Atelier de Lectures Oecuménique du 2 mai 2024
Présentation par Christiane Desroches du livre
“Le pasteur et l’évêque”
de Samuel Amédro et Jean-Paul Vesco
Editions Labor et Fides
Samuel Amédro fut pasteur à Crest, Lyon, Casablanca. Il a étudié la théologie à Montpellier. Il part au Maroc pendant 5 ans. Il fonde avec Monseigneur Vincent Landel, archevêque de Rabat, le 1er institut universitaire œcuménique en milieu musulman. Il revient en France. Il organise le Grand Kiff rassemblant des jeunes protestants à Lyon en 2009. Il est président de la région Ile de France de l’Egliseprotestante unie de France depuis 2021.
Jean-Paul Vesco est né à Lyon le 10 mars 1962 dans le 6ème arrondissement de Lyon. Il est dominicain, évêque franco-algérien, archevêque d’Alger. Il fait ses études au collège et lycée des Maristes de sainte Marie à Lyon et devient avocat d’affaires à Paris. Touché par la vocation après avoir assisté à une messe d’ordination, il s’engage dans l’ordre des prêcheurs. Il obtient sa licence canonique en théologie à la faculté catholique de Lyon le 24juin 2001. Il part en Algérie, à Tlemcen, diocèse d’Oran, pour refonder une présence dominicaine, 6 ans après l’assassinat de Pierre Claverie le 1er août 1996 (l’assassinat des moines de Tibhirine a eu lieu le 26 mai 1996).
En décembre 2010 il est élu prieur provincial des dominicains de France ; il s’installe à Paris. En 2012 Benoît XVI le nomme évêque d’Oran. En 2021 François le nomme archevêque d’Alger. Il est naturalisé Algérien en février 2023.
L’introduction est présentée par J.P.Vesco.
Amédro et Vesco vont analyser la situation de leur Eglise respective et leur conception de ce que devrait être l’Eglise. Divers points sont abordés par Amédro et Vesco lui répond. Malgré leur univers différent ils ont le même objectif selon la formule d’Amédro, reprise par Vesco : « Je rêve d’une Eglise qui ne se préoccupe pas de son devenir, mais de faire ce pour quoi elle est »
I –
L’Eglise est-elle en bonne santé ? (Amédro)
Amédro aborde cette notion de bonne santé sous 3 points de vue :
-ne pas être malade
-se sentir en bonne santé
-être capable d’affronter la maladie
1) Ne pas être malade
Divers symptômes de fonctionnement indiquent la maladie : conflits, problèmes immobiliers, financiers, baisse de fréquentation, crise des vocations. Le christianisme est malade de la peur de mourir, avec le problème de l’avenir, ses tensions internes, ses fautes passées et présentes, son insignifiance, sa disparition programmée…
Or on proclame la résurrection, la vie éternelle, l’espérance. L’Eglise est malade de son manque de foi .cf la tempête sur le lac.
Amédro relève diverses pathologies dont (je sélectionne) :
-le cléricalisme, qui donne le pouvoir à « quelques privilégiés qui auraient accès au spirituel ou au divin, qui les mettrait à part de l’humanité pour faire d’eux les propriétaires de la transcendance. »(p.21)
-l’intellectualisme(en particulier chez les protestants) qui donne le pouvoir aux détenteurs du savoir. « l’Eglise déploie une théologie au service d’elle- même et non l’expérience de foi dont elle devrait rendre compte de manière intelligible et critique »(p.21)
-le patriarcat dont le pouvoir est basé sur le genre hissé au rang de la tradition, voire de doctrine sacrée.
2) Se sentir en bonne santé
L’Eglise protestante est championne de l’autoflagellation. Or une Eglise qui ne s’aime pas elle-même se trouve dans l’incapacité d’aimer celles et ceux qui croisent sa route.
D’autre part elle a une méfiance à l’égard des émotions au profit de la quête de l’intelligence. Il faudrait redonner de l’importance à l’émotion, à notre corps. Cf p.24
3) Etre capable d’affronter la maladie
Il s’agit de prendre conscience que l’on dispose en soi de la possibilité de regarder l’avenir avec confiance En s’adaptant aux circonstances, en saisissant les opportunités.
La transmission de génération en génération ne se fait plus. Il nous faut réapprendre et faire évoluer notre culture d’Eglise pour bénéficier des apports novateurs, tout en apprenant à rester nous-mêmes. Réapprendre à se réformer
Ma sœur la maladie (Vesco)
La maladie est sentie généralement comme un précipice qu’on cherche à éviter. La maladie entraîne la séparation d’avec le monde inconscient et frivole des bien-portants.
