Le Protestantisme et les sacrements :
le Baptême et la Cène
– Remarques introductives.
Le mot « sacrement » n’apparaît pas dans la Bible.
Traduit du latin « sacramentum » (serment de fidélité) par Tertullien, ce mot a pris rapidement le sens du terme biblique « Mystère » (révélations de Dieu), pour être finalement défini par l’Eglise romaine lors des conciles de Florence (1439) et de Trente (1547) comme l’un des gestes rituels conférant la grâce en eux-mêmes (au nombre de sept: le baptême, l’eucharistie, l’ordre, la pénitence, la confirmation, le mariage et l’onction des malades).
Les Eglises de la Réforme ne reconnaissent comme « sacrements » que ceux qui ont été strictement institués par Jésus, c’est-à-dire le Baptême et la Cène. De manière générale, elles considèrent que « l’Eglise est là où l’Evangile est prêché et les sacrements administrés. »
Enfin, si ces sacrements sont d’abord des actes cultuels, puisqu’on les célèbre au cours de cultes; ils ont aussi un caractère culturel, et entretiennent des liens étroits avec les rites et les coutumes des sociétés humaines qui les ont vus naître. Ainsi, leur signification ne relève pas de l’intemporel ou de l’absolu; elle dépend de leur environnement, de leur contexte et des circonstances.
.1. Sacrements et théologie de la grâce.
Le sacrement est traditionnellement conçu comme un rite dont la pratique produirait une action surnaturelle; ce qui pose une question fondamentale: le sacrement agit-il par lui-même ou par la seule grâce de Dieu ?
En réalité, le sacrement est supposé être un instrument de la Grâce. Autrement dit, la parole et le geste qui le constituent ainsi que la matière utilisée (eau du baptême, pain et vin de la Cène) sont considérés comme une cause seconde nécessaire qui ne produit pas mais transmet la grâce. Le contenu proprement dit du sacrement n’agirait donc pas par lui-même mais en lui-même. Cette compréhension classique de la notion de sacrement est plus ou moins rejetée par la théologie réformée contemporaine pour laquelle il y a là une confusion entre l’acte rituel et visible de l’homme et la Présence invisible et insaisissable de Dieu.
Dans les théologies issues de la Réforme, il y a lieu de rappeler que l’homme ne fait que répondre à l’action toujours première de la Grâce. Le sacramentalisme classique, en risquant de confondre l’Appel de Dieu et la réponse de l’homme, cède implicitement à l’idée d’une participation de l’homme à la Grâce, ce que réfute une théologie radicale de la Révélation.
.2. Une conception protestante du sacrement.
Entre la théologie substantialiste de la Grâce selon laquelle la matière du sacrement serait en elle-même porteuse de l’Esprit de Dieu, et le symbolisme gratuit qui réduit le sacrement à une expression de la foi, on peut concevoir, dans un sens plus aigu de l’Incarnation, une médiation de la Grâce parle sacrement, sans que celui-ci soit jamais la seule condition de production de la Grâce. La relation réalisée entre Dieu et l’homme est un don; elle n’est pas nécessitée par le sacrement, mais seulement rendue possible et visible à travers lui dans la foi.
Certes, il n’y a pas de Grâce sacramentelle spécifique distincte de celle de la Prédication. Mais dans le sacrement, la simultanéité entre la parole et le geste signifie que le don de Dieu est réellement situé dans le temps et l’espace et qu’il a un caractère personnel pour le croyant. Le Sacrement est à la Prédication ce que les guérisons opérées par Jésus étaient à sa Parole.
Parler du « sacrement de la Cène », par exemple, c’est rappeler que celle-ci n’est pas seulement la mémoire d’un geste de Jésus, mais la perpétuelle réactualisation effective de ce geste de Jésus pour celui qui le reçoit comme ce qui lui est personnellement adressé. L’acte de foi relatif au sacrement consiste ainsi à croire que les paroles liées aux gestes effectuent ce qu’elles signifient. Cela est d’autant plus vrai que le langage gestuel du sacrement ne s’adresse pas seulement à l’intellectualité, mais au corps, à tous les sens, à l’inconscient. Le sacrement est le lieu d’une rencontre entre Dieu et l’homme. Il est, dans la foi, la reconnaissance de la présence cachée et mystérieuse du Dieu incarné en Jésus Christ.
