un écran un message qui est ensuite prononcé par une voix synthétique, « une voix de GPS » pour DH. « Au départ, les rôles étaient clairs, chacune savait parfaitement jouer sa partition. Je demandais de ses nouvelles, je l’interrogeais sur le déroulement de sa semaine. Je m’inquiétais de son corps et de ses pensées. Bref, j’étais le rabbin et elle, la malade. Je faisais ce que j’ai souvent eu à faire : accompagner des mourants en tentant de placer la juste distance, celle que procure ma fonction. Elle dit à celui qui y fait appel : à travers moi, s’exprime une tradition bien plus grande que moi. Cette sagesse me précède et me survivra, et si elle vous parle en cet instant à travers mon corps, c’est qu’elle me traverse, comme elle vous a traversé. » Ainsi se noue et se poursuit le dialogue entre Rose et DH.

Et puis est arrivé le 7 octobre… DH précise : « Nous est arrivé » le 7 octobre. « La mort nous a percutées violemment, mais pas telle que nous l’attendions. L’histoire juive nous a rendu visite autrement, avec ses deuils et ses fantômes, et le sentiment de se prendre de plein fouet la réverbération du passé. Soudain il n’était plus question de la mort de Rose mais de celle d’un monde. Notre conversation a brusquement basculé. »

DH évoque alors l’accompagnement d’un autre mourant, Marc, un ami. Malgré sa douleur et sa grande proximité avec la famille de cet homme jeune, DH tient bon. « J’ai dû anesthésier un peu ma souffrance pour remplir ma fonction. » Mais à la fin des obsèques, un inconnu s’approche d’elle et lui murmure : « J’imagine que ça n’a pas dû être facile pour vous ! » Elle reçoit la phrase de cet inconnu en plein cœur : « En une phrase, on venait d’arracher mon costume, de soulever l’armure mentale qui me protégeait. »

Et elle revient au 7 octobre : « Après le 7 octobre, dans nos conversations hebdomadaires et dans tous les emails échangés avec Rose, s’est produit, sans que je m’y attende, un phénomène similaire. Rose m’a démasquée. »

La relation devient symétrique et le rabbin et la mourante sont alors selon les mots de DH « Humain vulnérable face à un humain vulnérable. « Femme que la mort visite » en conversation avec une « femme que la mort visite. »

Alors elle évoque le psaume 23, que dans la tradition juive on chante pour ceux qui souffrent. « On prête à ses mots un pouvoir presque magique. Ils disent : « Dussé-je traverser la vallée de la mort, je n’aurais pas peur, parce que tu serais avec moi. »

Et elle explique : « Selon la tradition, le « tu » de ce verset, qui marche à nos côtés dans les vallées du désespoir, n’est autre que le divin qu’on imagine nous accompagner dans la nuit terrifiée de notre solitude. Ces dernières semaines, en accompagnant Rose, il m’a semblé que nous murmurions continuellement ces mots l’une pour l’autre. Car dans la vallée de la mort qui nous entourait, aucune de nous n’était indemne et aucune de nous n’était seule. (…) Il me semble aujourd’hui que Rose et le 7 octobre ont fait de moi une autre femme peut-être ; un autre rabbin sûrement. »

 

VII – Conversation avec mes enfants.

On poursuit donc dans le registre de l’intime… avant de retrouver celui de la dénonciation de l’antisémitisme.

Quand arrive le 7 octobre, d’abord elle ne dit rien à ses enfants : « Je les ai laissés sur leurs écrans, en espérant que l’algorithme tiendrait à distance les images de la violence du monde. C’était idiot de ma part.

Parce que très vite, ils ont tout vu de ce que j’aurai voulu qu’ils ne voient pas. Et des questions sont arrivées. Mes enfants, chacun à sa manière, avec les mots de son âge, m’ont demandé de leur expliquer la même chose : Dis maman, pourquoi ça recommence ? Et pourquoi c’est à nous, les juifs, qu’on jette la première pierre ? »

Elle imagine alors pouvoir leur répondre par une série télé, qui s’appellerait « il était une fois… l’antisémitisme ». Elle nommerait le héros Schloumiel qui désigne en yiddish le malchanceux, le maladroit…. Schloumiel parcourt donc les siècles, accusé de tout et son contraire : il est trop riche, trop pauvre, haïssable quand il est errant et encore plus quand il revendique une terre… il a diffusé la peste et pourquoi pas le covid… « Hier il était la femme manipulatrice. Aujourd’hui il est l’homme dominateur. » DH raille les militantes féministes : « Voilà comment il devient vraiment compliqué pour les militantes féministes, les pauvres, de dénoncer les massacres du 7 octobre. Peut-être que les femmes violées, assassinées ou brûlée vives étaient un peu trop masculines pour être défendues. Peut-être que le féminin est aujourd’hui symboliquement du côté palestinien, même quand les terroristes se livrent à des crimes sexuels. » Elle poursuit son ironie acide – ou amère – envers les féministes.

Elle répond à une pseudo objection : « Mais qu’en est-il de la colonisation ? Du drame des Palestiniens ? N’est-il pas temps de reconnaître leur souffrance ? » me hurle-t-on, comme si je n’étais pas d’accord avec cela. Mais quel rapport ? La douleur et l’injustice dont ils sont victimes et qui exigent réparation font-elles de tous les Israéliens, sans distinction, et par extension de tous les juifs, des puissants ? Font-elles des assassins d’enfants, et des violeurs de femmes du Hamas, l’incarnation du sexe dit « faible » ?

J’ai beau depuis des années, appeler avec force à la reconnaissance des droits des Palestiniens et à une solution à deux Etats, rien n’y fera. Car au bout du compte, c’est précisément cette force qui me sera reprochée. Le signe de la puissance juive ! Encore elle.

Accuser les juifs d’être puissants est une constante de l’Histoire. Elle n’a pas attendu l’existence de l’Etat d’Israël, ni la conquête de territoires après 1967 pour être fantasmée. Nous sommes toujours perçus comme ceux qui ont ce que d’autres ne parviennent pas à avoir. »

Le chapitre se termine par une anecdote émouvante : son fils lui envoie une petite vidéo filmée par un copain au stade : DH y voit son fils faire une passe très habile, applaudi par ses amis… Mais ce qu’elle voir surtout, c’est : « au bout d’une chaine dorée, son étoile de David sortie du T-shirt dansait dans les airs à la vitesse de ses déplacements sur le terrain. »

Au retour du garçon, un dialogue s’engage entre la mère et le fils : « Tu sais ce que tu aurais de mieux à faire ? Retirer de ton cou ton étoile de David ; j’aimerai bien que tu l’enlèves, quelques jours ou quelques semaines seulement, juste le temps que les choses s’apaisent un peu ? Tu veux bien, dis ? » Mon fils m’a regardée droit dans les yeux, Il s’est approché de moi doucement et il m’a prise dans ses bras. Ensuite il a murmuré à mon oreille : « Pas question maman, je la garde. » Mon enfant m’a donné une leçon (…) Et je me suis sentie terrorisée, angoissée, bouleversée, mais incroyablement fière. »

 

VIII – Conversation avec ceux qui me font du bien.

Elle pense à ceux et celles qui lui font du bien, et avoue : « J’ai fini par comprendre combien j’avais besoin de m’entourer de gens qui se savent hantés. Des êtres qui accueillent les fantômes de leur histoire et les font parler dans ce qu’ils disent, écrivent, composent, chantent ou construisent. J’ai besoin de m’entourer de ceux qui savent ce qu’ils doivent à leurs revenants, et qui ne font pas comme si le passé était passé. »

Parmi ces interlocuteurs amicaux qui la « sauve de la noyade » elle site en premier Wajdi Mouawad.

« Lui est hanté par la guerre au Liban. Ses fantômes se sont installés dans sa vie pendant son enfance, au moment où sa famille comprenait qu’elle ne serait jamais installée nulle part. (…) Peu de gens parlent aussi bien des fantômes que lui. Ils rodent dans tout ce qu’il écrit et met en scène. (…) d’ailleurs ils le suivent partout, même quand il est loin du théâtre. (…)

Elle le rencontre dans un café, après le 7 octobre :

« Et c’est là qu’il m’a dit que parmi toutes les haines, il savait bien qu’il y en avait une très particulière, une sorte de haine fondamentale, une détestation des juifs qui est, de son point de vue, la mère de toutes les autres. Il m’a dit que ses parents avaient planté en lui beaucoup d’amour, de tendresse et d’affection, mais qu’ils avaient aussi semé sur sa terre intérieure les graines de la plante empoisonnée. Il m’a dit qu’il savait que cette végétation poussait en lui, prête à grandir et même à donner des fruits terrifiants. Mais il a ajouté qu’il avait décidé d’assécher le terrain : ne plus arroser, ni placer d’engrais sur ce marécage. (…) Ce qu’il disait était si puissant et courageux qu’il m’a semblé que tous les fantômes assis à table avec nous, les siens et les miens, et même ceux qui passaient par là par hasard, ont fait silence. »

Elle cite une autre rencontre, organisée par une journaliste, avec Kamel Daoud.(3) Elle se remémore tous les fantômes présents : « il y avait les siens venus d’Algérie, les miens venus d’Europe de l’Est, et ceux du Proche-Orient qui se débrouillent toujours pour prendre plus de place que les autres. Je me suis demandé dans quelles langues ils allaient tous pouvoir se parler, et si eux aussi céderaient à la compétition victimaire. « J’ai plus souffert que toi… » « Non, c’est moi… »

Kamel a pris la parole et les a tous fait taire, avec une éloquence à nulle autre pareille. Les douleurs de l’Algérie ensanglantée, les 200 000 morts de la décennie noire étaient bien là. Ils nous rappelaient qu’on parle finalement très peu d’eux. »

Il a aussi cité Mahmoud Darwich, poète palestinien, qui disait aux juifs : « Savez-vous pourquoi nous sommes célèbres nous autre palestinien ? Parce vous êtes nos ennemis (…) Si nous étions en guerre contre le Pakistan, personne n’aurait entendu parler de nous. »

Kamel Daoud a ensuite évoqué « Le rhinocéros », la pièce de Ionesco : « La rhinocérite aujourd’hui, c’est l’antisémitisme ambiant. »

Les rhinocéros renvoient DH au livre de la Genèse : au 6e jour, apparaissent les hommes et les animaux (les rhinocéros) et on peut se demander ce qui les différencie : la différence, c’est que l’homme seul est capable de nommer le monde. « Or donner des noms aux choses, écrit DH, c’est prendre en partie la responsabilité de ce qu’elles deviennent. Sans ce travail du langage, on est toujours un rhinocéros. Quand les mots n’ont plus de sens, le monde nous défigure. »

DH reprend sa réflexion pour tenter de comprendre « ce qui a rendu le juif détestable ou maudit, pour tant de penseurs chrétiens ou musulmans ». Pour elle, cette haine s’enracine dans le rapport à l’origine. « Comme il est complexe d’accepter qu’il y ait eu quelque chose avant soi ! » dit -elle. Les chrétiens ont affirmé pendant des siècles qu’ils étaient le « verus Israël » l’enfant chéri, fidèle au message originel, celui par qui passerait l’alliance dont les clauses avaient été renégociées dans un Nouveau Testament. (…) le juif premier-né, déicide et perfide, avait trahi la promesse ancestrale. …il faudra attendre Vatican II pour que s’écrive une autre histoire. » Quant aux musulmans, il leur fallut penser l’influence du judaïsme sur leur prophète…

« S’il y eut quelqu’un avant moi, que dois-je alors à celui qui m’a précédé et sans doute influencé ? Pourvu que je ne lui doive rien du tout… sinon je serai en dette. Et y a-t-il plus exaspérant que de se savoir endetté ? A oui, il y a le fait de ne pas être à l’origine de soi-même. (…) Une horreur. Parce qu’alors, s’il y eut un autre avant moi, plus rien n’est pur, et surtout pas le début. (…) On comprend évidemment combien cette idée a de quoi exaspérer les fondamentalistes, et toutes les orthodoxies confondues. Celles-ci s’érigent toujours sur le mythe de la pureté, des pratiques, des coutumes et surtout des origines. » (…) Quant aux juifs, « Le judaïsme aussi est en dette. Il est l’enfant de sa rencontre avec les Egyptiens, les Chaldéens, les Cananéens, les Perses, les Sumériens et tant d’autres. … Mais quelle aubaine, tous ceux-là ont disparu, ou presque ! »

Sa réflexion sur l’origine la conduit à « l’origine du monde », le tableau de Courbet. Elle s’interroge :

« Et si en fait le problème venait de là ? Moins dans la volonté de tuer le père que dans la haine de la mère, de la matrice du monde ? (…) Et si on reprochait précisément aux juifs d’être un trou dans les consciences, qu’on ne veut ni voir, ni connaître ? (…)

Puis elle revient à la Genèse : le calendrier juif est basé sur la lecture de la Genèse, « il y eut un soir, il y eut un matin » et il fait commencer le jour au coucher du soleil. « Voilà ce que les fondamentalistes et les haineux refuseront toujours d’accepter. Il y eut une nuit avant leur naissance et le jour avait déjà commencé avant eux. (…) Et ce refus de ce qui précède n’est pas sans lien avec leur haine de l’autre et surtout des juifs, ce trou noir de leur histoire. »

 

IX – Conversation avec Israël

DH nous apprend, et elle en semble elle-même étonnée, qu’elle prend des leçons de boxe, pour apaiser son stress. Et le chapitre est sous le signe de la boxe. Elle en reprend le « droite, gauche », qu’elle transpose dans le champ politique qui lui semble avoir changé de repères. Elle écrit

« L’esquive est partout et le langage se prend de sacrés uppercuts. Moi, par exemple, j’avais l’habitude, sur les réseaux sociaux, d’être une « sale gauchiste, trop libérale, qui manquait de respect aux traditions ». Je m’y étais faite. Et là, je ne comprends plus rien. L’arbitre a dû changer, parce que soudain je suis devenue une « raciste, sioniste, complice de génocide. » Elle laisse percevoir que ce n’est pas forcément facile à vivre, même avec une bonne dose d’humour.

Mais la boxe la conduit à un combat biblique : celui de Jacob. On connait l’histoire : Jacob a un frère jumeau, Ésaü. L’un a la peau lisse, il est doux, fragile, il est le préféré de sa mère, l’autre Esaü est roux, couvert de poils, il est fort, il n’a peur de rien. Jacob s’enfuit, mais alors qu’il se prépare à rentrer, il combat toute la nuit contre… un ange, un homme, un rêve ? Au matin, Jacob l’emporte, mais il est blessé à la hanche. Désormais il sera boiteux. Et son adversaire le bénit : « Dorénavant, tu ne t’appelleras plus Jacob mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et tu as vaincu. »

Et DH en conclut : « l’enfant fragile devient l’homme capable de vaincre, non parce que son corps est intact mais parce qu’il se sait abîmé. » Elle poursuit « toute l’histoire juive ou presque se joue entre des états et des identités. Pendant des millénaires, les juifs furent Jacob, fragiles et vulnérables, à la merci de tous les Etats de l’Histoire, qui les ont chassés ou assassinés, sur des terres où ils aspiraient à se poser. (…). Ils ont dû tenter de se défendre par d’autres moyens, en jouant sur les mots, les alliances ou les savoirs. (…) En 1948, un pays s’est érigé sur l’idée saugrenue et bouleversante d’un match retour. Un « plus jamais ça » qui ferait de Jacob, l’Israël en devenir. Son narratif serait celui d’un combat, non pour vaincre mais pour survivre, et c’est ce récit sacré qui accompagne depuis ses débuts le projet sioniste d’une souveraineté juive. »

Mais le 7 octobre, « il a semblé à beaucoup d’entre nous que le combat ancestral de la Genèse se rejouait, mais à rebours. Israël est soudain redevenu Jacob, en plongeant dans une nuit terrifiante. (…) Et ce pays à la hanche déboitée et au corps ravagé n’a pas été protégé par sa puissance militaire, économique ou stratégique. »

DH revient sur le sermon qu’elle avait prononcé devant sa communauté pour le Yom Kippour, le 24 septembre. « J’ai parlé, ce jour-là, du danger que court Israël chaque fois qu’il se sent infaillible, chaque fois qu’il se croit installé et pleinement légitime dans sa propriété ou son plein droit, chaque fois qu’il oublie le visage d’un autre qui lui fait face. Il piétine alors l’histoire juive et les leçons de la vulnérabilité. Devant toutes ma communauté réunie au jour le plus solennel de l’année juive, je pointais du doigt la politique du gouvernement israélien en place, son arrogance, et l’hubris de force et de puissance qu’il cultive, par la voix de certains ministres. (…) A mon sens le judaïsme n’est jamais affaire de puissance. Cela ne signifie nullement qu’il est condamné à la faiblesse, mais qu’il est fort d’une capacité constante à composer avec sa vulnérabilité. Il propose, comme Jacob qui devient Israël, de faire avec tout ce qui est bancal et de s’appuyer sur la faille pour en faire le lieu de sa résilience. De sa survie. (…)

Si Jacob ne devient pas Israël, alors il devient Esaü, un homme de la force qui ne connait qu’elle, et ne vit que par elle, un homme qui idolâtre la terre et soumet ses habitants. Moi petite juive de la diaspora, héritière des Jacob boiteux de l’Histoire, je regarde ce pays que j’aime, et je redoute par- dessus tout son « Esaü-isation. Je voudrais tant qu’il sorte de cette nuit autrement. Transformé par sa blessure. »

Je ne sais pas quel nom gagnera le vainqueur, ni même s’il y en aura un. Qu’aura-t-il appris de sa force ? Se sentira-t-il invincible, ce qui serait la pire chose qui puisse arriver ? Ou trouvera-t-il la sagesse, à partir de tout ce qui se sait brisé en lui, de construire une société juste ?

 

X – Conversation avec le Messie

DH reprend sa conversation, non pas avec le Messie, mais avec sa douleur, « ma douleur se nourrit de tous ses désespoirs, de ces deuils infinis d’Israël, de ces cris de mères palestiniennes, de toutes ces vies brisées dont il faudrait pouvoir raconter une à une l’histoire. Des salopards voudraient nous forcer à une surdité partielle, au nom du contexte, de mémoires sélectives ou de dettes identitaires. Il faudrait n’entendre que les voix qui hurlent d’un côté ou de l’autres. (…)

Elle sait qu’il n’existe pas de solution facile et immédiate, que le cessez-le-feu n’est pas une solution s’il ne préserve pas l’avenir des uns et des autres : « Comment assurer aux Israéliens qu’ils seront protégés demain contre une nouvelle attaque que le Hamas leur promet de mener ? Comment préserver les Palestiniens d’un leadership islamiste qui les empêchera toujours de s’émanciper ? Comment libérer la Palestine de ceux qui l’instrumentalise et la violentent, en affirmant précisément la défendre ? Comment sauver Israël d’un gouvernement en déliquescence politique et morale, qui se perçoit comme seul légitime et fidèle au judaïsme ? »

Elle se sait totalement impuissante, mais il est un domaine où elle veut résister et combattre, celui du langage : « Avec tant d’autres je cherche les mots, ceux qui diraient vraiment aux Palestiniens ET aux Israéliens que jamais leur douleur ne me laissera indifférente, que l’on peut et l’on doit pleurer avec les uns ET les autres. Mais le propre de la guerre est d’assassiner le langage. » Ce que dénonce ici encore DH c’est de réduire le langage à des slogans, des prises de positions manichéennes ou d’en déformer l’écoute, pour le caricaturer.

« Toutes les positions mesurées sont soudain prises en otage, » écrit-elle « Depuis le 7 octobre, je voudrais tant les retrouver. Mais le langage fait défaut… précisément parce qu’il inclut des « mais » qui nourrissent un peu plus la douleur des uns et des autres. »

Elle cite ces phrases articulées autour d’un « mais » : « Le 7 octobre furent commis des actes ignobles, MAIS… le sort des enfants de Gaza est terrible MAIS… »

« Tous les « mais » ne font que « piétiner les responsabilités des uns et des autres ». Dans cette réflexion sur le langage et la conjonction « mais » intervient la voix du grand-père grammairien, qui lui rappelle « Mais où est donc Ornicar ? » Et il lui demande : Qui est cet Ornicar attendu depuis si longtemps ? »

DH décide alors de nommer ainsi son espoir, son rêve de paix. « Je l’imagine, planqué quelque part. Tellement bien caché qu’il reste introuvable. (…) On le rend un peu plus introuvable encore, à chaque fois qu’on place des « mais » dans nos phrases, à chaque fois qu’on ne parvient plus à pleurer la douleur d’un autre, en nous tenant à ses côtés, tout simplement. En laissant tomber le contexte, juste le temps de la pleine empathie avec des Hommes. «

Mais où est donc Ornicar ?

 On l’attend, exactement comme on attend le Messie : en mettant soigneusement en place les conditions de sa non-venue. (…) Et plus on parle de lui, et moins on a de chances, évidemment, de le voir apparaitre. »

Et les discours eschatologiques fleurissent actuellement dans les religions monothéisme, les évangéliques soutiennent Israël pour hâter le retour du Messie, les juifs ultra-nationalistes sont prêts à reconstruire le Temple, l’Islam radical rêve du retour du Califat… « Tous menacent de mettre le monde à feu et à sang, au nom de leurs textes et de leurs croyances. Peu importe qu’ils puissent être lus et interprétés autrement. (…) A ce rythme-là, Ornicar n’est pas près de venir. Ceux qui prient pour sa venue sont clairement ceux qui la retardent le plus efficacement. »

Et DH explique au passage que Messie est un mot hébreu qui veut dire « oint » et elle ajoute l’apport de la tradition juive : « Mesiah’ signifie aussi en hébreu « être en conversation ». Le Messie est donc celui qui sait y prendre part, ou peut-être celui qui l’attend, cette conversation, celui qui viendra uniquement quand elle aura eu lieu. A défaut de parler, aucune rédemption n’est possible.

Et si tel était le précisément le défi qui nous est lancé aujourd’hui : celui de la relancer ? Trouver le chemin d’une conversation qui pourrait nous sauver, d’un dialogue que la guerre, la peur ou les certitudes ont interrompu. »

Elle conclut ce petit livre de « conversation » sur deux anagrammes : elle reprend le OY YAE qui ouvrait souvent la conversation dans sa famille et elle remarque que ce « Quel malheur » peut être l’anagramme de YEOVA, le nom de Dieu que les juifs refusent de prononcer. « C’est comme si l’expression profane de notre douleur abritait toujours une leçon de théologie ou de politique. La catastrophe raconte, littéralement, le divin inversé. Les lettres s’emmêlent, les mots perdent leur sens, même les plus sacrés, et alors la tragédie surgit. (…) Ce que l’on croyait sacré s’effondre et plus rien n’a de sens. (…) En inversant les lettres, la louange s’éclipse et le monstrueux apparaît. »

Le livre se clôt par la citation d’un poète palestinien et il s’était ouvert par celle d’un poète israélien. « Si ce livre ne devait servir qu’à une chose, j’aimerai que cela soit à permettre leur conversation ou à la poursuivre. L’un s’exprime en arabe et l’autre en hébreu. Quelle importance ? Ces deux termes (arabe et hébreu) sont (en hébreu) eux aussi de parfaites anagrammes. Ils s’écrivent très précisément avec les même lettres … un seul et même mot entrelacé. (…)

Dans les mots des deux poètes, » il n’y a pas de « mais » ni de haine éternelle. Il y a une invitation à un autre messianisme. Pas celui qui précipite la fin du monde et nous mène droit à la catastrophe, mais celui qui dit, au contraire qu’il existe un avenir pour ceux qui pensent à l’autre, pour ceux qui dialoguent les uns avec les autres, et avec l’Humanité en eux. »

 

1 Le Yiddish est une sorte de patois protéiforme, un jargon qui agglomère autant d’allemand que de russe ou d’hébreu, écrit DH2

2 Albert Cohen 1895 – 1981 l’auteur de Belle du Seigneur, Solal…

3   1970 Kamel Daoud naît à Mesra, au nord-ouest de l’Algérie.

      2014 Meursault, contre-enquête, inspiré de L’Etranger, d’Albert Camus, obtient le prix Goncourt du premier roman 2015.

      2023 Il s’installe en France. ; 2024 Houris, prix Goncourt

ALO: PRÉSENTATION DES LIVRES
13 décembre 2024

Atelier de Lectures Oecuménique du 12 décembre 2024

 

 “Les chrétiens et la violence“

de Jean Lasserre, publié en 1965 (Editions Olivetan)

Présentation

 G. Bécheret

Les chrétiens et la violence

Jean Lasserre (1908-1983)

Jean Lasserre , né en 1908, entreprend des études théologiques à Paris entre 1926 et 1930. Il part pour une année d’études à New-york; il fait la connaissance de Dietrich Bonhoeffer avec lequel il se lie d’amitié. En 1934, il devient un pasteur de l’ERF dans les paroisses ouvrières comme Saint-Etienne après s’être vu refuser,  dans un premier temps, par le synode, la consécration du ministère pastoral: il avait pris la défense d’un objecteur de conscience alors incarcéré. 

En 1939, malgré ses idées pacifistes, il rejoint son régiment, la mort dans l’âme, « sachant très bien qu’(il) trahissai() (s)on Maître » et soutient la résistance..

A la Libération, il accepte d’être un avocat commis d’office pour la défense des collaborateurs: il réussira à en sauver un de la mort mais sera contraint d’assister à l’exécution des autres : ce sera pour lui un épreuve extrême et une expérience décisive dan son combat contre toutes les violences, notamment  contre la peine de mort.

En 1953, Jean Lasserre a 45 ans. Il publie un premier livre de théologie de la paix « La guerre et  l’Evangile »  qui va « réveiller » beaucoup de chrétiens indifférents, passifs, fatalistes face aux bruits de guerre. Il y défend la thèse de « l’objection de conscience »

En 1957, il renvoie son livret militaire comme 6 autres pasteurs surtout pour appuyer le projet de statut légal des objecteurs de conscience .

Toute sa vie est orienté vers l’action civique non-violente: En 1961, il soutient par un jeûn les réfractaires à la guerre d’Algérie et devient secrétaire du Mouvement International de la Réconciliation dans la lutte contre la guerre d’Algérie et dans le combat contre la torture.

A partir de sa retraite, il organise des rencontres annuelles d’études théologiques sur le thème «  Théologie et non-violence ».

En 1965, une sélection de ses conférences donne naissance à son deuxième livre « Les chrétiens et la violence »

Dans sa préface, Frédéric Rognon écrit:

Ce livre reste partiellement marqué par son époque: la seconde guerre mondiale, les guerres d’Indochine et d’Algérie sont encore proches ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Bien des paramètres ont changé : l’abolition de la peine de mort et de la conscription en France, l’implosion de L’Union Soviétique, et la fin de la guerre froide, les conflits militaires menés par les Etats conte des organisations terroristes  internationales….

Ce livre est très dense. Je ne l’ai pas entièrement résumé mais ai choisi quelques chapitres qui peuvent nous interpeller actuellement.(*1)

Dans son prologue, Jean Lasserre explique qu’Il  se limitera à la question de la violence physique dont le geste de Caïn est bien le type élémentaire de la violence commise sur l’être humain et à la position de l’Eglise qui dit depuis 15 siècles qu’il est honorable d’être à la fois soldat et chrétien.

 

L’ouvrage est divisé en 3 parties:

 

la 1ère partie  s’intitule « L’ÉVANGILE ET LA VIOLENCE »,

 divisée en 4 chapitres .

Ce sera la partie la plus importante de mon exposé:

 

1er chapitre: Jésus était-il le Prince de la paix?

Jésus, à travers les prophéties messianiques de l’Ancien-Testament, est annoncé comme celui qui détruirait la guerre et ramènerait la paix mais pourquoi ne trouvons-nous aujourd’hui aucun accomplissement des prophéties de paix? 

Lorsqu’on parcourt le Nouveau Testament, nous retrouvons un écho fidèle des prophéties: les anges de la nuit de Noël chantent « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée! » (Luc 2. 14), ou bien Jésus dit »je vous donne ma paix » (Jean 14. 27); ce n’est pas seulement la paix de Dieu mais la paix avec les frères.  En mourant, Jésus dit : »tout est accompli »  .  Jésus est  mort en croyant et en proclamant qu’il avait tout parachevé, y compris la paix de Dieu . Se serait-il trompé, lui aussi?

Les écrivains chrétiens des 3 premiers siècles affirment que les prophéties  de l’ Ancien-Testament sont réalisés; Certes, il y aura toujours des guerres jusqu’à la fin de ce monde; mais ce sont les païens qui les font et qui, en les faisant, montrent qu’ils sont païens. Or les disciples de Jésus sont appelés à être les témoins, les signes et les artisans de la paix du Christ. 

Pourquoi les chrétiens n’ont ils pas continué sur la lancée des premiers chrétiens? car, la paix semble un rêve plus que jamais irréalisable. 

Pourquoi les chrétiens n’ont ils pas incarné efficacement la paix du Christ parmi les hommes? croyons-nous vraiment que Jésus était le Prince de Paix?

 

Nous voici au 2 ème chapitre de la 1ère partie, Jésus et la violence

– Jésus a été victime de la violence pendant la Passion.

Puisque la foule a préféré à Jésus, Barabbas, homme de sang, résistant considéré comme terroriste, puisqu’elle lui a préféré César, empereur romain, distributeur de la peine de mort au non-violent qu’est Jésus; puisqu’elle lui a préféré Pilate, officier romain, le plus terrible ennemi du peuple juif: est-ce que la chrétienté, tout comme la foule de Jérusalem, ne continue pas de préférer, à la non-violence de Jésus, la soi-disant virilité des hommes de sang », des durs, des forts?

Et pourtant, ce sont deux hommes de sang qui ont les premiers, discerné dans la mort du Christ la victoire éternelle de Dieu vivant, la victoire finale de l’amour sur la haine, et de la violence sur la non-violence: le deuxième brigand dans Luc 23 v 42 et le centenier dans Marc 15.v39 ou Luc 23. v 47.

Enfin, dans quel groupe devrions-nous nous ranger en tant que chrétiens?

Dans celui qui dit comme Barabbas, Pilate et les prêtres de Jérusalem : »ta mort sera ma vie » ou dans celui qui dit, comme Jésus: « ma mort sera ta vie »?

Pour Jean Lasserre, Le vrai homme est celui qui, à l’image de Jésus, aime jusqu’au bout. Il devra être un non-violent à l’image du Maître

– Car Jésus n’a jamais été violent 

Jésus ne s’est jamais battu, n’a jamais répondu aux coups et aux injures, interdisant à ses compagnons de prendre les armes pour le protéger. Sa miséricorde n’exclut aucunement une grande vigueur spirituelle et une ardeur que l’on retrouve dans quelques discours ou apostrophes virulents (Mt 23). Il a invité ses disciples à le suivre sur ce chemin de douceur et de la patience.

Mais Jésus n’a t-il pas légitimé la violence?

Jean Lasserre  met en avant 4 textes du Nouveau Testament qu’on lui soumet pour neutraliser la condamnation que Jésus semble bien avoir portée sur la violence.

1er texte: Jean 2, v15 nous décrit le geste de Jésus chassant les marchands du Temple avec un fouet:

Ce récit est embarrassant pour les non-violents mais aussi pour ceux qui le prennent au sérieux.

Jean Lasserre nous livre les réflexions que tout un chacun pourrait émettre: 

1) Jésus a été fouetté ; 

mais l’horreur que nous inspire ce châtiment n’est-il pas atténué par la considération que lui-même a su se servir d’un fouet? 

2) S’il est normal de se servir d’un fouet pour chasser les animaux,

n’est-ce pas manquer de respect  que de s’en servir pour chasser des hommes? N’y a t-il aucun mépris dans le geste du Sauveur

3) Israël était une gérontocratie et le Temple était certainement rempli de vieillards.

Jésus qui avait 30 ans a t-il levé la main sur eux et n’a t -l pas respecté le 5ème commandement?

4) Les marchands avaient certainement obtenu le droit d’ installer leur commerce.

Pourquoi Jésus ne s’en est il pas pris aux autorités qui avaient accordé ce droit? n’a t -il pas été un peu injuste en frappant les marchands.?

Jésus n’a t-il pas contribué à créer du désordre par son geste perturbateur ?

5) Jésus aurait eu donc recours à la force contre des hommes pour une question de l’ordre spirituel.

N’aurait-il pas commis une confusion entre l’ordre temporel et l’ordre spirituel, en mettant la force au service de la religion?

 

Comme toutes ces observations sont gênantes, Jean Lasserre va se tourner vers le texte original en grec: 

On n’y trouve justement pas la conjonction « ainsi que », laquelle implique que Jésus aurait chassé les marchands « ainsi que » les animaux.

Voici le texte grec original: 

« Et ayant fait un fouet avec des cordes, il chassa tous du Temple les brebis et les boeufs ». Les mots « les brebis et les boeufs » explicitent quels sont ces « tous » que Jésus a chassés. 

Jean Lasserre pense que sa traduction est la seule qui ne soit pas incohérente: La grammaire et le bon sens s’accordent pour exclure le prétendu usage du fouet pour chasser les commerçants.

2 ème texte : Matthieu 8, 5-13: La rencontre de Jésus avec le Centurion: 

Jésus n’a pas reproché au Centurion son métier de soldat: serait-ce l’ indice qu’il ne voyait pas de contradiction entre la condition de soldat et l’obéissance à la foi? Dans ce texte, au contraire, Jésus pratique la non-violence à l’égard d’un ennemi. Il approuve la foi de ce soldat mais rien ne permet de supposer qu’il aurait approuvé la profession de cet homme.

3 ème texte:  Marc 12, 13-17

« rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »

Jésus approuverait-il le partage entre les deux règnes temporel et spirituel?

Or, est-ce que tout n’est pas à Dieu? Ce qui est à César, c’est la pièce de monnaie. Mais tout le reste est à Dieu et surtout les hommes créés à son image.

Ainsi, Jésus ne justifie pas ce partage entre deux domaines dont Dieu n’aurait revendiqué qu’un seul.

4ème texte : Luc 22; 35-38

Jésus aurait il recommandé à ses disciples de s’acheter une épée? 

Pour Jean Lasserre , Jésus ne parle pas d’une épée réelle; il emploie une image. Jésus prévient ses disciples qu’ils vont vivre des moments difficiles et résister aux assauts du Malin ; comme toutes les images employées par Jésus, il ne faut pas les prendre à la lettre.

D’ailleurs pourquoi blâmer Pierre de s’être servi de son épée et de terminer en disant « tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée » (Mt 26,52)

il est impensable que Jésus ait envoyé ses disciples à la mort.

Jean Lasserre conclut en affirmant que Jésus n’a ni pratiqué ni recommandé la violence.

 

Après avoir mentionné la fidélité des chrétiens des 3 premiers siècles, Jean Lasserre va exposer dans le 

3ème chapitre: l’hérésie constantinienne, le changement important opéré au cours du 4ème siècle dans le comportement de l’Eglise face à la violence meurtrière.

En quelques mots, voici ce qu’en dit Jean Lasserre:

Pendant les 3 premiers siècles, la règle était le refus du service militaire, et d’être un juge. 

3 raisons: 

– les cérémonies païennes rendues à des faux dieux, 

– l’immoralité qui règne dans l’armée (Luc 3. 14) 

– et le fait qu’un chrétien ne peut verser du sang humain. 

L’incompatibilité entre le métier d’armes et la foi chrétienne était alors clairement affirmée.

Dès le 4ème siècle, renversement complet:

Le métier de soldat est accepté par la masse des fidèles et ce sont les objecteurs de conscience qui vont être excommuniés de l’Eglise.

Jusqu’à l’époque de la rédaction de ce livre en 1965, les chrétiens vivaient sous l’ emprise de cette 2ème tradition. Cependant, il y a eu des objecteurs de conscience dans la plupart des pays chrétiens, Saint François d’Assise, les Mennonites dès 1793,  les Quakers, le curé d’Ars etc…

Alors pourquoi ce revirement?

Un fait historique: 

en 312, l’empereur Constantin se convertit.

en 313, il publie l’édit de Milan qui accorde la liberté religieuse et met fin aux persécutions des chrétiens.

en 314, l’empereur (notez le bien) convoque les évêques à un synode à Arles:  seront excommuniés « les soldats qui jettent leurs armes en temps de paix, ou qui se révoltent contre leurs chefs ».

La conséquence est très grave: la souveraineté du Christ est perdue.

Du crédo primitif « Jésus Christ est le Seigneur », on a substitué ce credo restrictif : Jésus Christ est notre Seigneur » c’est-à-dire de l’Église (et non de l’état), des chrétiens (et non des païens et des fonctionnaires de l’état)

D’où des déformations du message chrétien:

1) – sur le plan théologique, l’Église, la Tradition, la Papauté, la Vierge deviennent de grands seigneurs 

  – sur le plan éthique, ce sont César et son empire qui deviennent de grands seigneurs.

2) Désormais, dans la théologie chrétienne, l’état est conçu comme autonome par rapport à l’autorité du Christ;

3) il en résulte un dédoublement redoutable de la morale chrétienne: le chrétien obéit à Jésus Christ dans sa vie privée mais obéit à l’état dans sa vie civique. Ce dédoublement sert à justifier tous les crimes et toutes les violences que les chrétiens et les Églises elles-mêmes ont commis.

4) la théologie chrétienne introduit du coup de nouveaux principes: la fin justifie les moyens ou le principe d’efficacité.

5) dernière conséquence: c’est le dédoublement de la personnalité de la personne humaine: on passe de la moralité évangélique à la loi de la jungle

 

Puis, Jean Lasserre développe longuement le 

4ème chapitre:  le paganisme et la guerre 

Le propre de tous les paganismes est d’asservir l’homme aux tendances profondes de sa nature charnelle: tout l’art du paganisme consiste à exalter l’instinct combattif (dont il ne faut pas avoir honte), en le trompant par mille subterfuges: l’équipement, les galons, les médailles, les défilés et la phraséologie parlant de vertus, de grandeur et de gloire. Le dieu Mars se sert de tout pour alimenter et multiplier son triomphe et entraine tout dans son sillage, tout sauf Jésus-Christ  qui a vaincu ce paganisme là. 

Pour le dieu Mars, le plus cruel, le plus fort triomphe; 

Jésus-Christ lui espère que nous croirons dans la victoire de sa croix.

Que font les chrétiens? Ils servent Dieu et Mars chacun dans son domaine.

Pour Jean Lasserre, il faut que l’Eglise revienne à sa première tradition.

 

Nous abordons maintenant la 2ème partie intitulée 

« VRAIS ET FAUX RÉALISMES »

divisée en 5 chapitres

 

Dans le 1er chapitre, le chrétien et l’état, 

Jean Lasserre pose la question de la soumission aux autorités. Jusqu’où peut-on obéir?

 Pour Jean Lasserre, on ne peut obéir à l’état que dans la mesure où les ordres reçus de lui ne  paraissent pas contraires aux exigences de l’Ecriture, à ce qui est mal aux yeux de Dieu.

 

Mais le  2ème chapitre , l’état et la violence pose la question suivante:

Une société qui ne connaitrait aucun pouvoir de contrainte, ni aucun recours à la force, ne serait -elle pas vouée au chaos et à l’autodestruction? 

Pour Jean Lasserre, le pouvoir de la contrainte physique est indispensable dans une société tant qu’il ne dépasse pas une certaine limite d’intensité ou de violence; au-delà, cette contrainte ne protège pas la justice, mais l’injustice.

Alors où placer cette limite entre contrainte légitime et violence illégitime?

Pour Jean Lasserre, la limite à ne pas dépasser sur un curseur de 0 à 100 est 

entre 20 et 30. La limite est le respect de la personne humaine

A 40, c’est le passage à tabac

A 60, c’est la torture, qui pour la victime est un supplice. 

A 80, c’est la peine de mort

A 100, c’est la guerre.

 

Le 3ème chapitre est consacré entièrement à La peine de mort:

Nous avons vu combien Jean Lasserre a été marqué par l’épreuve d’assister à la mise à mort de collaborateurs de la dernière guerre.

Il se demande comment un chrétien pourrait-il parler de la peine de mort sans évoquer d’abord cette croix sur laquelle Jésus Christ a subi le châtiment suprême?

Jésus totalement séparé de son Père, « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné »?(Mt 27, 46)

Totalement séparé des hommes.

Pour Jean Lasserre, Jésus Christ s’est identifié à tous les condamnés à mort de l’histoire humaine depuis Abel.

