Histoire du Protestantisme en France de 1517 à 1791
1. Les débuts du « protestantisme » en France.
La Réforme de l’Eglise, au début du XVIe siècle, s’est articulée autour de cette affirmation centrale de l’Apôtre Paul, que Martin Luther a remis en avant: « Nous sommes sauvés par grâce, par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de nous, c’est un don de Dieu » (Ephésiens 2, 8). Cette redécouverte du salut par « la Grâce seule » a amené Luther à s’opposer aux indulgences dans les 95 thèses qu’il afficha le 31 octobre 1517. Un élan de réformation va alors secouer l’Europe.
En France, « l’évangélisme » toucha une partie des humanistes, des hommes comme Pic de la Mirandole ou Lefèvre d’Etaples qui travaillèrent à la traduction et l’édition de la Bible en français. Des cercles virent le jour, dont le plus célèbre se réunissait à Meaux autour de l’évêque Briçonnet, sous la protection de Marguerite d’Angoulême, soeur du roi François Ier. Mais comme Clément Marot, qui traduisit des Psaumes pour Calvin, beaucoup de ces hommes restèrent fidèles au catholicisme. Car si ce retour à la Bible, ainsi que la mise en avant du « libre arbitre » de l’homme aurait pu sceller le mariage de l’humanisme français et du courant réformé, la philosophie optimiste des uns, voulant réconcilier le Ciel et la Terre, ne pouvait rejoindre un protestantisme qui avait lui une image plus pessimiste de l’Homme, marquée par le Péché. Mais la France ne pouvait pas devenir protestante sans une large conversion des nobles et surtout celle du Roi. L’Europe de cette époque n’était pas un monde pluraliste. Le principe dominant les choix religieux était étroitement lié à celui régissant les états et les cultures : les choix du Prince et des élites s’imposaient à tous. Ainsi en sera-t-il en Angleterre avec Henri VIII, mais aussi dans les états allemands et en Suisse.
Partout s’imposait une confession, liée étroitement à l’Etat et portée par une culture dominante; les minorités devaient choisir entre l’exil ou le culte privé. La France, au catholicisme très gallican, aurait pu, si le Roi l’avait voulu, suivre les pas de l’Angleterre. Mais l’affichage des « placards » hostiles à la Messe sur la porte de la chambre du Roi, au château d’Amboise en 1534, mettra fin à tout espoir de conversion du roi et donc du royaume. Néanmoins certains grands, par choix politiques plus que par convictions, passèrent à la Réforme et avec eux nombre de leurs « sujets ». Ainsi les princes de Condé, qui face aux Guise formeront l’ossature du « parti protestant ». Rapidement, entre 1534 et 1559 (date du Synode National de Paris, d’où sortira la « Confession de la Rochelle ») la Réforme va se développer, jusqu’à toucher 10% des 20 millions de français. Le règne d’Henri II verra se consolider les positions des deux camps, avec ça et là des conjurations pour éliminer les chefs de l’un ou l’autre des partis. Mais, après le décès de François II, la régente Catherine de Médicis choisie une voie de conciliation nommant comme chancelier Michel de l’Hospital, qui entre 1561 et 1562 essaya de ramener la paix, notamment en encourageant des colloques théologiques entre protestants et catholiques. C’est lui qui rédigera l’Edit de janvier en 1562 le premier Edit « tolérant » officiellement le culte réformé en France. Les protestants pouvaient désormais célébrer leur culte, mais hors des villes, les pasteurs étaient reconnus mais devaient prêter serment aux autorités locales, les consistoires et synodes autorisés. Mais le parlement de Paris refusa d’enregistrer cet Edit, et le 1er mars eu lieu la massacre de Wassy, où les Guise firent charger une assemblée protestante réunie pour le culte. Cela mis le feu aux poudres. Des deux côtés il y eu des massacres, des villes prises, des sanctuaires détruits, des prêtres, des pasteurs tués. Nombre chefs de guerre commirent des atrocités, comme le terrible Baron des Adrets dans le Lyon- nais et le Dauphiné. Et quand on était pas en conflits ouverts, ce n’était que complots et assassinats. Le point culminant sera le massacre des protestants lors de la « Saint Barthélémy, en août 1572.