L’Eglise est attaquée par toutes sortes de maladies (cf Amédro). Mais elle est un corps vivant et cela fait partie du programme depuis l’origine. Pourtant elle est aujourd’hui plus vivante que jamais.
La maladie rend plus humble, plus empathique à l’égard des autres. Vesco rêve d’une Eglise qui aurait perdu l’orgueil et la suffisance de celui qui se croit invulnérable, replié sur ses certitudes. Une Eglise humble à l’écoute et à l’école de la souffrance et de la fragilité humaine.
II –
S’émerveiller (Amédro)
Amédro évoque la charte élaborée par le synode régional de 2022 de l’église protestante unie de France qui lance 3 défis :
–s’émerveiller de l’amour de Dieu
–aller vers les autres, s’ouvrir à l’accueil
–faire de la mission notre joie
Les sociologues évoquent l’effondrement de la pratique religieuse et la sécularisation galopante, avec des contemporains de plus en plus nombreux qui se déclarent « sans religion »ou athées.
Il faut trouver une manière de penser notre mission.
Nos Eglises luthéro-réformées ont une grande difficulté à témoigner de manière explicite de ce à quoi nous croyons. Cf les enfants des familles protestantes. On évoque la pudeur, le prosélytisme, des prédications trop intellectuelles ; d’où la difficulté de la transmission.
On pourrait utiliser les outils de notre société pour que cela serve le projet de Dieu pour notre monde : réseaux sociaux, musique, peinture, fêtes de quartier,expositions,associations d’entraide, nos engagements politiques, recherche scientifique, notre argent, etc…
Quant à l’accueil, on sait faire, mais sans changer nos pratiques (prières,cantiques…)
Puis Amédro analyse la modification sociologique du protestantisme, passant d’un protestantisme d’intellectuels au 16ème siècle, éradiqué par les guerres de religions, les persécutions, à un protestantisme rural du 17ème au 20ème siècle. Actuellement on a un protestantisme urbain qui entraîne un déséquilibre, mais qui est plus apte à se développer.
Donner en vie (Vesco)
Vesco retient la parole du Christ « Je suis le chemin, la vérité et la vie » qui ouvre à l’émerveillement, l’accueil et la joie, car ouvre à la vie.
La sécularisation est une maladie de la religion; en christianisme, c’est lorsque l’Evangile est érigé en organisation morale, sociale, et parfois politique. Il peut alors se sentir fort, mais il se vide de sa sève. Il nous faut retrouver la folie de l’Evangile qui jamais ne s’installe et qui a pourtant besoin d’être porté par des structures, des Eglises qui bâtissent, qui s’organisent. Ex : la dynamique voulue par frère Roger à Taizé.
En Europe nos Eglises font l’apprentissage de la minorité. C’est une chance de revenir à la source, à condition de résister à la tentation du repli communautaire.
L’histoire récente de l’Eglise catholique en Algérie montre une perte progressive de tout pouvoir, de toute utilité quantifiable, mais qui n’a rien perdu de son sens.Le catholicisme connait la même évolution sociologique que le protestantisme en faveur des villes. Du fait de sa pratique sacramentelle, du manque de prêtres, elle regroupe à l’infini les paroisses, qui n’ont plusde paroisse que le nom.
Il faut revenir à un christianisme de proximité ce qui est plus dans l’ADN du protestantisme.
III –
Faisons de la mission notre joie (Amédro)
Amédro s’appuie sur le commandement : « Allez, faites de toutes les nations des disciples » Mat 28 ;19
Il y a une charge négative qui colle au terme « missionnaire » (colonialisme, manipulations, forcement des consciences.)
Le prosélytisme usurpe la place de Dieu en prétendant convertir les cœurs. Il ne s’agit pas de construire une stratégie pour faire grandir le chiffre de l’Eglise, mais d’offrir en partage la proximité du Royaume de Dieu. Nous sommes des poteaux indicateurs qui indiquent le chemin qui passe par Christ. On ne communique pas un message à comprendre mais une expérience à partager.
La diversité de notre Eglise permet différentes manières d’aborder la mission. Mais on a tendance à dénigrer ce que font les autres. Cf Jacques et Jean qui font appel au feu du ciel pour consumer ceux qui résisteront àleur élan missionnaire. (Luc 9 ; 51-56)
La compétition est devenue une valeur cardinale. Or en économie la coopération est plus efficace que la compétition. (cf l’économiste Charles Gide). On ne peut pas vivre les uns contre les autres. « Aimez-vous les uns les autres », c’est une question de vie ou de mort.
Amédro rêve d’une Eglise qui ne se préoccupe pas de son devenir mais de faire ce pour quoi elle est : Rendre le Christ présent dans le monde.