Lorsque Jean Lasserre voit un condamné à mort, il discerne en lui la présence du Christ, dont l’agonie continue jusqu’à la fin du monde.

Comment les hommes ont-il osé faire mourir leur Sauveur?

Pilate a cédé à la pression de la foule et des grands-prêtre.

N’arrive-t-il pas aujourd’hui que la justice soit influencée par un groupe de pression, par la presse?

Dès que la justice se donne le droit d’infliger la peine capitale, elle franchit une limite. Dieu ne veut pas la mort du pêcheur mais qu’il se convertisse et vive (Ez 18.23)

Dans le passage de la femme adultère, Jésus confirme la légitimité de la peine de mort selon la loi de Moïse MAIS il la remet en question si celui qui la prononce n’est pas digne de le faire parce qu’il est lui-même pêcheur.

Seul Dieu est maître de la vie et de la mort.

Ainsi, la peine de mort est une anticipation insensée, un acte impie par lequel l’homme préjugeant  la décision du Maître, devance son retour et prend sa place de Juge; il nie le retour du Seigneur en gloire.

Pour Jean Lasserre, un chrétien qui consent ou participe à une exécution capitale, montre qu’il ne croit pas que Jésus a expié les péchés des hommes sur la croix.

 

Ensuite Jean Lasserre consacre le 4ème chapitre à La guerre.

dont il distingue 4 types :

1) la razzia,

2) la guerre nationale présentant 4 aspects:

  • affaire d’hommes (on ne s’attaque pas aux civils)
  • un front mobile entre 2 camps
  • une certaine moralité: pas de coups bas, tentatives d’humanisation avec la Croix Rouge
  • affaire religieuse avec autrefois la chevalerie du M-A et maintenant, l’aumônerie militaire

3) la guerre totale avec Guernica en 1937

  • civils attaqués
  • plus de front 
  • l’aspect religieux est étouffé par l’aspect industriel qui permettra à la puissance la plus pourvue de l’emporter.
  • moralité militaire disparait: instrument du pouvoir politique pour briser les grèves, les protestations populaires, ou neutraliser les « suspects ».

4) la guerre atomique depuis 1945

Jean Lasserre se demande quand une autorité spirituelle se dressera contre un gouvernement? Quand dira-t-elle « la guerre que tu mènes est injuste »? 

 

 

Enfin le 5ème et dernier chapitre « Pour une vraie défense nationale », développe ce pour quoi Jean Lasserre a milité.

La population doit se former à la non-violence, à la résistance passive, par des boycotts, par des grèves générales, des campagnes de désobéissance civile par vagues successives ; nous en connaissons des modèles: Gandhi, Martin Luther King…

Est-ce une utopie? 

Pour Jean Lasserre, c’est le vrai réalisme parce que c’est une conception qui prend Jésus-Christ au sérieux. Et la survie de l’humanité est à ce prix.

 

Enfin, Jean Lasserre termine par la 3ème et dernière partie intitulée : 

UNE RÉVISION DÉCHIRANTE

 

Il explique en 10 thèses Le fondement christologie du pacifisme tel qu’il a été décrit dans les Evangiles:

 

1) La morale chrétienne est une morale de l’action de grâces car le Christ m’a sauvée.     

Puis-je rendre grâce en tuant?

2)Elle est une morale de communion. la communion avec les frères est liée à la communion avec le Père du ciel.      

En tuant, je refuse mon amour à ceux que je tue et je me sépare de Jésus Christ.

3)L’obéissance du chrétien est une obéissance du dialogue: obéir à Jésus Christ, c’est un dialogue quotidien avec Lui , étant inspiré par l’Esprit Saint sur mes actes personnels ou dictés.       

Un chrétien peut-il oser affirmer que le Christ lui a commandé de tuer?

4)La morale chrétienne est non-violente:

si Jésus Christ a renoncé à la violence,    ne dois-je pas être à sa suite un non-violent? 

5)Elle est une morale de la victoire car le Christ est ressuscité, victoire sur le péché et la mort.    

La victoire des violents est le contraire d’une vraie victoire comme celle du Christ.

6)L’obéissance du chrétien est une obéissance au Roi, car le Christ est monté au ciel. Notre obéissance concerne toutes nos activités qui ne lui sont pas indifférentes.  

Si nous entrons dans le système de la violence, croyons-nous au Christ monté au ciel et à son règne sur le monde?

7)L’obéissance du chrétien est une obéissance dans l’Église car le Christ m’a implanté dans son corps qui est l’Église:   

 En tuant des chrétiens ou des incroyants, travaillons-nous à l’Évangélisation du monde ? ne saccageons nous pas l’unité du corps du Christ?

8)La morale selon l’Évangile est une morale de témoignage de la Bonne Nouvelle à travers nos engagements, car le Christ nous a envoyés.    

En pratiquant la violence, proclamons-nous la puissance ou l’impuissance du Christ? Ne sommes-nous pas alors les témoins de l’inutilité de Jésus-Christ

9)La morale chrétienne est une morale de l’espérance car le Christ reviendra pour juger les vivants et les morts.     

Ce n’est pas à l’homme de préjuger ce qui est l’ivraie et le bon blé.

10)La morale chrétienne est une morale de charité car le Christ nous a aimés pour que nous aimions les uns les autres.

 Or, la violence nous entraine dans une situation où il n’est plus possible d’aimer ses ennemis. 

 

Alors comment protéger les nôtres par des moyens autres que la violence?

Jean Lasserre propose la lutte non-violente, attitude évangélique qui n’est ni passive, ni lâche, qui n’abdique pas.

1)   Elle est fondée sur la discrimination entre le crime et le criminel: 

Jésus a toujours distingué le péché et le pêcheur.

2) Elle considère l’adversaire comme un homme avec lequel un dialogue est possible. 

Jésus nous en a donné des exemples

3)   Elle fait appel à la conscience de l’adversaire, 

comme Jésus en a fait appel dans ses rencontres avec la Samaritaine, Zachée….etc

4)  Elle implique nécessairement une désobéissance précise aux lois de l’adversaire sans le menacer. 

Jésus a pratique cette désobéissance non violente (le Sabbat), la fréquentation des gens impurs par la loi, de mauvaise vie.

5) Elle demande d’être prêt à supporter la souffrance sans l’infliger à ses adversaires: 

Jésus s’est offert en connaissance de cause aux dures épreuves qui l’attendaient

6)  Elle se déroule toujours sous le signe de la vérité, jamais par ruse: 

Jésus a dit »Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37); il a toujours agi dans ce climat de vérité transparente.

7)   Elle se vit dans l’humilité 

comme Jésus qui n’a pas chercher à écraser ses adversaires.(Jn 18.23, « si j’ai mal parlé, fais voir ce que j’ai dit de mal; et si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? »

8) Elle consiste à aimer son adversaire comme Jésus l’a dit et a vécu.

(Lc 6. 28) « aimez-vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous outragent »

Pour Jean Lasserre, la non-violence est l’attitude la plus proche de l’Évangile.

 

Dans son dernier chapitre Jean Lasserre demande Une Nouvelle Réformation:

Le 20ème siècle est celui de l’oecuménisme dont Jean Lasserre se réjouit.  

Mais ce mouvement s’il veut être sérieux et aboutir à un authentique unité spirituelle des chrétiens, ne devrait-il pas déboucher sur un vrai pacifisme? sinon, la prétendue recherche de l’unité sonnera un peu faux .

Le 20ème siècle est aussi le siècle du retour à la Bible.

Mais ne faudra-t-il pas en venir à étudier enfin le problème de la participation du chrétien à la violence et à la guerre dans une perspective biblique, à la lumière des exigences de l’Ecriture?

 

Enfin, Jean Lasserre pense que le moment est venu pour les églises d’entreprendre une révision:

La première Réforme s’est bâtie autour du premier commandement, en proclamant « Sola scriptura, Sola gracia, Sola fixe, Sola Christus, Soli Deo gloria »

La Nouvelle Réformation devrait se construire autour du deuxième commandement en s’appuyant sur la redécouverte de la seigneurie de Jésus Christ sur la totalité de la vie humaine et la restauration de l’amour du prochain.

 

En conclusion, Jean Lasserre a contribué à son époque de façon essentielle à défendre la position des pacifistes chrétiens dans l’esprit des Béatitudes de Jésus, évangile de Matthieu 5, 9 « Heureux ceux qui procurent la paix car ils seront appelés fils de Dieu ».

 

 

 

(*1) : Les extraits du livre de Jean Lasserre apparaissent tous en italique

 

Dialogue fictif entre Jean Lasserre et Dietrich Bonhoeffer

présenté à l’occasion de la conférence internationale de Church and Peace

à la  communauté de l’Arche de Lanza del Vasto qui a eu lieu du 19 au 22 mai 2011

en parallèle avec le Rassemblement Oecuménique International de Kingston en Jamaïque

par le pasteur Hans Häselbarth

 

 Jean Lasserre et Dietrich Bonhoeffer
Deux témoins du message de la paix


Deux « Pères dans la foi » nous sont présentés ici, l’un français et l’autre allemand.
Ils ont fait connaissance dans les années trente du siècle dernier alors que tous deux étaient étudiants boursiers au « Union Theological Seminary », faculté de théologie protestante new-yorkaise. L’un des thèmes principaux de leur dialogue fut le Christianisme face à la question de la violence. Il est utile de comparer leurs réflexions d’alors avec les positionnements des chrétiens dans le dialogue actuel.

 

1.Éléments biographiques
(B) Jean, mon ami, quelle joie de te rencontrer aujourd’hui à l’Arche de Saint-Antoine. Nous avons vécu ensemble pas mal de choses intéressantes à l’époque, dans les années trente. Je pense à des conversations inoubliables jusque tard dans la nuit, à New York. Je ressentais une profonde unité entre nous qui étions tous deux théologiens européens. Le roman de Erich Maria Remarque « à l’Ouest rien de nouveau », écrit en 1929, a inspiré ces conversations, ainsi que le film si cruel tiré du livre que nous avons regardé ensemble et dont nous sommes ressortis très secoués. Je me souviens avoir essayé de te consoler sur le chemin du retour…

(L) A cette époque, nos convictions pacifistes se sont approfondies. Nous fûmes amenés à reconnaître que la foi devait avoir plus d’autorité que le vieux patriotisme, plus d’autorité que les paroles de la Marseillaise : « Allons enfants de la patrie… »

(B) Et plus d’autorité que ce que nous chantions : « Deutschland, Deutschland über alles », car c’est bien plutôt ceci que nous devrions chanter : « Guide nos pas sur le chemin de la Paix » (Richte unsere Füße auf dem Weg des Friedens, Mennonitisches
Gesangbuch numéro 481).

(L) En dehors de ces discussions, nous avons aussi vécu de très beaux moments ensemble. Te rappelles-tu nos aventures en route vers le Mexique dans cette bagnole toute brinquebalante? Et l’étonnement des étudiants à Viktoria, lorsqu’ils entendaient un Allemand et un Français leur parler d’une seule voix?

(B) Tu m’as pour la première fois entraîné de ma théologie luthérienne vers une théologie davantage pratique, me rendant attentif à l’importance d’une obéissance plus radicale au commandement d’amour. C’était pour moi comme une conversion qui alla bien plus loin que je ne le pensais au départ. Plus tard, lorsque j’étais en prison, j’ai vu en toi un véritable saint ! C’est toi qui as inspiré mon livre « Vivre en disciple – le Prix de la grâce ». J’ai appris à porter un regard nouveau sur le sermon sur la montagne. Oui, tu as éveillé en moi le désir de saisir toute l’actualité de la grâce divine.

(L) J’étais certainement inspiré par mes profs à Paris – par exemple par Wilfried Monod – qui m’avaient appris à aimer les Béatitudes et à les considérer comme le fondement même de l’Evangile. Quant à moi, à cette époque, j’étais plutôt timide et réservé, mais toi, tu m’as encouragé à venir avec toi, en 1934 à Fanö au Danemark à la conférence œcuménique des jeunes où tu as prononcé ton discours sur la paix.
Tu disais : « Il n’y a pas de paix possible sur la voie de la sécurité, car la paix est une audace, c’est une aventure qui ne va pas sans risques. La paix, c’est le contraire de la sécurité. Donner priorité à la « sécurité » signifie méfiance qui à son tour entraîne la guerre. » Mais à ce moment-là, bien peu nombreux étaient ceux qui comprenaient cette vérité ! Pour ma part, ce qui comptait, c’était l’idée que le corps du Christ, et même l’ensemble de la famille humaine, ne soit pas détruit par les idéologies nationalistes. Nous nous sommes engagés pour l’objection de conscience, ce qui à cette époque, était encore une idée scandaleuse. Nous affirmions aussi qu’aucune guerre ne devrait jamais être qualifiée de « sainte ».


(B) La même année, je t’ai rendu visite dans le bassin minier, à Bruay en Artois. Tu vivais parmi les ouvriers. Cela aussi a contribué pour moi à un approfondissement de la question sociale et confirmé mon vœu d’être au côté des ouvriers et des
pauvres dans mon travail pastoral.

(L) Et il y a eu enfin cette visite de ta part dans notre chalet familial des Houches dans la vallée de Chamonix où je passais mes vacances. Ce fut notre dernière rencontre. À la date du 17/18 août 1932 tu as écrit dans notre livre d’or : « Dietrich Bonhoeffer, de Berlin, remercie de tout cœur pour deux journées magnifiques et inoubliables passées au sein de la famille de son ami Jean, au fil desquels j’ai ressenti ce que l’on peut appeler une atmosphère de profonde communion ». 3 Puis la guerre a éclaté et nous ne nous sommes plus jamais revus. Avec l’aide d’un soldat allemand du nom de Heinrich Gellermann, j’ai encore essayé, en pleine guerre, de te faire parvenir un courrier … C’est avec gratitude, mon cher ami, que je me rappelle nos différentes rencontres!

2. Nos entretiens sur le thème du témoignage en faveur de la paix

(B) Tous les deux, nous représentons une éthique politique fondée sur le Christianisme. Oui, le Sermon sur la Montagne doit être normatif pour notre vie. C’est ce que j’ai essayé de souligner dans mon livre sur la vie de disciple. Il ne nous faut pas prendre au sérieux les choses « dernières » – le Royaume de Dieu – seulement, mais aussi les choses « avant-dernières », ce qui est utile à l’être humain aujourd’hui. Dans mon livre sur l’éthique je pars aussi de la conviction que nous Chrétiens
sommes en mesure de mettre en pratique la politique de l’Evangile même si par là-même nous faisons quelque chose d’extraordinaire, que le monde ne comprend pas vraiment.

(L) Nous ne pouvons accepter de dédoubler notre vie du point de vue moral, c’est-à-dire de faire une distinction entre vie privée et vie politique. Le Christ nous veut tout entiers et ce n’est que dans cette unité que nous sommes crédibles. Cela doit se manifester particulièrement dans notre refus rigoureux de la violence, de la guerre et de la vengeance. Nous croyons en Jésus-Christ, prince de la paix – même si, précisément dans ce domaine, nous lui avons été trop souvent infidèles. L’Eglise ne peut pas supprimer la violence, mais elle peut cesser de légitimer la violence et la guerre.

(B) Tu nous as présenté l’image de Jésus dans sa passion, « Ecce Homo », de manière si vivante et tu l’as comparée avec notre idéal de virilité et d’héroïsme.

(L) Jésus nous a donné l’exemple de la non-violence absolue. Dans le Nouveau Testament, il n’y a pas un seul message qui contredise cette affirmation, pas même Jean 2 verset 15 qui évoque la purification du temple. Jésus ayant fait un fouet avec des cordes chasse les animaux du temple, mais naturellement pas les personnes. Et lorsqu’avant son arrestation il recommande d’acheter des épées, il ne s’agit pas non plus d’un appel à la violence. Il faut comprendre cet ordre au sens figuré. Jésus veut dire : la crise est imminente ! Non, l’obéissance de Jésus au commandement d’amour était absolue! Et à nous non plus, rien d’autre n’est permis.

(B) Tu as mis en évidence que les chrétiens des trois premiers siècles prenaient la non-violence très au sérieux. J’ai été très frappé par la liste des professions que (1) ceux qui demandaient le baptême n’acceptaient pas à l’époque, comme par exemple le service militaire et la prostitution4. Tu parles aussi de « l’hérésie constantinienne », à partir du IVème siècle, lorsque le Christianisme est devenu religion d’Etat. C’est là que tu situes le déclin de l’Eglise. Ni toi ni moi ne sommes historiens, mais il me semble que sur ce thème tu as brossé un tableau sans nuance.
Il y a certainement eu dans l’empire romain influencé par le christianisme, des personnes qui ont mis leur foi en pratique tout en assumant des responsabilités dans différents domaines de la vie publique.

(L) Je ne veux pas le contester. Mon interprétation radicale s’applique seulement à la question de la violence. Et à cet égard, l’ordre de Jésus a été trahi parce que l’être humain s’est adapté, ce qui se produit aujourd’hui encore. Nos Eglises n’ont-elles pas besoin, sur ce point précis, d’une conversion, pour redécouvrir que le royaume du Christ est un et indivisible ?

(B) Tu veux dire que c’est sur ce point que se décide si nous sommes fidèles au premier commandement de Dieu, si nous suivons le dieu païen Mars ou le Père de notre Seigneur Jésus ? Je suis tout à fait d’accord avec toi sur ce point. Il ne s’agit
pas seulement de la question idéologique, des guerres dites « saintes », mais aussi d’intérêts économiques et de profits, d’exactions contre des civils, de blessures morales et de dérive vers la barbarie, de perte des repères moraux dans l’armée, il
s’agit de l’impossibilité fondamentale, pour un disciple du crucifié, de tuer.

(L) Notre génération a réfléchi intensément à la question de la relation entre l’Eglise et l’Etat. Nous devons nous garder d’adopter une attitude de fausse servilité, mais ne pas nous replier non plus sur nous-mêmes. Que veut dire « être soumis aux autorités supérieures » selon Romains 13 ? Nous voulons respecter la loi, chercher le bien de la cité et nous engager sans renoncer pour autant à notre esprit critique.
Mais il y a des situations où il nous faut suivre notre conscience, où il faut résister face à l’injustice, où nous avons l’obligation de faire office de sentinelle prophétique vis-à-vis de l’Etat. C’est alors que s’applique la phrase : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Actes 5,29).

(B) Il fallait s’opposer à la souffrance incommensurable infligée à tant d’êtres humains par le régime hitlérien inique. J’étais proche de ton pacifisme, comme tu le sais, mais j’ai vu qu’il fallait intervenir. Il fallait supprimer Hitler. C’est pourquoi je me suis joint au groupe de résistance de l’attentat du 20 juillet. Je n’ai pas poursuivi, à ce moment-là, l’option de la résistance non-violente. Il y avait pourtant des exemples dans les pays occupés par l’armée allemande et même en Allemagne, comme par exemple les protestations des femmes de la rue des Roses à Berlin. Je me suis joint au groupe d’officiers résistants, ce fut une décision personnelle que je pris en conscience et que je ne puis généraliser. Il fallait que j’ose l’action violente et que j’accepte l’idée du meurtre du tyran. Comme tu le sais, ce fut un échec. J’ai mis très consciemment ma vie en péril. Ne rien faire c’était aussi se rendre coupable. S’engager dans la résistance comme le faisaient mes amis chrétiens, c’était aussi se rendre coupable. Ai-je été en cela infidèle à l’évangile ? Je ne sais pas…
J’aurais sans doute dû poser la question de manière plus précise : « qu’aurait faitJésus dans ces circonstances » ?

(L) Cher Dietrich, je respecte ta dernière décision. Tu ne voulais pas rester passif face au mal. Pourtant, même s’il s’agit de défendre et de protéger le prochain, la patrie ou d’autres personnes qui sont menacées, la fin ne justifie pas les moyens. Il faut que je sache quels moyens correspondent au commandement d’amour. Je sais très bien que beaucoup de gens pensent que le pacifisme est une attitude étroite, rigide, voire légaliste. Mais Jésus et les apôtres n’hésitaient pas à donner des directives éthiques bien concrètes qui, à côté des influences culturelles, s’appliquent à nous aujourd’hui encore. Nous avons découvert dans l’Evangile que Jésus est le « oui » de Dieu à notre égard. Nous pouvons donc le remercier en obéissant à sa (2) parole. La violence et le meurtre ne peuvent être en aucun cas l’expression de cette reconnaissance !

(B) Je suis très touché par ton engagement inconditionnel et sans détour à la suite de Jésus qui me donne matière à réfléchir. J’aurais peut-être pris une autre décision si j’avais été élève de Gandhi. Tu te souviens qu’il m’avait invité et que je voulais aller lui rendre visite en Inde, et que ce projet ne s’était pas réalisé car on m’avait confié une autre tâche.

(L) Oui, à l’époque cela t’aurait aidé et nous tous aussi. Mais essayons donc de définir encore une fois ce qu’est pour nous la résistance non-violente. Ce n’est certainement ni une attitude passive, ni de la lâcheté, ni une fuite devant la souffrance.
Nous ne voulons pas capituler face à la violence, mais nous ne voulons pas non plus nous rendre complices de la violence. Nous devons mettre en œuvre d’autres moyens que ceux de l’adversaire qui est prêt à faire usage de la violence. Faut-il dans ce cas-là penser au boycott, à la grève, au sabotage ?

(B) Ce qui est important c’est de ne pas se plier aux lois de l’adversaire, de respecter l’oppresseur en tant qu’être humain, de ne pas porter atteinte à sa dignité, de chercher le dialogue avec lui en faisant appel publiquement à sa conscience. Une telle désobéissance civile doit faire honte et faire pression, sans infliger de souffrance aux oppresseurs et à ceux qui préconisent la violence. C’est moi qui dois être prêt à accepter la souffrance, comme Jésus l’a acceptée sur la croix. La non-violence n’est pas une stratégie mais une attitude spirituelle, le style de vie qui correspond le mieux à l’évangile. Mais cela aussi il nous faut l’apprendre et nous y exercer. A l’époque je n’avais pas poussé la réflexion jusque là. C’est toi qui l’as fait en tant que rédacteur des Cahiers de la Réconciliation dans les années d’après-guerre et en publiant ton livre « la guerre et l’évangile » en 1953. Je t’en remercie.

(L) Ce qui est resté incomplet dans notre vie, nos descendants spirituels vont le poursuivre et l’approfondir. Pour œuvrer à la paix, il nous faut encore faire beaucoup de démarches et beaucoup de découvertes. Mais nous devons arriver à la conclusion de notre dialogue. Tu nous dis encore une dernière parole ?

(B) Ma vie a été trop courte. J’étais en train de commencer à comprendre toute la radicalité du commandement d’amour de Jésus. J’ai eu en 1934 un moment de clarté prophétique : c’était à Fanö, une année après la prise du pouvoir par Hitler qui a
conduit à la seconde guerre mondiale et à la mort de 50 à 60 Millions de personnes.
J’avais 28 ans alors et j’ai prononcé une phrase dont je n’avais pas encore saisi tout le poids de vérité : « il faut que soit adressée à tous les peuples la bonne nouvelle de la paix car l’Eglise doit, au nom du Christ, retirer les armes des mains de ses fils et leur interdire de faire la guerre. » Nous avons dû apprendre dans la douleur que l’objection de conscience et la non-violence sont vraiment le chemin sur lequel nous pouvons témoigner d’une manière crédible de la paix de Dieu et du commandement de l’amour du prochain.

(L) Oui, il nous faut prendre l’Evangile totalement au sérieux, peu importe si nous nous rendons impopulaires et si nous perturbons le vieil équilibre entre l’Eglise et le monde. Nous ressentons tous la nécessité d’une nouvelle Réforme. La première Réforme s’est concentrée sur le premier commandement et a souligné l’autorité des Saintes Ecritures, la justification par la foi, le témoignage intérieur du Saint Esprit et le sacerdoce universel. La nouvelle Réforme devrait mettre au premier-plan le commandement d’amour et chercher enfin des moyens autres que les moyens militaires pour protéger ce qui a besoin de l’être. Nos Eglises seront-elles capables d’une telle volte-face ? Peuvent-elles témoigner publiquement d’une repentance aussi profonde ?

Nous ne pouvons rien faire d’autre que de nous agenouiller et prier que le Saint Esprit touche toute la chrétienté. Pourquoi Dieu ne pourrait-il pas sus- citer une nouvelle Réforme ? Il n’est pas trop tard, mais c’est bien urgent ! 

 

1 Tiré de la correspondance avec Christiane Lasserre, fille de Jean Lasserre

2 Hippolyte de Rome, dans la Didache

ALO: PRÉSENTATION DES LIVRES
8 novembre 2024

Atelier de Lectures Oecuménique du 7 novembre 2024

Le 7 novembre, Sylvaine Landrivon, docteur en théologie, catholique,  a présenté son avant-dernier livre:

” La PART DES FEMMES” ,

 

   le dernier étant, “Marie telle que vous ne l’avez jamais vue“, co-écrit avec Anne Soupa.

 

    Qu’elle soit remerciée pour avoir  autorisé la mise à la disposition de sa contribution à tous les membres de l’Atelier présents et à ceux qui n’ont pas pu venir.

 

Bonne lecture!

 

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ALO: PRÉSENTATION DES LIVRES
11 octobre 2024

Atelier de Lectures Oecuménique du 10 octobre 2024

 

Présentation: Christiane Desroches 

Un ami qui vient de perdre sa mère demande à Marguerat de lui parler de résurrection. Il y a échange de lettres, celles de l’ami étant révélées par Marguerat, surtout dans son aspect commentaire et questionnement.

Dans une première lettre d’introduction, l’ami exprime sa demande sur l’après-mort. Mais comment décrire ce qui par définition échappe à l’humain ? ce qui surgira au-delà de la mort ? Les « rescapés de la mort » n’ont exploré au mieux que lointaines banlieues de la mort.

Marguerat ne peut répondre que par une offre de « croire ». Avant d’aborder la résurrection des morts, il aborde la résurrection de Jésus.

 

Chapitre 1 : Comment les premiers chrétiens ont-ils parlé de la résurrection ?

1ère remarque : le Nouveau Testament n’a pas de terme propre pour dire « ressusciter »

2ème remarque : les premiers chrétiens ont recours à plusieurs langages pour dire Pâques. Comme si devant l’indicible de la résurrection les mots s’étaient dérobés. Marguerat repère 3 langages :

1-Le langage de l’éveil ex : le symbole des apôtres

« Il a été crucifié sous Ponce-Pilate, il a été enseveli, le 3ème jour il est ressuscité des morts »

Le verbe ressusciter traduit 2 verbes grecs : réveiller et mettre debout, relever.

Le langage de l’éveil est celui des plus anciennes confessions de foi.

Réveiller signifie arracher à la mort, que les anciens comparaient à un sommeil.

Relever évoque le surgissement par lequel Dieu relève ce que la mort a abattu.

Le langage de l’éveil travaille sur un axe mort/vie, sur une ligne avant/après.

Il y a continuité entre l’avant et l’après. Mais ce langage peine à marquer la différence entre l’avant et l’après.

La résurrection est différente de la réanimation. Ce n’est pas un supplément de vie offert.

-quand Jésus guérit la belle-mère de Simon, il la relève (M1-31)

Il relève l’enfant épileptique (M9-27)

Jésus se lèvera pour apaiser la tempête (M8-26)

Dans ces guérisons le combat de Jésus pour la vie est déjà à l’œuvre. Toute guérison reçue dans la foi a un goût de résurrection.

D’où vient le langage de l’éveil ?

Depuis peu la foi juive s’est ouverte à l’idée de la résurrection des morts. Cf la 2ème des 18 bénédictions répétées chaque jour à la synagogue : « Tu es puissant éternellement, Seigneur, tu fais vivre les morts. » Mais la résurrection est attendue pour la fin des temps.

Jusqu’au 2ème siècle av.J.C. dominait l’idée que dans le séjour des morts, le Shéol, les défunts étaient oubliés de Dieu. Il intéressait peu. Les cultures environnant Israël connaissaient des mythes de résurrection des dieux liés aux cycles saisonniers.

Au milieu du 2ème siècle av.J.C. le souverain Antiochus IV Epiphane profane le temple de Jérusalem en y consacrant un autel à Zeus-Baal le 2 décembre 167 av.J.C. D’où la révolte des Maccabées, suivie d’une féroce répression au cours de laquelle tombent des milliers de croyants sous les coups des soldats du roi. La mort de cette foule, dont la jeunesse, pose un problème théologique crucial : qu’en est-il de la justice de Dieu si l’impie vit alors que les justes sont écrasés ? Le dogme de la rétribution est mis en échec.  Daniel affirme que la récompense ou la punition sera d’outre-tombe (Dn 12,2)

L’espérance de la résurrection répond à une demande de justice, pas à la question « où vont les morts ? » ni à une aspiration de l’homme à survivre à son trépas. De même dans le Nouveau Testament les mots réveiller ou relever donne à croire que Dieu a recueilli Jésus et lui a donné raison contre ses bourreaux.

Pour les chrétiens un jour la vérité de Dieu illuminera chaque être. Ce sera la résurrection.

2-Le langage de l’exaltation

L’exaltation du juste est chantée dans de nombreux psaumes (ps30,4 ou ps35,9). Mais le schéma d’exaltation le plus célèbre est avec le personnage du Serviteur de Dieu « Voici que mon serviteur réussira, il sera haut placé, élevé, exalté à l’extrême » (Es52,13). Langage transféré sur le Christ : « Il a été enlevé pour le ciel » (Ac1,11), « Dieu l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux »(Ep1,20) L’introduction de Jésus dans la proximité du père traduit l’émerveillement de Pâques.

A l’appauvrissement radical de Jésus, jusqu’à mourir sur une croix, répond l’acte de Dieu qui élève le Christ près de lui. Jésus s’est abaissé/Dieu l’a élevé.

La foi de Pâques est ce regard qui, dans la fragilité d’autrui, repère les signes cachés de la grandeur que Dieu lui donne.

L’Ascension est une exaltation mise en récit qui dit la conviction traditionnelle du Fils élevé. La nuée est un concept théologique qui signale la présence de Dieu tout en la voilant cf l’Exode

Ce langage de l’exaltation, s’il dit que le Ressuscité ne partage plus la vie des hommes et qu’il a l’autorité pour toujours, il échoue à dire le passage par la mort.

Le langage de l’éveil permet de raconter, celui de l’exaltation est liturgique. Il convient à la prière, à l’émerveillement. Mais il risque de fixer la résurrection sur un registre de la démonstration magique.

3-Le langage de la vie

Ce langage se pose en antithèse de la mort. « Christ est mort et il a repris vie (Rm14,9) ou « je suis la résurrection et la vie » (Jn11,25)

Mais ce langage ne dit pas de quelle qualité, de quelle nouveauté est la vie de résurrection. Ne dit pas que la vie est radicalement autre.

Parfois plusieurs langages sont employés dans le même texte ( cf Rm6,9-10)

Dans le judaïsme on attend que les morts ressuscitent, mais cette résurrection est attendue au bout de l’histoire, pour tout le monde ; elle est toujours espérée, jamais rencontrée dans l’aujourd’hui. Affirmer que Jésus est ressuscité est inouï pour la pensée juive.

Quant au monde grec, l’idée de résurrection d’un mort est inimaginable. Il envisage l’immortalité de l’âme mais pas du corps.

Le discours des premiers chrétiens sur la résurrection ne peut être qu’un discours en images car les mots leur échappaient.

Lettre de l’ami

Marguerat résume les divers langages qu’il a exposés.

Le langage d’éveil est narratif : il raconte l’après vendredi saint

Le langage d’exaltation est poétique : il célèbre le triomphe de dieu sur la mort

Le langage de la vie permet de dire la persistance de la vie au travers de la mort ;

Pour l’ami, les disciples à Pâques auraient utilisé Dieu comme paravent pour occulter leur peur de la mort. Or la peur de la mort existait bien avant le 2ème siècle av.J.C. Après les massacres d’Antiochus, après le supplice du Nazaréen, les croyants ont puisé dans leur foi en Dieu la capacité de donner sens à la mort. Ce n’est pas face à la mort que Dieu a été appelé à la rescousse, c’est au sein de la relation à Dieu qu’a été pensée la mort.

 

Chapitre 2:  Une histoire vraie ?

Il n’y a pas de témoignage direct sur la résurrection. Ni les femmes ni les disciples n’ont écrit eux-mêmes, en « je », ce qu’ils ont vécu avec l’apparition du ressuscité. Seul Paul a vu le Ressuscité et en parle (1Cor9,1).

Dans les années 40 un crédo est formulé. C’est le plus ancien témoignage connu de la foi en la résurrection de Jésus. Paul l’a utilisé dans 1Cor15,3-5 . Ce crédo précise : « il a été mis au tombeau ». La sépulture exige de prendre au sérieux la mort comme rupture. Pâques n’escamote pas le travail de deuil.

« Relevé le 3ème jour selon les Ecritures » indication forgée à partir d’un texte d’Osée du 8èmesiècle av.J.C. (Os 6,2).

« Il s’est fait voir » forme qui s’applique à Dieu apparaissant à son peuple dans l’Ancien Testament. L’utiliser pour le Ressuscité c’est associer « voir Jésus » à « contempler Dieu » (voir Dieu, c’est entendre sa parole)

Dans les récits d’apparition du Ressuscité il n’est jamais décrit, mais sa parole le fait reconnaître.

La foi chrétienne est fondée sur une chaine de visions, de Pierre à Paul, en passant par une nuée inconnue de témoins.

Luc parle d’une apparition lumineuse qui jeta Paul à terre sur le chemin de Damas (Act5).

Paul, dans Galates (1,15-16) indique que l’homme mort sur la croix est l’icône de Dieu.

Dans Corinthiens (1Cor15) il s’inscrit dans la listes de ceux à qui le Ressuscité est apparu pour y introduire à sa suite les Corinthiens eux-mêmes. Il ne parle pas de la résurrection sans en chercher immédiatement les traces dans le présent. Les femmes ne sont pas citées dans cette liste car elles n’ont pas fait école, ce ne sont pas des personnages fondateurs comme Céphas ou Jacques.

On ne peut pas prouver la résurrection. Le Ressuscité ne se donne à voir qu’aux croyants.

C’est dans l’évangile apocryphe de Pierre (vers 150) que l’on voit une foule médusée assister à l’ouverture du tombeau.

Historiquement Pâques n’est pas prouvable. Pour Paul la « preuve » de la résurrection est le succès de son œuvre missionnaire, les croyants qui sont venus à la foi. On voit Jésus dans l’efficacité d’une parole, dans l’œuvre de la grâce. Avant d’être un objet de croyance, c’est le lieu de la foi. Croire la résurrection c’est faire confiance à un Dieu qui relève, qui met debout, même après le plus total échec.

Lettre de l’ami

Pour l’ami Pâques est un évènement trop fragile. Pas de preuves matérielles, pas de témoins objectifs, qu’une poignée d’enthousiastes exaltés. Est-ce une hallucination collective due au traumatisme collectif, à la frustration, au désir de voir le Maître échapper à ses bourreaux ? Dès le 2ème siècle il y a une controverse antichrétienne (Celse, Origène).

Or –les hommes de Pâques n’attendent pas le retour de Jésus. Ils sont résignés à l’échec et surpris par la vie retrouvée de leur maître.

    -échec de l’auto persuasion pour Paul

   -la vision de Ressuscité est un retournement du regard sur la croix : cet instrument de mort est alors considéré comme le lieu de la révélation de la transcendance de Dieu.

 Seul indice d’une intervention extérieure : « il s’est fait voir ».

Oui la foi de Pâques est une foi vulnérable, comme le montrent les assauts de l’intelligence. Mais aimer la vie est consentir à une certaine vulnérabilité. 

 

Chapitre 3:   Un tombeau ouvert

De nombreuses invraisemblances dans cette histoire.

– Avec la chaleur palestinienne, ouvrir un tombeau après 3 jours… Les rites funéraires étaient tolérés le jour du sabbat (respect sacré des morts). Le cadavre des condamnés à mort était livré aux chiens. Or le fait de ne pas avoir de sépulture était vu comme une malédiction, qui coupait le défunt des pères (Dt28,26)

– La quantité de myrrhe et d’aloès (30kg selon Jean 19,39) est digne d’obsèques royales.

– Les femmes ne pensent à la pierre qui ferme le tombeau  qu’en chemin. Elles ont peur devant le tombeau ouvert mais il y a aussi des violeurs de tombes dans l’Antiquité.

– La présence de l’homme en blanc, l’ange.

La venue d’un ange signale la valeur exceptionnelle d’une parole exceptionnelle.cf naissance de Jésus

Dans l’histoire du tombeau ouvert l’ange est porteur de la vérité de Dieu sur le monde : c’est pourquoi seuls les croyants peuvent savoir que l’ange dit vrai.

La pierre roulée dit l’impossible capture du Christ.

La marche des femmes au tombeau avoue l’attachement impuissant. Jésus n’est désormais qu’un gisant.

La pierre roulée annonce le pèlerinage de la mort à la vie.

Le corps introuvable de Jésus projette les femmes dans une nouveauté de vie qui les laisse comme démunies.

Au lieu d’un corps c’est une parole qui emplit l’espace :

-le crucifié a été relevé par Dieu

-il n’est pas ici

-il y a un message à faire passer aux disciples : il les précède en Galilée (Mc16,6-7)

La nouvelle à faire passer aux disciples ne concerne pas l’absence du corps, elle signale le lieu nouveau de la présence. Marguerat préfère parler du tombeau  « ouvert » plutôt que du tombeau « vide » car au jour de Pâques la mort subit une effraction de son pouvoir.

Dans l’évangile de Marc les femmes ne parlent pas, épouvantées par cette histoire d’un mort qui ne l’est plus. La fin de cet évangile (Mc16,9-20) émane d’un cercle de chrétiens dans le courant du 2ème siècle (apparitions de Jésus, demande d’évangélisation, don de guérison, élévation au ciel)

Marc veut faire entendre 3 choses :

-le rôle de la peur : Pâques est une absolue surprise ; il y a perte des points de repères ; crainte devant le mystère de Dieu.

-le risque du silence : difficulté à croire la résurrection pour les femmes comme pour les disciples. Même la bonne nouvelle de Pâques se donne dans une parole humaine.

-la rencontre avec le Ressuscité : que se passera-t-il en Galilée ? Le renvoi à la Galilée est gros de toute la vie de Jésus. Il invite à reprendre la trace de celui qui incarnait la présence de Dieu.

L’acte de résurrection n’est pas décrit. « Il a été relevé ».Le mystère de Dieu échappe à l’histoire. La résurrection demande à être habitée, non racontée.

La crucifixion appartient à l’histoire. La croix a été vue de tous. Pour certains c’est une scène quelconque, pour d’autres c’est la mort du Fils de Dieu. La différence porte sur la signification non sur les faits. Pâques est une expérience visionnaire réservée à certains (femmes croyantes, disciples)

Lettre de l’ami

L’ami reproche une lecture poétique du texte de Marc, mais il n’a qu’une question : la tombe était-elle vide ou pleine ? Or la vérité est affaire de sens, pas d’exactitude documentaire. Marguerat utilise une comparaison : « je ne m’intéresse pas à la formule chimique de la peinture de Van Gogh mais à la façon dont ses tableaux me font regarder le monde. »

La résurrection a eu lieu au sein de l’histoire, elle a bouleversé des êtres de chair et de sang. Croire la résurrection n’est pas acquérir un supplément de savoir objectif ; c’est adopter une position sur la vie qui rejaillit sur ma propre existence.

     

Chapitre 4:  Reconnaitre la vie

 Les récits des apparitions de Jésus sont variés et comme pour le récit du tombeau ouvert, présentent de nombreuses incohérences.

-Jésus se manifeste exclusivement en Galilée (Mt28,16) ou exclusivement à Jérusalem (Luc24,33-36) ou aux 2 endroits (Jn20,14,19,26 ;21,1)

-il refuse d’être touché (Marie-Madeleine) ou demande qu’on le touche (Thomas)

-erreur sur son identité (Marie-Madeleine) ou aussitôt reconnu (compagnons d’Emmaüs)

-échappe aux lois physiques, passe les murailles (Jn20,19) ou insiste sur la matérialité de son corps en mangeant (Luc24,39-43)

Il s’agit de récits d’une expérience vécue. Ils ont en commun :

                                                    -seuls des croyants sont impliqués

                                                    -la rencontre se fait à l’initiative de Jésus-la rencontre pointe sur l’identification par la marque des clous du Crucifié

                                                   -l’envoi missionnaire assorti d’une promesse. Le message de Jésus s’adresse à tous. Pâques est la date de naissance de l’universalité du christianisme.

