Atelier de Lectures Oecuménique du 7 mars 2024
“Prier 15 jours avec Jacques Ellul”
Théologien de I’espérance
de Frédéric Rognon
Présenté par Françoise Pelon
JACQUES ELLUL
ESQUISSE BIOGRAPHIQUE
Né à Bordeaux en L912, Jacues Ellul a grandi dans une famille non-chrétienne :père serbo-maltais sceptique et même libre-penseur, mère portugaise protestante mais non pratiquante (par respect pour son mari)
Il s’est converti brutalement à l’âge de 17 ans
Il a été saisi par l’évidence de la présence de Dieu à ses côtés. Cela lui a fait très peur car il craignait en devenant chrétien de perdre sa liberté.
Il a cherché à le fuir en lisant le maximum de livres antichrétiens.
Après plusieurs mois de lutte, il a fini par comprendre que les libertés auxquelles aspiraient les hommes étaient bien superficielles par rapport à la liberté véritable à laquelle il accéderait en se convertissant.
Au cours des années 1930, Jacques Ellul découvre les trois auteurs qui constitueront les trois sources fondamentales de sa pensée : Soren Kierkegaard, Karl Marx et Karl Barth.
La trajectoire professionnelle de Jacques Ellul est celle d’un professeur précoce et brillant :
bachelier à 16 ans, docteur en droit à24 ans, il est chargé de cours en histoire du droit à Montpellier
en 193’7, puis à Strasbourg en 1938. Il est évacué en 1939, au début de la << drôle de guerre >>, avec l’ universitéé de Strasbourg, vers Clermont-Ferrand.
C’est là , en 1940, juste après l’armistice qu’il est révoqué par le gouvernement de Vichy, dénoncé par un étudiant pour avoir mis en garde ses élèves alsaciens et mosellans contre le maréchal Pétain.
S’ils suivaient son exhortation à rentrer chez eux, c’était I’enrôlement de force dans la’Werhmacht.
Sa prévision se réalisera deux ans plus tard.
En Juin 1940 il se retrouve sans ressource et chargé de famille.
Il s’installe dans un petit village de Gironde où il apprend avec bonheur le métier de paysan : il élève des moutons et des lapins, cultive des pomme de terre. I1 est aussi fier de sa première récolte que de son concours d’agrégation (en droit) où il est reçu en 1943.
Dès 194O il entre dans la Résistance : fabrication de faux papiers, accueil de prisonniers évadés, aide au franchissement de la ligne de démarcation, sauvetages de familles juives, ce qui lui vaudra la médaille des Justes en 2002.
A la libération, Jacques Ellul est nommé adjoint au maire de Bordeaux pendant six mois. De cette courte expérience, il tire la conclusion que la politique est une véritable illusion: il constate au cours de cette brève expérience que les hommes politiques n’ont aucun pouvoir : celui-ci est confisqué par les experts qui orientent toute décision dans un sens technicien.
Tout le reste de sa vie professionnelle, jusqu’à sa retraite en 1980, est consacré à
I’enseignement : dès I94É il est professeur d’histoire des institutions à la faculté de droit de Bordeaux, et à partir de 194’l à I’institut d’études politiques de Bordeaux.
A côté de son enseignement et de ses travaux de publication, Jacques Ellul assume trois types d’engagement : ecclésial, social et écologiste.
Il n’a jamais été pasteur, mais il a bénéficié d’une délégation pastorale permanente qui I’autorisait, en tant que laïc engagé dans son Eglise et formé en théologie, a exercer toute responsabilité paroissiale au même titre qu’un pasteur.
Il participe à diverses commissions du Conseil oecuménique. Il est membre du synode régional et national de I’Eglise réformée de France, puis membre du Conseil national.
Son engagement social prend la forme de l’accompagnement des jeunes de la rue.
Premier jour
LE STYLE DE VIE DU CHRETIEN
Présence au monde moderne, publié en 1948 est le premier livre de Jacques Ellul et de ce fait a une dimension programatique. Il considérera d’ailleurs à la fin de sa vie qu’il n’a pas écrit plusieurs dizaines de livres, mais un seul dont chaque oeuvre est un chapitre et dont Présence au monde moderne est l’ introduction.
Il pose ici les bases de ce qu’il considère comme l’existence spécifiquement chrétienne : ce qui définit le chrétien, et le distingue du non chrétien, ce n’est pas son adhésion à un corps de doctrine, ni même le salut qui lui serait promis, c’est son style de vie. Le chrétien ne vit pas rigoureusement comme les autres.
Un verset biblique que Jacques Ellul affectionnait tout particulièrement est Rm 72,2:
« Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. »
Cette formule de l’apôtre Paul conjugue anticonformisme et discernement. Vivre comme disciple du Christ, c’est être non conformes aux orientations générales de notre société, et exercer notre discernement pour adopter un autre style de vie.