Eglise et Royaume (Vesco)
On a reproché à l’Eglise de Vesco de ne pas convertir au christianisme suffisamment de musulmans. Il y a confusion entre mission de l’Eglise et prosélytisme.
Etre missionnaire, c’est partir de l’autre, de sa foi, de sa quête, de sa part de vérité. Etre prosélyte, c’est partir de ma vérité à moi, absolutisée, au regard de laquelle la vérité de l’autre ne vaut rien. Or aucune religion nepeut enfermer Dieu dans une définition dogmatique. Cf David voulant enfermer Dieu dans un temple, aussi magnifique soit-il. Dieu dépasse infiniment la connaissance et la conscience que je peux en avoir.
Le prosélyte derrière son orgueil peut aussi avoir peur de la part de vérité de l’autre qui l’atteindrait dans son quotidien. Cf les musulmans de France que l’on n’intègre pas comme frères et sœurs en humanité. L’Islam fait vivre des hommes et des femmes en croyants dignes de foi dans leurs actes et leurs paroles.
Le temps de la rencontre avec la personne pour ce qu’elle est est la condition première de la mission.
Le risque est double : s’enfermer dans sa vérité, ne rien changer ; ou se lancer dans la course à la ressemblance, et pour cela, remettre en cause certains de nos fondamentaux.
En Algérie nous ne pouvons, en Eglise, donner notre témoignage sans la collaboration de partenaires musulmans au service de la vocation diaconale. Ils vivent un mystère de communion, qui les dépasse, même s’ils(elles) ne deviendront jamais chrétiens. Nous goûtons les uns et les autres la « présence du Dieu vivifiant qui appelle de la mort à la vie »
IV –
Puissions-nous répondre aux questions vitales (Amédro)
-comment aimer et être aimé
-comment vivre une vie digne
-à quoi ça sert de vivre ?
-que pouvons-nous espérer ?
1) Comment aimer et être aimé ?
Aimer et être aimé est un besoin vital. « Si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien » dit Paul dans sa 1ère lettre aux Corinthiens (13 ; 2)
L’Eglise sait créer du lien, générer un sentiment d’appartenance et de sécurité (cf repas communautaires). Il y a une diversité dans nos Eglises qui rassemblent des gens de tous les horizons.
2) Comment vivre une vie digne ?
Pour sentir qu’une vie est digne d’être vécue, on a besoin d’attention, de reconnaissance. Mais parfois on a un sentiment d’injustice, de révolte qui empêche de sentir la dignité et la beauté de notre vie. La vie est alors paralysée, repliée sur elle-même. Dans nos Eglises existent des services et des réseaux d’entraide et de solidarité. Mais attention à la prise de pouvoir de certains bénévoles qui veulent faire le bien des autres sans attendre l’assentiment des personnes concernées.
Amédro rêve d’une Eglise au service des gens qui n’en font pas partie avec ce double enjeu de libération et de soin.
3) A quoi ça sert de vivre ?
Il s’agit de donner un sens à sa vie qui semble parfois insignifiante et absurde. On veut changer sa vie mais pour quoi ? Et on est conduit soit à la nostalgie soit à l’idéalisme.
Il faudrait aider chacun à réfléchir à sa propre existence pour qu’elle retrouve sa liberté.
4) Que pouvons-nous espérer ?
On a besoin d’une vie plus grande que soi, d’être porté par une vision pour l’avenir. L’Eglise offre un temps à part pour se connecter à l’absolu, à l’éternité, à Dieu, quel que soit le nom qu’on lui donne.
La mission de l’Eglise réside dans 4 différentes manières d’être qui n’imposent rien mais qui proposent des ressources pour y puiser de quoi réparer le monde.
– l’attention au plus petit
– la parole de liberté
– la joie imprenable de la rencontre
– l’instant d’éternité qui change la vie.
Quête de sens ou quête de repères ? (Vesco)
Les religions se pensent souvent davantage en gardiennes des repères qu’en accompagnatrices des quêteurs de sens.
L’Evangiles est tissé de rencontres de Jésus avec des assoiffés de sens. Il rejoint les personnes dans l’épreuve. A une quête de sens la proposition de repères ne suffit plus.
L’enjeu est de partir des questions, sans préjuger des réponses, sans penser que nous avons d’emblée des réponses.
Il s’agit de vivre l’instant présent comme s’il devait durer toujours , comme s’il pouvait s’arrêter demain.
V –
L’Eglise comme laboratoire (Amédro)
A quoi sert l’Eglise ? A rien pour la plupart des contemporains. L’Eglise n’existe que pour celles et eux qui y reçoivent quelque chose d’important pour leur existence. Sa raison d’être ne réside que dans le service qu’elle est capable de rendre. Pour tous, elle sert de laboratoire.