.2. Henri IV et « l’Edit de Nantes »
L’assassinat des Guise sous l’ordre d’Henri III, puis celle du roi lui-même ouvriront la voie au dernier héritier légitime de la couronne France : Henri de Navarre, chef du parti protestant. Mais pour monter sur le trône et imposer la paix, il lui faudra abjurer une nouvelle fois sa foi réformée et réembrasser le catholicisme (juillet 1593). S’en suivra un long travail de pacification du royaume qui aboutira, en avril 1598, à l’Edit de Nantes. Par cet acte, Henri IV impose la paix à tous, aux catholiques comme aux protestants. Une paix fragile mais réelle pour près d’un siècle, posant pour la première fois, le principe de la liberté de conscience. Mais ce texte, dont on a fêté il y a peu le 400e anniversaire, n’est pas pour autant en faveur de la « Religion Prétendue Réformée ». Henri IV, comme tous les monarques de son temps, souhaite une Nation cohérente, soudée autour d’un Etat fort et de valeurs culturelles communes; de fait, un Etat catholique. Dans ce contexte, le protestantisme ne pouvait être que toléré, pendant qu’on rétablissait partout le catholicisme, y compris dans les lieux d’où il avait été complètement chassé. Ainsi, même si cet Edit a fait crier au scandale bien des catholiques, même si Henri IV du faire pression pour que le Parlement de Paris l’enregistre en janvier 1599, ses clauses s’avéraient bien plus favorables aux catholiques qu’aux protestants. D’ailleurs, suite aux guerres, ces derniers n’étaient plus que 1,2 millions, mais contrôlaient plusieurs provinces, principalement dans le sud : les protestants avaient entre 1572 et 1589 réorganisés le midi sous la forme des « Provinces-Unies du Midi », avec l’ébauche d’une séparation des pouvoirs et des assemblées structurées selon le modèle ecclésial Réformé.
L’Edit de Nantes avant d’être un édit de « tolérance », était un compromis. C’est avant l’heure l’apprentissage de la coexistence pacifique dans l’acceptation de la différence, dans l’oubli des blessures du passé (Article 1 et 2), mais aussi, une règle de vie imposée d’en-haut par un pouvoir monarchique renforcé. Si l’Edit permet la liberté de conscience (Art. 6), la liberté de culte n’est cependant pas totale; puisque si le culte catholique est rétabli partout (Art. 3), le culte protestant est limité dans les lieux où il était pratiqué en 1577 et 1597 (Art. 9 et 10), et ailleurs, à deux lieux de cultes par bailliages, il était de plus interdit à Paris et dans les villes épiscopales (Art. 11). Les Réformés devaient respecter les fêtes de l’Eglise catholique et payer la dîme (Art. 20 et 25). Mais les protestants reçoivent des garanties judiciaires, et le libre accès à toutes charges et offices publics (Art. 27). Enfin, les prédicateurs des deux religions étaient tenus à une certaine réserve (Art. 17). Mais en laissant aux protestants 150 lieux de refuge dont 66 places fortes, l’Edit laissait persister dans le royaume un état dans l’Etat que les successeurs d’Henri IV ne pourront accepter.
.3. Vers la Révocation de l’Edit de Nantes.
Richelieu éliminera la puissance militaire des protestants après la chute de La Rochelle (1628). Par la paix d’Alès, en juin 1629, il maintien la liberté de conscience et le libre accès aux emplois publics aux protestants, mais désormais ils n’auront plus de place de sûreté. Pendant la minorité de Louis XIV, la période de la « fronde » achèvera de décimer la noblesse protestante. Parallèlement, le début du XVIIe verra une reconquête des consciences par un catholicisme rénové, plus missionnaire, plus mystique : celui de François de Salle, de Vincent de Paul, des Jésuites et du Jansénisme.
Mais avec l’arrivée au pouvoir de Louis XIV, en 1661, va débuter contre les protestants une politique de limitations, de vexations, et de conversions forcés par les « dragonnades ». Du Poitou aux Cévennes, il y eut beaucoup d’abjurations, et 300.000 départs vers l’étranger (l’élite du protestantisme). Au bout du compte, en octobre 1685, par l’Edit de Fontainebleau, Louis XIV révoque l’Edit de Nantes considérant que désormais la majorité de ses sujets réformés avaient embrassé le catholicisme.
Le culte réformé proscrit, les membres de la « Religion Prétendue Réformée » subiront un siècle de persécutions. La Bible sera interdite, des pasteurs exécutés, beaucoup de protestants seront emprisonnés ou condamnés aux galères, d’autres, par milliers, fuiront à l’étranger. Il y aura une brève mais violente révolte dans les Cévennes : la guerre des « Camisards » (1702-1710), mais jusqu’à l’Edit de tolérance promulgué par Louis XVI en 1787, qui rendra à tous les non-catholiques leurs droits civiques, les églises protestantes devront vivre dans la clandestinité (c’est période dite « du Désert »). La pleine liberté de culte ne sera vraiment établi en France qu’à l’époque révolutionnaire, reconnu notamment dans la Constitution de 1791.
Le pasteur Rabaut Saint-Etienne, député de Nîmes, sera un des rédacteurs de l’Article 18 de la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » du 26 août 1789 qui dit : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses ni troublé dans l’exercice de sa religion ». …
Si en 1598 la France s’essaya à vivre une certaine liberté de conscience et de culte, en 1791 elle inscrivait celle-ci comme un droit fondamental. Aujourd’hui, nous devons continuer à le cultiver dans le respect des lois de la République et le dialogue interreligieux.