L’alternative est la suivante : soit la dilution du message du Christ dans le monde, soit la rupture avec les idéologies de notre temps pour promouvoir le potentiel novateur du christianisme.
Son livre Présence au monde moderne n’est pas un manuel de recettes prêtes à I’emploi mais ouvre un chemin de responsabilité : à chacun de chercher et d’écouter, dans la prière, la voix de Dieu qui lui est personnellement adressée, puis d’élaborer son propre style de vie.
Jacques Ellul esquisse néanmoins quelques pistes pour orienter les chrétiens :
retrouver le sens du prochain, retrouver le sens de l’évènement, retrouver les limites du sacré.
Un double verset biblique vient illustrer cette mise en cause de la puissance sacrée :
« Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile ; tout m’est permis, mais je ne me laisserai asservir par quoi que ce soit » ( 1 Co 6,12)
Tout est permis mais tout n’est pas utile ; tout est permis mais tout n’édifie pas » (1 Co 10,23)
Finalement, le principe régulateur de ce nouveau style de vie, c’est le double commandement d’amour : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée » et « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22,37 ,39)
Tel est le critère de l’édification d’un style de vie qui devient créateur.
Deuxième jour
LA CONTEMPLATION REVOLUTIONNAIRE
C’est dans le sillage du mouvement étudiant de Mai 68 que paraît, en 1969, Autopsie de la Révolutton Alors même que les campus universitaire bouillonnent encore de velléités révolutionnaires, Jacques Ellul, comme à son habitude, s’inscrit à contre-courant et jette un pavé dans la mare : en proposant une « autopsie « de la révolution, il indique bien que la révolution est morte, et qu’elle n’est plus possible dans le cadre de la société technicienne.
Le terme << révolution >> se trouve banalisé, éculé et donc vidé de son contenu. En se cantonnant aux campus et au domaine culturel, sans nullement remettre en question sérieusement la technoscience ni les infrastructures de production,la contre-culture qui se veut révolutionnaire ne sert finalement que de soupape de respiration, et donc de vecteur de reproduction du système technicien.
En revanche, il est une révolution authentique, fondamentale, là où personne ne la cherche.
Ellul I’appelle la révolution nécessaire, empruntant une expression popularisée par les personnalistes des années 1930.
Il s’agit d’une révolution contre la nécessité historique, contre le fatalisme de l’évolution technicienne et tous ceux qui croient qu’il n’y a pas d’alternative.
Car cette révolution nécessaire est d’abord intérieure, elle est conversion, c’est à dire retour sur soi,et elle débouche sur un changement réel de vie, sur une nouvelle naissance et renouveau. Elle concerne donc une démarche spirituelle personnelle, qui appelle l’homme à revenir lui-même, à être pleinement soi.
C’est ici qu’intervient la contemplation. Elle est mise en tension avec l’agitation frénétique.
Si donc la contemplation est l’attitude vraiment révolutionnaire, c’est bien parce qu’elle va à contrecourant, et qu’elle prend le contrepied de la société technicienne.
L agitation révolutionnaire ne fait que cautionner les tendances lourdes de l’univers technicien, puisqu’elle adopte les mêmes valeurs suprêmes de l’engagement et de l’efficacité : en fait du changement permanent par l’activisme.
La contemplation permet de marquer un temps d’arrêt, de suspendre la course effrénée à la production et à la consommation.
Le contemplatif se reconnecte avec l’essentiel.
En faisant silence, autour de soi et en soi, il crée I’espace susceptible d’accueillir une parole qui vient d’ailleurs
La contemplation est donc prière les yeux ouverts.
Troisième jour
FRAGILITÉ DE LA PRIÈRE NATURELLE
Avec ce texte nous entrons dans une série quatre extraits de L’impossible prière, livre de Jacques Ellul paru en 1971. Est-il encore possible de prier aujourd’hui ? Et quelles seraient les véritables raisons de prier encore ?
Dans notre contexte actuel, les fondements de la prière semblent vaciller. Il est dans la nature de I’homme , mû par ses désirs et ses craintes de s’adresser à un Être suprême, au Tout, à l’Invisible.
Toute la nature peut elle-même être comprise comme une prière adressée à Dieu : le chant des oiseaux, les ondoiements des blés. Louange de la créature au créateur.
Mais selon Jacques Ellul, un point de rupture a été atteint avec l’entrée dans la société technicienne. La nature ne cesse de reculer, et les nouvelles générations ne connaissent plus qu’un univers technicien, qui est leur << seconde nature ». Ils baignent dedans depuis leur naissance au point de ne plus en percevoir le caractère artificiel. Sans Nature, il n’est plus de prière naturelle.
La prière semble bien vouée à disparaître à l’ère de la technique triomphante.
Jacques Ellul analyse la technique comme une religion qui rend la prière impossible : c’est le sacré technicien.