 

Marguerat reprend les divers récits des apparitions de Jésus.

– Dans Luc (24,13-35) le long chemin parcouru par les compagnons d’Emmaüs avant de reconnaitre Jésus nous apprend le chemin de tout deuil. La résurrection n’escamote pas la souffrance du trépas mais affirme que cette souffrance peut accoucher de la joie.

– Dans Jean (20,11-18) Marie-Madeleine ne reconnait Jésus que lorsqu’il l’appelle par son nom. Au corps à voir et à toucher se substitue une parole à entendre et à dire.

– Dans Jean également (20,19-23) Jésus rejoint les siens au 1er jour de la semaine. Marguerat voit dans ce récit un lien avec le pardon : pardonner c’est consentir à cette ouverture qui m’arrache à mon enfermement. Le pardon atteste la victoire de la confiance sur la peur.

– Dans Luc (24,36-43) Jésus demande à manger. Luc veut éviter que le Ressuscité soit pris pour un pur esprit (cf les Grecs), ce qui risquerait de le voir manipuler par tous les charismes friands de surnaturel.

– Dans Jean (20,24-29) Thomas doute. La résurrection n’est qu’un regard de foi posé sur des plaies. Ce n’est pas la promesse d’un retour à ce qu’était la vie avant que tout chavire. Mais d’une vie brisée, de blessures profondes, peut surgir une vie nouvelle et inattendue.

– Dans Jean (6,16-21) Jésus marche sur les eaux. Les disciples sont seuls, dans l’obscurité. Le maître est absent, la mer est démontée. De même les croyants sont menacés et ils sont seuls. La traversée de l’angoisse est nécessaire. La vision de Jésus ne calme rien. Mais Jésus les rassure. Quand ils veulent le prendre dans la barque ils accostent. On ne peut pas mettre la main sur Jésus.  Pour Jean il s’agit de répondre à la question de l’absence du Seigneur. Face au mal le Ressuscité vient secourir, mais à travers la fragilité d’une parole : « c’est moi,  n’ayez pas peur ».

– Dans Jean (21,1-14) la pêche est surabondante au bord du lac de Tibériade. La pêche symbolise la mission. Les 153 poissons signalent l’universalité de l’Eglise. La mission peut être féconde à condition que la parole et l’action des croyants soient axées sur la présence du Ressuscité.

Le mot ultime est que la vie triomphera.

Lettre de l’ami

L’ami se pose des questions : les apparitions du Crucifié sont-elles liées à l’imagination des évangélistes ? Les récits d’apparition peuvent-ils être sans fin dans leur diversité ?

Marguerat répond « non » à la 1ère question. Les évangélistes s’appuient sur des traditions.

Il répond « oui » à la 2ème. La vision du Ressuscité était fondatrice de la foi. Les récits ont proliféré dans les 2 premiers siècles. C’est pourquoi Luc a limité les apparitions de Jésus à 40 jours après sa mort.

Les premiers chrétiens ont transmis une histoire de la résurrection, non un concept de résurrection. On ne peut raconter la résurrection en dehors d’une histoire de vie où elle exerce son effet.

Autre question : Luc a-t-il composé lui-même l’histoire de Jésus demandant à être touché et mangeant devant ses disciples ? (Luc24,36-43)

Pour Marguerat « oui » car Luc s’oppose à la tendance de souligner que le corps de Jésus est  « autre ». Et son objectif est théologique : il soutient l’authenticité de l’évènement. Et enfin le texte est saturé d’expressions propres à Luc.

Mais cette opinion a valeur d’hypothèse.

 

 Chapitre 5:  Comment ressusciter ?

Question : A quoi ressemble l’après-mort ? Quel corps aura-t-on là-bas ?

Les chrétiens ont longtemps refusé l’incinération pour conserver la dépouille pour le jour de la résurrection.

Les récits de Pâques nous montrent un Jésus ressuscité qui défie les lois physiques. Il est lui mais son corps est d’une autre nature.

Et pour la résurrection des morts ? cf la femme aux 7 maris (Luc20, 27-33).

Les Saducéens n’admettaient guère cette nouveauté qu’était la foi en la résurrection. La question : duquel des 7 frères la femme sera-t-elle l’épouse, montre une conception matérialiste de la résurrection. Les rabbins se demandaient comment ferait Dieu pour caser tout le monde dans le Royaume, qui avait les dimensions de la terre sainte. La réponse de Jésus indique une différence radicale entre vie terrestre et nouvelle vie : « ils sont pareils aux anges ». La résurrection est une re-création .

Paul a cette même approche. Mais pour lui la résurrection transforme seulement les justes. Rien n’est dit sur le sort des mécréants. Comme si Dieu ne les tirait pas du néant de la mort. Pour d’autres ils sont jugés et envoyés aux peines éternelles.

Les textes juifs ont déployé beaucoup d’imaginaire sur le sujet. Le Nouveau Testament est plus sobre. Les chrétiens ont opté pour le scénario théologique : le monde de la résurrection est aussi inimaginable que Dieu lui-même. Donc pas de description de l’au-delà. Paul a été conduit à argumenter la résurrection (1ère lettre aux Corinthiens, ch.15)

-Christ a ressuscité des morts donc il y aura résurrection des morts (1co15,12) ; elle se déroulera à la fin des temps lors de la venue du Messie : ceux qui lui appartiennent ressusciteront puis il détruira la mort.

Comment, avec quel corps ? Paul prend l’image de la graine : « toi, ce que tu sèmes ne prend vie qu’à condition de mourir. Et ce que tu sèmes n’est pas la plante qui doit naître, mais un grain nu de blé ou d’autre chose. » (1Co15,36-37)

-la résurrection est une recréation qui suit la mort

-il n’y a pas de ressemblance entre la vie d’avant et la vie d’après.

-il y a une différence qualitative des corps (hommes, bêtes, corps célestes, corps terrestres), il y aura le même principe pour la nouvelle création. Un être humain est un corps matériel, le corps ressuscité sera spirituel.

Pour les chrétiens la condition de l’homme n’est pas enfermée entre naissance et mort. La foi chrétienne vit de cette conviction que la valeur de chacun n’est dictée ni par les circonstances ni par le regard des autres mais par sa présence dans la mémoire de Dieu.

La promesse du monde nouveau introduit à l’égard des injustices de ce monde une insatisfaction, un ferment critique, une espérance, tout le contraire du fatalisme, du repli sur soi.

A quoi ressemblent les corps spirituels des ressuscités ?

La foi juive puis les chrétiens ne peuvent concevoir une résurrection qui ne soit pas la résurrection des corps. Comme Jésus gardant ses plaies, nous ne serons pas relevés sans l’intégralité de notre histoire. L’expression « corps spirituel » est une invention de Paul ; c’est un moi totalement disponible à Dieu.

La croyance en l’immortalité de l’âme a longtemps été défendue par les chrétiens. Souvent on opposait résurrection du corps et immortalité de l’âme.

Calvin admet que l’âme est immortelle, Luther non. En fait 2 conceptions de l’humain : l’une par la substance (quelque chose perdure en l’homme après sa disparition) ; l’autre par la relation (l’âme est en lui ce qui le relie aux autre et à Dieu). Par- delà la brèche du trépas, ce « moi » qui perdure dans la mémoire de Dieu sera refondé par Lui.

Dans le discours de Paul 3 convictions :

-pas de continuité entre l’avant et l’après-mort

-la résurrection est l’œuvre de Dieu

-permanence du moi personnel entre l’avant et l’après-mort. Dieu recueille dans le Royaume ce que l’individu a fait de sa vie.

Paul parle par allusions, par images. Comme s’il disait  « je ne sais rien de l’au-delà mais j’ai confiance en ce que je crois »

Résurrection et réincarnation sont incompatibles. Certains chrétiens tentent de combiner les deux.

– Pour la réincarnation, la migration des âmes s’inscrit dans l’ordre naturel des choses, suivant un automatisme dicté par la conduite de l’individu.

Elle fonde une foi strictement individualisée. On survit seul, sans lien ni solidarité avec autrui. Elle est régie par les œuvres du défunt ; l’humain est réduit à la somme de ses actes. Elle banalise la mort qui n’est qu’un transit vers une vie meilleure.

-La résurrection est un acte créateur de Dieu où la grâce répond à la décision de foi du croyant

Jésus plaçait le souci d’autrui au cœur de la dignité humaine. L’homme n’est pas enfermé dans l’enclos de ses fautes.

Dans l’évangile de Jean la vie éternelle c’est la plénitude de vie offerte par le Christ, que le croyant goûte ici-bas et qui se poursuivra au-delà de la mort. Ce sont donc les vivants qui sont appelés à ressusciter. D’autres, encore vivants, sont spirituellement morts.

Lettre de l’ami

Question : « Où sont nos morts ? ». C’est le mystère de Dieu. Le Nouveau Testament n’en parle pas.

Marguerat retient 2 notions :

-la communion des saints. Nous sommes reliés aux défunts en Dieu. Nous formons communion.

-La mémoire de Dieu. Si les défunts existent dans la mémoire de Dieu, je ne me fais plus de soucis pour eux. Il faudrait retrouver l’habitude de faire mémoire des morts pour nous ancrer à nouveau dans la compassion de Dieu.

Question : « qu’en est-il de la résurrection des incroyants ? Silence du Nouveau Testament

La question est laissée au secret de Dieu.

La foi en la réincarnation risque d’augmenter l’envie de parfaire sa vie dans une vie meilleure et le désir de se prolonger soi-même.

La foi de Pâques dit l’horreur et l’injustice de la mort ; elle dit aussi vers quel Dieu je m’avance. La résurrection est un acte de communion. Je ne serai pas relevé seul et pour Dieu. 

« Ma mort est personnelle, je devrai l’affronter seul. A la résurrection je découvrirai quantité de sœurs et de frères. » 

« On parie ? »

 

 

ALO: PRÉSENTATION DES LIVRES
5 mai 2024

Atelier de Lectures Oecuménique du 2 mai 2024

Présentation par Christiane Desroches du livre

 

“Le pasteur et l’évêque” 

de Samuel Amédro et Jean-Paul Vesco

Editions Labor et Fides

Samuel Amédro fut pasteur à Crest, Lyon, Casablanca. Il a étudié la théologie à Montpellier. Il part au Maroc pendant 5 ans. Il fonde avec Monseigneur Vincent Landel, archevêque de Rabat, le 1er institut universitaire œcuménique en milieu musulman. Il revient en France. Il organise le Grand Kiff rassemblant des jeunes protestants à Lyon en 2009. Il est président de la région Ile de France de l’Egliseprotestante unie de France depuis 2021.

Jean-Paul Vesco est né à Lyon le 10 mars 1962 dans le 6ème arrondissement de Lyon. Il est dominicain, évêque franco-algérien, archevêque d’Alger. Il fait ses études au collège et lycée des Maristes de sainte Marie à Lyon et devient avocat d’affaires à Paris. Touché par la vocation après avoir assisté à une messe d’ordination, il s’engage dans l’ordre des prêcheurs. Il obtient sa licence canonique en théologie à la faculté catholique de Lyon le 24juin 2001. Il part en Algérie, à Tlemcen, diocèse d’Oran, pour refonder une présence dominicaine, 6 ans après l’assassinat de Pierre Claverie le 1er août 1996 (l’assassinat des moines de Tibhirine a eu lieu le 26 mai 1996).

En décembre 2010 il est élu prieur provincial des dominicains de France ; il s’installe à Paris. En 2012 Benoît XVI le nomme évêque d’Oran. En 2021 François le nomme archevêque d’Alger. Il est naturalisé Algérien en février 2023.

L’introduction est présentée par J.P.Vesco.

Amédro et Vesco vont analyser la situation de leur Eglise respective et leur conception de ce que devrait être l’Eglise. Divers points sont abordés par Amédro et Vesco lui répond. Malgré leur univers différent ils ont le même objectif selon la formule d’Amédro, reprise par Vesco : « Je rêve d’une Eglise qui ne se préoccupe pas de son devenir, mais de faire ce pour quoi elle est »

I –

L’Eglise est-elle en bonne santé ? (Amédro)

Amédro aborde cette notion de bonne santé sous 3 points de vue :

-ne pas être malade

-se sentir en bonne santé

-être capable d’affronter la maladie

1) Ne pas être malade

Divers symptômes de fonctionnement indiquent la maladie : conflits, problèmes immobiliers, financiers, baisse de fréquentation, crise des vocations. Le christianisme est malade de la peur de mourir, avec le problème de l’avenir, ses tensions internes, ses fautes passées et présentes, son insignifiance, sa disparition programmée…

Or on proclame la résurrection, la vie éternelle, l’espérance. L’Eglise est malade de son manque de foi .cf la tempête sur le lac.

Amédro relève diverses pathologies dont (je sélectionne) :

-le cléricalisme, qui donne le pouvoir à « quelques privilégiés qui auraient accès au spirituel ou au divin, qui les mettrait à part de l’humanité pour faire d’eux les propriétaires de la transcendance. »(p.21)

-l’intellectualisme(en particulier chez les protestants) qui donne le pouvoir aux détenteurs du savoir. « l’Eglise déploie une théologie au service d’elle- même et non l’expérience de foi dont elle devrait rendre compte de manière intelligible et critique »(p.21)

-le patriarcat dont le pouvoir est basé sur le genre hissé au rang de la tradition, voire de doctrine sacrée.

2) Se sentir en bonne santé

L’Eglise protestante est championne de l’autoflagellation. Or une Eglise qui ne s’aime pas elle-même se trouve dans l’incapacité d’aimer celles et ceux qui croisent sa route.

D’autre part elle a une méfiance à l’égard des émotions au profit de la quête de l’intelligence. Il faudrait redonner de l’importance à l’émotion, à notre corps. Cf p.24

3) Etre capable d’affronter la maladie

Il s’agit de prendre conscience que l’on dispose en soi de la possibilité de regarder l’avenir avec confiance En s’adaptant aux circonstances, en saisissant les opportunités.

La transmission de génération en génération ne se fait plus. Il nous faut réapprendre et faire évoluer notre culture d’Eglise pour bénéficier des apports novateurs, tout en apprenant à rester nous-mêmes. Réapprendre à se réformer

Ma sœur la maladie (Vesco)

La maladie est sentie généralement comme un précipice qu’on cherche à éviter. La maladie entraîne la séparation d’avec le monde inconscient et frivole des bien-portants.

L’Eglise est attaquée par toutes sortes de maladies (cf Amédro). Mais elle est un corps vivant et cela fait partie du programme depuis l’origine. Pourtant elle est aujourd’hui plus vivante que jamais.

La maladie rend plus humble, plus empathique à l’égard des autres. Vesco rêve d’une Eglise qui aurait perdu l’orgueil et la suffisance de celui qui se croit invulnérable, replié sur ses certitudes. Une Eglise humble à l’écoute et à l’école de la souffrance et de la fragilité humaine.

II –

S’émerveiller (Amédro)

Amédro évoque la charte élaborée par le synode régional de 2022 de l’église protestante unie de France qui lance 3 défis :

–s’émerveiller de l’amour de Dieu

–aller vers les autres, s’ouvrir à l’accueil

–faire de la mission notre joie

Les sociologues évoquent l’effondrement de la pratique religieuse et la sécularisation galopante, avec des contemporains de plus en plus nombreux qui se déclarent « sans religion »ou athées.

Il faut trouver une manière de penser notre mission.

Nos Eglises luthéro-réformées ont une grande difficulté à témoigner de manière explicite de ce à quoi nous croyons. Cf les enfants des familles protestantes. On évoque la pudeur, le prosélytisme, des prédications trop intellectuelles ; d’où la difficulté de la transmission.

On pourrait utiliser les outils de notre société pour que cela serve le projet de Dieu pour notre monde : réseaux sociaux, musique, peinture, fêtes de quartier,expositions,associations d’entraide, nos engagements politiques, recherche scientifique, notre argent, etc…

Quant à l’accueil, on sait faire, mais sans changer nos pratiques (prières,cantiques…)

Puis Amédro analyse la modification sociologique du protestantisme, passant d’un protestantisme d’intellectuels au 16ème siècle, éradiqué par les guerres de religions, les persécutions, à un protestantisme rural du 17ème au 20ème siècle. Actuellement on a un protestantisme urbain qui entraîne un déséquilibre, mais qui est plus apte à se développer.

Donner en vie (Vesco)

Vesco retient la parole du Christ « Je suis le chemin, la vérité et la vie » qui ouvre à l’émerveillement, l’accueil et la joie, car ouvre à la vie.

La sécularisation est une maladie de la religion; en christianisme, c’est lorsque l’Evangile est érigé en organisation morale, sociale, et parfois politique. Il peut alors se sentir fort, mais il se vide de sa sève. Il nous faut retrouver la folie de l’Evangile qui jamais ne s’installe et qui a pourtant besoin d’être porté par des structures, des Eglises qui bâtissent, qui s’organisent. Ex : la dynamique voulue par frère Roger à Taizé.

En Europe nos Eglises font l’apprentissage de la minorité. C’est une chance de revenir à la source, à condition de résister à la tentation du repli communautaire.

L’histoire récente de l’Eglise catholique en Algérie montre une perte progressive de tout pouvoir, de toute utilité quantifiable, mais qui n’a rien perdu de son sens.Le catholicisme connait la même évolution sociologique que le protestantisme en faveur des villes. Du fait de sa pratique sacramentelle, du manque de prêtres, elle regroupe à l’infini les paroisses, qui n’ont plusde paroisse que le nom.

Il faut revenir à un christianisme de proximité ce qui est plus dans l’ADN du protestantisme.

III –

Faisons de la mission notre joie (Amédro)

Amédro s’appuie sur le commandement : « Allez, faites de toutes les nations des disciples » Mat 28 ;19

Il y a une charge négative qui colle au terme « missionnaire » (colonialisme, manipulations, forcement des consciences.)

Le prosélytisme usurpe la place de Dieu en prétendant convertir les cœurs. Il ne s’agit pas de construire une stratégie pour faire grandir le chiffre de l’Eglise, mais d’offrir en partage la proximité du Royaume de Dieu. Nous sommes des poteaux indicateurs qui indiquent le chemin qui passe par Christ. On ne communique pas un message à comprendre mais une expérience à partager.

La diversité de notre Eglise permet différentes manières d’aborder la mission. Mais on a tendance à dénigrer ce que font les autres. Cf Jacques et Jean qui font appel au feu du ciel pour consumer ceux qui résisteront àleur élan missionnaire. (Luc 9 ; 51-56)

La compétition est devenue une valeur cardinale. Or en économie la coopération est plus efficace que la compétition. (cf l’économiste Charles Gide). On ne peut pas vivre les uns contre les autres. « Aimez-vous les uns les autres », c’est une question de vie ou de mort.

Amédro rêve d’une Eglise qui ne se préoccupe pas de son devenir mais de faire ce pour quoi elle est : Rendre le Christ présent dans le monde.

Eglise et Royaume (Vesco)

On a reproché à l’Eglise de Vesco de ne pas convertir au christianisme suffisamment de musulmans. Il y a confusion entre mission de l’Eglise et prosélytisme.

Etre missionnaire, c’est partir de l’autre, de sa foi, de sa quête, de sa part de vérité. Etre prosélyte, c’est partir de ma vérité à moi, absolutisée, au regard de laquelle la vérité de l’autre ne vaut rien. Or aucune religion nepeut enfermer Dieu dans une définition dogmatique. Cf David voulant enfermer Dieu dans un temple, aussi magnifique soit-il. Dieu dépasse infiniment la connaissance et la conscience que je peux en avoir.

Le prosélyte derrière son orgueil peut aussi avoir peur de la part de vérité de l’autre qui l’atteindrait dans son quotidien. Cf les musulmans de France que l’on n’intègre pas comme frères et sœurs en humanité. L’Islam fait vivre des hommes et des femmes en croyants dignes de foi dans leurs actes et leurs paroles.

Le temps de la rencontre avec la personne pour ce qu’elle est est la condition première de la mission.

Le risque est double : s’enfermer dans sa vérité, ne rien changer ; ou se lancer dans la course à la ressemblance, et pour cela, remettre en cause certains de nos fondamentaux.

En Algérie nous ne pouvons, en Eglise, donner notre témoignage sans la collaboration de partenaires musulmans au service de la vocation diaconale. Ils vivent un mystère de communion, qui les dépasse, même s’ils(elles) ne deviendront jamais chrétiens. Nous goûtons les uns et les autres la « présence du Dieu vivifiant qui appelle de la mort à la vie »

IV –

Puissions-nous répondre aux questions vitales (Amédro)

-comment aimer et être aimé

-comment vivre une vie digne

-à quoi ça sert de vivre ?

-que pouvons-nous espérer ?

1) Comment aimer et être aimé ?

Aimer et être aimé est un besoin vital. « Si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien » dit Paul dans sa 1ère lettre aux Corinthiens (13 ; 2)

L’Eglise sait créer du lien, générer un sentiment d’appartenance et de sécurité (cf repas communautaires). Il y a une diversité dans nos Eglises qui rassemblent des gens de tous les horizons.

2) Comment vivre une vie digne ?

Pour sentir qu’une vie est digne d’être vécue, on a besoin d’attention, de reconnaissance. Mais parfois on a un sentiment d’injustice, de révolte qui empêche de sentir la dignité et la beauté de notre vie. La vie est alors paralysée, repliée sur elle-même. Dans nos Eglises existent des services et des réseaux d’entraide et de solidarité. Mais attention à la prise de pouvoir de certains bénévoles qui veulent faire le bien des autres sans attendre l’assentiment des personnes concernées.

Amédro rêve d’une Eglise au service des gens qui n’en font pas partie avec ce double enjeu de libération et de soin.

3) A quoi ça sert de vivre ?

Il s’agit de donner un sens à sa vie qui semble parfois insignifiante et absurde. On veut changer sa vie mais pour quoi ? Et on est conduit soit à la nostalgie soit à l’idéalisme.

Il faudrait aider chacun à réfléchir à sa propre existence pour qu’elle retrouve sa liberté.

4) Que pouvons-nous espérer ?

On a besoin d’une vie plus grande que soi, d’être porté par une vision pour l’avenir. L’Eglise offre un temps à part pour se connecter à l’absolu, à l’éternité, à Dieu, quel que soit le nom qu’on lui donne.

La mission de l’Eglise réside dans 4 différentes manières d’être qui n’imposent rien mais qui proposent des ressources pour y puiser de quoi réparer le monde.

– l’attention au plus petit

– la parole de liberté

– la joie imprenable de la rencontre

– l’instant d’éternité qui change la vie.

Quête de sens ou quête de repères ? (Vesco)

Les religions se pensent souvent davantage en gardiennes des repères qu’en accompagnatrices des quêteurs de sens.

L’Evangiles est tissé de rencontres de Jésus avec des assoiffés de sens. Il rejoint les personnes dans l’épreuve. A une quête de sens la proposition de repères ne suffit plus.

L’enjeu est de partir des questions, sans préjuger des réponses, sans penser que nous avons d’emblée des réponses.

Il s’agit de vivre l’instant présent comme s’il devait durer toujours , comme s’il pouvait s’arrêter demain.

V –

L’Eglise comme laboratoire (Amédro)

A quoi sert l’Eglise ? A rien pour la plupart des contemporains. L’Eglise n’existe que pour celles et eux qui y reçoivent quelque chose d’important pour leur existence. Sa raison d’être ne réside que dans le service qu’elle est capable de rendre. Pour tous, elle sert de laboratoire.

– laboratoire lieu d’expérimentation

La vérité aujourd’hui est toujours une vérité subjective éprouvée par l’expérience. L’Eglise offre l’expérimentation d’une vie communautaire joyeuse, d’une résurrection, d’une vie vivante et signifiante. C’est un lieu où est suspendue (pour un temps) la tyrannie de l’évaluation et de l’efficacité.

– laboratoire lieu d’un travail sur soi

Venir dans notre Eglise c’est choisir de se laisser travailler de l’intérieur. C’est un lieu où l’on se pose des questions ensemble dans la recherche du sens et où se confrontent des avis divergents.

– laboratoire comme lieu de contemplation

L’Eglise est un lieu de prière et de contemplation. La prière devient l’expérience de la beauté de la nature, du monde. On a une expérienceesthétique autant que mystique devant ce qui est beau. Il faudrait être attentif à la beauté des nouveaux lieux de culte (ce qui n’est pas la tradition protestante portée sur l’écoute plutôt que sur le regard ;c’est une remarque personnelle)

Faire advenir l’inouï (Vesco)

Un laboratoire est un lieu où des gens sérieux, mais en même temps des chercheurs un peu fous, essaient de donner corps à leurs intuitions. Et c’est un travail d’équipe.Pour les catholiques l’Eglise est un laboratoire car la célébration eucharistique avec transmutation (transsubstantation) du vin et du pain en sang et chair du Christ est comparable à une expérience de laboratoire.

Mais le résultat est peut-être trop connu d’avance ; à la différence d’un laboratoire où l’expérience peut réussir ou échouer.

L’Eglise est aussi un espace. Le bâtiment crée un lien entre la communauté et le lieu où elle se réunit. Nos espaces sacrés sont des espaces privilégiés d’expérience de la religion de l’autre.

L’Eglise, et à travers elle les clercs, n’est pas experte au sens où elle aurait le dernier mot au motif qu’elle est gardienne d’un mystère. L’Eglise a davantage besoin de témoins que d’experts. Le témoin engage sa vie toute entière. Il témoigne de plus grand que lui-même.

VI –

Devenir des enfants (Amédro)

L’enfant est désarmé et confiant, il est ouverture vers l’avenir ; il a à la fois la non-puissance et le désir de grandir.

Il s’agit non pas de reproduire ou de répéter ce qui a déjà été vécu par d’autres, mais vivre pleinement aujourd’hui, portés par l’espérance de ce que nous pourrions devenir 

Amédro cite Bonhoffer « Seul l’enfant sait vivre son présent à partir de son futur »

Vivre son présent à partir de son futur (Vesco)

L’enfant vit dans l’immédiateté. Nos Eglises dites historiques ont perdu la certitude que tout allait leur réussir. Le temps qui passe, qui sabote, nul n’en fait l’économie, il appartient au cycle de la vie. Nous appelons tous nos communautés à retrouver la fraîcheur de l’enfance.

Vesco a appris à voir ce que d’autres communautés (Evangéliques en Algérie) peuvent apporter et ce que nous ne pouvons apporter.

 

Pour conclure (Vesco)

Il y a connivence entre Amédro et Vesco due au fait que l’un et l’autre ont fait l’expérience d’une vie en monde musulman où le christianisme est pour ainsi dire absent du paysage, donc plus libre de son image.

De plus les différences dogmatiques, théologiques, historiques, n’étaient pas à l’ordre du jour dans leurs propos.

L’expérience œcuménique n’est pas un rapprochement de 2 points de vue mais l’émergence d’un fond commun.

Aucune Eglise confessionnelle n’est à elle seule « l’Eglise du Christ ».

Nous sommes tous responsables de la rupture de l’unité visible de l’Eglise, son unité invisible étant hors d’atteinte, sans cesse à rechercher.

S’accorder pour servir (Amedro)

Il y a une expérience commune d’un christianisme des marges, Vesco en Algérie, Amédro au Maroc. Se découvrir en situation de minorité permet de revenir à la source.

L’Etre même de l’Eglise se découvre hors de ses murs, de ses dogmes, de ses rites. Il se donne dans la résonnance d’une rencontre avec l’autre, celui qui m’échappera toujours, celui qui n’est pas membre de nos communautés, celui qui croit autrement et peut-être d’aucune religion.

C’est lui qui nous donne d’être ce que nous sommes.

Amédro a l’expérience d’avoir ouvert au Maroc, à Rabat, en 2012, un institut œcuménique de théologie dont le nom arabe signifie : l’accord

ALO: PRÉSENTATION DES LIVRES
7 avril 2024

Atelier de Lectures Oecuménique du 4 avril 2024

“Vie de Jude, frère de Jésus”

 Françoise Chandernagor  

(Albin Michel 2015)

présenté par Patricia Deplace

 Introduction    

 

Ce livre est un roman dont les héros sont les quatre frères de Jésus : Jacques, José, Simon et Jude. Tous appartiennent à l’Histoire, leur existence, ainsi que celle des sœurs, est attestée par de nombreux textes canoniques, les Evangiles les plus anciens Mc et Mt (Mt13, 55-56) les Actes des Apôtres, deux des Epitres de Paul, l’Epître de Jacques, entre 60 et 85, et l’Epître de Jude, années 60-70, attribuées à deux des frères, selon les exégètes de la TOB. Cette dernière fut largement reprise dans la 2è Epitre de Pierre (écrite au 3è siècle).

Parmi les 150 apocryphes, plusieurs parlent des frères de Jésus, de Jacques surtout, comme l’Evangile de Thomas. Flavius Joseph, juif rallié aux Romains dès 67, détaille les circonstances politiques de la mort en 62, de Jacques « frère de Jésus appelé Messie». Pendant plus de 300 ans, les Pères de l’Eglise ont évoqué les frères de Jésus, la lapidation de Jacques le Juste « le frère du Seigneur » sur l’ordre du parti sacerdotal, et Jude «frère du Seigneur selon la chair». Jacques fut le chef de l’Eglise de Jérusalem en un temps où la Rome chrétienne n’existait pas.

Au soir de sa vie, Jude, raconte pour sa descendance dispersée parmi les incirconcis des Nations.

Il me restait à imaginer la vie de cette famille peu ordinaire dans la Palestine occupée par les Romains.

 

Présentation de l’auteure       

Née le 19 juin 1945, d’un père ministre des affaires européennes du gouvernement Pierre Mauroy, Françoise Chandernagor entra à 21 ans à l’ENA ; en sortant Major de sa promotion, elle fut la 1ère femme à obtenir ce rang.

Après plusieurs années au Conseil d’Etat, elle quitte le droit et la magistrature pour se consacrer à l’écriture. Elle est membre depuis 1995 de l’académie Goncourt. Traduits en une quinzaine de langues, ses romans peignent les sociétés passées ou contemporaines. Historienne avertie, maîtrisant parfaitement ses sources, et romancière puissante, elle nous conduit dans la Judée du 1er siècle, nous montrant un monde déchiré et violent où l’annonce du Royaume le dispute à la tentation de l’Apocalypse. Son livre aux dialogues abondants, riches en humanité et spiritualité, adopte un style propre aux récits bibliques. Elle se base sur la Bible de Genève, répandue chez les protestants francophones, la Bible Osty respectant les hébraïsmes de l’AT et la structure de la phrase grecque du NT, ainsi que sur la TOB aux notices remarquables. Aucun discours indirect. « L’atelier de l’auteur », très apprécié des critiques, explicite les personnages et ses divers choix.

 

Présentation des 5 livres        

Découvert en 1950 dans un tombeau en Égypte, le manuscrit de la « Vie de Jude » est un ensemble de feuillets rédigé en copte, langue populaire de l’Égypte, certains mots sont en hébreu, d’autres plus nombreux en araméen, d’autres en grec probablement la langue originale du texte. Une analyse scientifique du papyrus et du cuir conduit à dater le manuscrit du IVè ou Vè siècle mais l’original grec du texte pourrait dater des années 75 à 85 de notre ère, comme les plus anciens textes canoniques. La disparition de plusieurs feuillets nous indique que Jude quitte sa famille pour suivre son frère aîné, devenant sinon l’un des 12 apôtres du moins l’un des premiers disciples de Jésus. Ce papyrus subit bien des détériorations. Ayant mieux résisté au temps, les 3è et 4è Livres reprennent le récit depuis la Résurrection jusqu’aux années qui précédèrent l’arrestation de l’apôtre Paul. Le rôle éminent de Jacques, qui devint le premier « évêque » de Jérusalem, y apparaît clairement. Le 5è Livre, plus endommagé, retrace les événements dramatiques de la guerre des Juifs contre les Romains, la destruction du Temple, et le sauvetage par Jude d’une communauté judéo-chrétienne réduite et peu à peu marginalisée.

Repères par les sous-titres                                                                                     pages du livre de poche

 

 

Premier Livre : de Nazara à Képharnaüm                                                                               p 11 à 80

La famille

La responsabilité éducative de Jésus, après la mort de Joseph

Mariages des frères      Jude vit son 1er  pèlerinage à Jérusalem

Disettes                        Jésus dit être la bouche inutile

Recherche du Royaume                        dans le désert de Juda

Jean le Baptiste

Jésus revient au village José exige sa part d’héritage    

Jésus à Képharnaüm     Quittant les Esséniens, Jude retrouve Jésus       Marie de Magdala

Guérison de Jacques

 

Deuxième Livre :   de la prédication à la Passion                                                                      p 83 à 149

Prédication en Phénicie Jude quitte son village et suit jésus                   Talitha

Echec de la mission de Sidon                Tabitha se joint aux disciples

Jude avoue son amour pour la Syro-Phénicienne

Jude accompagne Jésus en Pérée (Jordanie), puis en Samarie

Mort de Simon quatrième des cinq frères

Jésus : « qui-suis-je ? »

Jude demande à épouser Tabitha         Jacques se joint aux disciples

Les Rameaux                                       Perfidie des villageois

Jours avant la Pâque                             La «purification» du Temple

Bar-Timée, de Jéricho, renseigne Jude  Jude entend Jésus prédire la destruction du Temple

Le dernier repas

Guétsémani                                        Le procès

Dans le jardin de Jonathas                    Golgotha

 

Troisième Livre :   de Pâque à Pentecôte     1er martyr Etienne      mort de Marie                     p 153 à 217

 Jacques et Jude se retrouvent               Pierre revient vers Jacques, qui réconforte et décide

 Jésus n’est plus au tombeau                 Jésus apparait à Marie de Magdala

 Apparition aux disciples d’Emmaüs

 Apparition à 4 disciples au lac de Galilée      attente à Jérusalem       les yeux de Marie voient la lumière

 Apparition à Jacques                            Matthias est choisi comme 12è des Douze

 Dans l’attente du Jour du Seigneur       Pentecôte

  Pierre témoigne devant la foule                        Jacques témoigne au Temple

  La communauté s’organise                   Parler en langues : 1èr différend entre les saints

  Les Pauvres de Jérusalem                     communauté des biens de la qéhila   (ekklesia)

  Soutien des femmes aux veuves           Marie attend le retour de Jésus       les « trois colonnes »

  Remontrances des baptistes sur notre baptême

  Forte présence des Hellénistes             ardeur d’Etienne          diaconie

  Diversité des dons et de ministères

  L’Ecriture s’accomplit

  Mort d’Etienne             Persécution et dispersion

  Reprise en main           miracle de Pierre et Jean

  Mort de Marie

 

Quatrième Livre :  Missions dans les nations ; Paul                                                                  p221 à 293

 Faux-prophète et massacre                  Envoi en mission          

 Découverte de la fin du rouleau d’Isaïe

  Saül

  Pierre envoie Marc à Cyrène, accompagné de Jude

  Refus de statues grecques dans le Temple de Jérusalem                       Famine

  Retour de Saül à Jérusalem

  Mort de Jacques de Zébédée    Arrestation de Pierre    Fuite de Jean de Zébédée, puis de Pierre

   Face à la menace, fuite des disciples                 Jacques garde la maison

   Saül se fait appelé Paul à Cyrène, Jude s’oppose aux riches de la synagogue

   Jude s’occupe des pauvres                    A Tyr, José convertit artisans et marchands

   Jude à Antioche            les juifs n’acceptent pas les incirconcis à leur agape      Jude à Jérusalem

    Paul :    Jésus Sauveur               Paul et les non circoncis

    Danger des faux apôtres           Jude rassemble les « loggia » de Jésus         accueil des non circoncis

    Témérité de Paul                      juifs et païens à la même table  Concile de Jérusalem

 

Cinquième Livre :   Joug de Rome         Guerre des Juifs           Bonne Nouvelle de Marc          p 297 à 370

Humiliations et outrages au peuple de Jérusalem          départ de Pierre, Jean, et des fils de Jude

Paul déclaré faux apôtre :   mode du baptême, des mots «Jésus, Seigneur», la foi et les œuvres

 Paul critiqué : « Jésus,  Fils de Dieu » ; le joug de la Loi ; circoncision ;   accusé au Temple ; arrestation

 La guerre des juifs ;  colère de Jacques contre les grands Prêtres et les riches, lapidation de Jacques

Incendie de Rome, Persécutions des chrétiens, Mort de Pierr

Autour de Jude, les ébionim attendent le Royaume       massacres des juifs, des romains, des juifs

Refuge à Pella             

 Destructions et atrocités à Jérusalem                            mort de José, mort de Joël fils de Jude

 Divisions crées par Paul à propos de «Christ, fils de Dieu, est Seigneur» ;  exclusion des synagogues

Jérusalem en ruine ;  rejet des nazôréens des synagogues ;  Bonne Nouvelle de Marcus ;  Soif de Jésus

 

L’atelier de l’auteur                                                                                                                p 371 à 419

            Roman fortement documenté ; indication des sources

            Evolution historique de la considération des frères de Jésus                                          p 374 ; 380

            Evolution historique et spirituelle de Marie, mère de Jésus, Vierge éternelle                  p 375 à 378 ; 383 ss

            Position des exégètes catholiques                                                                                  p 387

            Choix de l’auteur concernant les sœurs, José et Simon                                                  p 388

            Synthèse sur Jacques                                                                                                     p 388-389-390

            Synthèse sur Jude                                                                                                          p 390-392

            Style du discours direct                                                                                                   p 393-394

            Imitation des notes de celles des vraies Bibles                                                                p 395

            Syntaxe et vocabulaire ;   modèle sur les trois synoptoques et les Actes des Apôtres      p 396-397à 399

            Montrer concrètement la vie des juifs sous l’occupation romaine                                      p 400

                        Avec les conflits théologiques, politiques et économiques

            Quelques mots sur Marie Madeleine                                                                                p 410

            A propos de Marie, mère de Jésus                                                                                   p 411-412-413

            A propos de Paul                                                                                                              p 416

 

En conclusion : Lire p 406 (bas), haut-milieu p 407 pour le Jésus « historique » ; « or à quoi arrivais-je » p 408

                           Lire p 416  « en bas « les pères de l’Eglise », puis la fin de la page 419

Premier Livre :

de Nazara à Képharnaüm

La famille

Je suis né dans un village de la Galilée, 5è fils de mon père et le 7è de ses enfants vivants, sous le gouvernement d’Hérode Antipas. Voici les noms de mes frères : Jésus, Jacques, José et Simon. Lorsque Marie, ma mère, enfanta son fils Jésus, elle avait environ 14 ans et, quand elle m’enfanta, mon frère Jésus avait atteint l’âge de 19 ans. Mes sœurs,nées avant Jacques, données en mariage à des veufs pieux, furent enceintes avant ma conception. Mon père, Joseph, homme juste issu du roi David, charpentier, mourut peu de jours avant ma naissance. Jacques, José et Simon n’étaient que des enfants. Jésus renonça alors à son désir de chercher la voie du Seigneur et par son travail, soutint seul toute la famille, faisant l’aumône aux miséreux malgré notre pauvreté. Ma mère travaillait comme une servante, chantant la grandeur de l’Eternel et la splendeur de Jérusalem. Jésus et Jacques avaient été nazirs dès son ventre pendant 7 ans. Notre père fit à Jérusalem les offrandes et mes frères furent relevés de la promesse de notre mère. Comme José et Simon, je ne fus pas «nazir» car devenus trop pauvres, nos parents ne pouvaient plus faire l’offrande

La responsabilité éducative de Jésus, après la mort de Joseph

Avant de mourir, mon père avait dit à Jésus «  je t’établis comme père sur tes frères». Jacques n’oublia pas la promesse d’obéissance. Jaloux, José l’oublia souvent. Jésus dut le châtier pour ses méfaits. A Nazara, le jour du sabbat, à la synagogue, parlant pour la 1ère fois devant les Anciens et les chercheurs de la Torah, il dit avec autorité «prions pour ceux qui nous insultent et pardonnons», puis il posa sur José un regard d’une grande douceur. Mais José entraînait Simon dans la révolte et l’envie. Mon frère aimé du Seigneur résolut de les séparer. Jésus m’incitait à bien écrire l’araméen et l’hébreu, mais il ne voulait pas que je devienne scribe ou docteur. Plus tard, il me demanda de lire les chants du prophète Isaïe, m’expliquant le sens des mots. Jacques m’instruisait aussi. José refusa d’étudier les Ecritures. Resté révolté, il ne voulait rien recevoir de ses frères. Simon l’imita.