– laboratoire lieu d’expérimentation
La vérité aujourd’hui est toujours une vérité subjective éprouvée par l’expérience. L’Eglise offre l’expérimentation d’une vie communautaire joyeuse, d’une résurrection, d’une vie vivante et signifiante. C’est un lieu où est suspendue (pour un temps) la tyrannie de l’évaluation et de l’efficacité.
– laboratoire lieu d’un travail sur soi
Venir dans notre Eglise c’est choisir de se laisser travailler de l’intérieur. C’est un lieu où l’on se pose des questions ensemble dans la recherche du sens et où se confrontent des avis divergents.
– laboratoire comme lieu de contemplation
L’Eglise est un lieu de prière et de contemplation. La prière devient l’expérience de la beauté de la nature, du monde. On a une expérienceesthétique autant que mystique devant ce qui est beau. Il faudrait être attentif à la beauté des nouveaux lieux de culte (ce qui n’est pas la tradition protestante portée sur l’écoute plutôt que sur le regard ;c’est une remarque personnelle)
Faire advenir l’inouï (Vesco)
Un laboratoire est un lieu où des gens sérieux, mais en même temps des chercheurs un peu fous, essaient de donner corps à leurs intuitions. Et c’est un travail d’équipe.Pour les catholiques l’Eglise est un laboratoire car la célébration eucharistique avec transmutation (transsubstantation) du vin et du pain en sang et chair du Christ est comparable à une expérience de laboratoire.
Mais le résultat est peut-être trop connu d’avance ; à la différence d’un laboratoire où l’expérience peut réussir ou échouer.
L’Eglise est aussi un espace. Le bâtiment crée un lien entre la communauté et le lieu où elle se réunit. Nos espaces sacrés sont des espaces privilégiés d’expérience de la religion de l’autre.
L’Eglise, et à travers elle les clercs, n’est pas experte au sens où elle aurait le dernier mot au motif qu’elle est gardienne d’un mystère. L’Eglise a davantage besoin de témoins que d’experts. Le témoin engage sa vie toute entière. Il témoigne de plus grand que lui-même.
VI –
Devenir des enfants (Amédro)
L’enfant est désarmé et confiant, il est ouverture vers l’avenir ; il a à la fois la non-puissance et le désir de grandir.
Il s’agit non pas de reproduire ou de répéter ce qui a déjà été vécu par d’autres, mais vivre pleinement aujourd’hui, portés par l’espérance de ce que nous pourrions devenir
Amédro cite Bonhoffer « Seul l’enfant sait vivre son présent à partir de son futur »
Vivre son présent à partir de son futur (Vesco)
L’enfant vit dans l’immédiateté. Nos Eglises dites historiques ont perdu la certitude que tout allait leur réussir. Le temps qui passe, qui sabote, nul n’en fait l’économie, il appartient au cycle de la vie. Nous appelons tous nos communautés à retrouver la fraîcheur de l’enfance.
Vesco a appris à voir ce que d’autres communautés (Evangéliques en Algérie) peuvent apporter et ce que nous ne pouvons apporter.
Pour conclure (Vesco)
Il y a connivence entre Amédro et Vesco due au fait que l’un et l’autre ont fait l’expérience d’une vie en monde musulman où le christianisme est pour ainsi dire absent du paysage, donc plus libre de son image.
De plus les différences dogmatiques, théologiques, historiques, n’étaient pas à l’ordre du jour dans leurs propos.
L’expérience œcuménique n’est pas un rapprochement de 2 points de vue mais l’émergence d’un fond commun.
Aucune Eglise confessionnelle n’est à elle seule « l’Eglise du Christ ».
Nous sommes tous responsables de la rupture de l’unité visible de l’Eglise, son unité invisible étant hors d’atteinte, sans cesse à rechercher.
S’accorder pour servir (Amedro)
Il y a une expérience commune d’un christianisme des marges, Vesco en Algérie, Amédro au Maroc. Se découvrir en situation de minorité permet de revenir à la source.
L’Etre même de l’Eglise se découvre hors de ses murs, de ses dogmes, de ses rites. Il se donne dans la résonnance d’une rencontre avec l’autre, celui qui m’échappera toujours, celui qui n’est pas membre de nos communautés, celui qui croit autrement et peut-être d’aucune religion.
C’est lui qui nous donne d’être ce que nous sommes.
Amédro a l’expérience d’avoir ouvert au Maroc, à Rabat, en 2012, un institut œcuménique de théologie dont le nom arabe signifie : l’accord