Toutes ces considérations nous conduisent à affirmer, avec Jacques Eliul, que la prétention d’asseoir la prière sur la nature ou le besoin de l’homme ne nous donne aucun fondement sérieux.
Mais ne prenons pas cette première conclusion comme un échec. Elle est au contraire l’occasion de trouver la véritable raison de prier encore aujourd’hui et de prier toujours demain.
La prière de l’incrédulité « pourquoi ne pas prier lorsque tous les autres recours, notamment techniques, ne sont pas tenus. >>
Il s’agit d’une prière << bouche-trou >>.
On sent bien ici la fragilité de la prière naturelle, sa précarité dans le cadre du déferlement technologique : elle n’est plus qu’un résidu, qu’une survivance.
Quatrième jour
FRAGILITÉ DE LA PRIÈRE RELIGIEUSE
Est-il encore possible de prier à notre époque ?
Quelles seraient les véritables raisons de prier encore ?
Les discours théologiques antérieurs à la société technicienne au sujet de la prière n’ont plus aucune pertinence.
Tel est le fond du problème : comment permettre à l’homme qui ne prie plus de renouer avec la pratique de la prière ?
Plus redoutable encore : comment permettre à I’homme qui n’a jamais prié de découvrir le sens et le goût de cette pratique ?
Car l’entrée dans la société technicienne a eu pour conséquence de décrocher plusieurs générations successives de la prière.
En vidant l’existence de cette signification, en rendant notre vie quotidienne mécanique, automatique, la société technicienne oppose un obstacle majeur à toute reprise de la pratique de Ia prière.
Car prier cela suppose d’abord d’être.
La recherche théologique se trouve dans une impasse : cette impuissance de la théologie tient au fait que Ia prière n’est pas un objet comme un autre : la prière n’est pas une question d,analyse mais d’expérience vécue.
Et prier n’est pas qu’une activité, pas seulement une pratique, mais une affaire de vie entière.
Nous avons là une indication sur le sens qu’il convient de conférer à notre prière : le sens de l’être même de notre vie, de toute notre vie.
Cinquième jour
FRAGILITÉ DE LA. PRIÈRE LANGAGE
Après la prière religieuse, c’est la prière langage que Jacques Ellul voit s’évanouir. Mais il ne le regrette pas.
Car le langage se trouve décomposé, disséqué par les sciences linguistiques,dépiécé par les slogans, messages abrégés et autres clip.
Nous sommes entrés dans une société de l’image toute puissante, qui parle à l’émotion et aux réflexes, là où la parole s’adressait à la pensée et à l’intelligence du coeur.
La prière serait elle la victime collatérale de I’humiliation du langage ?
Non dit Jacques Ellul car la prière déborde largement le langage parlé : << la prière n’est pas un discours, elle est forme de vie, la vie avec Dieu.
Elle ne se cantonne nullement à la verbalisation. Elle est d’abord relation.
Ce point est décisif pour définir la prière : y compris dans le silence extérieur et intérieur, dans l’écoute et l’adoration silencieuse.
La prière ne reçoit pas son contenu de ce que j’ai à dire, mais ce que j’ai à vivre avec Dieu.
Tant qu’elle n’est que discours, elle est non prière.
<< C’est lorsque le Saint-Esprit intercède d’une façon qui exclut toute verbalisation, que la prière est prière. >>
Ainsi la prière est un don de Dieu.
Ce n’est pas la prière qui disparait aujourd’hui, c’est un succédané qui n’avait déjà plus les caractéristiques de la prière.
C’était la prière langage, c’est à dire, non pas le don de Dieu, mais une oeuvre purement humaine.
Sixième jour
LA SEULE RAISON DE PRIERE AUJOURD’HUI
Après avoir passé en revue les différents lieux de fragilité de la prière, Jacques Ellul dégage la seule raison qui nous conduit à prier, encore et encore : c’est l’obéissance.
Car le commandement qui nous est donné nous vient d’une altérité radicale, qui seule peut me libérer de moi-même.
« Veillez et priez « .Il s’agit d’un commandement et non pas d’une loi.
A la suite du théologien suisse Karl Barth, Jacques Ellul fait la distinction entre la loi objective, éternelle, qui s’impose identiquement à tous, et le commandement qui est une parole singulière qui m’est adressée, une relation de personne à personne.
En Jésus Christ la loi devient un commandement. La loi objective de l’Ancien Testament devient une relation personnelle avec le Christ.
<< Toi, prie ».
L’obéissance en Christ est le contraire d’un devoir ou d’une obligation.
Il y a compréhension d’une responsabilité, ouverture d’une communion et d’un dialogue,
La prière comme écoute ne relève d’aucun légalisme, mais d’une réelle liberté : celle d’un enfant de Dieu qui se place face à son père céleste pour accueillir sa parole et en vivre.