Mariages des frères  Jude vit son 1er  pèlerinage à Jérusalem

Jacques épousa Sara, que Jésus avait choisie pour lui. José épousa la fille unique du potier, habita avec eux. Lisant seul le rouleau d’Isaïe, j’étais épouvanté par la violence des épreuves annoncées. Jésus m’apaisa sans me tromper «Dieu sauvera de la désolation les saints et les justes, les repentis et les rachetés». Il priait «Père que j’aime, permets moi de restaurer ton royaume. Laisse-moi aller vers tes enfants perdus». N’ayant jamais entendu personne appeler «Père» le Très Haut, je crus qu’il avait parlé à Joseph. Puis ce fut la Pâque, pour la 1èrefois, j’ai pu aller à Jérusalem. Je me taisais; les Judéens ne pouvaient se moquer de mon accent de galiléens, nous prenant pour ignorants et demi-païens.

Disettes          Jésus dit être la bouche inutile

Vint la 7è année, sabbat de la terre d’Israël, la 8è fut celle de grandes disettes dans tout le pays. Notre misère était à son comble. Jésus acheta du blé à des Grecs. Les riches et égoïstes beaux-frères le critiquèrent durement. Jacques le regarda avec défiance; craignant Dieu, il ne jugeait jamais trop lourd le joug de l’Eternel. Tous amaigris par la faim, Jésus dit à notre mère «je suis la bouche inutile» et partit. Il fut accusé d’abandon par nos beaux-frères et cousins. La sœur de notre mère le défendit «hommes durs, vous ne l’aimez pas parce qu’il n’est pas comme les autres». Sur le Royaume dont Jésus parlait, ma mère dit qu’il n’était qu’un enfant, au temps où le César ordonna le recensement des terres pour son impôt. Yéhouda le Galiléen souleva le peuple contre lui, les soldats romains le châtièrent par de nombreux hommes crucifiés le long des routes. Alors Jésus se mit à parler d’un Royaume de Justice. (en 6 de notre ère, Jésus avait 10 ans)

Recherche du Royaume                    dans le désert de Juda

Jacques m’envoya étudier les Cinq Livres de Moïse chez un hazzan. J’avais 11 ans passés. Un jour, un Judéen d’Hébron, dit «Ton frère a vécu dans la solitude du désert très austèrement. Sitôt guéri de la fièvre, il a marché au nord de la Mer Salée.» J’ai pensé qu’il voulait rejoindre les Fils de Lumière, ces chastes serviteurs du Très-Haut, retirés au-dessus de la ville. Simon travaillait avec José devenu artisan potier. Léa, la femme de José restait stérile. Simon se maria à l’âge de 17 ans. Nous étions accablés de fatigue et rassasiés de pauvreté. J’ai prié l’Eternel pour que vienne notre délivrance.

Jean le Baptiste

On parlait d’un prophète appelé Jean le Baptiste. Je pensais qu’il était nazir, d’un vœu prononcé à vie. Il prêchait d’une voix rude, invectivait les sacrificateurs du Temple, les lévites et les sadducéens de Jérusalem, exhortait à la pénitence. Par l’eau du baptême, il demandait que Dieu purifie. Des Galiléens vivaient avec lui, baptisant en attendant un monde nouveau. Je ne savais pas que mon frère Jésus était parmi eux. J’ai demandé à Jacques la permission d’entendre le Baptiste. Il était comme une muraille, qui renferme mais protège.

Jésus revient au village         José exige sa part d’héritage           

Un soir, vinrent trois hommes chevelus et mal vêtus, je ne reconnus pas mon frère Jésus. Notre mère, nos frères et nos sœurs écoutèrent comment ils avaient été disciples de Jean le Baptiste, allant depuis sa mort de village en village en fuyant les soldats d’Hérode. Irrité, José exigea de Jésus la part d’aîné du bien de leur père. Jésus lui dit «sois béni mon frère. Il est bon que je sois délivré de tout bien. Tel est le dessin du Très-Haut». La main sur l’épaule de Jacques, il lui dit «tu es trop sage, Dieu vomit les tièdes et leur cache sa face» Alors José lui montra le poing : «qui t’a fait le rabbi de tes frères, paresseux, hypocrite ?» Ma mère pleura. Tous se dispersèrent. Le lendemain, Jésus me serra dans ses bras et dit « fils ne garde pas rancune à José. Ce qu’il a fait, il avait à le faire». J’avais vécu près de 14 ans et voulais purifier mon âme par le voyage et la prière, me rapprocher du Serviteur de Dieu et de celui qu’il appelait son Père. Jacques s’entretint en secret avec ma mère et me permit de quitter la maison jusqu’à la moisson suivante.

Jésus à Képharnaüm Quittant les Esséniens, Jude retrouve Jésus             Marie de Magdala

Jésus était à Képharnaüm, dans la famille d’André, venu chez nous, et disciple de Jean le Baptiste. Il avait un frère Simon, associé à Zébédée, un autre pêcheur qui demeurait à côté avec Salomé sa femme, ses fils Jacques et Jean, âgés d’environ 15 ans. Alitée par une violente fièvre, la belle-mère de Simon fut guérie par Jésus qui lui toucha la main, elle se leva. Alors il crut et demanda à Jésus de rester. Jésus parcourait le pays pour guérir et porter la bonne nouvelle du Royaume. Il imposait les mains au nom du Très-Haut et remettait les péchés sans verser d’eau. J’étais établi chez les Fils de Lumière, à Jérusalem près de la porte de Sion. Je savais qu’ils étaient les ennemis des sadducéens. Je voulais connaître leur doctrine car Jean le Baptiste avait vécu dans une de leurs maisons avant de se retirer au bord du fleuve. Hélas, ils ne construisaient l’Israël du Seigneur que pour eux, bien à l’abri de la misère et du malheur. Jean le Baptiste n’avait pas gardé leur enseignement, voulant par le repentir du baptême sauver tous les enfants d’Abraham même les publicains, brigands et sacrificateurs. Je quittai ce nid étroit sans amour et repris le chemin de la Galilée.

La belle-mère de Simon m’envoya dans la maison de Marie, veuve d’un riche saleur de Magdala. Elle avait de l’âge et de l’autorité. Chez elle, on entendait les cris de douleur des blessés dont on lavait les plaies, le râle des enfants perdant le souffle et les gémissements des paralytiques. Je dis «d’où vient que le serviteur de Dieu se souille de la sorte ?» La Magdaléenne répondit que le Maître dit «ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecins mais les malades. Je veux entrer dans la maison des égarés, embrasser ceux qui se croient indignes de me recevoir». Je dis à Jean et Jacques, les associés de Simon-Pierre, «Priez-le, ton frère Jude a faim de ton amour».

Guérison de Jacques

La blessure de Jacques à la jambe, quand la poutre s’était abattue sur lui, ne guérissait pas. Il ne pouvait plus se lever, la maladie était à la mort. Priant près du muret de la vigne, Jésus dit «je suis venu dès qu’on m’a dit que tu voulais être nourri». Je dis «Rabbi, je te prie seulement de guérir Jacques. Je t’en supplie: si tu le peux, sauve-le !» Jésus dit «Jude, enfant de peu de foi ! Pourquoi m’appelles-tu Rabbi si tu n’as pas confiance en moi!» Je m’écriai «Béni du Seigneur, je croirai ce que tu m’enseigneras, je ferai ce que tu voudras, sauve Jacques». Pris de compassion, il posa sa main sur la main de notre frère, dit avec autorité «Jacques, lève-toi, je te l’ordonne». Jésus dit «Abba est vivant, Jacques, il est vivant! Marche». Joyeux, tous partagèrent le repas. Pour la première fois, José regardait notre aîné avec respect.

Deuxième Livre :

de la prédication à la Passion

 

Prédication en Phénicie        Jude quitte son village et suit jésus             Talitha

A Jean, le plus jeune des Douze, je dis : pourquoi notre rabbi se retire-t-il dans ce territoire d’impies ?» Il dit «Dans tous les ports de la Grande Mer, aux enfants d’Israël dans la Diaspora, André parle dans la langue des Grecs, ainsi le Maître les enseigne». Les principaux de la synagogue ne nous recevaient pas, craignant notre impureté pour être entrés dans la maison d’un sans-Loi. Jésus dit avec colère: aux prêcheurs de la synagogue, «vous liez des fardeaux sur les plus petits, disant c’est la tradition qui l’exige. Notre Père nous a donné la Loi! La Loi est la parole du Père, la tradition le balbutiement des fils. Furieux, des scribes dirent «Qui t’a donné autorité ?» Des Grecs de Syrie, des craignant-Dieu, et leurs malades, non circoncis, furent chassés de la synagogue. L’Elu du Seigneur ne s’approcha pas d’eux, il ne voulait pas scandaliser les petits d’Israël, car il était venu pour les brebis perdues de notre maison, pas pour les païens. Jésus fut interpellé par une femme grecque, phénicienne d’origine, lui demandant de libérer sa fille de 12 ans cruellement tourmentée par un démon. André insista pour que le rabbi renvoie la femme. Se tournant vers sa maison, Jésus d’une voix forte «jeune fille, lève-toi» puis dit à la femme «va maintenant parce que tu as cru, le démon est sorti de ta fille» Sur-le-champ, la fillette fut guérie et vint sur le seuil. Je devins amoureux de Lydia-Talitha (jeune fille). Jean de Zébédée me mit en garde, je m’éloignais de la fillette. Il me dit « considère qu’en tout lieu, tu n’es qu’un voyageur. Nul ne peut se dire mon frère s’il ne s’est fait errant, mendiant, étranger, passant».

Echec de la mission de Sidon                        Tabitha se joint aux disciples

Le jour du sabbat, des pharisiens et un lévite nous reprochèrent d’avoir touché des lépreux et de ne pas avoir ordonné pour leur purification ce que Moïse avait prescrit. Une grande foule nous accusa de souiller la ville, certains nous jetèrent des pierres cherchant à nous tuer. Beaucoup vinrent à nous, chacun voulait nous recevoir dans sa maison. Sa mère décédée, Lydia voulut suivre le Maître. Marie lui dit «que sais-tu, ma fille, de notre doctrine? Jean s’écria «pouvons-nous prendre une syrienne qui n’est pas la fille d’un circoncis?» Mais elle connaissait toutes les prières de la synagogue. Marie eut compassion de sa jeunesse et la prit dans sa maison. J’avais environ 16 ans, des femmes se moquèrent de moi, car je n’avais ni femme, ni enfant Je pensais à Talitha, qu’elle souillait par leur risée.

Jude avoue son amour pour la Syro-Phénicienne

Mon frère, béni du Très Haut, entouré de malades, de mendiants, m’embrassa. Je dis comme un insensé «pour qui as-tu ouvert ta main ? D’où viens-tu ?» Alors changeant de visage, il dit «moi, je sais d’où je viens, toi tu ne sais pas où tu vas». Confus, je dis «Jésus ne sois pas irrité contre moi, je n’ai pas péché avec l’étrangère. Rabbi, laisse-moi épouser la Jeune-Fille, ne lui tiens pas rigueur d’être née dans les Nations, elle craint Dieu depuis toujours et elle attendra le Royaume avec moi» Tiens-toi prêt Jude et rassemble autour de l’arche tous ceux qui veulent être sauvés Malheur à l’âme qui dépend de la chair !».Laissant Talitha derrière moi.

Jude accompagne Jésus en Pérée (Jordanie), puis en Samarie

Trois fois Jésus me dit «Jude, bar-Joseph, m’aimes-tu?» Je dis «mon frère je t’aime depuis que je suis né !» Il dit «veille sur toi, petit», la 2è fois, je dis «Rabbouni, tu sais bien que je t’aime !», il dit «veille sur moi, mon frère». La 3ième fois, je dis «Béni du Seigneur, tu es l’Elu de Dieu, il te donne connaissance de toutes choses, tu sais combien je t’aime» Il dit «veille sur mes agneaux, fils» et il s’endormit. Amer quand l’Elu du Seigneur laissait Jean persuader qu’il était son disciple préféré, je voyais qu’il se donnait à tous les autres alors que j’aurais voulu avoir mon frère pour moi.

Mort de Simon quatrième des cinq frères

Simon, 20 ans, venait de mourir. Près de la rivière; il avait une seule plaie, sa ceinture dérobée et les franges de son manteau coupées. Jésus me dit «Dans ce temps-ci, le Père nous rendra au centuple les frères que nous aurons perdus et dans le temps à venir, il donnera à tous, vivants et morts, la vie éternelle. Aie foi!»

Jésus : « qui-suis-je ? »

Au pays de Damas, nous demeurions chez le chef de la synagogue, proche des pharisiens de Gamaliel. Il avait porté tous ses fils au tombeau et espérait dans la résurrection des morts. Jésus aimait cet Ancien et me demanda «qui suis-je au dire de cet homme ?» Je dis «Un grand prophète, Rabouni» Il dit «et mes disciples qui disent-ils que je suis ?» «Pour Petit-Jacques, le Baptiste ressuscité. André voyant que tu remets les péchés sans verser d’eau, dit «le Rabbi n’est pas le Baptiste, il est le nouveau Moïse qui vient pour restaurer la Loi». Simon et Judas disent «cet homme est le fils de David, qui délivrera Israël du joug des Nations. Matthieu, qui lit les prophéties, dit «il est le Fils de l’homme qui nous est promis à la Fin des temps» Pierre, qui ne connaît que quelques oracles, «Moi qui ne sais rien, je sais que le nom de notre Rabbi est Messie». Jésus s’écria «ne répète ce mot à personne, la langue est un piège de mort !» Il me demanda «pour toi, qui suis-je ?»Comme un homme qui se noie et appelle à l’aide, je dis «tu es celui que mon cœur aime». Jésus sourit puis s’assombrit «cependant, tu me quitteras; en vérité, tu m’aimes mais ne me préfères pas».

Le soir, me sentant solitaire dans la multitude, je recommençais à songer à la Jeune-Fille.

Jude demande à épouser Tabitha      Jacques se joint aux disciples

Les fils de Zébédée méprisaient la syro-phénicienne. Je dis «je désire être avec elle jusqu’à l’avènement du Royaume !». Judas l’Iscariote et l’autre Judas, surnommé Thomas, dirent à Jésus «Se peut-il que tes commandements soient différents pour tes frères de sang ?» Jésus se tourna vers eux, sa voix taillait des lames de feu «êtes-vous sans intelligence ? Vous jugez selon la chair, moi je sais ce qui est dans le cœur de chaque homme. Si sa chair est faible, son cœur est ardent, il finira par entendre la parole du Père». Jacques dit «guéri de ma blessure, la vie qui m’a été rendue appartient à l’Eternel et à toi, le saint qu’il a choisi pour sauver son peuple. Rabbi, laisse Jude auprès de notre mère, avec la femme que nous lui donnerons pour épouse. Enivré, José, s’insurgea. Jésus dit avec colère « Apprends que la fillette est purifiée depuis que sa mère et elle ont mangé une miette de notre pain. Même en Israël, je n’avais pas trouvé une aussi grande foi ! Je sus que Jésus m’aimait comme il aurait aimé un fils. Ayant vu la guérison de Jacques, José commençait à croire en Jésus mais il espérait que notre bien-aimé deviendrait roi d’Israël, combattrait les païens avec l’épée et le bâton. Soupirant, José dit «allons à Jérusalem. Montre-toi aux principaux du Temple pour qu’ils voient tes œuvres et en soient troublés» Jésus dit «mon temps n’est pas encore venu». Il demeura en Galilée avec Pierre, André et Jean de Zébédée, disciples en qui il se fiait de préférence à tous. Il garda Jacques auprès de lui.

Jude et sa jeune épouse Tabitha rentre au village

Talitha se purifia selon le rite et donna les vêtements précieux reçus en cadeau à Matthieu, qui les vendit pour les pauvres et les malades de la Magdaléenne. De retour au village, à ma mère, assise sous le figuier, je dis «Mère voici ta fille», à Talitha «Femme, voici ta mère». Ayant mal entendu, ma mère l’appela Tabitha, signifiant «gazelle»; qui resta son nom pour tous. Ma mère donnait aux pauvres du village. Elle vieillissait, dormait peu. Pleine de joie, elle disait «Jésus leur donne un cœur nouveau !, il hâte le temps du Royaume, les délivre de leurs péchés et de leurs démons. Aux petites gens comme nous, il parle en paraboles et tous le comprennent.»

Les Rameaux              Perfidie des villageois

Le chef de notre synagogue dit à notre mère: «des pèlerins montés à Jérusalem, ont accueilli un prophète avec des transports de joie. Ils l’appelaient Jésus, Fils de David et agitaient des rameaux d’olivier. Quand il se déclarera roi, je me prosternerai à ses pieds.» Dès qu’il partit, ma mère se mit à rire des paroles de ce menteur. Un muletier lui dit «sur l’impôt, ton fils a conseillé de donner au César le denier exigé. José s’indigna. Je lui dis «Le Béni du Seigneur a pris ces hypocrites à leur piège : s’ils ont entre leurs mains la monnaie impure des Romains, eux qui craignent tant de se souiller, qu’ils la leur rendent! Qu’ils rendent à Dieu ce qui est à lui : cette terre d’Israël où nous bâtissons le Royaume». Le muletier : «pour certains, ton fils est un ivrogne et un luxurieux car il ne jeûne pas comme le Baptiste, n’écarte pas de lui les mauvaises gens». Elle dit «Jésus sait ce qui est juste. Que de pièges et trappes autour de lui !»

Jours avant la Pâque             La «purification» du Temple

Une grande confusion cacophonique entourait le Temple, au-dessus duquel se tenaient les soldats romains, comme des idoles de pierre. Comment l’Eternel aurait-il reconnu son tabernacle ? Les agneaux et colombes étaient vendus dix fois plus chers. Je vis l’esplanade des païens agitée de mouvements contraires. Une vieille judéenne me dit «C’est le prophète, ce Galiléen qui se prétend fils de David et se prend pour Moïse. Il a parlé du Veau d’or, alors que nous faisions tranquillement nos affaires». Il criait : «Il est écrit: Ma maison sera une maison de prière. Vous en faites une caverne de voleurs!» En agitant le peuple, il attirera sur nous la colère des romains»

Bar-Timée, de Jéricho, renseigne Jude        Jude entend Jésus prédire la destruction du Temple

Jacques dit «nous voilà exposés à tomber: le berger et ses brebis seront également frappés ». Le Maitre prend son repos à Beth-Ania dans la maison de Simon, le Lépreux, qu’il a guéri. Aucun lévite n’ira le chercher là-bas, ils craignent trop de se souiller !» Pâque approchait. Ma mère, trop lasse, restait dans la tour du pressoir de Jonathas.

Jésus enseignait sous la colonnade où se trouvaient les maîtres de sagesse. Il s’irritait contre ceux qui lui tendaient des pièges». Il dit «les jours viendront où, de ces grandes constructions, il ne restera pas pierre sur pierre, même le sanctuaire sera ravagé !» Le lévite cria «que veux-tu, Galiléen, détruire ce Temple ? Insensé! Faux prophète !»

Le peuple de Judée se divisait à propos de Jésus : pour certains, «il est Elie redescendu des Cieux ! » Mais beaucoup s’écriaient «il a un démon, il est fou !». Les sacrificateurs et les scribes disaient «Accusons celui qui veut être roi d’Israël et jette le trouble dans nos parvis !» Ma mère se mit à prier «Eternel, beaucoup de fils d’Israël sont encore à sauver N’abandonne pas si tôt ton enfant aux oppresseurs.». Elle s’endormit près du feu, et je m’endormis.

Le dernier repas        (Le récit qui suit, Jude le tient sans doute de Jacques)       

Ayant rendu grâce, triste, l’Elu du Seigneur dit «je sais que mon heure est proche. Que votre cœur ne s’alarme pas : ceux qui m’aiment garderont ma parole. Assemblez-vous lorsque vous aurez faim, car je suis le pain qui nourrit. Et vous, enfants, quand vous serez réunis tous ensemble, vous serez ma chair et mon sang. La flamme brûlera et jamais elle ne s’éteindra.» Pierre dit «moi, je ne te quitterai pas même s’il fallait mourir pour toi»; Le reprenant, Jésus dit «Simon quand je partirai, Satan te réclamera pour te passer au tamis. Je prie pour que tu ne défailles pas lorsque ces choses s’accompliront.» Comme il en avait coutume, il prit le pain, le rompit en autant de morceaux qu’il y avait de convives et en distribua les parts. Pensant «le Maître se retire au désert pour échapper aux prêtres du Temple, mais bientôt il reviendra plus fort et, avec l’aide des anges, il restaurera la royauté divine sur la terre d’Israël», Jean de Zébédée demanda «lequel en attendant ton retour deviendra le plus grand d’entre nous ?».Jésus répondit «où que vous alliez, mes enfants, vous vous tournerez vers Jacques le Juste (évangile de Thomas logion 12, église judéo-chrétienne de Jérusalem, dont Jacques fut l’Evêque) Il saura vous rassembler quand on vous persécutera à cause de moi, et vous conduira». Le même soir, il prit la coupe, rendit grâce au Seigneur et dit « buvez ce vin entre vous, je ne boirai plus jamais du fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu.» Ils pensèrent que le Maître, comme le Baptiste, venait de prononcer le vœu d’abstinence pour le reste de sa vie.

Guétsémani                           Le procès

Judas l’Iscariote dit « Maître, tu es las, reste près du torrent, dans l’oliveraie de Guétsémani, où dorment ceux de la Pérée et du Jourdain »André dit «Ce sont des disciples du Baptiste» Quand se relevant de sa prière, il revint vers ses disciples endormis. Judas resté seul éveillé, revint du fond de l’oliveraie vers Jésus, et posant la main sur son épaule, il dit «ne craint pas, Rabbi». Des lévites et serviteurs du Temple armés de bâtons sortirent de l’ombre et se ruèrent. Abandonnant l’Elu de Dieu, tous les disciples s’enfuirent dans la nuit. Judas courait avec eux en poussant des cris.

Kaïphe, gendre d’Hanân, et par lui, Hânan gouvernait encore le Sanhédrin et commandait dans le Temple. Les deux faux témoins dirent «il blasphème le Temple de l’Eternel. Jésus se taisant, ils finirent par se contredire. Hanân, hors de lui, rendit le prisonnier aux gardes. Kaïphe leur commanda de livrer le Galiléen aux Romains, eux seuls pouvaient le faire mourir pour les troubles causés dans le sanctuaire. Les lévites menèrent Jésus chez les païens, dans le palais du préfet Pilate. Ils restèrent à la porte pour ne pas se souiller, Pilate dit «es-tu le roi des juifs ?» Jésus dit «c’est toi qui l’as dit». Il s’écria que seul le divin Tibère César était roi de la Judée et la Samarie. Jésus ne répondait pas.

Dans le jardin de Jonathas                           Golgotha

A l’aube, aucun des bruits de la nuit n’était monté de Guéthsémani. Bar-Timée dit «Ils ont arrêté le Maître. A Guétsémani ! Ils les ont tous arrêtés ! Pas tous, j’ai vu Pierre s’échapper». Ma mère, plus blanche que la laine, dit «allons là-bas» mais elle trébucha plusieurs fois sur les pierres du chemin en courant derrière moi pour descendre le lit du torrent. A genoux dans la poussière, elle criait «où est Jésus, la lumière de mes yeux ? Délivre mon unique Seigneur, délivre-le !».Quand la procession des condamnés se trouva face à moi dans la ruelle, je vis que le Serviteur de Dieu était nu, vêtu de son sang qui ruisselait, car les soldats l’avaient fouetté jusqu’à l’os. Le raillant, certains lisaient à voix haute la planchette accrochée à son cou «Roi des Juifs». Beaucoup se taisaient. J’étais parvenu dans les premiers rangs du peuple, mais les soldats empêchaient les juifs de monter sur la butte du Golgotha. Ils nous découvraient la honte (nudité totale) de ceux qu’ils exposaient sur le rocher. Je voulus détourner les yeux, mais, en les levant vers son visage, j’accrochais son regard. Ses lèvres remuèrent, il s’efforçait de me parler. Je n’entendais pas ce qu’il disait. Lui, m’aima jusqu’au bout, prononçant les mêmes mots, qu’il espérait graver dans mon esprit. Soudain je pris peur, je craignais qu’il n’attire sur moi l’attention des soldats. Voyant qu’il s’épuisait à dire ce que je ne comprenais pas, je cédai mon rang aux hommes vils qui me bousculaient.

Ce cruel supplice, ma mère le vit. Elle gardait les yeux ouverts, tenant son «unique» au bout de son regard, comme pour l’aider à respirer. Pleurant sans bruit, elle disait «Malheur aux yeux qui voient ainsi les tourments d’un fils…». Alors l’Eternel eut pitié : sa vue se retira de ses yeux, comme la vie se retirait de son âme, et dans cet instant elle devint aveugle ( aucune allusion des évangiles ou apocryphes, il pourrait s’agir d’un ajout)

Troisième livre : de Pâque à Pentecôte 

          1er martyr Etienne    

  Mort de Marie

 

Jacques et Jude se retrouvent                       Pierre revient vers Jacques, qui réconforte et décide

Les disciples se cachaient dans des citernes, jardins ou celliers, s’attendant à être livrés. Le jour du sabbat, nous ne pouvions marcher vers la Galilée sans transgresser la Loi. J’avais fui dans le haut quartier, nommé «Sion», espérant trouver asile chez les Parfaits. Dans une rue déserte, je retrouvai Jacques assis en haut d’un escalier. Nous gémissions, n’osant prononcer le nom du Maître, car la honte de son supplice était sur nous. «Qui lui donnera une sépulture ? » Les Romains l’avaient descendu de la croix pour ne pas scandaliser le peuple d’Israël dans un jour deux fois saint

(les historiens suggèrent le 7 avril de l’an 30 ou le 3 avril de l’an 33)

Pierre fut le premier des Douze à nous rejoindre. Il dit «qu’on ne m’appelle plus jamais Pierre! Car je m’effrite comme de l’argile ! J’ai renié celui que j’aimais !» Jacques dit «c’est bien le signe que les prédictions de Jésus s’accomplissent, qu’il était un grand prophète» Pierre dit «ton frère n’a pas prophétisé qu’il allait mourir avant la Pâque, sur la croix comme un voleur, un sans-Loi !» et il pleurait. Jacques, depuis qu’il parlait avec Pierre, gagnait en confiance «garde-toi de blasphémer Simon ! Il est écrit Celui qui nous faisait respirer, le Messie de l’Eternel, a été pris dans leurs fosses.Adorons la volonté du Seigneur. Nous rassemblerons le petit troupeau de nos frères dans un lieu sûr et, ensemble, nous attendrons la Fin des temps en priant le Tout-Puissant» Il me demanda de trouver la Magdaléenne, puis Bar-Timée l’Aveugle, qui se rendant en tous lieux, pourra aider à notre salut. Je les retrouvai ainsi que Salomé, Bar-Ptolémaïs, Matthieu, Jacques et Jean. J’appris qu’André et Philippe s’apprêtaient à emmener certains vers la Galilée. Bar-Timée dit «hâtez-vous de partir si vous ne voulez périr!». Mais la Magdaléenne désirait rester pour pleurer Jésus pendant les 7 jours du deuil. Elle avait vu qu’un homme important du Sanhédrin, avait donné de l’argent aux soldats pour faire emporter le corps de Jésus. Après l’avoir lavé, répandu sur lui aloès et aromates, enveloppé d’un linceul, ils l’avaient déposé dans un tombeau neuf, puis avaient roulé la pierre devant la tombe. Elle dit «demain, dès le lever du jour, je descendrai au tombeau avec Salomé.» Jacques décida qu’avec Pierre, les fils de Zébédée et moi, nous ne laisserons pas les femmes seules à Jérusalem.

Jésus n’est plus au tombeau                        Jésus apparait à Marie de Magdala

Nous n’avions pu retrouver ni Sara, ni notre mère, ni José. Jacques avait appris que Judas s’était pendu, «Honte à nous !» Il ne voulait plus manger son pain (évangile des Hébreux). Je retrouvai Marie de Magdala, chancelante, s’écriant «ils l’ont enlevé et nous ne savons pas où ils l’ont mis !». Le jour d’après, comme elle était retournée seule là-bas, elle revint dans la maison toute tremblante et ne nous parlait plus. Le lendemain, elle me révéla sa rencontre avec Jésus, qui lui dit  «Va dire à mes disciples que je suis ressuscité des morts. Dis-leur que je les précède en Galilée». Saisie d’effroi, elle ne put rien dire à personne et me demanda de garder le secret. «Je n’ai pas reconnu le Maître mais c’était bien sa voix !». Nous ne pouvions porter la nouvelle à ceux que Jacques et Pierre rassemblaient dans la maison. Tous se seraient moqués d’elle. Je la plaignais car c’était la première fois qu’elle désobéissait à Jésus.

Apparition aux disciples d’Emmaüs,

La nuit tombée, Jean de Zébédée vint à moi. Son visage rayonnait «Le Maitre est vivant ! Il est ressuscité ! » Cléophas nous a tout dit. Avec Yossi Bar-Sabbas, ils étaient en route vers la Galilée, mais ayant des parents à Ephrem, ils préférèrent passer par le chemin des montagnes. A 20 stades (4km) de Jérusalem, un voyageur, le châle sur la tête, les rattrapa et demanda de quoi ils parlaient. Partant de Moïse et de David, il leur expliqua ce qui, dans les Ecritures, concernait la Promesse. Ils arrivèrent près d’un village nommé Les Sources (Emmaüs en araméen). A table, il dit les bénédictions sous son châle. A la fraction du pain, les disciples reconnurent Jésus. Mais lui, se levant, disparut dans la foule. Aussitôt, ils vinrent nous l’annoncer à la salle haute. Je racontai ce que Marie avait vu au tombeau. Il y eut un tonnerre de joie. «Il ne nous a pas abandonnés. Il est ressuscité ! C’était écrit !» (Osée, et le Livre des Jours). Quelques-uns doutaient. Tous se tournèrent vers Jacques qui dit «peut-être que notre sœur Marie et nos deux frères ont-ils vu des anges ?» Cléophas protesta, puis je dis «sa lumière aurait éclairé le vestibule du tombeau, or Marie est restée dans l’obscurité» Pierre dit «retournons dans la Galilée sans plus tarder car la vision de Marie l’a ordonné». Jacques «Prions d’abord. Restons ici 7 jours, jeûnons pour que l’Esprit de l’Eternel, souffle de conseil et d’intelligence, nous pénètre et nous guide.» Il fut fait comme il le voulait. Ma mère vint aussi. Après le supplice de Jésus, Sara l’avait trouvée aveugle et assise dans la poussière du Golgotha. Je l’avais abandonnée. J’implorais son pardon. Avec douceur, elle caressa mon visage et mes cheveux; et dit en souriant «Adorons l’Eternel».

Apparition à 4 disciples au lac de Galilée       attente à Jérusalem         les yeux de Marie voient la lumière

A la porte de notre chambre haute fermée par crainte, André vint frapper. Il revenait de Galilée pour nous annoncer que Jésus s’était montré à lui, Jacques de Zébédée, Matthieu d’Alphée, Petit-Jacques et Philippe. Cris d’allégresse. Ayant dit à la Magdaléenne «je vous précède en Galilée», il était apparu à nos frères au bord de la mer comme il l’avait annoncé. Mangeant avec les 4, (Jude insiste qu’il ne s’agit ni d’un ange de lumière, ni d’un fantôme), il leur avait dit «je monte à Jérusalem». André pensa que Jésus leur ordonnait d’y attendre son retour dans la gloire du Père. Nous eûmes foi dans cette parole. Plusieurs disciples revinrent vers nous. Mon frère José, reparti à Nazara avec notre âne, me dit «ta femme a accouché d’un fils, circoncis au 8è jour, et l’a nommé Yeshua» Revint Matthieu qui avait reçu un collier d’or d’un caravanier baptisé la veille de la Pâque. Jacques, voyant que nous étions 40 pour prier, le nombre augmentant sans cesse, vendit le collier pour une plus grande maison. Jésus était ressuscité et nombreux étaient ceux auxquels il se montrait. Peu après, je prenais ma mère par la main un jour de sabbat pour la conduire dans la synagogue proche des bains de Siloë (purification). Sa vue revint peu à peu. Elle dit «j’ai retrouvé la lumière ! Glorifions l’Eternel, Il a eu pitié de sa servante, il permet que je revoie mon fils de mes yeux quand il reviendra dans la maison. Elle demanda «quand Jésus est revenu du séjour des morts, avait-il avec lui son frère Simon ?»

Apparition à Jacques                         Matthias est choisi comme 12è des Douze

Les onze décidèrent de choisir parmi les disciples un «douzième». Pierre voulait un témoin de Jésus depuis son baptême par Jean jusqu’à sa résurrection d’entre les morts. Mon frère Jacques ne pouvait être regardé ainsi, car il ne l’avait rejoint que la dernière année. Il me dit «à moi aussi Jésus est apparu quand je dépérissais à cause de sa mort, la folie de Judas et la fuite des nôtres. Je jurai de ne plus manger mon pain, désirant goûter la mort. Une nuit, je vis une table brillante et un gros pain. Un homme vêtu de blanc rompit le pain, me le donna en disant : «mon frère, mange ton pain, le Fils de l’homme est ressuscité d’entre ceux qui dorment. (évangile des Hébreux; Paul ICo 15,7). Craignant d’avoir été trompé par un rêve, je n’osai rien dire.» Pierre et André présentèrent deux témoins Yossi et Matthias. Tous prièrent. Le sort désigna Matthias. Je dis à Jacques «faisons monter de Galilée nos femmes et enfants, ceux de Jéricho et de Beth-Ania qui aimaient le Serviteur de Dieu et suivent sa Voie, cette maison sera comme l’arche de Noé. Un soir, des femmes se mirent à chanter «Je ne mourrai pas, le Seigneur est avec moi», «j’ouvrirai la bouche et son esprit parlera par moi». D’autres se mirent à prophétiser contre Rome, Jérusalem. L’Esprit jeta par terre l’un des Douze, qui, ayant reçu le don de voir et d’annoncer, vit le Dernier Jour et le châtiment des pécheurs (Pierre et Jean prophétisaient, Actes des Apôtres).

Dans l’attente du Jour du Seigneur             Pentecôte

Nous ne formions qu’une seule âme, ne dormions pas, mangions peu car la bourse de Matthieu s’épuisait. Ma mère dit «vendons ce que nous possédons dans notre village». Le 50è jour après la Pâque, 1er jour de la fête des Semaines, il y eut une grande tempête et les ténèbres vinrent. Jacques exhortait «Prenez confiance dans le Seigneur !» Le vent s’engouffra dans la salle, arrachant la porte. La terreur fut sur nous. Entra une boule de feu, des langues, semblables à des flammes, apparurent et se séparant les unes des autres, se posèrent un instant sur chacun. Quand tout fut revenu dans le calme et le silence, nous posions beaucoup de questions autour de nous, aucun ne comprenait ce que disaient les autres, nous parlions tous dans d’autres langues que celles de nos pères.

Pierre témoigne devant la foule                  Jacques témoigne au Temple

Une multitude de pèlerins accourut «ne sont-ils pas Galiléens ? D’où vient que nous les entendions parler dans les langues d’au moins 12 Nations ?». Pierre éleva la voix pour témoigner : «Fils d’Israël ce qui survient ici est ce qu’avait annoncé le prophète, l’Eternel nous a envoyé le Souffle afin que nous parlions en langues, car il nous charge de porter la nouvelle du Royaume aux enfants d’Abraham qui ne peuvent l’entendre dans la langue de nos pères». Jacques dit : «un feu est allumé. Allons crier sur les parvis que l’Elu du Seigneur est ressuscité et qu’il connaît le chemin de la mort à la vie. Hâtons-nous !» Montant au Temple sans détour, comme un homme qui n’a plus de crainte, il dit : «depuis que les sans-Loi (prudence par rapport au Temple) ont fait mourir Jésus sur le bois, beaucoup parmi nous l’ont vu vivant dans sa chair, le Très-Haut l’a relevé d’entre les morts. Il est vivant ! (par opposition aux dieux «morts» des païens). L’heure du jugement approche. Israélites mes frères, sauvez-vous de la mort !». C’était la 1ère fois que Jacques enseignait. La peur s’emparant des cœurs, 40 Judéens le suivirent depuis le Temple jusqu’à notre maison. Venus des campagnes, des pèlerins couchèrent dans notre rue mais bientôt ils demandèrent à manger.

La communauté s’organise               Parler en langues : 1èr différend entre les saints

Tandis que Pierre et Jean exhortaient les Judéens et les pèlerins, Jacques et José acquirent meules à bras et grains. José vendit ses biens pour les pauvres, espérant que Jésus se montre à lui. Quand je n’instruisais pas les postulants que Philippe et André baptisaient, j’aidais Matthieu, qui tenait la table des comptes. Pierre s’emportait «laissez ces deniers qui souillent vos mains et priez !». Lorsqu’il priait et que beaucoup parlaient en langues ou prophétisaient, il tombait lui-même en extase (Transfiguration; Actes des Apôtres 10,9-16 ; 11, 4-16). Tel n’était pas le cas de mon frère Jacques, qui se recueillait mieux dans le silence, disant «je préfère cinq paroles intelligibles à dix mille paroles en langues». Pierre, embarrassé, dit à Jacques «tu n’es pas dans l’erreur quand tu blâmes nos tumultes mais pour le peuple de Judée, le parler en langue est un signe : il donne foi à beaucoup. S’adressant aux douze réunis, Jacques dit avec sévérité «L’Eternel hait toute vaine agitation». Jean, qui prophétisait, se prononça contre la nouvelle règle mais Pierre approuva mon frère, qui demanda que «dans nos assemblées, tout se fasse dans l’ordre et la discipline. On peut convaincre par le Souffle mais aussi avec l’intelligence.»

Les Pauvres de Jérusalem                             communauté des biens de la qéhila (ekklesia)

Baptisés par l’Esprit et le feu, Jacques, Pierre, Jean et André, chaque jour, exhortaient le peuple : « la Promesse du Royaume est pour vous et vos enfants ! ». A la différence des Parfaits, nous recevions dans notre arche sainte tous les petits d’Israël qui demandaient le baptême au nom de Jésus. Les pharisiens et les sadducéens nous surnommèrent les «nazôréens» ; nous nous donnions pour nom les Pauvres, les ébionim. Quelques hellénistes de la Diaspora décidèrent de nous aider. Le premier fut Joseph, lévite originaire de Chypre, que Pierre surnomma Bar-Nabbas (Barnabé), «fils du réconfort», parce qu’il mit toute sa force à nous secourir. Sitôt baptisé, il enseigna en grec dans les synagogues des Alexandrins. Puis, Shimon, originaire de Cyrène, nous donna le champ d’où il revenait quand les Romains l’avaient chargé du bois de la croix de Jésus. D’autres d’Antioche et d’Ephèse l’imitèrent. Comme les petits de la Galilée, hébreux et hellénistes livrèrent ce qu’ils possédaient sans rien dissimuler.

Soutien des femmes aux veuves                  Marie attend le retour de Jésus             les « trois colonnes »

Les nouveaux baptisés nous cédaient leurs biens mais aussi le fardeau de leurs veuves. Suzanne, Léa et Tabitha s’occupèrent des plus âgées. Sara et des sœurs de la communauté tissaient tuniques, chemises et ceintures que José allait vendre au marché. Ma mère filait la laine. Faible, elle mangeait peu pour laisser le pain aux enfants, mais gardait l’espérance de voir Jésus dans toute sa gloire et toute sa chair. Tous les jours, nous montions au Temple : Jacques, que le peuple de Jérusalem appelait «le Juste», ne se dérobait à aucun précepte de la Loi. Je lui dis «pourquoi prier dans un temple quand chaque juste est un temple vivant élevé à la gloire du Père ?» Il dit «Garde toi de blasphémer ! Jésus aimait prier dans le Temple». Avec Pierre et Jean, ils étaient nos trois colonnes de la voie de Jésus. Les docteurs pharisiens disaient que nous étions dans l’erreur : les justes ressusciteront, mais à la Fin des temps, tous ensemble.

Remontrances des baptistes sur notre baptême

Trois baptistes, tels des nazirs, nous firent de vives remontrances sur notre baptême, différent de celui de Jean Ils disaient «Prenez garde car vous abusez le peuple et vous offensez Dieu !». «Shalom, dit Jacques le Rempart, bien que vous n’ayez pas autorité sur ceux qui suivent la voie de Jésus, voici : il nous suffit d’une petite coupe, ayant été baptisés par le feu du Très-Haut, nous baptisons par l’Esprit en imposant les mains. Quant au Serviteur de Dieu, auquel le Précurseur, votre maître, avait rendu témoignage, nous avons vu et beaucoup d’autres avec nous, qu’il s’est relevé d’entre les morts !». Ils reculèrent devant Jacques et partirent.