Enfin, dans les Eglises issues de la Réforme, c’est seulement par discipline que la pratique des sacrements est généralement associée au ministère pastoral. Mais une ecclésiologie vraiment fidèle à la pensée de Luther et de Calvin n’oblige pas à lier, d’une manière absolue, le ministère « consacré » à l’administration du sacrement, celui-ci ne relevant pas d’un pouvoir sacramentel particulier.
Le Baptême
L’Eau à toujours eu une forte valeur symbolique, surtout là où elle est rare, comme dans les pays méditerranéens. De fait elle symbolise la source de la vie que Dieu donne à l’homme. Elle sert aussi à la purification du corps, et par extension symbolique, du coeur et de l’âme. En étant plongé dans l’eau, « baptisé » par immersion, on vit une « nouvelle naissance », le passage de la mort à la vie. Mais l’eau qui coule sur nous, qui pénètre en nous, symbolise aussi l’Esprit qui nous touche, qui pénètre en nous. Ainsi, dans de nombreuses cultures et religions existent des rites de « baptême »; au travers même de la lecture des Ecritures, nous nous apercevons qu’il y a eu des « baptêmes » et des « baptiseurs » avant le Christ Jésus, ainsi Jean le baptiste. Jésus n’a donc pas institué le Baptême. De même, le Christianisme n’en a pas l’exclusivité, il existait avant lui, et il existe en dehors de lui. La spécificité du « Baptême chrétien » ne consiste pas à baptiser, mais à baptiser « au nom de Jésus Christ » (Actes 2, 38 et 10, 48) ou au « nom du Seigneur Jésus » (Actes 8, 16 et 19, 5).
Ainsi, nul ne peut vraiment dire ce que signifie le Baptême.
On connaît tous, une quantité d’explications le concernant, avec toutes les positions pour ou contre… pour ou contre le baptême des petits enfants, par exemple. Cependant, à l’instant où l’on se penche au-dessus d’un enfant pour, au nom de Dieu, le bénir, on ne sait plus qu’une seule chose: ce moment témoigne de cette Alliance continue passée entre Dieu et chacun de ses enfants.
– Le Baptême rappelle donc l’Alliance que Dieu a scellée dès l’origine avec sa Création, mais aussi le Salut offert à tous à travers la mort et la résurrection du Christ.
– Il est pour les chrétiens, un des signes de la Présence de Dieu au coeur de nos vies.
– Le Baptême est aussi un appel à la vie. Comme l’Apôtre Paul le rappelle dans son Epître aux Romains, le Baptême est une invitation à une Vie Nouvelle, en Christ, par participation à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ. C’est donc aussi un appel permanent à mourir à notre ancienne vie pour renaître ici et maintenant avec le Christ.
– Signe d’Alliance, marque de l’Amour de Dieu pour chacun de nous; signe d’union et de participation à la vie du Christ, marque du Pardon offert par Dieu en son Fils; signe d’une vie nouvelle ou renouvelée et appel à vivre selon la volonté de Dieu avec l’aide de l’Esprit-Saint, le Baptême est aussi un signe d’appartenance. Il signifie, que le baptisé est membre actif de l’Eglise, corps du Christ, et concrètement d’une famille spirituelle. C’est pour ça que le baptême doit se faire au sein d’une communauté, qui le soutiendra dans son apprentissage de la vie chrétienne, à côté des parents et des parrains et marraines.
– Baptiser, c’est aussi célébrer ce Dieu qui nous a aimés le premier et nous invite à aimer à notre tour. Si c’est un petit enfant qui est baptisé, plus tard devenu grand, il lui faudra répondre personnellement à cette invitation, donner ou non son accord à l’acte premier que ses parents auront accompli en son nom. Et ce qui justifie cet acte des parents, c’est leur désir d’engager leur enfant sur une voie qu’ils jugent importante pour eux. Si ce n’est pas le cas, cela semble peu honnête d’engager la foi d’un enfant alors que l’on n’y croit pas soi-même.
– Enfin, baptiser, c’est donner un nom. Et le nom est un acte de relation, un acte de correspondance, un rendez-vous pour une action, un vivant pour un vivant, un nom propre et non pas un nom commun. D’ailleurs la Bible nous apprend que Dieu lui-même est un nom.
Nommer un enfant ce n’est pas lui donner un pedigree, ce n’est pas le mettre dans un moule, l’accrocher au passé, en faire le porteur de nos désirs ou un porteur de souvenirs, ni même l’inscrire à une école de sainteté. Le nom de baptême est toujours un nom du futur, un nom en devenir, comme l’est le nom même de Dieu: « Je serais qui je serais ».