<< Priez sans cesse » (1 Th 5lt7), telle est l’exhortation de I’apôtre Paul qui peut sembler irréaliste, d’une exigence extrême.
Elle montre bien qu’en réalité la prière n’est pas un temps ponctuel. mais qu’elle appartient au contraire à la totalité de la vie.
Sans la prière nous sommes comme des entants emportés à tous vents de doctrine.
La prière ne peut être que l’expression de la foi. La foi n’est pas un objet que l’on obtiendrait par nos propres forces : elle est un don de Dieu. .. On n’a pas la foi, c’est elle qui nous a. >>
On ne peut par conséquent que demander la foi…dans la prière.
Et ainsi, en demandant la foi, nous nous mettons à prier, et donc à croire car nous ne parlons pas à un vide. La prière révèle et nourrit la foi, qui à son tour nourrit la prière.
Prier, c’est peut-être découvrir que nous avons reçu ce don de Dieu qu’est la foi.
La prière sera alors une prière d’action de grâce : manifester toute notre gratitude pour la foi reçue, cadeau immérité et d’un prix incomparable.
Pour Jacques Ellul, la prière comprise en tant qu’acte d’obéissance est un acte de liberté.
Il y a une contradiction entre puissance et liberté : la prière en tant qu’acte de liberté suppose de renoncer à I’obsession de 1’efficacité.
A partir du moment où la prière n’est prise au sérieux qu’en fonction de ses résultats, de son exaucement, elle est condamnée.
Ce n’est pas la prière en tant que telle qui est condamnée, c’est bien la prière d’efficacité, la prière devenue mode de puissance.
Dans 1e prochain chapitre nous verrons que la prière est un combat.
Comme l’écrivait Soren Kierkegaard « la vraie prière est une lutte avec Dieu où I’on triomphe par le triomphe de Dieu . »
En d’autres termes, le combat de la prière est un combat contre soi-même, au terme duquel je l’emporterai sur moi-même grâce au secours de Dieu.
Septième jour
LE COMBAT CONTRE DIEU
Quand Dieu se tait, il faut le forcer à parler. Quand Dieu se détourne, il faut le forcer à revenir.
Quand Dieu semble mort, il faut le forcer à être.
Et cela pourra prendre forme dans l’appel angoissé, la plainte, la lamentation, la prière de repentance.
Le combat de la prière contre Dieu, c’est à dire avec Lui contre soi-même pour se laisser changer, peut prendre des chemins bien particuliers. inattendus, improbables même lorsque Jacques Ellul aborde la question de l’espérance.
La prière d’espérance est bien une prière de lutte, mais d’une lutte destinée à faire sortir Dieu de son silence.
Dieu se tait. Et l’espérance est le refus de se résigner à cette situation.
Dieu se tait parce que dans notre société moderne, l’homme se croit « adulte », capable d’assumer seul tous ses besoins par la technique.
La parole de Dieu est inaudible car l’homme ne l’écoute pas. Il fait tant de bruit que sa parole ne peut être entendue.
Si Dieu se tait, ce n’est pas parce qu’il nous rejette, mais parce que nous le rejetons.
Notre époque peut être identifiée comme le temps de la déréliction.
La déréliction c’est un sentiment profond de total abandon, à I’image de ce qu’exprimait la parole du Christ sur la croix : << Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (Mc 15,34)
Qu’en est-il donc de l’espérance au temps de la déréliction ?
Face à cette question, Jacques Ellul dévoile le fond de sa pensée et révèle le coeur même de sa vie spirituelle.
« Malgré mon pessimisme bien connu, malgré les analyses sociologiques que j’ai pu faire…je ne suis pas désespéré. Pas du tout. »
Jacques Ellul est en quelques sorte un pessimiste débordant d’espérance.
Il ne perçoit aucune issue pour notre monde à vues humaines, mais il reste fondamentalement enraciné dans l’espérance liée aux promesses de Dieu.
En Jésus-Christ, Dieu nous a promis sa présence permanente à nos côtés quoi qu’il arrive.
« Et voici je suis avec vous tous les jours, jusque’à la fin du monde. » (Mt 28,20)
« Car j’ai l’assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présents ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rm 8,38-39).
Mais alors comment comprendre le silence de Dieu et la déréliction d’aujourd’hui ?
Comme l’incitation au combat de la prière. Car paradoxalement le temps de la déréliction est le temps approprié à 1’espérance.
Cependant cette promesse est aléatoire , Dieu ne l’accomplit qu’à f issue d’un dur combat : la lutte de l’espérance pour contraindre Dieu à sortir de son Silence et à tenir Sa parole.
L’espérance est donc une réponse de l’homme au silence de Dieu : l’homme qui espère refuse la décision de Dieu de se taire, il revendique que Dieu tienne ses promesses, il en appelle à Dieu contre Dieu.
C’est ainsi, selon Jacques Ellul que I’on peut comprendre cette parole énigmatique de 1’Evangile :
« Le Royaume des Cieux est aux violents qui s’en emparent. » (Mt 11,12).