Forte présence des Hellénistes        ardeur d’Etienne                   diaconie

Venaient à nous plus d’hellénistes que d’hébreux. Parmi eux, Etienne venu d’Ephèse pour étudier aux pieds des docteurs du Temple; Nicolas, un prosélyte grec circoncis à Antioche; Nicanor un fils d’Abraham venu d’Alexandrie et Philippe, un juif de Damas. Vint un cousin de Bar-Nabbas, surnommé Marc, venu de Chypre avec sa mère pour vivre à Jérusalem où tous deux possédaient dans la ville haute, une grande maison. Etienne était le plus jeune, avec tant de puissance qu’il étonnait le peuple par sa parole. Ce fut le 1er d’entre nous, qui osa, hors de nos murs, proclamer que Jésus était bien le Messie d’Israël, le Fils de David annoncé par les prophètes, «Le Christos (Messie en grec).

Face aux sarcasmes des Anciens, Etienne se mit à prêcher contre ceux du Temple.

Pour le service des tables aux veuves grecques, séparées des autres par les rituels, les Douze proposèrent à Etienne de trouver 7 hommes pour former diaconie. Ces diacres passèrent très vite du service des tables à celui de la parole. Ils prêchaient en grec, sans même attendre l’envoi par les Douze. Pierre et Jacques s’alarmèrent, car ils ne savaient pas ce qu’ils enseignaient. Devenus trop nombreux, les hellénistes proposèrent d’installer leur diaconie, avec disciples et veuves, dans la ville haute, seuls restaient dans la ville basse Bar-Nabbas, Philippe de Damas, et le très jeune Marc.

Diversité des dons et de ministères

Jacques me retira du ministère du baptême car je baptisais les petits enfants morts. J’avais 19 ans et voulais annoncer la bonne nouvelle de la résurrection du Serviteur de Dieu. Il dit «il y a diversité de dons et de ministères. Chacun est nécessaire à tous». Je dis «Pierre a le don d’exhorter, Matthieu de compter, André de Baptiser, Thaddée de prophétiser, José de vendre, toi, l’Elu du Seigneur savait que ta nature te porte à diriger. A quoi suis-je bon, moi le dernier de la lignée ?» Il dit «mon frère, tu es né pour aimer. Apprends à le faire fructifier. Tu possèdes un autre don, qui peut être utile à nos frères. Avec le stylet, tu formes de belles lettres. Etudie, petit, tant que le jour luit».

L’Ecriture s’accomplit

Vint un homme Isaac, rencontré chez les Parfaits du temps où j’étais postulant il y a 4 ans. Se plaisant à contester avec moi, il revint souvent m’apporter du papyrus usé que les Parfaits avaient en abondance, car ceux-ci avaient construits des bibliothèques et y recopiaient l’Ecriture. Il prit pour moi des livres des Prophètes que j’allai dérouler chez lui. Il dit « votre prophète se nommait-il lui-même Mashiah ?» Je dis « Il ne se donnait aucun titre, sauf celui de Fils de l’homme, ben-adam, que l’Eternel donna autrefois à son prophète Ézéchiel». Il dit « Ne sommes-nous pas tous des fils d’Adam ?» Je dis « Etienne dit que cette parole revêt un sens caché

En découvrant les prophéties d’Osée et de Malachie, de Michée et de Zacharie, de Jonas et de Sophonie, les chants de notre roi David, ceux de Salomon, je découvris que tous, rois ou prophètes, avaient parlé de Jésus. N’était-il pas écrit dans Malachie que Jean le Baptiste viendrait le premier «voici, dit l’Eternel, je vous enverrai mon messager et il préparera le chemin». Dans Zacharie, la mort était annoncée : les habitants de Jérusalem pleureront sur lui comme on pleure sur un fils unique. Dans les psaumes de David, je retrouvais chacun de ses tourments : ils ont percé mes mains et mes pieds, ils se partagent mes vêtements, ils tirent au sort ma tunique. Plus loin, je lisais sa résurrection et le baptême de feu que nous avions reçu de Dieu : Il fait des vents ses messagers et des flammes de feu ses serviteurs.Daniel, enfin, me dévoila le mystère du Fils de l’homme : sur les nuées des cieux il arrivera quelqu’un de semblable à un fils d l’homme, il s’avancera vers l’Ancien des jours et sa domination sera éternelle. Ces choses cachées, je voulus les copier en un seul petit rouleau de livre, les publier pour les enseigner à nos frères et confondre nos ennemis. Je ne pus achever mon ouvrage, car, ayant appris que Jacques montait tous les jours au Temple, et que souvent je l’accompagnais, Isaac, en colère, me chassa, me traitant de Fils des Ténèbres au cœur double.

Mort d’Etienne                      Persécution et dispersion

Un soir, Etienne s’en prit aux sacrificateurs hérodiens et à tous les Judéens. De jeunes pharisiens l’emmenèrent hors de la ville, déposant leurs manteaux aux pieds d’un des leurs, le lapidèrent. Le malheureux priait «Seigneur, reçois mon esprit». Commença une grande persécution contre les nazôréens et ceux qui avaient reçu le baptême du Messie Jésus. Jacques dit «nos frères hellénistes ne peuvent rester, la famine irrite le peuple et le porte aux extrémités. Aussi doivent-ils descendre dans la Samarie et les villes grecques de la côte. Quant à nos hébreux, qu’ils se sauvent de tout mal en allant prêcher la Bonne Nouvelle aux fils d’Abraham qui sont au-delà du Jourdain». Tous durent se disperser.

Reprise en main         miracle de Pierre et Jean

Jacques mit de l’ordre dans notre qéhila : Pierre et Jean seraient les seuls à porter la Parole dans la ville. Il advint qu’au Temple, ils guérirent un boiteux qui mendiait. Les Anciens du Sanhédrin, remplis de fiel et de jalousie, furent fâchés. Mais toute la ville connut le miracle. Par la prière et l’autorité, nos «colonnes» chassaient les démons des possédés sans prendre d’argent. Marie de Magdala guérissait les paralytiques en leur donnant du pain d’orge, car depuis la disette, la plupart avalait herbes mauvaises ou coloquintes sauvages qui les empoisonnaient.

Mort de Marie

Quand j’eus 20 ans, Tabitha enfanta notre 2è fils. Il fut circoncis au 8è jour et je l’appelais Daniel, du nom du prophète qui avait annoncé la venue du Fils de l’homme. Vers le même temps, la mort s’approcha de ma mère. Elle avait attendu le retour de son fils bien-aimé disant avec tristesse «pourquoi ne se montre-t-il pas à moi? Est-il irrité parce qu’au commencement de sa mission, j’ai cru qu’il agissait comme un insensé? Ou c’est l’Eternel qui lui défend de se montrer ?» Quand tous furent réunis autour d’elle, elle dit «me voici au milieu de vous tous comme une vigne fertile…» Au comble de la souffrance, elle s’écria «Hâte-toi Seigneur d’accomplir ta volonté dans ta servante !».

Elle s’apaisa en reconnaissant ma voix et dit «j’ai perdu la lumière… si mon fils apparaît, je ne saurais pas qu’il est là» Je lui dis «soit sans inquiétude, mère, il te parlera » Jacques dit «Tu ne dormiras qu’un instant, mère, et quand tu rouvriras les yeux, nous serons tous déjà avec toi dans la félicité du Royaume». Beaucoup vinrent à la porte de la chambre. Nos Pauvres aimaient Marie comme une mère compatissante à tous les petits d’Israël, et en même temps ils la révéraient comme la mère juste et sainte d’un seul. Cependant elle était dans une détresse semblable à une femme en couches dominée par l’angoisse. Enfin dans un long soupir, son âme se détacha. Cachant ses larmes, Jacques dit d’une voix raffermie «en vérité, nous le savons, ce n’est pas une mort que la mort de notre mère, c’est une vie éternelle.»

(apocryphes : l’Assomption de Marie et l’histoire de Joseph le Charpentier. Les auteurs avaient-ils lu la vie de Jude ?)

Quatrième Livre

               Missions dans les nations                

Paul

 

Faux-prophète et massacre              Envoi en mission       

Après 4 années d’exhortations, missions, et baptêmes, nous étions environ 4000 dans la ville. Se conformant à la Loi, chacun vivait du travail de ses mains et restait dans sa maison. Dans la maison de Jacques et de quelques Anciens, les malades continuaient d’affluer ainsi que des hellénistes en fuite. Notre pays restait dans les troubles, un faux-prophèteprovoqua une rixe entre Samaritains et Judéens à propos d’un trésor enfoui par Moïse. Les soldats de Pilate firent un massacre général (Flavius Joseph). Les hellénistes prêchant dans les synagogues de la Diaspora, écrivirent que des craignant-Dieu de plus en plus nombreux venaient à eux; des Samaritains se convertissaient à Sébasté. Jacques envoya, dans les villes grecques de Palestine et de Syrie, des épiscopes (inspecteurs) choisis parmi nos Douze et nos Anciens afin de veiller sur la Parole. Il n’envoya personne dans la ville d’Alexandrie, car les Grecs y massacraient les fils d’Abraham. Je fis établir pour nos épiscopes les copies des prophéties que j’avais rassemblées chez l’essénien. Ainsi la vérité se répandait-elle partout, et elle confondait nos ennemis.

Découverte de la fin du rouleau d’Isaïe

On nous opposait que le vrai Messie d’Israël devait triompher des Nations, que nulle part il était écrit que le Messie périrait sur le bois. Ces incrédules disaient «en quoi sa mort servait-elle le dessein du Très-Haut ? Où est notre délivrance ?» Nous nous taisions. Je vis en songe le rouleau d’Isaïe, rapporté de notre village. Chez le scribe de la ville, je vis que notre livre était plus court que le sien. Dans la suite de la prophétie, Isaïe parlait de Jésus souffrant, méprisé et abandonné des hommes. Il disait : ce sont nos souffrances qu’il a portées, nos douleurs dont il s’est chargé, et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. Dieu avait enfin levé mes doutes et mis fin à mon deuil. Il a été compté parmi les criminels, lui qui portait le péché des multitudes et intercédait pour les criminels. Les docteurs de la Loi qui nous raillaient, connaissaient la prophétie et nous l’avaient cachée ! Ils savaient que Jésus était le Messie promis, qu’il fallait qu’il fût mis à mort pour délivrer Israël de ses péchés et nous rendre l’amour du Seigneur et son royaume. De ce jour, dans toutes les lettres que Jacques envoya aux apôtres, je mis le témoignage de notre prophète Isaïe afin que nul ne gardât le silence devant les incrédules, les railleurs et les arrogants.

Saül

Pierre et Jean rentrés de leur mission au-delà du Jourdain, vint Saül, un jeune homme petit, noir comme un égyptien, qui demandait à faire leur connaissance, ainsi que celle de Jacques le Juste. Il dit «je suis de la tribu de Benjamin, je viens de Damas où l’un de vos adeptes m’a baptisé. Je me suis retiré 3 années dans le désert pour prier et méditer.» Revenant à Damas, pour prêcher dans les synagogues, il trouva la ville en grande émotion. En effet, suite à la victoire du roi des Arabes sur Hérode Antipas, des légions romaines montaient pour l’assiéger, et le peuple s’en prenait aux romains. Or Saül était aussi citoyen romain. «J’ai donc fui Damas pour Jérusalem. J’ai rencontré Bar-Nabbas qui m’a dit où prient les disciples du Messie.» Je le menais à Pierre, dont il espérait une lettre pour porter la Parole à nos frères des synagogues d’Asie, car né à Tarse, dans la Cilicie, il prétendait connaître tous les Juifs de la côte. Pierre le renvoya vers Jacques : ils ne désignaient aucun émissaire sans s’être concertés. Saül me dit : sais-tu que je fus instruit dans la Loi aux pieds du rabbi Gamaliel, le plus fameux de tous les maîtres. J’étais plus avancé dans les traditions de nos pères que la plupart des hellénistes de mon âge.» Il ne regarda pas le petit livre que j’avais fait pour nos apôtres «je sais ces choses, car je connais toute l’Ecriture. Si j’avais été avec toi plus tôt, tu n’aurais pas été autant d’années sans connaître les desseins cachés du Très-Haut!» Il avait eu une vision de Jésus et d’autres révélations dans le désert. Le Père céleste et Jésus, son Messie, lui demandaient maintenant d’enseigner aux brebis perdues de la Dispersion et aux craignant-Dieu des Nations. Le jour du sabbat, nous partagions le repas du Messie, que les hellénistes appelaient agape. Pierre rompait les pains dans les corbeilles, bénissait le vin de la coupe et l’eau des cruches car nous étions trop nombreux et pauvres pour boire tous à la coupe sainte. (Pères de l’Eglise en témoignent). Pierre, Jacques ou Jean rappelaient que Jésus nous avait commandé d’accomplir ces œuvres en mémoire de lui, et tous, dans le silence et le recueillement, nous sentions que l’aimé de Dieu revenait parmi nous. Or un helléniste, ami d’Etienne, désigna Saül «cet homme est un démon ! Tu étais avec ceux qui lapidaient notre frère Étienne et gardais leurs vêtements! A la tête de ces maudits, tu as ravagé nos maisons et mettais en prison jusqu’aux veuves et orphelins !». Tous les hellénistes cherchèrent à lui ôter la vie. Si Pierre et Bar-Nabbas ne s’étaient jetés devant pour lui servir de bouclier, l’imposteur aurait été tué. Saül reconnut qu’il avait persécuté les «Juifs de Jésus», qu’il s’était converti depuis que Jésus s’était montré à lui sur la route de Damas. Au disciple qui l’avait baptisé, il n’avait rien caché, puis sur son avis, était allé plusieurs années au désert pour nettoyer son âme. Il dit «moi aussi, avec Jésus, comme Jésus, je suis allé de la mort à la vie. Faites-moi une place dans vos cœurs». Plein d’embarras, Jacques et Pierre s’en remirent au conseil des Anciens. Jacques me dit «avec Marc, faites-le partir pour Tarse sans que nos hellénistes l’apprennent. Si nous n’affermissons pas notre autorité sur l’esprit de ces jeunes gens, ils seront la cause de notre perte!» Instruit malgré sa folie, Saül, en toutes choses, n’écoutait que lui-même. Je lui proposais de connaître ce que mon frère le Messie avait dit et fait. Il dit «sa vie dans ce monde ne m’importe pas. Il me suffit de savoir qu’il est mort et ressuscité ». Au port, je payai son passage jusqu’à Antioche, et ne pus rien lui donner pour le pain. Il dit «Aucun apôtre ne sera oublié devant Dieu, ne le sais-tu pas ?». Je n’osai lui rappeler que ce titre n’était pas pour lui, car les Douze ne lui avait donné ni mission, ni mandat. Voyant le navire disparaître, Marc dit «voilà un homme que son savoir, ses visions, et son orgueil font déraisonner. Soyons en paix, nous n’entendrons plus parler de lui»

Pierre envoie Marc à Cyrène, accompagné de Jude

Tabitha enfanta ma fille Miryam, puis mon fils Elie. Pour soutenir les frères dans la Cyrénaïque, Pierre envoya Marc qui parlait le grec depuis l’enfance. Marc me choisit pour l’accompagner, au grand étonnement des Anciens, qui me trouvaient bien jeune. Il dit «Jude a l’âme droite, le cœur fidèle, connaît l’Ecriture mieux qu’un docteur et son œil ne craint pas nos ennemis. Il saura prêcher les Libyens». A Cyrène, grande et belle, nous étions bien accueillis dans les maisons juives : les Israélites haïssaient les Césars de Rome, depuis que ceux-ci les avaient privés des droits dont ils jouissaient depuis le règne des rois d’Egypte. Ils ignoraient que les Grands Prêtres de Jérusalem se détournaient de l’Eternel pour servir le Mammon et la grande «Babylone» (Rome). Nous rencontrions des pharisiens qui, frappés à la lecture des témoignages des prophètes, demandèrent «S’il est vrai que votre Messie reviendra parmi nous pour le Jour de Dieu, quand donc ce jour adviendra-t-il ?». Je répondis par une citation du Livre de Daniel. De plusieurs possédés, Marc fit sortir des esprits malins, baptisa un riche pharisien et plusieurs prosélytes. Mais il ne baptisa aucun des craignant-Dieu, non circoncis. Me souvenant de Tabitha, je fus ému pour ces grecs qui, comme elle autrefois, restaient sur le seuil. Je lui dis «Jésus les guérissait, les touchait et se laissaient suivre par certains. Pourquoi refuses-tu de leur imposer les mains?». Il dit «j’obéis à la loi de Moïse et aux Douze.» L’année durant, nous étions joyeux, car il n’y avait en eux ni débauche, ni impureté. Nos frères de Jérusalem nous accueillirent avec joie, car ils connaissaient le succès de notre mission par nos lettres. Je retrouvai Tabitha avec délice et lui promis de rester avec elle.

Refus de statues grecques dans le Temple de Jérusalem              Famine

Jérusalem était dans les troubles à cause de Caius (Caligula), le nouveau César. Il avait ordonné de mettre ses statues dans le Temple ainsi qu’à l’entrée des synagogues dans les Nations. Or aucune figure d’homme ne devait y figurer ! D’où séditions et massacres à Alexandrie et à Antioche où notre frère Bar-Nabbas était allé comme épiscope.

Vint la famine (Actes des apôtres, entre 46 et 48) qui suivit le sabbat de la terre, plus terrible que jamais. Vers notre maison, accoururent veuves, mendiants et errants. Beaucoup mouraient de faim. Jacques et les Douze s’étaient dépouillés de leurs derniers vêtements et marchaient nu-pieds. Se faisant nazir, pour le temps où nous ne pourrions nourrir les affamés, Jacques laissa pousser sa barbe et ses cheveux. Il monta dans le Temple trois fois par jour, priant pour ces indigents dont il lavait les pieds et bandait les plaies. Ses genoux commencèrent à enfler; de son ancienne blessure à la jambe. Il supportait sa douleur et les quolibets des zélotes qui l’appelaient «Genoux de chameau» (surnom attesté par Eusèbe de Césarée) pensant qu’il s’agenouillait trop souvent devant les prêtres.

Retour de Saül à Jérusalem

Nos frères d’Antioche firent alors parvenir une collecte à nos Anciens par Bar-Nabbas, que nous n’avions plus revu. A notre surprise, le cousin de Marc était accompagné de ce Saül mis sur le bateau 3 ans plus tôt. A Pierre et Jacques, il dit «c’est un grand pécheur, mais son repentir est sincère : n’est-ce pas pour les brebis que le Messie Jésus est venu ?

Saül lui dit comment, au Temple, en extase, il avait vu Jésus-Messie qui lui avait ordonné de porter témoignage auloin, vers les Nations et qu’il voulait devenir son apôtre. Jacques s’écria «Apôtre ? Cet imposteur! Pourquoi pas son frère aussi ?» «Mais il l’est déjà» dit Pierre. Confus, Jacques sut qu’il méconnaissait l’enseignement de Jésus. Les Anciens autorisèrent Marc à garder Saül pour compagnon s’il parvenait à l’instruire. Ils lui demandèrent de l’écarter des pharisiens, zélotes et sadducéens, de ne pas le laisser prêcher seul et de ne jamais consentir à ce qu’il prît le nom d’apôtre. Saül n’entra pas dans notre maison, craignant maintenant nos «colonnes» autant que nos hellénistes. Voyant sa brulante impatience, je lui dis «frère, mets un frein à ta bouche et crains les faux témoins! Sinon ce sont encore les nazôréens que viendront tuer les séditieux abusés par les grands».

Mort de Jacques de Zébédée           Arrestation de Pierre            Fuite de Jean de Zébédée, puis de Pierre

Comme autrefois, le départ de ce grand parleur me délivra d’une crainte et d’un poids. En ces temps de famine et de colère, n’importe lequel d’entre nous pouvait être accusé. D’abord Jacques de Zébédée, pour avoir élevé la voix contre le Temple et Jérusalem. Il fut condamné par le nouveau roi Hérode Agrippa à mourir par l’épée (Actes 12, 2) comme Jean le Baptiste. Puis les Romains crucifièrent deux zélotes galiléens, dont le père avait autrefois mené la révolte contre le recensement de César dans le temps où Jésus n’était qu’un enfant. Le roi Agrippa fit aussi arrêter Pierre. Il l’enferma dans la prison au moment où sur nos instances, Jean de Zébédée s’enfuyait. Le roi avait résolu de faire comparaître Pierre après la fête de la Pâque pour le mettre à mort. Pierre s’enfuit de la prison, guidé par l’ange du Seigneur, et nous dit de l’annoncer à Jacques. Aussitôt, il repartit craignant d’être recherché par les soldats.

Face à la menace, fuite des disciples                       Jacques garde la maison

Des trois «colonnes» de la communauté de Jérusalem ne restait en Judée que mon frère Jacques, qui me dit «Nous, frères de chair du Messie, sommes maintenant ceux que le roi Hérode, le Grand Prêtre ou le peuple de Jérusalem persécuteront le plus volontiers». Je dis «pourquoi les hérodiens ne s’en prennent-ils jamais aux Fils de Lumière qui les haïssent au point de demander à Dieu de les détruire jusqu’au dernier ?» Jacques me dit «parce que les Parfaits ne sortent jamais de chez eux, ne font pas d’exhortations sur les parvis, ni de conversions dans les synagogues. Notre frère José et sa femme Léa iront à Tyr. Toi, tu rejoindras Marc et Bar-Nabbas qui enseignent dans l’île de Chypre. Prêche tous les fils d’Israël jusqu’aux confins de l’Océan. Je garderai la maison. J’emmenai donc Tabitha et notre fils Yeshua qui avait environ 10 ans.

Saül se fait appelé Paul         à Cyrène, Jude s’oppose aux riches de la synagogue

Nos frères de la Diaspora avaient des entrepôts dans tous les ports pour commercer. A Salamis, je retrouvai Marc et Bar-Nabbas, dont les parents, lévites fort considérés, possédaient de grands biens dans cette ville et donnaient de l’ouvrage à beaucoup d’enfants d’Israël. Mais peu d’entre eux suivait la voie de Jésus, malgré leurs exhortations. De l’autre côté de l’île, à Paphos, où Sergius Paulus, proconsul des Romains (Actes des Apôtres) se plaisant à recevoir dans son palais charlatans et magiciens, fit venir Saül qui avait exorcisé un possédé. Voyant avec satisfaction que celui-ci dénonçait habilement les fraudes des imposteurs, il en fit son favori. Paulus devint le protecteur de Saül, lequel selon la coutume des païens, ajouta à son nom celui de son protecteur et se fit appeler Paul.

Face à la vive opposition des pharisiens et hérodiens, Marc, Paul et Bar-Nabbas retournèrent à Antioche. Marc portait les livres sacrés et mon recueil de prophéties. Avec Tabitha et Yeshua, je repartis à Cyrène, 5 ans après l’avoir quittée.

Chaque jour, je croisais les principaux de notre diaspora, qui vivaient encore en paix avec les Grecs jaloux (les juifs dispensés de l’impôt (impôt du Temple) et des obligations militaires (sabbat et interdits alimentaires). Mais ces riches marchands frustraient nos indigents, les payant avec retard, et prêtant avec usure. Et je les exhortai durement. Le chef de la synagogue fut irrité quand je dis «hommes d’Israël, donnez aux pauvres de notre peuple, mais aussi aux plus pauvres des Grecs, car tous les petits sont égaux dans le malheur aux yeux du Messie Jésus». Ils plaidèrent contre moi. Les Anciens n’osaient me chasser de leur synagogue, car j’avais mis mon fils Yeshua à étudier la Loi auprès du hazzanet cet homme instruit trouvait l’enfant plein de grâce et de promesses. Je songeai à l’exécution de Jacques de Zébédée, la lapidation de l’apôtre Philippe, l’arrestation de Pierre, la fuite de Jean, au silence d’André, à la mort de la Magdaléenne et du vieux Bar-Timée, apprises par la lettre de Jacques. Bientôt plus aucun de nous ne sera là pour rappeler les paroles de Jésus.

Ne savions-nous pas, par Jésus lui-même, que le dernier des apôtres ne s’endormirait pas avant son retour ?

 

Jude s’occupe des pauvres               A Tyr, José convertit artisans et marchands

Tabitha mit au monde une fille, que je nommai Ruth. S’élargissait sans cesse notre communauté de Pauvres, qui venaient autant du faubourg grec que du quartier juif. Non circoncis, les Grecs ne pouvaient être des nôtres. Quant aux nomades éthiopiens et aux esclaves nigrites, je lavais leurs plaies au vin aigre, sans oser les baptiser, faute de pouvoir les instruire. Avant la 3è année, Jacques m’ordonna de rejoindre Antioche. Je fis escale à Tyr où mon frère José avait converti beaucoup d’artisans et de marchands. Le César de Rome(Claude) nomma préfet Crespius Fadus. Dans la Pérée, vint un pseudo prophète nommé Theudas, promettant à des centaines de pauvres gens une terre et une nourriture abondante de l’autre côté du Jourdain. Fadus les fit tuer. Je pleurai avec José les malheurs d’Israël.

Jude à Antioche                     les juifs n’acceptent pas les incirconcis à leur agape          Jude à Jérusalem

Nos frères d’Antioche, que les Grecs appellent christianoï, soit «messianistes», vinrent à ma rencontre. Bar-Nabbas, Marc et Paul prêts à partir en mission, Paul pétillait comme une étoile. Marc soupira «Paul est la plaie que le Seigneur m’envoie, mais qu’il soit fait selon la volonté du Père» Je les remplaçai au mieux. Ces prosélytes ou grecs incirconcislisaient l’Ecriture avec nous et craignaient Dieu, mais il ne leur fut pas permis de partager notre agape. Leurs femmes aimaient entendre la Parole, faisaient de bonnes œuvres au nom du Messie, nous les baptisions, mais le soir du sabbat, nous ne pouvions manger avec elles, ignorant dans quels plats et avec quelles viandes elles préparaient les mets. Elles mangeaient à des tables séparées afin de ne pas violer la Loi. Pierre arriva de la Judée où il était rentré après la mort du roi Agrippa. Je lui demandai quelles paroles Jésus lui avaient dites autrefois. Il redonnait chaque parole avec fidélité sans oser changer la place d’un seul mot. J’eus le désir d’écrire les «dits» du Messie comme un scribe écrit sous la dictée de son maître. Je voulais le faire avec Pierre mais aussi avec tous les témoins qui n’étaient pas encore endormis dans le Seigneur. Pierre me dit «nul n’aura l’usage des signes que tu traces puisque Jésus nous parlera face à face». Il m’ordonna «exhorte cette génération égarée et jette au feu toutes ces bibliothèques ! » Et il chanta avec moi Maranatha. Maintenant que Pierre veillait en épiscope, sur la doctrine de l’ekklesia d’Antioche, je revins à Jérusalem avec ma femme et mes enfants. Sur le seuil de la maison, Sara à qui nous avions confié trois de nos enfants, n’osait dire que notre fils Elie âgé de 10 ans était mort et que notre fille Miryam était gravement malade. Le 3è jour, malgré nos prières, l’enfant mourut. Me souvenant que Jésus disait «dès ce temps-ci, le Père nous rendra au centuple les bien-aimés que nous aurons perdus», j’allai auprès de Tabitha. Elle conçut et enfanta un fils auquel je donnai le nom de Joël. Nous eûmes 4 beaux enfants pour chanter la gloire du Seigneur : Yeshua, Daniel, Ruth et Joël.

Paul :   Jésus Sauveur            Paul et les non circoncis

De retour à Jérusalem, Marc dit à Jacques «ayant débarqué pour apporter la Bonne Nouvelle aux Juifs de Pergué, Paul se présenta comme l’apôtre de Jésus, son dernier apôtre». Irrité, Marc lui dit «Même Jude, frère de Jésus ne prétend pas être un apôtre. Toi, Paul de Tarse, tu n’es qu’un émissaire chargé par l’ekklesia d’Antioche d’aider notre Bar-Nabbas. Une belle élévation pour celui qui fut grand persécuteur de nos frères !» Mais Paul ne ployait jamais la nuque. «Jésus-Messie m’a lavé, délivré, fortifié puis m’a lui-même envoyé porter le témoignage de son amour à tous les hommes dans tous les lieux habités.» Jacques reprit «Que dit-il du Messie Jésus ?». Marc dit «Il l’appelle «Sauveur», il dit Dieu l’a ressuscité des morts car il est plus grand que les rois et les prophètes, plus grand que toute la postérité de David ! Même le Baptiste, même Elie, même Moïse ne sont pas dignes de délier ses sandales ! Alors les notables nous injurièrent pour avoir profané le nom de Moïse, et la synagogue fut bientôt dans une grande agitation» Paul voulut aller jusque dans les montagnes d’Anatolie. Marc refusa de le suivre. Bar-Nabbas décida de s’enfoncer dans les contrées barbares pour y assister son assistant. Mon frère fut saisi d’angoisse «ce Tarsiote me fait trembler, d’où vient que Bar-Nabbas supporte cet insensé ?» Je lui dis «cela vient de ce que notre bien-aimé lui-même préférait, aux sages de ce monde, les voyants et les cœurs exaltés. Peut-être Paul est-il sage à la manière de Dieu ?»

Deux ans après, Paul vint seul porter à Jérusalem le fruit d’une nouvelle collecte de l’ekklesia d’Antioche. (En 47ou 48 nouvelle année sabbatique). Il se glorifiait d’avoir le soutien de l’Eternel et de Jésus-Messie pour sa prédication chez les barbares de Pisidie. On l’avait lapidé et laissé pour mort, mais «au moins, disait-il, je n’y ai pas reçu les 39 coups, car là-bas il n’y a pas de synagogues !» (fouet infligé aux perturbateurs par les chefs des synagogues) Je lui dis «s’il n’y a pas de juifs, qui a circoncis tes convertis ? Ne doivent-ils pas respecter la loi de Moïse ?». Il dit «il suffit qu’ils aimentJésus-Messie». Je fus d’abord transporté de joie, puis saisi d’effroi. Il allait scandaliser nos frères zélés pour la Loi et provoquer la colère de Dieu. Paul espérait recevoir une mission pour la Pisidie, la Cappadoce et la Galatie. La communauté d’Antioche ne lui donna ni lettre, ni compagnon. Il me demanda de le suivre en Galatie Je lui dis «aucun émissaire de la Voie ne peut appartenir à deux communautés à la fois.» Paul renonça à mon aide «toujours à t’inquiéter des règles et des préceptes ! J’irai seul à la grâce du Seigneur ! Me voilà libre ! Moi, Paul je n’aurai plus de limites que celles fixées par Dieu !» et il s’en alla, non sans m’avoir longuement serré dans ses bras.

Danger des faux apôtres                      Jude rassemble les « loggia » de Jésus             accueil des non circoncis

Je mariai mon fils Daniel, de 15 ans, avec la fille de mon frère Simon. Sara, la femme de Jacques, mourut avant d’être vieille. Il ne se remaria pas, redoubla d’austérité, ne mangeant plus rien qui eût une vie (les Pères de l’Eglise indiquent qu’il fut végétarien) et incita chacun à la chasteté. Il priait debout, ne pouvant fléchir les genoux. Tabitha gouverna la maison des Pauvres de Jérusalem, aidée de la femme de Daniel. Jacques m’envoya soutenir notre qéhila de Césarée, où s’étaient réfugiés des juifs, chassés de Rome par le César Claudius (en 49-50, ces juifs créaient des troubles à l’instigation d’un certain Chrestos). A cause de ces loups déguisés en bergers, ils avaient combattu au sein des synagogues, pour défendre ou condamner une doctrine qui ne fut jamais la nôtre et infecta toute leur communauté. Je voyais disparaître la génération à qui Jésus avait promis le Royaume. J’étais dans la détresse comme nos pères dans la traversée du désert en Égypte. Les années ont passé, je dis «les hommes restent dans le péché et ils ne sont pas jugés; ils meurent et ne sont pas ressuscités». Jacques me dit : «Jésus ne nous a pas trompé: c’est nous qui n’avons pas compris que, par les mots «Puissance» et «Règne de Dieu», il signifiait la résurrection de sa chair et non le Jour du Seigneur. Il faut nous préparer à une longue nuit. Gardons-nos lampes allumées.» Désespéré, je m’écriai «pourquoi mon bien-aimé ne s’est-il pas montré à moi ?» Jacques me dit avec sévérité «quitte cet esprit d’envie ! N’est-ce pas devant toi que Jésus a dit les derniers seront les premiers ?» En attendant ce Jour béni, tu seras mon scriptor. Je t’ordonne d’écrire toutes les paroles de Jésus dont tu te souviens et surtout celles que tu as oubliées: nous en donnerons la collection à nos missionnaires. Comment porteraient-ils la Parole s’ils ne la connaissent pas ?»

Je commençai à rassembler les paroles du Messie, ou logia selon les grecs. Pierre n’osa plus m’en empêcher puisque j’obéissais à Jacques. Il répondit à mes questions, et tous ceux qui avaient été, comme lui, des témoins du Messie. Ces logia, je les écrivis simplement, sans ordre, commençant par ce que j’avais entendu, poursuivant avec ce que je découvrais du témoignage des autres. Je n’y mis ni les lieux ni les temps. Quant aux paroles voilées et aux paraboles, je ne donnai pas leur signification. Car Jésus préférait nous laisser découvrir sa pensée. Sur chaque ligne, j’écrivais : «Jésus a dit» et la parole suivait. (recueils de logia avant les récits évangéliques. voir l’Evangile de Thomas, découvert en 1945, la «Source Q», commune à Matthieu et Luc; voir la version copte de l’Evangile de Thomas). Les 70 logia de l’Elu du Seigneur étaient désormais le moyen de calmer les impatiences et de faire taire les calomnies de nos ennemis dans les synagogues. De toutes les paroles du Messie Jésus, l’une manquait toujours : celle qu’il m’avait dite lorsqu’il se tenait debout, nu et sanglant, devant le poteau de sa croix. Je l’avais abandonné. N’étais-je pas le plus indigne des disciples ? Jacques seul était le bon berger juste et fidèle. Il referma plus étroitement la main sur les qéhilasde Jérusalem, de Galilée, ainsi que sur l’Eglise de Césarée et celle de Pella au-delà du Jourdain. Nos frères d’Antioche, unis sous la houlette de Pierre, écrivaient pour demander conseils et exhortations. Jacques et Pierre demandèrent d’accueillir dans les assemblées les Grecs non circoncis, de les baptiser, mais de ne pas entrer dans leurs maisons ni de manger avec eux tant qu’ils ne respectaient pas tous les préceptes de la Loi.

Témérité de Paul                   juifs et païens à la même table        Concile de Jérusalem

Paul reçut 2 fois le fouet en Macédoine, subit les moqueries à Athènes, et fut emmené au tribunal du proconsul par les juifs de Corinthe pour troubles causés dans la synagogue. Fuyant Corinthe, de retour à Antioche, il fut interpellé sur sa mission. Il se félicita de centaines de conversions. Profitant de l’absence de Pierre, il accusa ses dénonciateurs d’ignorer la Parole du Serviteur de Dieu «je m’étonne que vous contraigniez nos frères incirconcis à célébrer l’agape à des tables séparées. Ne sommes-nous pas tous frères en Christ ?» Quand Pierre revint, il trouva tous les baptisés à la même table, juifs et païens. N’osant protester, il mangea avec eux. Paul se dressa contre Pierre avec véhémence «toi qui as mangé et vécu à la grecque, comment peux-tu contraindre nos grecs à Judaïser ?» Une assemblée réunit la qéhilaautour de nos trois «colonnes» car Jean était rentré dans la ville depuis la mort du roi. Paul avait perdu de sa superbe : il était plus facile de prêcher les sauvages Galates que notre saint Conseil où, depuis 20 ans, étaient entrés des pharisiens très instruits que Jacques avait convertis. Mais c’est avec fougue qu’il disait comment le Seigneur ouvrait aux païens la porte de la foi. Irrités, des pharisiens exigèrent l’observation de la Loi de Moïse. Jean les appuya avec vigueur «quiconque va trop avant et ne demeure pas dans la doctrine du Messie Jésus est notre ennemi !». Paul leur résista. Traitant ses adversaires de «faux-frères», il dit «mes frères, j’étais mort, étouffé par mes péchés, mais Christ m’a ressuscité ! ». La discussion commençait à s’enflammer, Pierre voulut éteindre le feu «Dieu qui connaît les cœurs a parfois rendu témoignage à des païens en leur donnant le Saint-Esprit. Je l’ai vu en Syrie. Pourquoi démentir le choix du Seigneur en imposant à ces païens un joug que nous-mêmes avons de la peine à porter ? L’assemblée cria car elle était divisée. Jacques affermit sa voix : «je décrète qu’on ne doit pas créer de difficultés excessives aux païens qui se convertissent en même temps à Dieu tout-puissant et à la voie de Jésus. Pour la nourriture, qu’ils s’abstiennent seulement des viandes sacrifiées aux faux dieux et du sang. Qu’ils ne contractent pas d’unions incestueuses ou adultères au regard de notre Loi. Ainsi pourrons-nous, sans trembler, partager avec eux les tables, le pain, et l’agape. Tous approuvèrent.(Concile de Jérusalem, Actes 15,4-33 et Epître aux Galates 2,1-10). Paul me dit «Me voilà consacré par votre assemblée apôtre des païens comme Pierre l’est des circoncis ! Comme ceux de ta famille, tu restes dans la soumission à la Loi et la crainte du Dieu d’Abraham. Tu n’as pas reçu cet esprit d’adoption par lequel nous crions : Abba, Père ! Viens avec moi et je t’enseignerai mes voies en Christ (1, Co 4,17 ; Paul avait créé une voie dans la Voie, une « secte » en marge de la « secte » judéo-chrétienne). Alors tu sauras que nous ne sommes plus les fils d’Israël mais les enfants de Dieu, tous frères de son Fils premier-né». Il repartit à Césarée pour regagner Antioche avec Tite et Timothée, ses convertis grecs les plus dévoués. Il mit mon petit livret de logia dans sa besace. En retournant à Antioche dans les pas de Pierre, il espérait être recommandé par son ekklesia pour une nouvelle mission en Asie. Cet espoir fut déçu. Cependant, ne voulant pas obéir à Pierre, il partit sans lettres, ni argent. Pourtant Christ n’a-t-il pas ordonné, à ceux qui annoncent la Parole, de vivre de la Parole (rare cas où Paul se réfère à une parole de Jésus, 1Co 9,14). Pendant longtemps, nos communautés ne surent plus rien d’eux.

Cinquième Livre

Joug de Rome            Guerre des Juifs         Bonne Nouvelle de Marc

 

Humiliations et outrages au peuple de Jérusalem                         départ de Pierre, Jean, et des fils de Jude

Sous le joug de « Babymone », les foules de Jérusalem étaient rassasiées d’outrages, même aux jours les plus sacrés. Des soldats les provoquaient par des atteintes à la pudeur, la destruction de livres de Moïse en proférant des insultes. Ils géraient les conflits entre samaritains et judéens, les crucifiant ou les envoyant prisonniers à Rome sans distinction. Indigné, notre peuple disait «il ne faut plus demander justice aux tribunaux des Nations».

Famine et ravages, brigandage et pillages, crucifixions, lapidations, assassinats, incendies, massacres : sur la terre de la Promesse, nous souffrions mille morts que nos frères de la Diaspora ignoraient. Pour nous, Pauvres de Jérusalem, la douleur était d’autant plus vive, que les patriotes (les zélotes), dont certains avaient été compagnons de Jésus et amis de José, nous accusaient d’être du parti des païens, visant Paul en particulier. Jacques me dit «Mon frère, je suis fatigué de ménager les uns et les autres pour protéger notre petit troupeau» et il implorait Jésus de venir à son secours. Notre qéhila n’envoya plus de missions dans les Nations, nos émissaires partaient plutôt d’Antioche ou d’Alexandrie. Ainsi Pierre quitta Antioche pour Corinthe, puis Rome où, depuis la mort du César Claudius, les juifs commençaient à rentrer. Jean, nommé épiscope, partit pour Ephèse. Mon fils Yeshua s’embarqua pour Cyrène, où il avait passé son enfance. Les jeunes gens ne voulaient plus respirer l’air de la Judée. Mon fils Daniel s’établit près de Damas. Je restai à Jérusalem avec Tabitha pour soutenir Jacques sur le qui-vive.