– Le nom de Baptême, comme le Baptême lui-même, est Parole, Parole de bénédiction pour toute la vie.
Les différentes compréhensions protestantes de la Cène
Rappelons tout d’abord, que pas plus que le Baptême, le « repas rituel » est spécificité du Christianisme. Dans la Cène du Nouveau Testament on peut en effet repérer au moins trois héritages différents:
– En premier lieu, bien sûr, le repas pascal de la tradition juive, qui commémore la sortie d’Egypte et le don de la Loi à Moïse.
– Mais il y avait aussi des repas rituels dans la religion gréco-romaine, notamment dans les « cultes à mystères » (Mithra), ou lors de l’anniversaire du décès d’un important membre d’une confrérie cultuelle, où l’on utilisait la formule « faites ceci en mémoire de moi ».
– Enfin la Cène chrétienne est aussi le prolongement de la « communauté de table » de Jésus avec ses disciples, temps forts de leur vie communautaire où le Maître bénissait le pain qui allait être partagé.
Ainsi, dans la Cène chrétienne, comme dans le repas pascal on rappelle la mort et la résurrection de Jésus, comme dans les repas rituels du monde grec on insiste sur l’actualisation de sa Présence, enfin, on met l’accent sur la communauté de partage.
.1. La thèse luthérienne (Luther: 1483-1546).
– C’est la doctrine de la Consubstantiation: Dans la Cène, le pain et le vin à la fois restent pain et vin, et deviennent substantiellement corps et sang du Christ.
Affirmer la présence objective du Christ dans le pain et vin de la Cène est capital; sans donner d’explications sur la manière dont s’opère cette présence.
– Les textes luthériens soulignent très fortement que le sacrement n’est pas constitué seulement par le pain et le vin, mais par le pain et le vin précédés et accompagnés de la Parole: « saisis dans la Parole de Dieu et liés à elle ».
– Le sacrement est oeuvre de Dieu offerte à l’homme. Il intervient dans la relation du Christ avec le fidèle, il ne concerne qu’indirectement l’Eglise.
.2. La thèse de Zwingli (1484-1531, réformateur de Zurich).
– Après l’Ascension, le Christ n’est plus présent corporellement sur terre. Sa présence est spirituelle, autrement dit elle est assurée par le Saint-Esprit. Dans ce contexte, le sacrement a pour but de manifester, d’exprimer et d’extérioriser cette Présence vécue et sentie intérieurement.
– Le pain et le vin ne sont nullement les porteurs ou les véhicules de la présence du Christ. Ils en sont les signes. Quant aux expressions: « ceci signifie mon corps », « je suis le bon berger », « je suis la porte », sont pour Zwingli des métaphores.
– Le sacrement ne concerne pas la relation du croyant avec le Christ, mais la relation du croyant avec l’Eglise.
.3. La thèse de Calvin (1509-1564, réformateur de Genève).
– Le pain et le vin sont des signes du corps et du sang du Christ. En quelque sorte, le pain représente et figure le corps de Christ. Dans la cène, le pain et le vin restent ce qu’ils sont; ils ne sont pas transformés, changés ou convertis; ils ne deviennent pas autre chose.
– Le Saint-Esprit qui agit en nous rend le Christ véritablement présent dans la vie du croyant. Lorsque nous prenons le pain et le vin, Dieu nous donne intérieurement, par son Esprit, ce qui nous est représenté extérieurement par le pain et le vin. Le pain ne devient pas Christ, mais en recevant le pain nous recevons le Christ.
– La cène a deux fonctions: elle nourrit, fortifie, confirme la foi personnelle et elle est également le témoignage public de la foi, l’acte par lequel le fidèle manifeste devant les hommes son appartenance à Christ.
Ainsi Calvin ne choisit pas entre Luther et Zwingli, il associe les deux positions.
– En conclusion sur la Cène dans les Eglises du courant presbytéro-réformé.
Le trait commun des réformés est d’avoir transformé l’autel (du sacrifice), surélevé, en table de communion mise au centre de la communauté célébrante.
Ainsi, normalement, notre compréhension différente de la Cène par rapport à nos frères catholiques et luthériens, devrait aussi être visible dans la disposition même des lieux, l’utilisation d’un certain type de vaisselle, comme elle l’est, bien évidemment, dans le fait d’utiliser du pain ordinaire, « notre pain quotidien », et non des hosties.