La figure emblématique de I’espérance est le personnage de Job, qui s’insurge contre le silence de Dieu, à cause des promesses de celui qui finira bien par se lever sur la terre. (Job 19,25).
La prière prend ici une dimension nouvelle : elle est toujours un combat, mené avec les armes de l’Esprit, mais elle est un combat destiné à retrouver le vrai Dieu dans le fatras des idoles de puissance (idoles du pouvoir, de la finance, de la technique).
Huitième jour
L’INEPUISABLE ESPÉRANCE
Jacques Ellul ne craint pas de nous alerter sur les grandes exigences de la prière
d’espérance. Espérer n’est pas une paisible détente spirituelle, une mise au repos de notre vie intérieure. C’est une lutte à la vie, à la mort. Elle est un engagement de toute notre personne, elle est une consécration de notre existence dans sa totalité.
L’espoir est la perspective d’une amélioration de la situation à vues humaines. L’espoir n’a de sens que lorsqu’il existe une issue possible.
L’espérance, au contraire, n’a de sens que lorsque le pire est tenu pour certain.
L’espoir est la passion des possibles, l’espérance la passion de l’impossible.
L’espérance ne se réjouit pas de ce que Dieu nous laisse les mains libres, elle exige qu’il parle parce que sans la présence du Tout Autre l’homme ne peut aller que de ruines en désastres.
La seule attitude fidèle à la croix est la folie qui consiste à provoquer le Saint-Esprit pour que l’espérance soit possible.
La réduction de la vie religieuse à une dimension uniquement profane c’est l’engagement dans le monde, sans être au préalable dégagé du monde.
Pour Jacques Ellul, la liberté n’est pas quelque chose que l’on acquiert soi-même, mais un don qui nous est fait par le Christ : celui-ci nous dégage de nous-même.
L’espérance surgit du désespoir, et permet de le traverser.
Dans le Nouveau testament, la métaphore utilisée pour parler de l’espérance est une ancre : ” l’ancre de l’âme “.(He 6,19). C’est donc un symbole de fermeté et de stabilité, au milieu des tempêtes de la vie.
Quelle est donc la différence entre la foi et l’espérance ? On pourrait dire, d’une simple formule, que l’espérance c’est la foi pour demain, et que la foi c’est l’espérance pour aujourd’hui.
La foi est une relation vivante que les croyants entretiennent avec le Dieu de Jésus-Christ, et l’espérance la persévérance dans cette relation lorsqu’ils se tournent vers l’avenir.
S’il n’est pas de foi sans prière, ni de prière sans foi, il n’est pas non plus d’espérance sans prlère, ni de prière sans espérance.
Neuvième jour
LES QUESTIONS QUE DIEU NOUS POSE
” FOI» et « CROYANCE » renvoient au même Verbe ,. Croire “.
Mais Jacques Ellul distingue nettement les deux termes.
Les croyances sont collectives, elles permettent la vie en société, elles fournissent à l’être humain des solutions à ses problèmes, des convictions fermes, des repères qui aident à se situer dans l’existence.
Les croyances excluent donc le doute.
Tandis que la foi est individuelle, et loin d’être sécurisante, elle se conjugue avec le doute, elle le suppose et l’intègre.
Plus exactement le doute sert d’épreuve pour la foi , afin de vérifier si elle n’est pas pleine de croyances.
La foi est un décapant terrible. D’où le titre de ce livre de Jacques Ellul . La Foi au prise du doute. La Foi pousse sur le riche réseau du doute.
La Foi s’adresse à un Dieu inaccessible.
Comme l’a montré Soren Kierkegaard, la croyance rassemble les hommes, alors que la foi isole, singularise l’lndividu, c’est à dire le rend unique.
La croyance apporte des réponses aux questions de l’homme, la foi pose des questions ou déplace les questions de I’homme, la foi l’amène à répondre donc à être responsable.
ll peut répondre par des mots, il peut aussi répondre par la manière dont il vit.
La foi est d’abord une écoute, elle se ressource dans le silence.
Pour Jacques Ellul , la Bible n’est pas un livre de recettes. Mais elle n’est pas non plus un livre de réponses. La Bible est un livre de questions.
Ce sont des questions que Dieu pose au lecteur croyant à travers le texte scripturaire.
Selon Ellul, Dieu pose trois principales questions au lecteur de la Bible :
” Qu’as tu fait de ton frère ? (Gn 4, 9-10)
” Qui dites vous que je suis ? (Mt 16,15)
,. Qui cherches-tu ? (Jn 20,15)
La première question s’adresse à Caïn mais aussi au lecteur. Elle est en réalité une
double question : ” Où est ton frère ? ” Qu’as tu fait ? »
C’est une question éthique. Caïn se déresponsabilise en répliquant ” Suis je le gardien de mon frère?.