Paul déclaré faux apôtre à propos du mode du baptême, des mots «Jésus, Seigneur», la foi et les œuvres

Jacques reçut une lettre dictée par Jean, qui accusait Paul. L’ekklesia d’Ephèse avait été formé par Apollos, un juif d’Alexandrie. Il enseignait avec zèle, baptisait par l’eau. Paul cria «ce n’est que le baptême de Jean !» et les persuada de se laisser imposer les mains au nom de Jésus pour prophétiser par l’Esprit. A la synagogue, les juifs de la Diaspora le laissaient parler de Jésus et démontrer par les Ecritures qu’il était le Messie. Mais ils furent scandalisés quand Paul appela Jésus «Seigneur». Les juifs disaient «Dieu seul est Seigneur!» Un autre jour, Paul s’écria «La Loi n’était qu’un pédagogue pour nous conduire à Christ. Maintenant que Christ est venu, les œuvres sont vaines, il n’y a plus d’autre loi que la foi, la Loi est morte !» Alors les israélites d’Ephèse le chassèrent. Pour les narguer, Paul loua une école près de la synagogue pour ses adeptes. Arrivant à Ephèse après Paul, Jean fut jeté de la synagogue par les juifs qui criaient «anathème !». Furieux, Jean faisait écrire à Jacques «d’où vient que ce tarsiote ose proclamer que le Messie a aboli la Loi ? Qu’il n’y a plus ni fêtes ni sabbats ? Manger tout ce qui se vend au marché ? Que nous ne sommes plus le peuple de la Promesse ?» Est-ce là ce que Jésus nous a enseigné ? Que Paul disparaisse de cette ville ! Car c’est moi, l’un des Douze, que les convertis de ce faux apôtre finiront par chasser !» Abattu, Jacques dit «si ceux du Temple apprennent ce qu’au nom du Messie Jésus, il dit dans les synagogues de la Dispersion, ils nous tueront! Je ne puis lui donner d’ordres car il n’obéit à personne. A nos communautés d’Asie et de Syrie, je parlerai de cette «justification par la foi» dont il s’est fait le défenseur contre les œuvres des fils d’Abraham. Mais je resterai loin de l’esprit de dispute de notre frère Jean. Jésus n’attend pas de moi que j’excite les querelles et les cabales». Jacques écrivit «mes frères, que sert-il à quelqu’un de dire qu’il à la foi, s’il n’a pas les œuvres ? Si la foi n’a pas les œuvres, elle est inutile, (ce débat opposant Paul et Jacques, alimentera la querelle entre protestants et catholiques. Par «œuvres», il faut certes entendre «rites religieux» mais l’exemple donné par Jacques montre bien qu’il s’agit d’«actes charitables»).

Le codex comporte ici un feuillet très altéré, il manque aussi plusieurs feuillets. L’auteure en résume les événements.Des contre-missions furent envoyées en Anatolie, pour rétablir l’orthodoxie judaïsante partout où Paul avait prêché. Il n’avait respecté ni fait respecter le compromis du «concile de Jérusalem». Il disait même à ses convertis, qu’ils pouvaient consommer la viande des sacrifices païens. Apprenant ces contre-missions, il expédia à toutes ses églises des lettres violentes, ses émissaires furent mal reçus. Il adressa une longue lettre doctrinale aux chrétiens romains. Il osait prêcher les fidèles d’une communauté qu’il n’avait pas fondée, dans une ville qu’il ne connaissait pas, alors que Pierre et Sylvain étaient sur place. Se comportant en chef absolu de la «voie de Jésus», il semblait craindre cependant la réaction de Jacques.

Paul critiqué : « Jésus,  Fils de Dieu » ; le joug de la Loi ; circoncision          accusé au Temple ; arrestation

Jacques s’écria « Fils de Dieu ? Est-ce là ce que Paul a écrit ? Que nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils ? Jésus est-il Fils de Dieu comme l’Apollon grec est fils de Jupiter ? Ceux qui sont conduits par l’Esprit sont tous fils de Dieu, mais un seul est Messie, voilà ce que Paul devrait prêcher ! » Je dis «ne le querelle pas, j’ai vu à Cyrène et Antioche que les païens comprennent mal ce mot de Messie : ils disent «Jésus-Messie» comme si c’était un seul et même nom, ils ne comprennent pas non plus «Fils de l’homme» car ils ne connaissent pas les oracles de notre prophète Daniel. Pour les aider à comprendre celui qui viendra s’asseoir auprès de «l’Ancien des Jours», Paul leur a peut-être dit Fils de Dieu ?» Jacques dit «les nazôréens vont se demander si Dieu a une fille, une femme des cousins ? Les juges du Sanhédrin diront que nous sommes des idolâtres ! Qu’écrit le tarsiote sur les juifs ?».Il écrit «ne vous laissez pas mettre sous le joug de la servitude ! Ceux qui s’attachent aux œuvres de la Loi sont maudits ! Il nous appelle les faux circoncis (Ph 3,2), car les vrais circoncis, selon lui, ne le sont qu’en esprit».(Rm 2,29).Jacques : «prions et faisons prier, que nos frères le jugent irréprochable, qu’il accomplisse ici des œuvres qui feront taire la calomnie».

Paul implorait les frères de la Dispersion de prier avant que les «incrédules de la Judée» ne le mettent en pièces. Il avait prononcé le vœu d’abstinence et ne se coupait plus les cheveux, disant «je ne fais aucun cas de ma vie». Il continua de rapporter la collecte aux Pauvres de Jérusalem. Jacques lui dit alors «aux juifs qui vivent parmi les païens, tu enseignerais à oublier Moïse, tu leur dirais Le Seigneur a détruit la Loi, vous êtes libres ! Le Messie n’est pas le Seigneur, il est venu pour accomplir la Loi et non l’abolir. Aux Israélites de la Dispersion, tu dirais «vous n’êtes plus les héritiers uniques de la Promesse. Car, pour Dieu, il n’y a plus ni Juifs, ni Grecs. Et notre décret il y a 7 ans? Au Jour de Dieu, ceux qui auraient péché sans la Loi seraient jugés sans la Loi et ceux qui auraient péché sous la Loi seraient jugés par la Loi .Voici 4 hommes, tenus par le vœu, prends les avec toi, monte au Temple, avec eux, accomplis les 7 jours de purification. Ainsi tous sauront que tu respectes nos traditions et notre Loi.» Paul souscrivit à tout avec humilité. Grandes étaient ses fautes, mais il avait en lui, la lumière du Seigneur: un feu, une vivacité qui me faisaient désirer le croire. Sur l’esplanade des Païens, des juifs d’Asie reconnurent le converti Trophyme et crurent qu’il avait suivi Paul et les 4 pénitents dans la cour d’Israël, interdite aux incirconcis. Ils se ruèrent sur Paul, la foule se souleva. Les soldats délivrèrent Paul de ces furieux prêts à le tuer. Jacques dit aux Anciens «prions pour que ces furieux ne se tournent pas contre nous !» Je dis «prions pour Paul, livré aux soldats qui ont tué le Messie Jésus» Un frère dit «ils ne peuvent mettre à mort un citoyen romain». Des zélotes, hommes-poignards, voulaient tuer Paul, mais son neveu fut averti par les sadducéens du Sanhédrin qui craignaient d’irriter les Romains, Paul étant un citoyen romain. Il fut emmené à la prison de Césarée. Ne trouvant Paul, les zélotes décidèrent de marcher contre nous. Jacques fit fermer la maison, avec des Galiléens devant la porte. Jacques notre Rempart décida que ceux de notre qéhila ne se montreraient plus dans le Temple pendant un long temps. Aidé d’un bâton, lui seul continua d’y monter à la première heure pour la prière. Personne n’osait murmurer contre lui quand il passait.

La guerre des juifs     colère de Jacques contre les grands Prêtres et les riches, lapidation de Jacques

C’est à Césarée, que survint la 1ère grande dispute entre les Juifs et les Grecs de la Judée. La ville avait été déclarée «grecque» à cause de ses temples par le jeune César, alors que pour les juifs, elle était juive car fondée par notre roi Hérode. Ayant perdu le droit d’en désigner les magistrats, ils se révoltèrent. Jérusalem s’enflamma. D’où la répression par le sang .Puis, la guerre se mit au sein du Temple. Les familles des grands Prêtres et sacrificateurs s’opposaient aux lévites, qui devenus très nombreux, murmuraient contre leurs partages. Aidés de brigands, les grands s’emparèrent des dîmes du blé réservées aux petits serviteurs du Temple qu’ils faisaient rouer de coups. En frappant les petits d’Israël, les Grands Prêtres foulaient aux pieds la justice des hommes et la Loi de Dieu. Certains disaient «Jésus était le nouveau Moïse, Jacques est le nouvel Aaron». Jacques osa affronter ceux du Temple, parlant publiquement contre les Grands prêtres pour les lévites et les ouvriers du Temple renvoyés. Cette année était le sabbat de la terre d’Israël (année 62) avec la pire des misères dans la ville basse. Le Rempart du peuple grondait contre les riches dans leur palais. On pensait moins à l’appeler «Genoux de chameau» que «Samson». (Epître de Jacques 2, 5-6 et 5, 1-6). Hânan, ben-Hânan, fit saisir Jacques au Temple. Profitant de l’absence du préfet nommé par César, il rassembla le Sanhédrin, accusa Jacques et d’autres d’avoir violé la Loi. Les Anciens dirent aux zélotes : «lapidons Jacques l’Impurqui reçoit dans sa maison des incirconcis et partage avec eux le pain d’Israël !». Après la 1ère pierre, tombant à genoux, Jacques priait le Seigneur. Un prêtre s’écria «arrêtez ! Le Juste prie pour vous !». Son corps bascula dans le fossé, sous la muraille. Vivant, il fut frappé à la tête jusqu’à la mort. Mes os tremblèrent : il nous conduisait dans les sentiers de la justice, et il était tombé sous les coups des injustes. Au roi Agrippa, on dénonça qu’Hanân avait transgressé nos règles. Des pharisiens rappelèrent au préfet que le Sanhédrin ne pouvait être rassemblé ni punir de mort sans la permission des Romains. Hânan fut destitué.

Le préfet ne put rétablir la paix dans la Judée : de faux prophètes et enchanteurs sortirent de partout, menant des indigents à la révolte, qui furent flagellés, massacrés par les Romains. Des zélotes faisaient libérer jusqu’à dix de leurs partisans contre un seul de leurs otages, riches parents du Grand prêtre. Oubliant l’enseignement de miséricorde du Serviteur de Dieu, nos jeunes voulaient détruire les rois, prêtres et préfets. Les fils de Jacques, mon fils Joël, et d’autres dirent «Jésus, le netzer de David, est mort pour racheter nos péchés, comme l’avaient dit les prophètes. Mais pour qui, pour quoi est mort Jacques le Juste ? Dans la détresse et l’affliction. Il me fallait fortifier les autres, d’abord Tabitha, celle que mes frères avaient d’abord rejetée, qui était plus attachée aux miens que moi-même.

Incendie de Rome, Persécutions des chrétiens, Mort de Pierre,

Ma fille Ruth prophétisa la destruction de Jérusalem et des Nations par le feu d’un dragon rouge. Pierre, notre Roc, restait à Rome, d’où Paul enfin libéré de sa captivité était parti prêché les barbares d’Espagne sans plus donner de ses nouvelles (l’exécution de Paul par Néron à Rome est une légende fondée sur un apocryphe de la fin du IIè siècle, dénoncé par Tertullien qui connaissait le faussaire, prêtre en Asie). Notre «colonne» me disait «Prends courage petit ! Car notre bien-aimé vient, maintenant, et la fin de toutes choses est proche : la mort de Jacques et les désordres de Jérusalem n’en portent-ils pas témoignage ? Ne crains pas la fournaise de l’épreuve. Rassemble ton troupeau pour le préserver du diable qui rôde». Rome, brûla dans un terrible incendie qui dura plusieurs jours. Quelques-uns de nos frères, dans le quartier juif, criaient «le monde s’embrase, le Seigneur approche, alléluia ! Convertissez-vous ! Respectez la volonté de notre Père !». La ville en cendres, certains accusèrent le César Néron d’y avoir mis le feu pour agrandir son palais. Il fut aisé aux magistrats de reporter l’accusation sur les christianoï, criant de joie. Pour connaître ce «Père» qui avait allumé l’incendie, on mit plusieurs des nôtres à la torture. Nos fidèles ne donnèrent aucun nom car «Son Nom ne peut être prononcé». Condamnés comme incendiaires et sans religion (les romains excluaient les sectes), le peuple criait «aux lions!» et certains furent envoyés dans l’amphithéâtre. La plupart, revêtus de tuniques enduits de poix, brûlèrent comme torches vivantes lors des fêtes de nuit de Néron César à ses amis. Beaucoup de nos frères de l’ekklesia romaine périrent dans les tourments, et parmi eux Simon, bar-Jonas, si fort de corps et de cœur que le Messie Jésus l’avait appelé «Pierre».

Autour de Jude, les ébionim attendent le Royaume               massacres des juifs, des romains, des juifs

Jérusalem devint une ville où, à son comble, la haine des Nations était entretenue par les zélotes et les sadducéens, plus violents les uns que les autres. Nous ne montions au Temple qu’aux fêtes, je n’y enseignais plus, mais nous allions prier et exhorter dans les synagogues, avant de partager l’agape avec nos frères dans la paix de notre maison. Je regardais nos malheurs avec confiance, n’étaient-ils pas le signe que la Fin des temps approchait ?, que les prophéties s’accomplissaient ? Je rassemblais autour de moi la communauté, comme Jacques l’avait fait au lendemain de la mort du Messie : «nous voici au terme de 40 années de tribulations, nous allons sortir du désert où Dieu nous a maintenus pour nous éprouver (traversée du désert à la sortie d’Egypte, le Royaume promis était alors attendu pour le début des années 70). Veillons et restons prêts. Notre Sauveur est vivant et nos yeux le verront.

Ce que nous enfantons, c’est le Royaume !».

Le nouveau préfet était si avide et corrompu que les Israélites de la Judée refusèrent tous ensemble de payer le tribut à César. Ses troupes, face à l’opposition des zélotes retranchés dans le Temple pour en défendre le Trésor, pillèrent et tuèrent tous ceux qu’ils trouvaient. 3 600 juifs furent massacrés. Des principaux de la ville furent arrêtés et pendus au bois en dépit de leur rang. Le sacrificateur Eléazar fit ôter du sanctuaire toutes les offrandes d’or et d’argent que les Césars avaient autrefois déposées (sorte de rupture des relations diplomatiques) et dit «le Temple de l’Eternel est purifié, Israël est délivré ! Dieu des vengeances, creuse la fosse des méchants !». Aussitôt les rebelles prirent les citadelles de Machéronte et Massada, égorgèrent les soldats, brûlèrent le palais d’Agrippa, voulurent incendier celui du Grand Prêtre. Epouvantés, de vieux lévites nous demandèrent asile, car ils avaient aimé Jacques le Juste qui défendait les petits contre les grands. Deux demandèrent le baptême. La foule envahit la forteresse d’Antonia où s’étaient réfugiés les notables et le Grand Prêtre, cherchant la protection des soldats romains. En vain, plusieurs dont le plus puissant des Grands Prêtres, ayant gouverné le Temple 14 ans, voulurent s’enfuir par les égouts. Rattrapés, ils furent égorgés. La foule envahit l’Antonia, y mit le feu ainsi qu’au greffe des scribes où l’on gardait les livres de généalogie et les contrats de dettes.

Des soldats, manquant d’eau, se rendirent à Eléazar qui leur promit la vie sauve, mais les fit massacrer. Abomination, ceci fut un jour de sabbat ! Jérusalem s’étant libérée, les fils d’Abraham se soulevèrent partout, ravagèrent villes et villages des Syriens, ruinèrent Gaza et Gadara . Les Grecs tuèrent les Israélites demeurant dans leurs murs. Il ne resta plus un seul juif dans Césarée, où il y en avait eu 20 000. Les grandes villes de la Diaspora entraient en ébullition. Néron nomma Vespasien, l’un de ses plus vieux généraux, qui reprit la Galilée village après village, ravageant le pays. Soutenu par les hérodiens, le roi Agrippa servait de guide à l’armée romaine. Fuyant leurs communautés dévastées des bords de la mer Morte, des esséniens rejoignirent Jérusalem. Les pharisiens, emmenés par Yohanan ben-ZaccaÏ, leur plus brillant rabbi, migrèrent vers Jamnia peu hellénisée, proche de Jaffa. L’année suivante, 68-69, suite au suicide de Néron et aux difficultés de sa succession, Vespasien quitta la Palestine pour Rome. Elu empereur, son armée revint sous les ordres de son fils Titus. Mon frère José, malade, dit «frères ébionim, je demeurerai ici avec les vieillards et les infirmes. Fuyez sans vous retourner comme Jésus nous l’a recommandé pour le Dernier Jour»

Refuge à Pella           

Laissant Jérusalem et ses villages, nous étions plus de 1000 à Pella, au-delà du Jourdain. Vinrent nous secourir des nazôréens, établis depuis le temps où Jacques de Zébédée y enseignait. Certains de notre qéhila se firent chez eux bergers, laboureurs ou tailleurs de pierre. Nos ébionim restaient pauvres parmi les pauvres, mais ils ne gémissaient plus, rendant grâce au Seigneur pour cet abri. Notre foi dans le Messie Jésus était devenue notre ville forte. Je restais inquiet pour mon fils Joël et mon scriptor Siméon, protégeant les Pauvres de Jérusalem, sous le commandement de José affaibli. Joël disait «imitons le Messie Jésus, qui préféra mourir par la croix que de tuer par l’épée».

Destructions et atrocités à Jérusalem         mort de José, mort de Joël fils de Jude

Au début de l’an 70, l’étau se resserra sur Jérusalem. Assistées de milliers d’auxiliaires arabes, 4 légions, conduites par Titus, entourèrent les collines où s’étaient réfugiées plus de 600 000 personnes. De mi-avril à mi-septembre, Jérusalem fut assiégée. Face à la résistance des rebelles, Titus fit crucifier, face aux murailles, 500 prisonniers par jour. Par une enceinte autour de la ville, ni ravitaillement, ni fuite n’était possible. Vint la famine. Méthodiquement bombardée, la ville basse fut détruite. Les portes du Temple cédèrent, le Saint et le Saint des Saints furent incendiés. Le Temple fut rasé. Parmi les petites maisons de la ville haute encore debout, restaient 2 ou 3 murs de l’ancienne qéhilades judéo-chrétiens Vos mains sont pleines de sang, dit l‘Eternel. De ce sang-là, même les fils de Lumière s’étaient souillés. Pour faire advenir son Royaume, Dieu avait renversé les arrogants, des justes étaient tombés avec eux dans les pires atrocités.(Flavius Joseph). Des 2000 frères à Jérusalem, mon neveu Siméon, fut le seul qui avait rejoint notre qéhila en exil. Pour se protéger, il avoua avoir abandonné nos ébionim et tué par trois fois en Samarie. Je lui dis «frappe ta poitrine et prie. Notre Père sait par quelles épreuves tu es passé, et sa miséricorde est sans bornes» Il se rasa la tête, jeûna 49 jours sans rien prendre que de l’eau et des baies sauvages, nous priâmes ensemble, à la fin, je lui imposai les mains. Par lui, je sus la mort de mon frère José. Il dit «il est mort en saint du Seigneur et Jésus s’est montré à lui. José le voyait et lui parlait.» Je me dis «serai-je donc le dernier à n’avoir pas été visité par l’Elu ? M’en veut-il encore de n’avoir pas entendu la dernière parole qu’il m’a dite, sur le Golgotha ?»J’implorai son pardon, et lui rendis grâce d’avoir visité José. De Joël, l’enfant de ma vieillesse, Siméon ne savait rien. Quand, comment était-il mort ? Je lui dis «il nous l’apprendra lui-même, puisqu’il sera bientôt parmi nous. Le Royaume ne saurait tarder».

De retour de Jérusalem, il me dit «il n’y a plus de prêtres, lévites, sadducéens, esséniens, zélotes, hérodiens. Plus de baptistes, les rives du fleuve sont ravagées; plus de Parfaits du désert, brûlés avec leur village. Ne restent que nous avec les pharisiens, dont leurs Anciens sont à Jamnia, où leurs rabbis prospèrent. Certains sont revenus pour relever les murs des synagogues. Ils se demandent où se prosterner. Je dis «Nous savons depuis longtemps que notre Temple est notre qéhila. Peu importe la ville, Dieu nous entend pareillement. Je veux prêcher dans la Galilée et à Kokhaba où demeurent mon fils Daniel et ses enfants. Je rentrerai dans Jérusalem, quand Rabbi ben-Zaccaï y rentrera (chef des pharisiens, qui refonda le judaïsme). Je disais au Seigneur «maintenant que mes forces s’en vont, Abba, ne m’abandonne pas». Mais l’Eternel me jugea digne d’une autre épreuve: une autre guerre commençait, non contre les Romains, mais contre nos frères.

Divisions crées par Paul à propos de «Christ, fils de Dieu, est Seigneur»             exclusion des synagogues

Des émissaires des ekklésiaÏ de Tyr et de Damas, hommes de division, vinrent en Galilée prêcher une parole de folie «Christ est fils de Dieu, Christ est Seigneur». Certains disaient «Christ n’est pas de ce monde, il n’a pas été engendré, son corps n’était qu’une apparence, il est le Fils descendu des Cieux pour enlever avec lui dans la Lumière ceux nés de la Lumière (annonce le gnosticisme, principale hérésie des IIè et IIIè siècles). Leurs lettres étaient de Paul, rappelant ses multiples souffrances (2Co 11, 22-23). Comblé d’injures et absorbé dans ma misère, je prêtai peu d’attention à ce nouvel outrage. D’autres lettres m’alarmèrent : «la Loi de Moïse est le ministère de la mort gravée sur des pierres». (2Co 3,7-8) Les enfants d’Israël réchappés des massacres allaient nous lapider ! Irrité, je dis «détruisez ces lettres ! Dieu a donné la clé de la maison de David, à moi, le dernier de la lignée. Quand je fermerai la porte, nul ne l’ouvrira !» Je fis écrire à toutes les communautés « Bien-aimés, la foi nous a été transmise une fois pour toutes et il n’y a pas de confusion dans l’enseignement du Messie. Il s’est glissé parmi vous des impies qui cherchent à vous diviser. Chassez-les et le Seigneur, quand il viendra, exercera son jugement contre eux». Qu’étaient devenues nos ekklesiaï de Césarée, Cyrène, Rome, Ephèse ? A quelle autorité obéissaient-elles ?

Après avoir prêché et baptisé dans le pays de Gôlan, j’appris que d’autres émissaires de l’Eglise d’Antioche, étaient venus semer l’ivraie jusque dans mon champ, confessant que Christos était fils de Dieu, et Dieu lui-même par l’Esprit. Il était Dieu descendu parmi les hommes ! Descendu dans la chair ! Eternel devenu mortel ! Nos Pauvres s’écrièrent indignés « Le Messie notre Maître est Jésus, bar-Joseph, de la maison de David, que Dieu a choisi parmi tous les hommes d’Israël lorsque Jean le Baptisa» (thèse « adoptianiste », qui concurrença celle de la conception virginale : Jésus devient «fils de Dieu» par élection divine lors de son baptême ou de sa Transfiguration). Ces querelles et rivalités entre ébionim et christianoÏ troublant la synagogue, les pharisiens dirent «allez, entre païens, vous disputer comme des chiens le corps de votre Ressuscité, allez manger sa chair et boire son sang, impies ! Que vos péchés retombent sur vos têtes !». Ils ne voulurent plus laisser les Israélites de la voie de Jésus lire et prier au milieu d’eux. J’étais abattu, ne souhaitant même plus conserver la vie. Tabitha, mon lys au milieu des épines, mourut et sur cette terre du Dehors, je dus la mettre dans une sépulture d’étrangers. Des Grecs de notre qéhila la prirent dans leur tombeau, car nos Israélites les mieux établis dans la ville, des convertis de Jacques de Zébédée, me dirent «ta femme, notre sœur dans la Voie, n’était pas née juive, nous lui laissions partager notre agape, mais nous ne pouvons partager la mort avec elle». J’étais comme de la paille foulée dans une mare à fumier.

Jérusalem en ruine    rejet des nazôréens des synagogues    Bonne Nouvelle de Marcus          Soif de Jésus

Je savais qu’en Paul, il n’y avait jamais eu de perversité. Avant de monter à Jérusalem, je dis à nos ébionim «je sais de qui le Messie Jésus est fils, car moi le vieil homme aux cheveux de laine, je suis son frère selon la chair. Il est le Serviteur, il n’est pas le Maître. Il est le chemin, il n’est pas le terme du chemin. Il est parti en avant pour nous ouvrir le Royaume. Car grand est l’amour de Jésus pour nous, et grand l’amour du Père pour Jésus. Ne vous laissez plus troubler par des trompeurs à la langue perfide. Que Dieu notre Père soit notre appui !» Quelques-uns repartirent pour la Judée avec moi. La plupart, las des exodes, restèrent au-delà du Jourdain. D’autres quittèrent pour Béroë (Alep en Syrie, où fut une grosse communauté judéo-chrétienne), Ninive ou la Babylonie. La fille de Sion est délaissée comme une cabane dans une vigne, dit l’Ecriture. Dans Jérusalem, en ruine, les cadavres étaient livrés aux vautours.

Réfugiés dans des caves, on se mit à rebâtir, cultivant les jardins abandonnés. Je récitais les commandements de la Loi, nous lisions le recueil des paroles du Messie, nous chantions le Shéma Israël, et répétions les prières que le Béni de Dieu nous avait enseignées. Disant «Père», j’étendais les bras comme, lors de mes 8 ans, mon frère le charpentier prenait mes mains dans les siennes pour les élever. Qu’avais-je appris? Que la voie de Jésus est un chemin difficile qui progresse entre deux abîmes ? Sur cet étroit sentier, j’avançais comme l’aveugle qui tâtonne du bout du bâton.

Je donnai autorité sur notre qéhila à Siméon, rempli de sève et verdoyant. Tous les frères approuvèrent mon choix. Appuyé sur le bras de ma fille Ruth, je descendais encore dans les villages pour guérir les malades et annoncer la Bonne Nouvelle aux affligés. Les pharisiens criaient «voici les mînim ! Honte aux nazôréens, anathèmes et païens !. Ceux du nouveau Sanhédrin poussaient les petits du peuple à s’écarter de nous. Nous revenions à la maison abattus et humiliés, étrangers dans notre pays. Dans mon cœur, Jésus s’élevait contre la faiblesse de mon commandement: «Serviteur fidèle, tu as gardé mon trésor, mais serviteur timide, tu ne l’as pas fait fructifier. Je t’avais confié une vigne excellente, comment as-tu pu la laisser dégénérer ?» Les synagogues d’Israël ajoutèrent aux 18 bénédictions de la prière, une malédiction, la birkat ha-mïnim, que nous devions prononcer contre nous-mêmes si nous voulions rester parmi les Juifs : «Maudits soient les hérétiques ! Que leur orgueil soit brisé et humilié. Maintenant !» Si nos ébionim gardaient les lèvres closes, ils se dénonçaient devant tous. Certains de nos adeptes, ayant trouvé asile dans les petits villages de la Judée, furent ainsi contraints de renier leur foi et d’oublier jusqu’au nom du Messie Jésus.

Un jour, le fils d’un négociant chrétien d’Alexandrie désira voir Jérusalem. Ne voulant pas loger chez les juifs qui n’en voulaient pas, il nous fut envoyé par de pauvres villageois, ayant entendu que nous étions grecs. Il fut étonné dedécouvrir que des adeptes de la voie de Jésus pouvaient aussi être fils d’Israël et respecter la loi de Moïse. Il me montra un petit livre nommé codex, où se trouvaient, dans la langue des hellénistes, la vie du précurseur, Jean le Baptiste, et le récit de la mort du Messie. Au milieu, des paroles de Jésus, mises sans ordre. S’y trouvaient aussi des justifications de nos coutumes juives, écrites pour des païens ignorants. Il me dit «celui qui a écrit ce livre est un chrétien romain du nom de Marcus (le plus ancien Ev. écrit en 70-80, destiné aux Romains, moins diffusé en Palestine que celui de Matthieu)). Ce Marcus avait connu un serviteur de la Parole, qui lui-même avait connu le Seigneur ! En chair et en os !». Pour parler du Serviteur de Dieu, il disait «le Seigneur», comme ceux de Paul. Mais, pour prier l’Eternel, il disait Abba, comme moi. Pendant qu’il commerçait avec les centurions, je lus plusieurs fois le livret qu’il appelait Marci euangueliôn, «la Bonne Nouvelle de Marcus». Je reconnus que les plus véridiques de ces choses écrites venaient de Pierre. D’autres m’étaient inconnues, et je ne les trouvais pas exactes. Quant aux paroles que ce romain mettait dans la bouche de Jésus, beaucoup provenaient de mon propre livre de logia et j’en éprouvai le vain orgueil d’un enfant qui remporte la course sans s’être exercé. En lisant ce petit livre fait comme un manteau rapiécé, pauvre récit auquel manquaient tant de justes lumières, je fus transporté d’allégresse et touché aux larmes-comme celui qui, au terme du voyage, retrouve la maison de sa mère et le frère qu’il croyait perdu. Il approche enfin, ce Jour où chaque épi portera mille grains, où les enfants ne naîtront plus pour périr, où tous les pauvres seront comblés d’amour. Et mon frère Jésus sera parmi nous ! A mon oreille, il redira cette dernière parole que je n’ai pas entendue et je sortirai du tombeau. Comme la fleur espère la rosée, comme le désert espère l’eau, je l’attends.

Quand il viendra, qu’il ne me trouve pas désaltéré ! Je garde la soif.

Conclusion personnelle:

Je tiens à terminer la présentation de ce livre sur l’évocation du codex et de l’Evangile, Bonne Nouvelle, de Marc.

La dernière phrase de mon travail me tient particulièrement à cœur. Elle nous tourne vers la lumière de notre humanité appelée sans cesse à marcher, rencontrer et suivre Jésus Sauveur.

Ayant à peine retenu les prénoms des frères de Jésus dans Mt 13,55-56, je me suis sentie interpellée quand une amie de notre groupe œcuménique de lectures avait exprimé son coup de cœur pour ce livre dont l’auteure m’était complètement inconnue. A ce moment, nous étions loin d’envisager la guerre à Gaza, et je n’avais pas mesurée que la date du 4 avril choisie par commodité pour présenter ce livre, faisait partie du temps pascal. En fait, j’ai vécu carême 2024 avec Jésus entouré de cette «pâte» humaine, en ce 1er siècle, parmi les fils d’Israël, puis avec son Eglise naissante, ouverte aux Nations, au sein de vives tensions théologiques dans un contexte de violences inouïes tant politiques et économiques que religieuses.

Au-delà de l’imaginaire très documentée de l’auteure, je me suis sentie rejointe par la densité humaine, intense et plurielle, des personnages bibliques. Ce flot continu de dialogues m’a permis de relire certains passages des Actes des Apôtres, découvrir l’épitre de Jacques, repenser certaines notes de la TOB, pour mesurer la pertinence de celles indiquées par Françoise Chandernagor.

J’ai donc beaucoup médité, prié, vibré émotionnellement et spirituellement, vivant à la fois ces époques et la nôtre surtout par rapport à nos églises tourmentées et à Gaza.

Je ne me sens pas le courage de résumer une conclusion de l’auteure tant ses 40 dernières pages, qu’elle nomme l’atelier de l’auteur, sont importantes à découvrir. Elles concernent la pertinence de ses choix ainsi que l’approche et l’évolution historique-spirituelle des personnages clés, aux tempéraments si puissants et singuliers. Je ne peux que vous encourager à les lire en premier si vous n’avez pas le temps de lire tout le roman.

En tout cas je me suis promise de lire ne serait-ce que les Actes des Apôtres, du début à la fin, afin de mieux comprendre les douleurs de l’Eglise naissante, dont l’accouchement perdure de nos jours.

ALO: PRÉSENTATION DES LIVRES
16 mars 2024

Atelier de Lectures Oecuménique du 7 mars 2024

“Prier 15 jours avec Jacques Ellul” 

Théologien de I’espérance

de Frédéric Rognon

Présenté par Françoise Pelon 

JACQUES ELLUL

 

ESQUISSE BIOGRAPHIQUE

 

Né à Bordeaux en L912, Jacues Ellul a grandi dans une famille non-chrétienne :père serbo-maltais sceptique et même libre-penseur, mère portugaise protestante mais non pratiquante (par respect pour son mari)

Il s’est converti brutalement à l’âge de 17 ans

Il a été saisi par l’évidence de la présence de Dieu à ses côtés. Cela lui a fait très peur car il craignait en devenant chrétien de perdre sa liberté.

Il a cherché à le fuir en lisant le maximum de livres antichrétiens.

Après plusieurs mois de lutte, il a fini par comprendre que les libertés auxquelles aspiraient les hommes étaient bien superficielles par rapport à la liberté véritable à laquelle il accéderait en se convertissant.

Au cours des années 1930, Jacques Ellul découvre les trois auteurs qui constitueront les trois sources fondamentales de sa pensée : Soren Kierkegaard, Karl Marx et Karl Barth.

La trajectoire professionnelle de Jacques Ellul est celle d’un professeur précoce et brillant :

bachelier à 16 ans, docteur en droit à24 ans, il est chargé de cours en histoire du droit à Montpellier

en 193’7, puis à Strasbourg en 1938. Il est évacué en 1939, au début de la << drôle de guerre >>, avec l’ universitéé de Strasbourg, vers Clermont-Ferrand.

C’est là , en 1940, juste après l’armistice qu’il est révoqué par le gouvernement de Vichy, dénoncé par un étudiant pour avoir mis en garde ses élèves alsaciens et mosellans contre le maréchal Pétain.

S’ils suivaient son exhortation à rentrer chez eux, c’était I’enrôlement de force dans la’Werhmacht.

Sa prévision se réalisera deux ans plus tard.

En Juin 1940 il se retrouve sans ressource et chargé de famille.

Il s’installe dans un petit village de Gironde où il apprend avec bonheur le métier de paysan : il élève des moutons et des lapins, cultive des pomme de terre. I1 est aussi fier de sa première récolte que de son concours d’agrégation (en droit) où il est reçu en 1943.

Dès 194O il entre dans la Résistance : fabrication de faux papiers, accueil de prisonniers évadés, aide au franchissement de la ligne de démarcation, sauvetages de familles juives, ce qui lui vaudra la médaille des Justes en 2002.

A la libération, Jacques Ellul est nommé adjoint au maire de Bordeaux pendant six mois. De cette courte expérience, il tire la conclusion que la politique est une véritable illusion: il constate au cours de cette brève expérience que les hommes politiques n’ont aucun pouvoir : celui-ci est confisqué par les experts qui orientent toute décision dans un sens technicien.

Tout le reste de sa vie professionnelle, jusqu’à sa retraite en 1980, est consacré à

I’enseignement : dès I94É il est professeur d’histoire des institutions à la faculté de droit de Bordeaux, et à partir de 194’l à I’institut d’études politiques de Bordeaux.

A côté de son enseignement et de ses travaux de publication, Jacques Ellul assume trois types d’engagement : ecclésial, social et écologiste.

Il n’a jamais été pasteur, mais il a bénéficié d’une délégation pastorale permanente qui I’autorisait, en tant que laïc engagé dans son Eglise et formé en théologie, a exercer toute responsabilité paroissiale au même titre qu’un pasteur.

Il participe à diverses commissions du Conseil oecuménique. Il est membre du synode régional et national de I’Eglise réformée de France, puis membre du Conseil national.

Son engagement social prend la forme de l’accompagnement des jeunes de la rue.

Premier jour

LE STYLE DE VIE DU CHRETIEN

Présence au monde moderne, publié en 1948 est le premier livre de Jacques Ellul et de ce fait a une dimension programatique. Il considérera d’ailleurs à la fin de sa vie qu’il n’a pas écrit plusieurs dizaines de livres, mais un seul dont chaque oeuvre est un chapitre et dont Présence au monde moderne est l’ introduction.

Il pose ici les bases de ce qu’il considère comme l’existence spécifiquement chrétienne : ce qui définit le chrétien, et le distingue du non chrétien, ce n’est pas son adhésion à un corps de doctrine, ni même le salut qui lui serait promis, c’est son style de vie. Le chrétien ne vit pas rigoureusement comme les autres.

Un verset biblique que Jacques Ellul affectionnait tout particulièrement est Rm 72,2:

«  Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. »

Cette formule de l’apôtre Paul conjugue anticonformisme et discernement. Vivre comme disciple du Christ, c’est être non conformes aux orientations générales de notre société, et exercer notre discernement pour adopter un autre style de vie.

L’alternative est la suivante : soit la dilution du message du Christ dans le monde, soit la rupture avec les idéologies de notre temps pour promouvoir le potentiel novateur du christianisme.

Son livre Présence au monde moderne n’est pas un manuel de recettes prêtes à I’emploi mais ouvre un chemin de responsabilité : à chacun de chercher et d’écouter, dans la prière, la voix de Dieu qui lui est personnellement adressée, puis d’élaborer son propre style de vie.

Jacques Ellul esquisse néanmoins quelques pistes pour orienter les chrétiens :

retrouver le sens du prochain, retrouver le sens de l’évènement, retrouver les limites du sacré.

Un double verset biblique vient illustrer cette mise en cause de la puissance sacrée :

« Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile ; tout m’est permis, mais je ne me laisserai asservir par quoi que ce soit » ( 1 Co 6,12)

Tout est permis mais tout n’est pas utile ; tout est permis mais tout n’édifie pas » (1 Co 10,23)

Finalement, le principe régulateur de ce nouveau style de vie, c’est le double commandement d’amour : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée » et «  tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22,37 ,39)

Tel est le critère de l’édification d’un style de vie qui devient créateur.

Deuxième jour

LA CONTEMPLATION REVOLUTIONNAIRE

C’est dans le sillage du mouvement étudiant de Mai 68 que paraît, en 1969, Autopsie de la Révolutton Alors même que les campus universitaire bouillonnent encore de velléités révolutionnaires, Jacques Ellul, comme à son habitude, s’inscrit à contre-courant et jette un pavé dans la mare : en proposant une « autopsie « de la révolution, il indique bien que la révolution est morte, et qu’elle n’est plus possible dans le cadre de la société technicienne.

Le terme << révolution >> se trouve banalisé, éculé et donc vidé de son contenu. En se cantonnant aux campus et au domaine culturel, sans nullement remettre en question sérieusement la technoscience ni les infrastructures de production,la contre-culture qui se veut révolutionnaire ne sert finalement que de soupape de respiration, et donc de vecteur de reproduction du système technicien.

En revanche, il est une révolution authentique, fondamentale, là où personne ne la cherche.

Ellul I’appelle la révolution nécessaire, empruntant une expression popularisée par les personnalistes des années 1930.

Il s’agit d’une révolution contre la nécessité historique, contre le fatalisme de l’évolution technicienne et tous ceux qui croient qu’il n’y a pas d’alternative.

Car cette révolution nécessaire est d’abord intérieure, elle est conversion, c’est à dire retour sur soi,et elle débouche sur un changement réel de vie, sur une nouvelle naissance et renouveau. Elle concerne donc une démarche spirituelle personnelle, qui appelle l’homme à revenir lui-même, à être pleinement soi.

C’est ici qu’intervient la contemplation. Elle est mise en tension avec l’agitation frénétique.

Si donc la contemplation est l’attitude vraiment révolutionnaire, c’est bien parce qu’elle va à contrecourant, et qu’elle prend le contrepied de la société technicienne.

L agitation révolutionnaire ne fait que cautionner les tendances lourdes de l’univers technicien, puisqu’elle adopte les mêmes valeurs suprêmes de l’engagement et de l’efficacité : en fait du changement permanent par l’activisme.

La contemplation permet de marquer un temps d’arrêt, de suspendre la course effrénée à la production et à la consommation.

Le contemplatif se reconnecte avec l’essentiel.

En faisant silence, autour de soi et en soi, il crée I’espace susceptible d’accueillir une parole qui vient d’ailleurs

La contemplation est donc prière les yeux ouverts.