On peut espérer que le lecteur saura se responsabiliser, c’est à dire assumer ses actes, et s’engager à avoir souci de son frère pour en prendre soin.
La deuxième question s’adresse aux douze disciples de Jésus mais aussi à chaque
lecteur de l’Evangile. Simon Pierre répond de trois manières différentes selon les trois évangiles synoptiques. (Mt 16,16) ; Mc 8,28 ; Lc 9,20).
ll n’y a pas de réponse unique à chaque question de Dieu, y compris de la part d’une même personne.
C’est une question confessante. On ne répond pas de la même façon à une question de foi lorsqu’on a 20 ou 80 ans, avant et après une épreuve de santé, de rupture ou de deuil.
Enfin la dernière question posée ” Qui cherches tu, c’est celle posée à Marie de Magdala par Jésus qu’elle prend pour le jardinier. ll s’agit d’une question existentielle sur le sens de notre vie pour tous ceux qui méditent ce texte le jour de Pâques.
Que cherchons nous ? Quel est notre horizon et quelle est notre boussole ?
Cette question sollicite une réponse existentielle de la part de chacun et chacune d’entre NOUS.
Dixième jour
QUI EST DIEU ?
Question décisive pour quiconque cherche à recevoir sa vie et en accueillir le sens de la part d’un Autre, plutôt que de se croire l’auteur de lui-même.
Car si notre identité propre nous vient d’ailleurs, quel est cet ailleurs ?
Selon la tradition biblique il ne s’agit pas d’une force impersonnelle, mais d’une véritable personne, avec laquelle entrer en relation personnelle.
La révélation est précisément ce mouvement par lequel Dieu se fait connaître aux hommes.
Et pour les chrétiens, la révélation c’est Jésus-Christ qui nous dévoile le vrai visage de Dieu.
Or Jésus-Christ nous enseigne que Dieu est notre Père céleste.
Si Dieu est le Dieu de Jésus-Christ, il est notre Père, source de notre vie, infiniment et inconditionnellement aimant : Il est Lui-même amour.
Nous pouvons par conséquent nous adresser à Lui avec la confiance et la certitude d’un enfant devant son père : nous Lui devons tout, et nous avons l’assurance que nous recevrons jamais de Lui que bienfaits, soutien, consolation, nourriture et protection.
Nul autre n’est fidèle et donc fiable comme Dieu.
Il est totalement extérieur à notre monde, et donc s’avère un appui solide pour considérer notre monde de manière critique, et nous regarder nous-même sans complaisance.
Mais il nous a rejoint en Jésus-Christ et par conséquence loin de toute indifférence à ce que nous vivons.
Il nous guide avec amour sur nos chemins terrestres.
Il nous permet de devenir celle ou celui qu’il veut que nous soyons, dégagé(e) de tout ce qui nous aliène.
Il est en même temps Puissance etAmour, altérité et intimité.
Tel est le Dieu de Jésus-Christ.
Onzième jour
DEVANT LE TEXTE BIBLIQUE
Jacques Ellul écrit :
<< Le critère de ma pensée est la révélation biblique ; le contenu de ma pensée est la révélation biblique : le point de départ m’est fourni par la révélation biblique ; la méthode est la dialectique selon laquelle nous est faire la révélation biblique ; et l’objet est la recherche de la signification de la révélation biblique sur l’éthique. »
La pensée éthique de Jacques Ellul est donc centrée sur l’Ecriture, tout en conférant à la Bible un statut bien singulier, et en lui appliquant une méthode de lecture spécifique.
Jacques Ellul adresse tout d’abord de vives critiques à l’encontre de l’exégèse historico-critique et de I’exégèse structurale, utiles pour le jeu de la science, mais ne disant rien de la vérité.
Tout au long de l’oeuvre ellulienne, il y a tension entre la Réalité et la Vérité (qui disqualifie les méthodes de type scientifique).
Même critique pour I’exégèse marxiste (années 70)
A l’approche scientifique de la Bible, Jacques Ellul oppose la méditation d’inspiration Kierkegaardienne, qui considère que la révélation biblique s’adresse à l’existence même du sujet.
Il invite les lecteurs à redécouvrir la Bible comme une lettre d’amour de Dieu aux hommes.
La Bible doit être mise en pratique dans la confiance et I’espérance.
Mais il y a un préalable à toute lecture d’un texte biblique. [,a méditation de I ‘Ecriture commence par une écoute, puisque la foi se ressource dans le silence : La foi est d’abord une écoute ( . . .) elle patiente à l’écoute du silence, jusqu’à ce que le silence soit rempli de ce qui devient parole de Dieu..Après, à partir de l’écoute peuvent venir réponses , morale , action et engagement .
Mais tout cela épuise la foi, et celle-ci ne renaît et ne se ressource qu’au retour de l’écoute et la veille.