Troisième jour

FRAGILITÉ DE LA PRIÈRE NATURELLE

Avec ce texte nous entrons dans une série quatre extraits de L’impossible prière, livre de Jacques Ellul paru en 1971. Est-il encore possible de prier aujourd’hui ? Et quelles seraient les véritables raisons de prier encore ?

Dans notre contexte actuel, les fondements de la prière semblent vaciller. Il est dans la nature de I’homme , mû par ses désirs et ses craintes de s’adresser à un Être suprême, au Tout, à l’Invisible.

Toute la nature peut elle-même être comprise comme une prière adressée à Dieu : le chant des oiseaux, les ondoiements des blés. Louange de la créature au créateur.

Mais selon Jacques Ellul, un point de rupture a été atteint avec l’entrée dans la société technicienne. La nature ne cesse de reculer, et les nouvelles générations ne connaissent plus qu’un univers technicien, qui est leur << seconde nature ». Ils baignent dedans depuis leur naissance au point de ne plus en percevoir le caractère artificiel. Sans Nature, il n’est plus de prière naturelle.

La prière semble bien vouée à disparaître à l’ère de la technique triomphante.

Jacques Ellul analyse la technique comme une religion qui rend la prière impossible : c’est le sacré technicien.

Toutes ces considérations nous conduisent à affirmer, avec Jacques Eliul, que la prétention d’asseoir la prière sur la nature ou le besoin de l’homme ne nous donne aucun fondement sérieux.

Mais ne prenons pas cette première conclusion comme un échec. Elle est au contraire l’occasion de trouver la véritable raison de prier encore aujourd’hui et de prier toujours demain.

La prière de l’incrédulité « pourquoi ne pas prier lorsque tous les autres recours, notamment techniques, ne sont pas tenus. >>

Il s’agit d’une prière << bouche-trou >>.

On sent bien ici la fragilité de la prière naturelle, sa précarité dans le cadre du déferlement technologique : elle n’est plus qu’un résidu, qu’une survivance.

Quatrième jour

FRAGILITÉ DE LA PRIÈRE RELIGIEUSE

Est-il encore possible de prier à notre époque ?

Quelles seraient les véritables raisons de prier encore ?

Les discours théologiques antérieurs à la société technicienne au sujet de la prière n’ont plus aucune pertinence.

Tel est le fond du problème : comment permettre à l’homme qui ne prie plus de renouer avec la pratique de la prière ?

Plus redoutable encore : comment permettre à I’homme qui n’a jamais prié de découvrir le sens et le goût de cette pratique ?

Car l’entrée dans la société technicienne a eu pour conséquence de décrocher plusieurs générations successives de la prière.

En vidant l’existence de cette signification, en rendant notre vie quotidienne mécanique, automatique, la société technicienne oppose un obstacle majeur à toute reprise de la pratique de Ia prière.

Car prier cela suppose d’abord d’être.

La recherche théologique se trouve dans une impasse : cette impuissance de la théologie tient au fait que Ia prière n’est pas un objet comme un autre : la prière n’est pas une question d,analyse mais d’expérience vécue.

Et prier n’est pas qu’une activité, pas seulement une pratique, mais une affaire de vie entière.

Nous avons là une indication sur le sens qu’il convient de conférer à notre prière : le sens de l’être même de notre vie, de toute notre vie.

Cinquième jour

FRAGILITÉ DE LA. PRIÈRE LANGAGE

Après la prière religieuse, c’est la prière langage que Jacques Ellul voit s’évanouir. Mais il ne le regrette pas.

Car le langage se trouve décomposé, disséqué par les sciences linguistiques,dépiécé par les slogans, messages abrégés et autres clip.

Nous sommes entrés dans une société de l’image toute puissante, qui parle à l’émotion et aux réflexes, là où la parole s’adressait à la pensée et à l’intelligence du coeur.

La prière serait elle la victime collatérale de I’humiliation du langage ?

Non dit Jacques Ellul car la prière déborde largement le langage parlé : << la prière n’est pas un discours, elle est forme de vie, la vie avec Dieu.

Elle ne se cantonne nullement à la verbalisation. Elle est d’abord relation.

Ce point est décisif pour définir la prière : y compris dans le silence extérieur et intérieur, dans l’écoute et l’adoration silencieuse.

La prière ne reçoit pas son contenu de ce que j’ai à dire, mais ce que j’ai à vivre avec Dieu.

Tant qu’elle n’est que discours, elle est non prière.

<< C’est lorsque le Saint-Esprit intercède d’une façon qui exclut toute verbalisation, que la prière est prière. >>

Ainsi la prière est un don de Dieu.

Ce n’est pas la prière qui disparait aujourd’hui, c’est un succédané qui n’avait déjà plus les caractéristiques de la prière.

C’était la prière langage, c’est à dire, non pas le don de Dieu, mais une oeuvre purement humaine.

Sixième jour

LA SEULE RAISON DE PRIERE AUJOURD’HUI

Après avoir passé en revue les différents lieux de fragilité de la prière, Jacques Ellul dégage la seule raison qui nous conduit à prier, encore et encore : c’est l’obéissance.

Car le commandement qui nous est donné nous vient d’une altérité radicale, qui seule peut me libérer de moi-même.

« Veillez et priez «  .Il s’agit d’un commandement et non pas d’une loi.

A la suite du théologien suisse Karl Barth, Jacques Ellul fait la distinction entre la loi objective, éternelle, qui s’impose identiquement à tous, et le commandement qui est une parole singulière qui m’est adressée, une relation de personne à personne.

En Jésus Christ la loi devient un commandement. La loi objective de l’Ancien Testament devient une relation personnelle avec le Christ.

<< Toi, prie ».

L’obéissance en Christ est le contraire d’un devoir ou d’une obligation.

Il y a compréhension d’une responsabilité, ouverture d’une communion et d’un dialogue,

La prière comme écoute ne relève d’aucun légalisme, mais d’une réelle liberté : celle d’un enfant de Dieu qui se place face à son père céleste pour accueillir sa parole et en vivre.

<< Priez sans cesse » (1 Th 5lt7), telle est l’exhortation de I’apôtre Paul qui peut sembler irréaliste, d’une exigence extrême.

Elle montre bien qu’en réalité la prière n’est pas un temps ponctuel. mais qu’elle appartient au contraire à la totalité de la vie.

Sans la prière nous sommes comme des entants emportés à tous vents de doctrine.

La prière ne peut être que l’expression de la foi. La foi n’est pas un objet que l’on obtiendrait par nos propres forces : elle est un don de Dieu. .. On n’a pas la foi, c’est elle qui nous a. >>

On ne peut par conséquent que demander la foi…dans la prière.

Et ainsi, en demandant la foi, nous nous mettons à prier, et donc à croire car nous ne parlons pas à un vide. La prière révèle et nourrit la foi, qui à son tour nourrit la prière.

Prier, c’est peut-être découvrir que nous avons reçu ce don de Dieu qu’est la foi.

La prière sera alors une prière d’action de grâce : manifester toute notre gratitude pour la foi reçue, cadeau immérité et d’un prix incomparable.

Pour Jacques Ellul, la prière comprise en tant qu’acte d’obéissance est un acte de liberté.

Il y a une contradiction entre puissance et liberté : la prière en tant qu’acte de liberté suppose de renoncer à I’obsession de 1’efficacité.

A partir du moment où la prière n’est prise au sérieux qu’en fonction de ses résultats, de son exaucement, elle est condamnée.

Ce n’est pas la prière en tant que telle qui est condamnée, c’est bien la prière d’efficacité, la prière devenue mode de puissance.

Dans 1e prochain chapitre nous verrons que la prière est un combat.

Comme l’écrivait Soren Kierkegaard « la vraie prière est une lutte avec Dieu où I’on triomphe par le triomphe de Dieu . »

En d’autres termes, le combat de la prière est un combat contre soi-même, au terme duquel je l’emporterai sur moi-même grâce au secours de Dieu.

 

Septième jour

LE COMBAT CONTRE DIEU

Quand Dieu se tait, il faut le forcer à parler. Quand Dieu se détourne, il faut le forcer à revenir.

Quand Dieu semble mort, il faut le forcer à être.

Et cela pourra prendre forme dans l’appel angoissé, la plainte, la lamentation, la prière de repentance.

Le combat de la prière contre Dieu, c’est à dire avec Lui contre soi-même pour se laisser changer, peut prendre des chemins bien particuliers. inattendus, improbables même lorsque Jacques Ellul aborde la question de l’espérance.

La prière d’espérance est bien une prière de lutte, mais d’une lutte destinée à faire sortir Dieu de son silence.

Dieu se tait. Et l’espérance est le refus de se résigner à cette situation.

Dieu se tait parce que dans notre société moderne, l’homme se croit « adulte », capable d’assumer seul tous ses besoins par la technique.

La parole de Dieu est inaudible car l’homme ne l’écoute pas. Il fait tant de bruit que sa parole ne peut être entendue.

Si Dieu se tait, ce n’est pas parce qu’il nous rejette, mais parce que nous le rejetons.

Notre époque peut être identifiée comme le temps de la déréliction.

La déréliction c’est un sentiment profond de total abandon, à I’image de ce qu’exprimait la parole du Christ sur la croix : << Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (Mc 15,34)

Qu’en est-il donc de l’espérance au temps de la déréliction ?

Face à cette question, Jacques Ellul dévoile le fond de sa pensée et révèle le coeur même de sa vie spirituelle.

« Malgré mon pessimisme bien connu, malgré les analyses sociologiques que j’ai pu faire…je ne suis pas désespéré. Pas du tout. »

Jacques Ellul est en quelques sorte un pessimiste débordant d’espérance.

Il ne perçoit aucune issue pour notre monde à vues humaines, mais il reste fondamentalement enraciné dans l’espérance liée aux promesses de Dieu.

En Jésus-Christ, Dieu nous a promis sa présence permanente à nos côtés quoi qu’il arrive.

« Et voici je suis avec vous tous les jours, jusque’à la fin du monde. » (Mt 28,20)

« Car j’ai l’assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présents ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rm 8,38-39).

Mais alors comment comprendre le silence de Dieu et la déréliction d’aujourd’hui ?

Comme l’incitation au combat de la prière. Car paradoxalement le temps de la déréliction est le temps approprié à 1’espérance.

Cependant cette promesse est aléatoire , Dieu ne l’accomplit qu’à f issue d’un dur combat : la lutte de l’espérance pour contraindre Dieu à sortir de son Silence et à tenir Sa parole.

L’espérance est donc une réponse de l’homme au silence de Dieu : l’homme qui espère refuse la décision de Dieu de se taire, il revendique que Dieu tienne ses promesses, il en appelle à Dieu contre Dieu.

C’est ainsi, selon Jacques Ellul que I’on peut comprendre cette parole énigmatique de 1’Evangile :

« Le Royaume des Cieux est aux violents qui s’en emparent. » (Mt 11,12).

La figure emblématique de I’espérance est le personnage de Job, qui s’insurge contre le silence de Dieu, à cause des promesses de celui qui finira bien par se lever sur la terre. (Job 19,25).

La prière prend ici une dimension nouvelle : elle est toujours un combat, mené avec les armes de l’Esprit, mais elle est un combat destiné à retrouver le vrai Dieu dans le fatras des idoles de puissance (idoles du pouvoir, de la finance, de la technique).

 

Huitième jour

L’INEPUISABLE ESPÉRANCE

Jacques Ellul ne craint pas de nous alerter sur les grandes exigences de la prière

d’espérance. Espérer n’est pas une paisible détente spirituelle, une mise au repos de notre vie intérieure. C’est une lutte à la vie, à la mort. Elle est un engagement de toute notre personne, elle est une consécration de notre existence dans sa totalité.

L’espoir est la perspective d’une amélioration de la situation à vues humaines. L’espoir n’a de sens que lorsqu’il existe une issue possible.

L’espérance, au contraire, n’a de sens que lorsque le pire est tenu pour certain.

L’espoir est la passion des possibles, l’espérance la passion de l’impossible.

L’espérance ne se réjouit pas de ce que Dieu nous laisse les mains libres, elle exige qu’il parle parce que sans la présence du Tout Autre l’homme ne peut aller que de ruines en désastres.

La seule attitude fidèle à la croix est la folie qui consiste à provoquer le Saint-Esprit pour que l’espérance soit possible.

La réduction de la vie religieuse à une dimension uniquement profane c’est l’engagement dans le monde, sans être au préalable dégagé du monde.

Pour Jacques Ellul, la liberté n’est pas quelque chose que l’on acquiert soi-même, mais un don qui nous est fait par le Christ : celui-ci nous dégage de nous-même.

L’espérance surgit du désespoir, et permet de le traverser.

Dans le Nouveau testament, la métaphore utilisée pour parler de l’espérance est une ancre : ” l’ancre de l’âme “.(He 6,19). C’est donc un symbole de fermeté et de stabilité, au milieu des tempêtes de la vie.

Quelle est donc la différence entre la foi et l’espérance ? On pourrait dire, d’une simple formule, que l’espérance c’est la foi pour demain, et que la foi c’est l’espérance pour aujourd’hui.

La foi est une relation vivante que les croyants entretiennent avec le Dieu de Jésus-Christ, et l’espérance la persévérance dans cette relation lorsqu’ils se tournent vers l’avenir.

S’il n’est pas de foi sans prière, ni de prière sans foi, il n’est pas non plus d’espérance sans prlère, ni de prière sans espérance.

 

Neuvième jour

LES QUESTIONS QUE DIEU NOUS POSE

” FOI» et « CROYANCE » renvoient au même Verbe ,. Croire “.

Mais Jacques Ellul distingue nettement les deux termes.

Les croyances sont collectives, elles permettent la vie en société, elles fournissent à l’être humain des solutions à ses problèmes, des convictions fermes, des repères qui aident à se situer dans l’existence.

Les croyances excluent donc le doute.

Tandis que la foi est individuelle, et loin d’être sécurisante, elle se conjugue avec le doute, elle le suppose et l’intègre.

Plus exactement le doute sert d’épreuve pour la foi , afin de vérifier si elle n’est pas pleine de croyances.

La foi est un décapant terrible. D’où le titre de ce livre de Jacques Ellul . La Foi au prise du doute. La Foi pousse sur le riche réseau du doute.

La Foi s’adresse à un Dieu inaccessible.

Comme l’a montré Soren Kierkegaard, la croyance rassemble les hommes, alors que la foi isole, singularise l’lndividu, c’est à dire le rend unique.

La croyance apporte des réponses aux questions de l’homme, la foi pose des questions ou déplace les questions de I’homme, la foi l’amène à répondre donc à être responsable.

ll peut répondre par des mots, il peut aussi répondre par la manière dont il vit.

La foi est d’abord une écoute, elle se ressource dans le silence.

Pour Jacques Ellul , la Bible n’est pas un livre de recettes. Mais elle n’est pas non plus un livre de réponses. La Bible est un livre de questions.

Ce sont des questions que Dieu pose au lecteur croyant à travers le texte scripturaire.

Selon Ellul, Dieu pose trois principales questions au lecteur de la Bible :

” Qu’as tu fait de ton frère ? (Gn 4, 9-10)

” Qui dites vous que je suis ? (Mt 16,15)

,. Qui cherches-tu ? (Jn 20,15)

La première question s’adresse à Caïn mais aussi au lecteur. Elle est en réalité une

double question : ” Où est ton frère ? ” Qu’as tu fait ? »

C’est une question éthique. Caïn se déresponsabilise en répliquant ” Suis je le gardien de mon frère?.

On peut espérer que le lecteur saura se responsabiliser, c’est à dire assumer ses actes, et s’engager à avoir souci de son frère pour en prendre soin.

La deuxième question s’adresse aux douze disciples de Jésus mais aussi à chaque

lecteur de l’Evangile. Simon Pierre répond de trois manières différentes selon les trois évangiles synoptiques. (Mt 16,16) ; Mc 8,28 ; Lc 9,20).

ll n’y a pas de réponse unique à chaque question de Dieu, y compris de la part d’une même personne.

C’est une question confessante. On ne répond pas de la même façon à une question de foi lorsqu’on a 20 ou 80 ans, avant et après une épreuve de santé, de rupture ou de deuil.

Enfin la dernière question posée ” Qui cherches tu, c’est celle posée à Marie de Magdala par Jésus qu’elle prend pour le jardinier. ll s’agit d’une question existentielle sur le sens de notre vie pour tous ceux qui méditent ce texte le jour de Pâques.

Que cherchons nous ? Quel est notre horizon et quelle est notre boussole ?

Cette question sollicite une réponse existentielle de la part de chacun et chacune d’entre NOUS.

Dixième jour

QUI EST DIEU ?

Question décisive pour quiconque cherche à recevoir sa vie et en accueillir le sens de la part d’un Autre, plutôt que de se croire l’auteur de lui-même.

Car si notre identité propre nous vient d’ailleurs, quel est cet ailleurs ?

Selon la tradition biblique il ne s’agit pas d’une force impersonnelle, mais d’une véritable personne, avec laquelle entrer en relation personnelle.

La révélation est précisément ce mouvement par lequel Dieu se fait connaître aux hommes.

Et pour les chrétiens, la révélation c’est Jésus-Christ qui nous dévoile le vrai visage de Dieu.

Or Jésus-Christ nous enseigne que Dieu est notre Père céleste.

Si Dieu est le Dieu de Jésus-Christ, il est notre Père, source de notre vie, infiniment et inconditionnellement aimant : Il est Lui-même amour.

Nous pouvons par conséquent nous adresser à Lui avec la confiance et la certitude d’un enfant devant son père : nous Lui devons tout, et nous avons l’assurance que nous recevrons jamais de Lui que bienfaits, soutien, consolation, nourriture et protection.

Nul autre n’est fidèle et donc fiable comme Dieu.

Il est totalement extérieur à notre monde, et donc s’avère un appui solide pour considérer notre monde de manière critique, et nous regarder nous-même sans complaisance.

Mais il nous a rejoint en Jésus-Christ et par conséquence loin de toute indifférence à ce que nous vivons.

Il nous guide avec amour sur nos chemins terrestres.

Il nous permet de devenir celle ou celui qu’il veut que nous soyons, dégagé(e) de tout ce qui nous aliène.

Il est en même temps Puissance etAmour, altérité et intimité.

Tel est le Dieu de Jésus-Christ.

 

Onzième jour

DEVANT LE TEXTE BIBLIQUE

Jacques Ellul écrit :

<< Le critère de ma pensée est la révélation biblique ; le contenu de ma pensée est la révélation biblique : le point de départ m’est fourni par la révélation biblique ; la méthode est la dialectique selon laquelle nous est faire la révélation biblique ; et l’objet est la recherche de la signification de la révélation biblique sur l’éthique. »

La pensée éthique de Jacques Ellul est donc centrée sur l’Ecriture, tout en conférant à la Bible un statut bien singulier, et en lui appliquant une méthode de lecture spécifique.

Jacques Ellul adresse tout d’abord de vives critiques à l’encontre de l’exégèse historico-critique et de I’exégèse structurale, utiles pour le jeu de la science, mais ne disant rien de la vérité.

Tout au long de l’oeuvre ellulienne, il y a tension entre la Réalité et la Vérité (qui disqualifie les méthodes de type scientifique).

Même critique pour I’exégèse marxiste (années 70)

A l’approche scientifique de la Bible, Jacques Ellul oppose la méditation d’inspiration Kierkegaardienne, qui considère que la révélation biblique s’adresse à l’existence même du sujet.

Il invite les lecteurs à redécouvrir la Bible comme une lettre d’amour de Dieu aux hommes.

La Bible doit être mise en pratique dans la confiance et I’espérance.

Mais il y a un préalable à toute lecture d’un texte biblique. [,a méditation de I ‘Ecriture commence par une écoute, puisque la foi se ressource dans le silence : La foi est d’abord une écoute ( . . .) elle patiente à l’écoute du silence, jusqu’à ce que le silence soit rempli de ce qui devient parole de Dieu..Après, à partir de l’écoute peuvent venir réponses , morale , action et engagement .

Mais tout cela épuise la foi, et celle-ci ne renaît et ne se ressource qu’au retour de l’écoute et la veille.

Le silence devant le texte biblique est un silence exigeant : non seulement le silence extérieur (calme des lieux où nous nous trouvons) mais surtout silence intérieur.

<< Il faut d’abord se laisser saisir par la beauté du texte,le recevoir dans l’émotion et l’écoute silencieuse comme une musique, et laisser sa sensibilité, son émotion parler avant de vouloir analyser et « comprendre ».

La Bible est un poème au sens fort du terme, c’est à dire une expression créatrice, une puissance spirituelle susceptible de faire du neuf dès lors qu’elle est reçue comme venant de Dieu.

L’analyse et la compréhension rationnelle ne peuvent éventuellement intervenir que dans un second temps. l’Ecriture concerne toujours les questions ultimes de I’existence.

C’est pourquoi la Bible ne doit être ensuite refermée qu’après avoir pris une décision qui engage notre existence.

Silence, disponibilité, accueil puis décision : tel est le chemin exigeant de la lecture de I’Ecriture.

Douzième jour

LOUANGE ET ADORATION

Jacques Ellul est connu comme juriste, sociologue, historien des institutions,, théologien protestant,, essayiste, précurseur de l’écologie radicale… mais très peu comme poète.

Et pourtant, dès qu’il avait quelques répit, il s’adonnait à cette activité créatrice.

Il a composé ainsi plusieurs centaines de poèmes mais n’en a publié aucun.

Ce n’est qu’en 1995 et en 1997 qu’ont paru les deux recueils édités à ce jour.

Silences, sobrement sous-titré Poèmes et Oratorio sous-titré Les quatre cavaliers de l’Apocalypse.

Il était un grand lecteur de ce livre qu’il méditait régulièrement et auquel il a consacré deux ouvrages de commentaires.

La poésie de Jacques Ellul est l’expression de son intimité spirituelle.

La première page de Silences est un poème sans titre : un chant d’immense gratitude envers Dieu.

L’ action de grâce est une expression constante dans la vie de Jacques Ellul, depuis sa conversion à l’âge de 17 ans, qui a offert un sens, une orientation, une boussole et une lumière à son existence.

A la recherche d’un renouvellement du langage d’adoration, il découvre sur le terrain de la poésie un chemin pour formuler devant I’Auteur de sa vie ce qui remplit son coeur.

« Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle création. « Les choses anciennes sont passées; voici toutes choses sont devenues nouvelles. » (2 CO 5,17)

<, Nouveau ce simple jour à vivre ( …) et nouveau ce regard émerveillé »,.

Le même verbe grec egeirô signifie à la fois .  « se lever » et «  ressusciter » : chaque lever le matin est une résurrection où tout est renouvelé.

L’expression de gratitude ne fait que s’amplifier devant la prise de conscience de notre ingratitude.

Le décalage est abyssal entre la bonté de Dieu et notre méchanceté, entre sa fidélité et notre infidélité.

Le Dieu de Jésus-Christ est le seul vrai Dieu, celui qui me libère de moi-même.

 

Treizième jour

TOI SEUL

Dans la suite de Silences (1995) un second recueil de poèmes de Jacques Ellul est publié deux ans plus tard. C’est «  Oratorio » et il se présente effectivement comme un oratorio à cinq parties, comprenant des textes à proclamer par des récitants et d’autres par des choeurs.

Rédigé dans les années 1960 inspiré du chapitre 6 du dernier livre du Nouveau Testament (Ap 6, i-8) cet oratoire est sous-titré: Les quatre cavaliers de l’Apocalypse “.Il s’agit d’une véritable épopée.

Le premier cheval est blanc, il symbolise la Parole de Dieu, source du salut au milieu du chaos :

«  Je regardai quand l’agneau ouvrit I’un des sept sceaux, et j’entendis l’un des quatre êtres vivants qui disait comme d’une voix de tonnerre .< Viens ! » Je regardai, et voici parut un cheval blanc. Celui qui le montait avait un arc ; un couronne lui fut donnée, et il partit en vainqueur et pour vaincre » (AP 6,1-2)

En alternance avec les récitants, le choeur des vieillards scande son chant par la référence à l’exclusivité du salut de Dieu de Jésus-Christ : << Toi seul… >>

Toi seul qui dit Je suis et rien n’était avant – où Ta parole est dite apparaît le néant quand s’oppose à lui le créé (O l3)

Le premier « Toi seul » renvoie à l’identité de Dieu. Il est le seul à pouvoir dire « Je suis » puisqu’il est le seul éternel, le seul vivant et la seule source de vie.

« Je suis » fait référence à la scène de Moïse devant le buisson ardent qui demande à Dieu quel est son nom. C’est ainsi que tu répondras aux entants d’Israël : Celui qui s’appelle << Je suis >> m’a envoyé vers vous. (Ex 3,14).

L’exclusivité absolue de Dieu repose sur ce double pouvoir de créer et de faire disparaître, de donner la vie et de faire mourir.

« Je suis l’alpha et l’oméga” dit le SeigneurDieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant.

La deuxième exclusivité du Dieu biblique concerne sa toute puissance d’opposition aux «  Puissances « . Dans l’apocalypse, Dieu est nommé Pantokrator : << Tout Puissant » (par exemple en Ap 1,8), non plus seulement comme créateur et maître de la vie et de la mort. mais comme vainqueur du mal et des forces des ténèbres.

Il est ainsi le maître de toute chose et sait donc mener les puissances démoniaques, comme un dompteur sait maîtriser une bête féroce.

Et la troisième exclusivité, sans doute la plus saisissante, est son pouvoir de conversion des méchants et de salut pour tous : Lui seul est sauveur, et ce salut est universel, parce qu’il est I’Amour même. « Dieu est Amour dit la première épître de l’apôtre Jean (1 Jn 4,8.16) : l’Amour n’est pas qu’un simple attribut de Dieu parmi d’autres, il s’agit de Son nom et de son identité. Il aime même les damnés, c’est à dire nous tous qui ne méritons pas sa miséricorde ni son salut et Il fait de nous tous les ambassadeurs de la justice et de la paix.

L’analogie entre les Hébreux au désert et les femmes et les hommes d’aujourd’hui, en marche au milieu des multiples servitudes du temps présent, est saisissante.

Jacques Ellul a le don d’actualiser les figures bibliques très anciennes en leur conférant une vigueur remarquable.

La dernière exclusivité du Dieu de Jésus-Christ concerne la seule raison de vivre et de poursuivre sa route : ce n’est pas le but du chemin qui est attractif, mais uniquement le moteur de la marche, le motif de la marche.

Le Seigneur est à la fois celui qui donne une raison de vivre et d’avancer et Celui en qui l’on avance, et donc en qui réside notre vie.

La fin de ce chant du choeur des vieillards est un sommet d’évocation : l’humanité entière est en marche, mais sans le Seigneur tous se perdent, et avec Lui tous sont renouvelés, accueillis, recueillis, sauvés. I.a marche se poursuit mais avec ses souffrances et ses perditions, et toujours à nouveau ses relèvements et ses sauvetages.

Loin de se limiter à une prévision pour la fin des temps, l’Apocalypse est une lumière sur notre vie présente.

Quatorzième jour

L’ETHIQUE DE LA NON-PUSSANCE

Sur le modèle de la notion de non-violence, Jacques Ellul a forgé un concept nouveau : celui de la non-puissance. Comme il avait construit une double dialectique, engagement – désengagement – dégagement, espoir-désespoir-espérance, il institue de nouveaux concepts : puissance-impuissance-non puissance.

La puissance est la capacité de faire; f impuissance est l’incapacité à faire ; et la non-puissance est la capacité de faire et le choix de ne pas faire.

La non-puissance n’a rien à voir avec l’impuissance.

Jésus qui en tant que Dieu était tout puissant, a adopté une attitude de non-puissance et pas seulement de non-violence.

_ Il demande à Jean-Baptiste d’être baptisé par lui (Mat 3, 13-17)

_ Il résiste aux trois tentations du diable qui l’incite à manifester sa puissance (Mt 4,L-ll)

Il refuse d’accomplir certains miracles (Mt 12,38-45)

_ Lors de son arrestation il ne fait pas appel à des légions d’anges (Mt 26, 52-53)

_ Lorsqu’il résiste aux injonctions de descendre de sa croix (Mt27,39-4)

Jacques Ellul voit dans tous ces exemples une application par Jésus de son enseignement du Sermon sur la montagne (Mt 5, 38-48).

A la suite de lui, les chrétiens sont invités à entrer dans un chemin de non-puissance.

Telle est leur vocation, si exigeante en réponse à la grâce.

Jacques Ellul n’occulte nullement la difficulté d’une éthique de la non-puissance : elle va à l’encontre de la nature humaine.

Car l’esprit de puissance est bien au coeur de l’homme.

Comment renoncer à toute recherche d’efficacité dans nos actions ?

Et cependant la non-puissance est à la fois le seul chemin de fidélité au Christ et la seule attitude qui mette réellement en question le système technicien dans lequel nous vivons, marquée par l’obsession de I’efficacité.

Notre société technicienne est gouvernée par une loi sacrée, qui avait été édictée par un physicien hongrois, Denis Gabor : « Tout ce que nous pouvons techniquement réaliser sera nécessairement réalisé ». C’est la loi du déterminisme technicien le plus implacable. Or concrètement, la non puissance profane la loi de Gabor. Tout un chacun peut mettre en oeuvre la non-puissance dans sa vie quotidienne. Il y a là une forme d’iconoclasme : la technique est devenue notre nouveau sacré , et toute mise en question de cette idole ne peut être reçue que comme un sacrilège.

Il ne s’agit pas seulement de contester la loi de Gabor, mais de mettre en oeuvre un autre possible et d’en témoigner : témoigner de son espérance et adopter un posture prophétique..

L éthique de la non-puissance découle de la foi des chrétiens. L’incarnation est bien le choix par Dieu lui-même, en Jésus-Christ, d’un chemin de non-puissance. Et la résurrection est la victoire sur la mort. lncarner dans notre vie quotidienne notre foi en la résurrection, c’est être libéré de toute obsession de faire nos preuves, de tout souci de déployer notre propre puissance pour régler tous nos problèmes au moyen de nos propres forces.

L éthique de la non-puissance n’est pas une voie de facilité, elle est une rupture avec les valeurs et les idéologies ambiantes. A l’heure des défis écologiques, des perspectives effrayantes du changement climatique, du développement chez nos contemporains de l’éco-anxiété, l’éthique de la non-puissance est d’une pertinence inégalée.

Dès 1950 Jacques Ellul anticipait cette évidence du développement durable : il ne peut poursuivre un développement infini au sein d’un monde fini.

Chaque recours à la puissance doit être passé au crible de ce critère décisif: est-ce au service de l’amour, de la vie, de l’être humain ? Ou est-ce une manifestation de puissance pour la puissance, un déferlements de puissance en faveur des intérêts de quelques-uns.

L’éthique de la non-puissance doit nous permettre de privilégier en toute situation l’amour et la vie.

Jacques Ellul proclame : « Seule la non-puissance peut avoir une chance de sauver le monde » 

 

Quinzième jour

BILAN D’UNE VIE

J’ai dit ce que je pensais et cela n’a pas était entendu. Je l’ai probablement mal dit. Mais bien plus important, il m’a peut-être été donne parfois de rendre témoignage à Jésus-Christ. Peut-être au travers d’une parole ou d’un écrit, un homme a rencontré ce Sauveur, le seul, l’unique, auprès de qui tous les projets humains sont des enfantillages ; alors, si cela a eu lieu, je serai comblé et, à ce moment, gloire à Dieu seul.

Jacques Ellul n’est pas qu’un lanceur d’alerte. Il est aussi un grand spirituel, un témoin de la grâce et de la fidélité du Dieu de Jésus-Christ.

ALO: PRÉSENTATION DES LIVRES
11 février 2024

Atelier de Lectures Oecuménique du 8 février 2024

Atelier animé par P. et G. Bécheret

 

 

Jacques MUSSET      JÉSUS POUR LES NON – RELIGIEUX

( Rendre son humanité au prophète de Nazareth )  Éditions KARTHALA : collection SENS & CONSCIENCE

 

 

Jacques MUSSET est né le 29 mars 1936, il a 88 ans.

Il a été successivement aumônier de lycée, animateur de groupes bibliques et formateur à l’accompagnement des malades en milieu hospitalier.

Ancien prêtre, marié, il a écrit plusieurs livres sur son itinéraire spirituel. Il anime des sessions de l’association culturelle des Amis de Marcel LÉGAUT.

Nous avons eu l’occasion de le côtoyer et de découvrir sa spiritualité dans différentes rencontres organisées par la fédération des Chrétiens du Parvis, à laquelle nous appartenons.

 

Qui sont les Non – Religieux , pour Jacques MUSSET ?     On pourrait penser que son livre vise les agnostiques et les athées . C’est vrai . . . et pas vrai !   

Cet ouvrage  s’adresse principalement à des chrétiens qui, tout en demeurant attachés à la figure de JÉSUS, ont pris leur distance avec leur église, et notamment la Catholique.

 

Jacques MUSSET se classe lui-même  comme un  Non-Religieux , c’est-à-dire comme un chrétien qui dénie  à l’institution religieuse de gouverner sa route et sa spiritualité.

 

Comme les Non-Religieux, il ne peut accepter ni supporter que l’on ait enfermé le personnage de Jésus ( son message, son approche responsable ) dans un système religieux

avec ses dogmes. . . ( Ce qu’il faut croire ),

sa morale  . . . ( Ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour être un bon chrétien ),

ses rites . . .  ( Comment célébrer pour être en relation avec Dieu )

et sa hiérarchie sacralisée . . . ( qui fait loi et à qui obéir ).

 

Jésus n’a pas institué une religion ; il  a initié une manière de vivre humainement dans toutes ses dimensions.

 

Les « non-religieux »  sont ceux qui reconnaissent  à la science et à la recherche le pouvoir de dresser d’autres représentations possibles de Dieu.   

Les Non-Religieux ont abandonné la conception théiste de Dieu ,

 

La conception « théiste de Dieu « . . .   Qu’est-ce que cela veut dire ?

 

 le Dieu théiste est celui qui a créé le monde et tout ce qui existe , dont l’homme .

  • C’est un Dieu qui conduit l’histoire humaine et les destins individuels en leur attribuant à chacun une vocation.
  • C’est un Dieu qui rétribue le bien et punit le mal,
  • C’est celui qui peut grâce à sa puissance opérer des miracles dans l’univers et dans la vie des individus,
  • C’est celui qui a parlé pour se faire connaître et pour révéler aux hommes comment se comporter en humains.

Cette conception de Dieu pour J.M. est totalement invraisemblable

 

Jacques MUSSET distingue deux catégories de  « NON – RELIGIEUX ».

 

La première, dont il fait partie, désigne des chrétiens qui ont déserté les églises dont ils étaient membres. Dispersés géographiquement, un certain nombre d’entre eux sont membres de petites communautés où ils se rencontrent pour échanger et se soutenir. Ils méditent les Évangiles, partagent le pain et le vin en mémoire de Jésus pour réanimer en eux l’esprit d’authenticité et de fraternité qui l’animait.

Les Non-Religieux ne se retrouvent plus dans la doctrine officielle , celle que leurs Église d’origine continuent  de professer sur Jésus.

Ils ne se retrouvent plus  dans les liturgies qui le célèbrent,

Ils ne se retrouvent  plus dans les prétentions des autorités hiérarchiques à parler en leur nom.

 

Ces chrétiens non-religieux reprochent au christianisme devenu une religion établie, d’avoir dénaturé Jésus.

Ils sentent un décalage phénoménal entre ce que fut Jésus de Nazareth, l’intrépide marcheur sur les routes de Galilée, pressant chacun à « vivre vrai « , et l’auguste personnage divin à l’identité figée, définie par les dogmes promulgués aux  4èmeet  5ème siècles.

 

Ainsi Jacques MUSSET nous  présente dans son ouvrage des penseurs chrétiens actuels, porteurs tous d’un témoignage vécu en lien avec la personne de Jésus dans la culture de notre temps. Leurs écrits se complètent, aidant leurs lecteurs à devenir des chrétiens « adultes « . Les médias , fortement influencés par  les appareils institutionnels religieux ayant pignon sur rue,  les considèrent  comme «  pas  très catholiques ! » , et se  refusent à en informer leurs lecteurs.

 

Ainsi l’auteur consacrera un tiers de son étude à la présentation de 7 de ces chercheurs-philosophes-théologiens qu’il qualifie de non-religieux , mais  viscéralement chrétiens:

 

            Le philosophe-théologien Lucien LABERTHONNIÈRE ( 1860 – 1932 )

  • L’évêque Anglican John Shelby SPONG ( 1932 – 2021 ) dont le premier ouvrage traduit en français en 2013 s’appelait «  Jésus , for the  Non-Relgious ».
  • Le théologien Jésuite Joseph MOINGT ( 1914 – 2020 )
  • Le penseur Marcel LÉGAUT ( 1900 – 1990 ) dont une association culturelle perpétue le souvenir et le message à Mirmande ( Drôme )
  • Le chercheur-écrivain Gérard BESSIÈRE ( 1930 – . . .)
  • Le psychothérapeute Eugen DREWERMANN ( 1939 – . . . )
  • Le théologien-philosophe Bruno MORI. ( 1939 – . . . )
  •  

Ces chrétiens font subir au christianisme traditionnel une décantation radicale avant de le rebâtir sur des racines évangéliques.

 

Il y a dans l’ouvrage de J. M. une deuxième catégorie de non-religieux actuels. Ce sont des non-chrétiens de notre temps, agnostiques  ou athées mais pour qui Jésus de Nazareth demeure une figure de proue de notre histoire contemporaine ( bâtie dans les sillages des Croisades, des colonies , de la Shoa, de la  Terre Promise . . . ) . Ce « Messie juif  » ne cesse de les inspirer personnellement. Ils peuvent prétendre au titre  de compagnons de route. Leur témoignage est stimulant .

 

Ainsi  J.M. nous livre les analyses et interrogations d’un certain nombre de contemporains dont la fécondité de la pensée apporte une compréhension élargie  du pèlerinage de JÉSUS en Palestine.

 

            Le penseur et homme politique Antonio GRAMSCI

            L’écrivain Erri De Luca ( nous avons parlé d’une de ses œuvres à l’Atelier )

            Le romancier Emmanuel CARRÈRE

            Le mystique Charles JULIET

            Le poète René Guy CADOU

 

Avant de progresser avec Jacques MUSSET   et d’identifier son cheminement progressif vers l’ humain qu’est  Jésus, nous allons nous attacher à l’itinéraire de l’un de ses auteurs  chrétiens  référencés en la personne de  Bruno MORI.

Théologien et philosophe d’origine italienne, Bruno Mori vit à Montréal ( Canada ) depuis 40 ans ; naturalisé Canadien, il a dirigé à Montréal de 1980 à 2002 le Service de documentation pastorale , un  Centre culturel renommé et une librairie spécialisée en littérature religieuse.

 

L’ouvrage écrit par ce dernier donne une mise en relief  et un retentissement mobilisateur du cheminement spirituel opéré par Jacques MUSSET : après avoir  étudié comment sont nées et se sont développées les religions à l’ère paléolithique quand les humains étaient chasseurs-cueilleurs, puis à l’ère néolithique lorsqu’ils se sont sédentarisés, Bruno MORI s’est intéressé aux fonctions religieuses et sociales exercées par les humains au fil des siècles.

 

 Il a débouché sur la création  des mythes chrétiens  fondés aux  premiers siècles de notre ère. J’en citerai trois parmi ceux développés par B.M. Cela mérite un arrêt sur image qui nous fait toucher du doigt les conséquences de l’irruption  de  tels mythes dans la liturgie de l’église catholique.

 

Pour mémoire :

 Saint Augustin a créé le mythe «  du péché originel «  ( inspiré par la faute d’Adam et Ève : tous les humains, descendants du premier couple fautif, naissent imprégnés du péché originel que seul le baptême peut effacer )

 

L’évêque Anselme de CANTORBERY a validé les mythes de l’incarnation et de la rédemption ( La faute originelle a produit envers Dieu une offense infinie qu’aucun humain ne peut réparer : seul le fils de Dieu lui-même envoyé sur Terre par son Père et s’incarnant, a pu l’expier par ses souffrances  et sa mort sur la croix ! )

 

La revendication de l’Église Catholique  d’être la véritable religion aux yeux de Dieu frise le ridicule  dans un monde actuel où s’étale la diversité des religions, des philosophies et des traditions spirituelles : sa doctrine, son organisation, sa morale etc. . . n’ont plus de crédit auprès des populations.

 

Dans une humanité capable de s’autogérer, il s’agit pour Bruno.Mori. d’inventer des sagesses qui stimulent intérieurement les humains à s’humaniser : débattre et appliquer les voies les meilleures pour sauver la Planète, lutter contre les inégalités, instaurer la justice et la fraternité, remplacer la religion par «  La Voie !  « .