Le silence devant le texte biblique est un silence exigeant : non seulement le silence extérieur (calme des lieux où nous nous trouvons) mais surtout silence intérieur.
<< Il faut d’abord se laisser saisir par la beauté du texte,le recevoir dans l’émotion et l’écoute silencieuse comme une musique, et laisser sa sensibilité, son émotion parler avant de vouloir analyser et « comprendre ».
La Bible est un poème au sens fort du terme, c’est à dire une expression créatrice, une puissance spirituelle susceptible de faire du neuf dès lors qu’elle est reçue comme venant de Dieu.
L’analyse et la compréhension rationnelle ne peuvent éventuellement intervenir que dans un second temps. l’Ecriture concerne toujours les questions ultimes de I’existence.
C’est pourquoi la Bible ne doit être ensuite refermée qu’après avoir pris une décision qui engage notre existence.
Silence, disponibilité, accueil puis décision : tel est le chemin exigeant de la lecture de I’Ecriture.
Douzième jour
LOUANGE ET ADORATION
Jacques Ellul est connu comme juriste, sociologue, historien des institutions,, théologien protestant,, essayiste, précurseur de l’écologie radicale… mais très peu comme poète.
Et pourtant, dès qu’il avait quelques répit, il s’adonnait à cette activité créatrice.
Il a composé ainsi plusieurs centaines de poèmes mais n’en a publié aucun.
Ce n’est qu’en 1995 et en 1997 qu’ont paru les deux recueils édités à ce jour.
Silences, sobrement sous-titré Poèmes et Oratorio sous-titré Les quatre cavaliers de l’Apocalypse.
Il était un grand lecteur de ce livre qu’il méditait régulièrement et auquel il a consacré deux ouvrages de commentaires.
La poésie de Jacques Ellul est l’expression de son intimité spirituelle.
La première page de Silences est un poème sans titre : un chant d’immense gratitude envers Dieu.
L’ action de grâce est une expression constante dans la vie de Jacques Ellul, depuis sa conversion à l’âge de 17 ans, qui a offert un sens, une orientation, une boussole et une lumière à son existence.
A la recherche d’un renouvellement du langage d’adoration, il découvre sur le terrain de la poésie un chemin pour formuler devant I’Auteur de sa vie ce qui remplit son coeur.
« Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle création. « Les choses anciennes sont passées; voici toutes choses sont devenues nouvelles. » (2 CO 5,17)
<, Nouveau ce simple jour à vivre ( …) et nouveau ce regard émerveillé »,.
Le même verbe grec egeirô signifie à la fois . « se lever » et « ressusciter » : chaque lever le matin est une résurrection où tout est renouvelé.
L’expression de gratitude ne fait que s’amplifier devant la prise de conscience de notre ingratitude.
Le décalage est abyssal entre la bonté de Dieu et notre méchanceté, entre sa fidélité et notre infidélité.
Le Dieu de Jésus-Christ est le seul vrai Dieu, celui qui me libère de moi-même.
Treizième jour
TOI SEUL
Dans la suite de Silences (1995) un second recueil de poèmes de Jacques Ellul est publié deux ans plus tard. C’est « Oratorio » et il se présente effectivement comme un oratorio à cinq parties, comprenant des textes à proclamer par des récitants et d’autres par des choeurs.
Rédigé dans les années 1960 inspiré du chapitre 6 du dernier livre du Nouveau Testament (Ap 6, i-8) cet oratoire est sous-titré: Les quatre cavaliers de l’Apocalypse “.Il s’agit d’une véritable épopée.
Le premier cheval est blanc, il symbolise la Parole de Dieu, source du salut au milieu du chaos :
« Je regardai quand l’agneau ouvrit I’un des sept sceaux, et j’entendis l’un des quatre êtres vivants qui disait comme d’une voix de tonnerre .< Viens ! » Je regardai, et voici parut un cheval blanc. Celui qui le montait avait un arc ; un couronne lui fut donnée, et il partit en vainqueur et pour vaincre » (AP 6,1-2)
En alternance avec les récitants, le choeur des vieillards scande son chant par la référence à l’exclusivité du salut de Dieu de Jésus-Christ : << Toi seul… >>
Toi seul qui dit Je suis et rien n’était avant – où Ta parole est dite apparaît le néant quand s’oppose à lui le créé (O l3)
Le premier « Toi seul » renvoie à l’identité de Dieu. Il est le seul à pouvoir dire « Je suis » puisqu’il est le seul éternel, le seul vivant et la seule source de vie.
« Je suis » fait référence à la scène de Moïse devant le buisson ardent qui demande à Dieu quel est son nom. C’est ainsi que tu répondras aux entants d’Israël : Celui qui s’appelle << Je suis >> m’a envoyé vers vous. (Ex 3,14).
L’exclusivité absolue de Dieu repose sur ce double pouvoir de créer et de faire disparaître, de donner la vie et de faire mourir.