 

Un gros mot que « LA VOIE . . .  ! » : il s’agit de substituer à une religion chrétienne moribonde ce que les premiers chrétiens appelaient déjà «  La Voie ».  La Voie , soit une nouvelle manière de vivre de Jésus de Nazareth, assez révolutionnaire pour exercer une si forte  attraction sur ses disciples . ( un humanisme actif. ?)

 

La référence à un Dieu,  perçu comme la dimension la plus profonde du cosmos et le cœur qui le fait battre, se substitue à celle du  Dieu théiste , à la fois magique et olympien que les  chrétiens ont déployés.

Finie l’identification du christianisme avec les doctrines dogmatiques qu’il faut apprendre,

Finie sa confusion avec les mises en scène des liturgies religieuses éthérées, présentées par les prêtres et les pontifes en tenue d’apparat, auxquelles assiste passivement le peuple chrétien

Finie ses prétentions de régenter la pensée et les conduites du monde sécurisé ?

 

Bruno MORI conclut son ouvrage

   <<. Pour un christianisme sans religion : RETROUVER LA « VOIE » DE Jésus.  >> de Nazareth.

Par l’émission d’un souhait :

                                               Je suis convaincu que le christianisme aura une chance de survie dans le futur, mais seulement à une condition : s’il est capable

  • de retrouver la source originelle de laquelle il a coulé et que la religion a colmatée,
  • de se mettre exclusivement à la suite de l’homme de Nazareth,
  • De le libérer de l’emprise d’une religion qui l’a séquestré pour le transformer en un chimérique Christ-Fils de Dieu (p 255).

 

Il est temps de revenir à l’ouvrage de Jacques MUSSET, ainsi introduit par la réflexion théologique et philosophique de Bruno MORI , cité comme l’un des Non-religieux chrétiens par Jacques MUSSET.

 

CE QUE NOUS VENONS DE DÉCOUVRIR À TRAVERS CET AUTEUR ITALO-CANADIEN EST QUELQUE PEU RÉVOLUTIONNAIRE. . .

 

Emboitons nos pas dans la trace de ceux de Jacques MUSSET.

Et tout d’abord, quelques questions pour réveiller notre propre capacité d’adhésion  aux analyses de jacques MUSSET

 

 

Qui est vraiment LE CHRIST ? . . .    Est-ce le Messie annoncé par les écritures  ?  . . .  

 

Est-ce L’ Agneau de Dieu ?

 

Quelle est  précisément sa figure historique ? . . .  Quel personnage Jésus de Nazareth a-t-il vraiment été ?

 

Comment une  religion dite « Chrétienne » pourrait s’affranchir du personnage évangélique qu’est Jésus ?

 

Comment le chrétien pourrait-il vivre dans un Monde sans Dieu ? . . .   

 

Le Dieu théiste est mort ! . . .   Mais existe-t-il  un autre Dieu . . . ?

 

Le chrétien peut-il vivre dans une société  dont Dieu serait  totalement absent , inconnu . . . ?

 

Être chrétien , ne serait-ce pas tout simplement   être humain ? . . . 

 

Quelle responsabilité doit assumer le chrétien dans le milieu au sein duquel  il est plongé ?

 

Que devient la promesse  pour chacun d’une vie éternelle après la mort  ?  . . .

 

La vie éternelle correspond-elle à une promesse dans les propos de Jésus ?

 

Jacques MUSSET a introduit son ouvrage par la question de savoir qui sont les personnes interpellées par le livre «  Jésus pour les non-religieux « .

 

Nous avons évoqué  la distinction qu’il fait entre deux espèces de  Non-religieux. 

Il y a ceux qui appartenaient à l’église et s’en sont séparés.

`Il y a ceux qui n’ont jamais rejoint le christianisme , mais  connaissent  et comprennent les valeurs qui unissent les chrétiens .

 

Il  s’interroge ensuite  sur l’absolue nécessité d’actualiser à nos jours la figure du Nazaréen, lequel a vécu à une autre époque que la nôtre . Ce travail d’identification de la personnalité de Jésus permettra de réaliser que Jésus est bien autre chose que «  l’opium du Peuple » .

 

Il n’est pas le refuge des résignés, des névrosés comme le dit  Jacques.Musset.   ni une assurance-vie pour l’au-delà, comme le laissent entendre certaines formes de christianisme traditionnel

 

I/         * Qui était JÉSUS de Nazareth ,  en son temps *

 

J.M. nous invite à rejoindre en direct  l’homme que fut Jésus sur Terre, et non pas le Fils de Dieu,/Jésus/le Messie envoyé sur Terre.

Il s’agit de mettre à la poubelle les images d’Épinal de Jésus , et de s’imposer un travail d’exégèse sur les textes évangéliques pour distinguer le JÉSUS historique ( qui a marqué l’histoire ) du JÉSUS divin  ( dépendant d’une interprétation croyante )

D’où la nécessité de faire apparaître les enjeux sur lesquels il a misé sa vie en paroles et en actes, quels combats difficiles il a mené , quels conflits il a suscité, avec qui, . . .  et pour quelles raisons il a finalement été éliminé .

 

Le Jésus historique identifié ne couvre que quelques mois , voire une année  et quelque mois . . . Son passé ne nous est pas connu : les révélations  tirées de la confrontation des écrits évangéliques et des premières lettres de Paul sont discordantes, voire incohérentes,  et ne peuvent  prétendent à  établir quelque biographie que ce soit.

 

Le Jésus historique nait , lui, de sa rencontre avec Jean-le Baptiste. Jésus a 34 ou 35 ans.

 Il apparaît comme un prédicateur original du règne de Dieu,  confronté à une ambiance sociale mouvementée : domination romaine, attente d’une libération  du pays,  triomphe des justes qui respectent la loi , existence d’une riche aristocratie sacerdotale dont les intérêts économiques n’attendent rien d’un bouleversement divin  . . . )

 

Où Jésus puise-t-il ses convictions qui unissent la cause de Dieu et l’homme dans son humanité ?

 

J.M. souligne le comportement d’un Jésus accordant  ses actes à ses paroles. Il remarque l’extraordinaire souci manifesté par Jésus, tout au long de son ministère , de cultiver par la prière une relation intime avec Dieu.. . . Un véritable ressourcement !

 

Et toujours des prises de position manifestant une autorité qui a tant frappé ses compatriotes ! 

 

De l’avis des historiens, Jésus meurt crucifié le 7 avril 30 ! Son implication dans l’annonce d’un monde nouveau, monde qu’il appelle  Le Royaume de Dieu , aura déclencher des conflits dans 3 directions : avec sa famille, avec ses disciples, avec les spécialistes de la loi et gardiens du Temple.

 

J.M. analyse les raisons qui justifient une vérité essentiellement symbolique des écrits qui nous sont parvenus, et qui en conséquence doivent éviter toute interprétation littérale. Les démonstrations sont édifiantes et font prendre un recul  salutaire par rapport au démêlage du vrai – de l’historique- et du faux – de la foi/conviction intérieure-

 

 

2/          * actualiser l’esprit de Jésus en notre temps *  nécessité et exigences

 

Une impérieuse responsabilité.

 

Il ne s’agit pas de copier le Jésus historique

 

Notre temps n’est plus le sien : après sa mort, durant des dizaines d’années, on a continué à attendre l’avènement sur Terre du Royaume de Dieu . En vain . Jésus l’avait cependant  annoncé.

 

Jésus était un homme singulier

Il n’a pas épuisé toutes les figures possibles d’humanité :  justifier aujourd’hui l’impossibilité pour une femme de devenir prêtre ou évêque au motif du sexe de Jésus témoigne d’une piteuse fidélité à la transposition des us suivant les âges.

 

Les représentations de Jésus concernant le monde, l’homme et Dieu ne sont plus les nôtres.

Les cieux sont vides d’une présence divine, l’univers s’explique très bien sans faire intervenir un créateur divin, le couple humain n’est pas sorti des mains de Dieu mais de la longue évolution des espèces vivantes.

 

Reproduire, répéter purement et simplement ce que le Nazaréen a dit, fait et vécu  serait de l’anachronisme et la pire des infidélités.

 

Comment se référer aujourd’hui à Jésus d’une manière créatrice.

 

Un héritage ne demeure vivant que recréé :

Dans une société marquée par l’exigence de comprendre en se référant aux découvertes scientifiques , le chrétien ne pourra accepter passivement des explications qui n’ont plus de sens pour lui. ( J.S.Spong )

 

La religion juive a le grand mérite de générer un modèle de réinterprétation  permanente. La foi juive a sans cesse évolué. Les croyants juifs ont traversé de nombreux bouleversements qui les ont amenés à mettre en question leur catéchisme du moment qui ne répondait plus aux situations nouvelles.

Exemple du livre de Job, qui est une longue protestation contre le catéchisme de l’époque.

 

Le drame de la conceptualisation du christianisme

Dans les premières doctrines chrétiennes élaborées dans la culture grecque et dans les dogmes sur Jésus aux IVè et Vè siecles, l’accent se déplace sur l’acquisition d’un savoir concernant son identité. La doctrine prétend délivrer une connaissance et non inviter à un changement de vie.

 

La nécessaire inculturation du christianisme pour qu’il soit crédible :  l’usage de ce  terme utilisé dans le vocabulaire théologique signifie qu’une tradition spirituelle, née historiquement à un moment donné et dans un contexte particulier à besoin d’être repenser pour prendre tout son sens dans un autre contexte culturel.

Cette « « inculturation « a pris tout son sens quand les indigènes  des colonies africaines ont été déversés dans les religions des colonisateurs sans prendre en compte leur propre représentation de l’humain et du divin.

Il en est de même aujourd’hui pour les vieux pays de chrétienté catholique en occident. Les fidèles se sentent étrangers à la doctrine officielle de leur église.

 

Les exigences d’un christianisme inculturé dans la modernité actuelle

Les représentations traditionnelles de Dieu créateur du monde, intervenant à sa guise, faisant la pluie et le beau temps et conduisant l’histoire en sous-main, sont devenues totalement périmées.

 

En conclusion , J.M. précise que la nouveauté de Jésus se vit dans l’épaisseur de la vie humaine, culturelle, politique, sociale. C’est à cette condition que l’expérience évangélique a pu, et peut inspirer la vie de femmes et d’hommes de toutes les cultures au cours des siècles.

 

Cf lettre d’un chrétien anonyme du  2ème siècle à son ami Diognète, non chrétien. P 51 ;

 

<<  Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes, ni par le pays, ni par le langage, ni par le vêtement.

Ils n’habitent pas des villes qui leur soient propres,

ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’rien de singulier.

 Ça n’est pas à l’imagination ou aux rêveries d’esprits agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils ne se font pas , comme tant d’autres, les champions d’une doctrine humaine.

Ils se répartissent dans les cités ( . . . grecques et barbares . . .   ) suivant le lot échu à chacun ;

 

 ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle.

Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et une patrie une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils partagent tous la même table, mais pas la même couche.

 

Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies ;  leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois.

 

En un mot, ce que l’âme est dans le corps,                                                       

Les chrétiens le sont dans le monde . . .

 

 

 

 John Shelby SPONG  ( 1931 – 2021 )

 

Auteur de 26 livres entre 1973 et 2918. Ancien évêque anglican qui s’est libéré des croyances chrétiennes traditionalistes ;

A combattu toute forme de lecture ( et d’interprétation fondamentaliste ) des Écritures ( Ancien et Nouveau Testaments ).

 

Pour lui, les représentations d’un Dieu tout-puissant et justicier

  • ont engendré culpabilité et irresponsabilité
  • ont entretenu un machisme clérical vis-à-vis des femmes
  • ont entretenu un rejet des homosexuels

J.S.Spong a constaté combien les identités glorieuses données à Jésus après sa mort  au fil des siècles étaient aux antipodes de l’homme fraternel qui remet debout des hommes et des femmes marginalisés, rejetés par la religion et la société.

 

Marcel LEGAUT  (1900 – 1990 )

 

Élève de Normale sup à 18 ans, jeune scientifique , pratiquant dans toutes ses études des principes méthodologiques et des analyses critiques qui lui font poser quelques interrogations essentielles.

 Officier de réserve, il est démobilisé après l’armistice de 1940. Quitte l’enseignement supérieur en 1942, pour créer une bergerie dont il assumera la direction jusqu’à sa mort.

 A été très influencé par le prêtre Fernand PORTAL, religieux lazariste fortement engagé dans un projet d’union entre anglicans et catholiques. Suspendu brutalement par Rome, Fernand PORTAIL devient  aumônier officieux des jeunes étudiants catholiques  de Normale sup  ( les TALAS ) !

 

Marcel L. découvre un christianisme de liberté,  personnel, centré sur Jésus. Il rejette le christianisme traditionnel avec sa doctrine dogmatique, sa liturgie bien cadrée, son obéissance au Pape, aux évêques et aux prêtres mandatés par Dieu pour diriger le peuple chrétien.

 

A étudié la manière dont avait surgi les dogmes dés les premiers siècles. Il s’est demandé comment cette culture singulière s’est imposée à tous les chrétiens comme étant la vérité alors qu’elle repose sur des postulats invérifiables, contredits par les acquits scientifiques et fragilisés par des interprétations périmées – car littérales –  des Évangiles.

 

Inculturer la foi chrétienne dans la culture actuelle : cela veut dire qu’une religion doit sans cesse se réinterpréter, pour traduire ce qui en est le cœur dans les manières de penser des cultures où elle s’implante.

 

Marcel L. est devenu progressivement la cheville ouvrière d’une vaste communauté d’enseignants chrétiens de l’enseignement public, qui se retrouve après sa mort au sein d’une association culturelle dont le siège est à Mirmande (Drôme)

 

A publié en 1970 : <  Intelligence du passé et de l’Avenir du Christianisme >

 

En 1975 :  < Mutation de l’Église et conversion personnelle >

 

En 1971 ; < L’Homme à la recherche de son humanité > 

 

Il existe une édition de ses dialogues avec le Jésuite François VARILLON, rencontres organisées en 1971 ( Paris ) et en 1978 ( Lyon ) par le Centre Catholique des Intellectuels

 

DREWERMANN: une phrase résume sa vie et sa démarche:

la psychanalyse est un moyen  de libération intérieure

né en 1940 dans la Rhur, il fait des études philosophiques, devient prêtre puis plus tard enseignant.

Jeune prêtre, il exerce son premier ministère dans un centre de cure thermal: les personnes qui viennent là souffrent de maux psychiques liés à des évènements traumatisants, dont ils n’arrivent pas à s’en sortir.

Ni la messe, ni la prière, ni les rencontres avec des prêtres ne les aident à retrouver leur équilibre.

Mais Drewermann se rend compte que le fait de les écouter, de les laisser s’exprimer et d’être pris en considération leur apporte un début de soulagement.

Cette expérience le renvoie au Jésus des Evangiles.

Il s’interroge:

L’Eglise et les chrétiens ne peuvent ils pas s’inspirer de la pratique d’accompagnement de Jésus, l’Ecoutant par excellence, auprès de ses contemporains?

Drewermann se soumet alors à une psychanalyse puis se forme comme thérapeute à l’école de Sigmund Freud et Carl Jung.

Il reçoit ensuite en consultation et aide les personnes à retrouver équilibre et joie de vivre. Il vérifie  alors le bien-fondé de son travail thérapeutiques  et de sa conception du christianisme comme une Parole qui guérit. 

Après une analyse psychanalytique des  Evangiles. il est persuadé que  sa vision de Jésus comme thérapeute des humains blessés est pour l Eglise  catholique plus que jamais nécessaire dans la mesure où elle est incapable à les guérir; elle les considère comme pécheurs. p 144 (la parole qui guérit)

Cette incapacité  selon Drewermann est la conséquence d’une infidélité à la traduction biblique et à celle de Jésus et des Evangiles par rapport à sa conception du salut.

Comment en est-on arrivé là?

Le point de départ, c’est l’interprétation littérale de l’homme biblique comme s’il s’agissait de données historiques; 

Or, la Genèse est un mythe,une réponse aux questions des Juifs des 7 et 8ème siècles avant Jésus qui se posent des questions: pourquoi le mal? Pourquoi la jalousie , le besoin de dominer? Pourquoi la mort?

Après la venue des prophètes, Jésus révèle à travers sa pratique d’accueil, d’écoute, de libération offerte sans condition, le visage d’un Dieu, partenaire de l’homme: c’est le message véhiculé par  les 1ers chrétiens:

Mais au 2ème siècle  après JC, se met en place un mythe chrétien en lien avec le mythe biblique des origines: Jésus par son sacrifice sur la croix sauve tous les humains de leur condition pécheresse, héritée du péché d’origine. En interprétant littéralement l’affirmation de Paul dans sa lettre aux Romains 6.11 p146 «Par le baptême, considérez que vous êtes morts au  péché et vivants pour Dieu, en Jésus-Christ. », autrement dit »Vous avez été sauvés, vivez comme tels ». Les chrétiens n’ont plus qu’à entretenir leur fidélité à Dieu par une adhésion aux dogmes, par l’observation de leur hiérarchie religieuse mise place- leur dit-on- par Jésus lui-même.  Voilà la dérive mortifère.

Pour les hommes d’aujourd’hui, cette attitude de l’église défendant sa morale et sa doctrine qui traite durement les chrétiens qui n’obtempèrent pas, est inhumaine et ne reflète pas l’attitude de Jésus et son accueil des personnes dans leurs histoires singulières.

Selon Drewermann, l’exégèse historico-critique des Evangiles montre qu’ils ne sont pas des reportage en direct du vécu du peuple juif,mais des interprétations et des prises de position  pour en révéler le sens profond. Ainsi est interprété l’évènement Jésus par les apôtres : pour eux, la mort physique de Jésus n’a pu avoir raison de la Vie qui l’habitait. Il demeure Vivant de cette Vie-là. 

La pratique thérapeutique de Jésus est présente dans toutes les pages des Evangiles à travers les miracles, qui sont la mémoire grossie des premières générations chrétiennes sur l’aventure de Jésus thérapeute. Ces miracles sont toujours possibles aujourd’hui « il n’y a de salut qu’à travers une conversion… une transformation qui conduit l’individu de passer de la mort à la vie ».

En conclusion, Drewermann pense que le christianisme primitif a dévié de sa trajectoire initiale et que  la Parole qui engage à s’humaniser est devenue une institution rigide ignorant les péripéties humaines. 

Ce moralisme de l’église catholique, générateur d’angoisse, a généré selon lui des névroses.

A cause de sa lecture psychanalytique des évangiles et de l’audience qu’il recueille,  à cause des idées qu’il défend, Drewermann est sanctionné: interdiction de célébrer, de prêcher ou de confesser et d’enseigner.

En position d’excommunication de fait, Drewermann quitte l’église catholique en 2005.

Jacques Musset a écrit un chapitre intitulé

 

JÉSUS INSPIRATEUR D’AGNOSTIQUES ET D’ATHÉES EN NOTRE TEMPS

 

Jésus parle aussi aujourd’hui à des non-chrétiens qui ont peut être entendu parler de Jésus et  s’efforcent de vivre d’une façon juste, solidaire et pacifique.

Jacques Musset cite quelques noms : le penseur et homme politique Gramsci, les écrivains Emmanuel Carrère, Erri de Luca , etc. qui ont puisé et puisent entre autres sources, au témoignage de Jésus et à certains de ses disciples.

Ces hommes et ces femmes vont trier pour discerner  et choisir ce qui dans sa manière de vivre , de parler et d’agir de Jésus, leur est leçon de vie.

 

Quels sont les aspects de l’itinéraire et de l’enseignement de Jésus auxquels ils peuvent être sensibles?

1°) Jésus est un homme qui a cherché et trouvé sa voie. qui a été comme la nôtre , une naissance progressive à lui-même: chemin évolutif dont il ignore par avance jusqu’où il le conduira.

Après avoir été le disciple de Jean Baptiste, Jésus « se met à son compte ».

Les foules viennent à lui, c’est le succès, mais assez vite l’opposition des religieux se dresse contre lui. Jésus sait se défendre et il se ressource au cours de nuits de silence à l’écart.

Dans ce combat de fidélité, Jésus, pour tracer son chemin et découvrir « sa mission » a dû assumer sa solitude fondamentale.

Des évènements vont l’appeler à élargir ses perspectives de départ et faire découvrir des dimensions nouvelles de sa « mission » auxquelles il n’avait pas songé: La cananéenne, la samaritaine par exemple 

jésus s’est risqué à inventer son chemin à ses risques et périls mais au fur et à mesure, il a été convaincu que son action était libératrice.

Et lors des derniers jours de son existence qui semblait se terminer par un échec , il ne renia rien de ce qu’il avait vécu et l’assuma en toute liberté .

Jésus nous invite à inventer notre chemin pour devenir ce que nous avons à être.

2°) L’humanisme de Jésus est une mine où puiser à sa convenance

tout l’enseignement de Jésus vise à aider chaque être humain rencontré à naître à lui-même, à devenir lui-même en inventant son propre chemin d’humanité.

Le coeur de son enseignement  se résume à cette phrase:  la vraie vie est en vous.

Naître à soi-même c’est pour Jésus veiller incessamment à vivre dans la vérité 

Mais comment vivre en vérité?

  • en incarnant ses convictions dans le quotidien de l’existence, dans les choix qui sont posés, dans la qualité de la relation avec autrui, dans le rapport avec l’argent. Le critère n’est pas l’appartenance à une religion.
  • en débusquant les l’illusions et les perversions possibles: Jésus met à nu la contradiction entre le dire et le faire.
  • en cultivant la lucidité et en développant sa liberté intérieure
  • en étant cohérent dans notre pratique entre le penser, le dire et le faire pour construire solidement l’humain en soi
  • en pratiquant l’échange avec autrui afin de vivre en authenticité.
  • en consentant à rencontrer l’épreuve et à en faire un tremplin de maturation; cette épreuve vécue par Jésus est incontournable: perdre sa vie pour la sauver c’est se dépouiller de tout ce qui fait obstacle à la naissance à soi-même, c’est expérimenter au fur et à mesure du ménage que l’on fait en soi que l’on advient peu à peu à sa véritable identité.
  • en pratiquant une fidélité endurante à longueur de vie; l’essentiel est d’être en marche
  • en osant prendre le risque de faire fructifier à sa manière son potentiel d’humanité .

Pour Jésus, l’unique responsabilité de chaque être humain est de construire l’humain en lui au fil des évènements et des rencontres, d’être le sel de la terre. Nul ne sait l’impact exact de sa vie aussi féconde qu’elle ait pu être. Chaque être est ferment pour d’autres.

Jésus désigne toujours Dieu comme source de son inspiration et de ses engagements. Dieu est l’appel à pratiquer l’ouverture permanente et à dénoncer les apparences trompeuses, les petits arrangements, à affronter les orthodoxies qui se font passer pour la vérité.

La société moderne, pour qui le mot »Dieu » est vide, ne peut-elle pas  être sensible à l’exigence que ce mot impliquait pour Jésus c’est à dire: 

– penser et agir dans la rectitude intérieure

– redonner dignité aux humains mis au rancart

– contester le système qui déshumanise

– changer de comportement.

Et Jacque Musset de conclure

Ces femmes et ces hommes modernes n’éprouvent-ils pas le même appel intérieur quand ils s’efforcent de vivre vrai? n’expérimentent-ils pas là la même source inspiratrice que Jésus?

 

 

* * * * *

 

 

 

 

 

ALO: PRÉSENTATION DES LIVRES
19 janvier 2024

Atelier de Lectures Oecuménique du 18 janvier 2024

 

« Le défi de Jérusalem » 

Un voyage en Terre Sainte d’Eric-Emmanuel Schmitt (2023)

présenté par Geneviève Guyot

 

Éric-Emmanuel Schmitt, né le 28 mars 1960 à Sainte-Foy-lès-Lyon, est un dramaturge, nouvelliste, romancier, réalisateur et comédien franco-belge. Il vit en Belgique. 

 

1-Origine du livre :

Ce voyage a été proposé à l’écrivain par le Vatican dans le but de l’élaboration d’un journal de voyage ou d’un livre (« au Vatican, nous apprécions votre foi et votre liberté »)

E-E Schmitt se pose alors des questions sur le but de ce voyage :

–Pourquoi partir ?

1ere réflexion : « Ma foi ne sera pas modifiée quand elle aura gagné des pieds ! pourtant j’aspire à m’y rendre »

2e :« Irais-je à Jérusalem pour donner un corps à ma foi ? »

 Il finit par accepter ; Il dit p.12 « Pourtant, à l’instar de tant de pèlerins …. Marcher là-bas où tout a débuté …à m’y rendre. »

 il y aura 3 étapes :

il sera pèlerin parmi les pèlerins dans un groupe ; puis seul à Jérusalem et enfin il aura des entretiens avec Lorenzo Fazzini du cabinet du St Siège.

3e : ce voyage est en cohérence avec le livre qu’il est en train de terminer : « Soleil sombre » qui se situe en Egypte du temps de Moïse (-1650) et qui s’en ira en direction de la terre promise… (3e partie d’une œuvre intitulée « La traversée du temps »)

 

2- Le point sur son parcours spirituel avant son pèlerinage :

-Dans son enfance il ne voyait que l’absence de Dieu ; il n’entendait que son silence. Il n’avait pas connaissance de Jésus, juste de la sympathie pour son personnage.

-Il est allé au catéchisme à l’âge de 10 ans où il a été initié aux valeurs chrétiennes mais pas de connaissance des Evangiles.

-Ensuite il a fait des études supérieures classiques évoluant dans le paganisme.

En philosophie il acquiert un athéisme articulé et instruit.

-Il fait une thèse de doctorat sur la métaphysique de Diderot (lequel a été emprisonné pour athéisme).

-En 1989, il a 28 ans, il part à Tamanrasset pour l’écriture d’un scénario sur la vie de Charles de Foucauld. Il entre dans le Sahara athée, il en ressort croyant. Il décrit sa crise mystique dans son livre « La nuit de feu ».

-Plus tard à Paris, il lit les Evangiles où il découvre que Jésus place l’amour au-dessus de tout. A partir de là, la pensée de Jésus ne le lâche plus .il a un grand appétit de savoir mais  il découvre que cette recherche exige de lui un changement radical.

Il doit accepter le mystère : « le mystère ne réside pas dans l’inconnu mais dans l’incompréhensible… »

 

Questions :

-Dieu se fait Homme ?

-Le hors-temps surgit dans le temps ?

-l’Eternel s’habille d’éphémère ?

-Le Transcendant se mue en Immanent ?

Les deux mystères du christianisme auxquels il adhère :

L’Incarnation : Dieu a pris chair, os, voix et sang en Jésus, et la Résurrection.

« Le christianisme ne nous aide pas à penser l’impensable, il nous incite à l’affronter humblement … ». « La raison n’embrasse pas tout, l’essentiel lui échappe peut-être … »

 

3- Le voyage en Terre Sainte :

—-La 1ere étape est à Nazareth : « pourquoi Dieu a choisi un trou pareil ?  C’est une ville banale » p.62 : « Maintenant la ville de Nazareth…ordinaire. »

Il loge chez les sœurs de Notre Dame et visite la ville ; il fait la rencontre de son groupe de pèlerins ; ils sont Réunionnais.

On lui propose d’aller aux Vêpres : il n’en a pas envie… « je n’avais pas envie de partager ma foi ni d’appartenir à une communauté ni de ritualiser une vie spirituelle faite d’une croyance sauvage, personnelle… »

—S’ensuit un monologue où il se dit qu’il manque d’humilité. p.70-71-72 : « J’arpente ma cage…où la liturgie a débuté. »

Finalement il y assiste. Il en sort moins dominant, fragile. » L’ancien Schmitt cédera sa place au nouveau ; du moins il essaiera. »

 

Il va au Lac de Tibériade : là le paysage est intact, le temps est comme aboli ! La nature le ramène au temps de Jésus.

Ensuite c’est la visite au rocher de Pierre ; il y a une chapelle très moche bâtie sur plusieurs églises successives. Messe au bord du lac.

—Il voit mieux ses compagnons.p.88 : « lorsque la messe s’achève…mon banc. »

 

Puis Capharnaüm : jungle de ruines … …C’est là que Jésus a commencé à enseigner …

 Fatigue, chaleur en montant au mont des Béatitudes où a eu lieu le sermon sur la montagne. Il comprend là le vrai sens des Béatitudes :

 p.99 « Or un jour j’ai compris que …le bonheur se trouve chez ceux qui pratiquent les vertus d’humilité, de douceur, de sensibilité, de probité, de compassion, de pureté, de pacifisme, de rébellion … »

—C’est un appel à la sainteté, un chemin pour œuvrer à la paix à la justice et à la solidarité.

(Le guide l’informe que Charles de Foucauld avait voulu acheter le mont des Béatitudes ; refus du gouverneur ottoman de l’époque ; le sœurs franciscaines l’obtinrent plus tard)

A Nazareth il entre dans l’enceinte du couvent où Ch. de Foucault a séjourné. Cela lui remémore son voyage au Sahara et son expérience mystique.

p.102 : « Quoi ? lui ? toujours lui ? …mystique. »

Pour lui le saint est un intercesseur, un guide. Il se sent frère des personnes ayant vénéré des saints au cours des âges. « Les saints nous indiquent la voie ; nous avons besoin d’eux. »

 

—nouvelle étape : maintenant il se lève tôt sans rechigner.

 

Visite à la Basilique de l’Annonciation : « Et le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » c’est le lieu de l’incompréhensible ; il hésite avant d’entrer…Il suit la messe en italien

—p.124 : « Célébrer l’Annonciation, je le souhaite peu ; en revanche célébrer l’Incarnation, ce mystère essentiel et supérieur, je le désire. »

Mont Thabor lieu de la Transfiguration ; il fait la fin de l’ascension à pied puis messe revigorante avec son groupe ; p.139-140 : « trop de spectaculaire, …toujours ».

— il discute avec les autres pèlerins. « Même lorsque nous sillonnons des sites à l’attribution incertaine, nous saisissons la possibilité de décortiquer un point spirituel…voilà le paradoxe du pèlerinage : la vérité qu’il recherche n’est pas celle de la terre, mais celle du ciel ».

 

—Passage à Césarée ; baptême de Corneille par Pierre ; révolution : le baptême n’était pas réservé au peuple élu mais il était ouvert aux païens… »

—Certains moments de ce pèlerinage le déconcertent ; ils ne suscitent aucune méditation en lui …ainsi à Megiddo place forte mainte fois attaquée et dont le nom a été transformé par Jean en Armageddon dans l’Apocalypse ; forte réserve concernant ce livre…

— il rencontre un Américain témoin de Jehova ; son récit est digne d’un film catastrophe ! mais est- ce une secte ? la secte est toujours la religion des autres se dit-il ?

 

—Bethleem : basilique de la Nativité : petite porte qui donne une impression d’entrer dans une caverne puis immense nef ! Le groupe s’approche de la grotte de la Nativité sous la basilique. Ils attendent la fin des célébrations qui se succèdent dans diverses langues.

p.165 : « Quoi ? Nous voici réduits …le lieu même de sa naissance. »

Ils finissent par y entrer. p.169-170 :« Résultat ? J’accomplis la gymnastique du pèlerin …déconcerté. »

—Le mur …sanction d’un échec historique et politique : il incarne l’impossibilité d’arriver à la paix ; deux vérités qui s’excluent ; affrontement de deux légitimités déniées par les deux …tragédie …guerre fratricide… « la conscience d’une fraternité originelle parviendrait-elle à modifier les esprits, à induire de nouveaux comportements ? »

—Messe à l’hôtel tenu par des Palestiniens chrétiens ; il songe aux siens qui subissent des épreuves ; il pense à la lenteur avec laquelle il a adopté le rythme liturgique du pèlerinage ;

—Question ; « serai-je enfin désencombré de moi-même ? »

—Rencontre avec des sœurs de l’Emmanuel de rite byzantin :  p.194 « une sorte de vertige me prend … adoucir les mœurs. »

 

—Visite au tombeau de Lazare : p.201-202-203 : « Lazare, sors ! …quel cadeau ! »

A propos des miracles de Jésus, il parle de Thomas et contredit ses paroles ainsi :

p.204-205« Tu ne vois que ce que tu crois ; nous avons appris à regarder le monde à travers des concepts, …ma pensée dessus ».

« Croire reste un saut. Se rallier au christianisme ne relève pas du rationnel, c’est consentir à un signe. Foi et refus de la foi expriment notre liberté. »

 

Visite à l’église de la Visitation. Il médite sur le oui de Marie et le « Magnificat ».

p.214-215 : « Me vient à l’esprit que …notre époque marche sur la tête en valorisant le non…au chemin qui y conduit. »

 

—En route pour Jérusalem

1ere impression : chaleur, remparts, « Ville qui rejette sans accueillir ; Le dôme du rocher tout recouvert d’or domine, il nous foudroie ». Elle l’impressionne, c’est une citadelle inhospitalière ; qui exhale de l’agressivité, de la méfiance, des violences, de l’insécurité. » Jérusalem est tragique. Il éprouve un malaise devant une puissance hostile. Pourquoi cette crainte ?

Il prend pension chez de sœurs maronites libanaises.

—pour aller au Saint Sépulcre, il traverse avec son groupe, des venelles étroites et odorantes, encombrées de boutiques en tout genre : nourriture et souvenirs. Ils arrivent sur une place où une foule bigarrée piétine devant l’église du Saint Sépulcre.

Il entre et se colle à son groupe ; p..241 : « au hasard, je me règle sur le pas de ceux qui empruntent la suite de marches usées …Jésus aurait agonisé là ».

——-p.242 -243-244-…250 : « Que fais-je ici ? …Je vais m’extraire de ce rituel imbécile. Un calcul me retient……Par amour. ».

p.253 : « depuis hier, Jésus n’est plus reclus dans une histoire ancienne, révolue, mais il est là…sans amour on ne souffrirait pas. »

 

—Chemin de croix : dialogue intérieur avec jésus au long des stations ; puis visite du tombeau. Le lendemain il a l’impression d’être fourbu, cassé, concassé.

—Emmaüs : » j’y arrive sombre, épuisé, inquiet, j’en repars heureux, une lumière dans le cœur… Elle est celle de la résurrection. »

p.298 : « L’athée est celui qui croit en la mort, il y voit le néant. Le chrétien est celui qui croit en la vie dont il attend qu’elle triomphe du néant. Tout relève de la croyance quand il s’agit d’appréhender ce que nous ignorons. »

—Le mont Sion, ils vont au Cénacle. p.301 : « Je songe à l’Eucharistie dont l’apparition se produisit ici…sens à mes yeux. »

Réflexion sur le rôle de Juda : p.304 : « Jésus a demandé à Juda de le dénoncer. Il a exigé de lui …du groupe. » p.305 : « Par là j’avais à cœur de couper le mal à la racine…deniers. »

Nuit difficile, rongé par la conscience de ses péchés : « J’ai fait souffrir…, ces heures pénibles constituent la contrepartie aigüe et douloureuse du cadeau reçu au Saint Sépulcre. Après qu’il me fut donnée l’assurance que Jésus me parlait, j ‘obtiens maintenant la terrible confirmation que j’ai péché à maintes reprises. »

 

—dernier jour du pèlerinage : visite des deux autres Jérusalem : la juive et la musulmane.

Le mont du temple pour les juifs, l’esplanade des mosquées pour les musulmans. Espace sacré pour les deux religions. Place vide qui insuffle un sentiment d’humilité et de sublime : crainte et respect, étonnement et émerveillement. C’est une invitation au détachement, à la modestie, à la sérénité.

Il contemple une dernière fois Jérusalem, le cœur rongé par la mélancolie. « Pourquoi les peuples s‘avèrent-ils incapables de se comprendre, surtout quand ils vénèrent le même Dieu ? »

 

—Il arrive au Mur des Lamentations. « Pendant 2000 ans, les juifs venaient pleurer la destruction du Temple et leur exil, maintenant leur présence manifeste leur attente du Messie. » Il se questionne : Pourquoi n’ont-ils pas reconnu Jésus comme Messie ?

Avant de quitter Jérusalem il la contemple depuis le Mont des Oliviers. Il constate une certaine harmonie qui se dégage de la profusion des différentes architectures. Les pierres coexistent à l’inverse des hommes.

 

Jérusalem le jauge, c’est elle qui l’observe : « Te voilà chrétien, cependant tu aurais pu demeurer athée ou baigner dans une civilisation juive ou musulmane…relativise un peu. »

« Non ! je m’insurge, rien ne s’équivaut. Même quand elles parlent d’un seul Dieu, les religions se distinguent. ». » Je n’ai pas choisi mon Dieu, lui m’a choisi. Touché, j’ai consenti à ce qui m’est apparu, j’ai accepté la vérité. ». « Qu’est-ce-que la Vérité ? ». « Avoir une religion ce n’est pas détenir la vérité. Aucune religion n’est vraie ou fausse. Quand on pratique un culte, on possède une manière de vivre et de penser. A la différence de la raison qui soumet notre esprit, la religion sollicite notre liberté. »

—Le défi que Dieu lance aux croyants, aux incroyants, outrepasse ce qu’ils s ’imaginent. Il ne dit pas « Entendez-moi !» mais « Entendez-vous ! ». A Jérusalem où tout a commencé, rien n’est fini. p.331 –332 : « A Jérusalem plus que partout ailleurs, Dieu nous provoque, il ne nous pousse pas seulement vers le divin, il invoque notre humanité …le défi de Jérusalem ».

« Mon christianisme ne constitue pas un savoir, mais une façon d’habiter ce que ma raison ignore…lumière. »

—il quitte ses compagnons de pèlerinage ; il est fracassé, épuisé. Que se passe-t-il ? Il a du mal à se sortir du lit ! p.341 : « Le choc du Saint Sépulcre le percute et se répercute, forçant le passage, brisant mille barrières, créant un homme nouveau. J’avais négligé la révolution d’une révélation ! …Il faut se reconstruire, tout repenser, modifier son vocabulaire, s’aboucher avec d’autres références. Changer. » « Je saute d’un christianisme spirituel à un christianisme incarné. C’et la première fois que ma foi gagne cinq sens. »

p.350-351 : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? Quel défi !…Ma foi est devenue un assentiment au réel. »

Il retourne devant le Saint Sépulcre mais n’y entre pas. Il médite et prie.

p.354 : Pourquoi ne pas y entrer ? …gratitude infinie. »

—Fin de son périple. Il s’installe à l’école biblique et archéologique de Jérusalem. « Voici l’endroit où je terminerai ma mue. » Il y rencontre le frère Jean Baptiste Humbert archéologue.

Celui-ci dit de Jérusalem : « Non seulement tout y est outré, mais tout est faux. Voici une ville qui célèbre un temple disparu, un tombeau vide et un rocher caché à l’attribution douteuse. »

Il assiste aux vêpres, perdu, dépassé. Mais il vibre à l’écoute des chants. « De jour en jour, je me rapièce, je recolle les morceaux, j’unifie ma pensée, je trie l’essentiel et l’accidentel, je prie. Souvent je me lève à l’aube pour participer à la messe. Je suis saisi par une fringale d’Eucharistie. »

–p.367-368 : Chaque religion met une vertu en avant …L’incarnation. »

  1. 370 : Au fur et à mesure de ce voyage, rien ……ce qui me dépasse. »

—Adieu à Jérusalem : il va au mémorial de Yad Vashem : il en sort, brisé, sonné, muet, hagard. » Comment l’humanité peut-elle à ce point se retirer de l’humanité ? ».  « L’essence de l’âme juive comprend la crainte permanente de sa destruction. Si rien ne légitime la violence, l’histoire l’explique. Expliquer ne revient pas à justifier. ». « Je pensais traverser Jérusalem, Jérusalem m’a traversé. »

—Retour en passant par Rome ; discussion avec Lorenzo Fazzini sur la possibilité d’écrire un livre de témoignage sur ce qu’il vient de vivre.il en conclut que pèlerin parmi les pèlerins il doit raconter ce qu’il a vécu.

—Rencontre avec le pape. Sa bienveillance l’apaise, le grandit. Il lui parle de ses conceptions et de ses interrogations et lui raconte son long cheminement vers la Foi.

—Conclusion : Il lui semble évident maintenant que l’esprit avance avec les pieds.p.401 : « marcher, s’épuiser …route. Pourquoi partir ? …hygiène nécessaire. »

     p.404-405 : on ne devient pas chrétien parce qu’on a élucidé le mystère…le ciel. »

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