« Je suis l’alpha et l’oméga” dit le SeigneurDieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant.
La deuxième exclusivité du Dieu biblique concerne sa toute puissance d’opposition aux « Puissances « . Dans l’apocalypse, Dieu est nommé Pantokrator : << Tout Puissant » (par exemple en Ap 1,8), non plus seulement comme créateur et maître de la vie et de la mort. mais comme vainqueur du mal et des forces des ténèbres.
Il est ainsi le maître de toute chose et sait donc mener les puissances démoniaques, comme un dompteur sait maîtriser une bête féroce.
Et la troisième exclusivité, sans doute la plus saisissante, est son pouvoir de conversion des méchants et de salut pour tous : Lui seul est sauveur, et ce salut est universel, parce qu’il est I’Amour même. « Dieu est Amour dit la première épître de l’apôtre Jean (1 Jn 4,8.16) : l’Amour n’est pas qu’un simple attribut de Dieu parmi d’autres, il s’agit de Son nom et de son identité. Il aime même les damnés, c’est à dire nous tous qui ne méritons pas sa miséricorde ni son salut et Il fait de nous tous les ambassadeurs de la justice et de la paix.
L’analogie entre les Hébreux au désert et les femmes et les hommes d’aujourd’hui, en marche au milieu des multiples servitudes du temps présent, est saisissante.
Jacques Ellul a le don d’actualiser les figures bibliques très anciennes en leur conférant une vigueur remarquable.
La dernière exclusivité du Dieu de Jésus-Christ concerne la seule raison de vivre et de poursuivre sa route : ce n’est pas le but du chemin qui est attractif, mais uniquement le moteur de la marche, le motif de la marche.
Le Seigneur est à la fois celui qui donne une raison de vivre et d’avancer et Celui en qui l’on avance, et donc en qui réside notre vie.
La fin de ce chant du choeur des vieillards est un sommet d’évocation : l’humanité entière est en marche, mais sans le Seigneur tous se perdent, et avec Lui tous sont renouvelés, accueillis, recueillis, sauvés. I.a marche se poursuit mais avec ses souffrances et ses perditions, et toujours à nouveau ses relèvements et ses sauvetages.
Loin de se limiter à une prévision pour la fin des temps, l’Apocalypse est une lumière sur notre vie présente.
Quatorzième jour
L’ETHIQUE DE LA NON-PUSSANCE
Sur le modèle de la notion de non-violence, Jacques Ellul a forgé un concept nouveau : celui de la non-puissance. Comme il avait construit une double dialectique, engagement – désengagement – dégagement, espoir-désespoir-espérance, il institue de nouveaux concepts : puissance-impuissance-non puissance.
La puissance est la capacité de faire; f impuissance est l’incapacité à faire ; et la non-puissance est la capacité de faire et le choix de ne pas faire.
La non-puissance n’a rien à voir avec l’impuissance.
Jésus qui en tant que Dieu était tout puissant, a adopté une attitude de non-puissance et pas seulement de non-violence.
_ Il demande à Jean-Baptiste d’être baptisé par lui (Mat 3, 13-17)
_ Il résiste aux trois tentations du diable qui l’incite à manifester sa puissance (Mt 4,L-ll)
Il refuse d’accomplir certains miracles (Mt 12,38-45)
_ Lors de son arrestation il ne fait pas appel à des légions d’anges (Mt 26, 52-53)
_ Lorsqu’il résiste aux injonctions de descendre de sa croix (Mt27,39-4)
Jacques Ellul voit dans tous ces exemples une application par Jésus de son enseignement du Sermon sur la montagne (Mt 5, 38-48).
A la suite de lui, les chrétiens sont invités à entrer dans un chemin de non-puissance.
Telle est leur vocation, si exigeante en réponse à la grâce.
Jacques Ellul n’occulte nullement la difficulté d’une éthique de la non-puissance : elle va à l’encontre de la nature humaine.
Car l’esprit de puissance est bien au coeur de l’homme.
Comment renoncer à toute recherche d’efficacité dans nos actions ?
Et cependant la non-puissance est à la fois le seul chemin de fidélité au Christ et la seule attitude qui mette réellement en question le système technicien dans lequel nous vivons, marquée par l’obsession de I’efficacité.
Notre société technicienne est gouvernée par une loi sacrée, qui avait été édictée par un physicien hongrois, Denis Gabor : « Tout ce que nous pouvons techniquement réaliser sera nécessairement réalisé ». C’est la loi du déterminisme technicien le plus implacable. Or concrètement, la non puissance profane la loi de Gabor. Tout un chacun peut mettre en oeuvre la non-puissance dans sa vie quotidienne. Il y a là une forme d’iconoclasme : la technique est devenue notre nouveau sacré , et toute mise en question de cette idole ne peut être reçue que comme un sacrilège.
Il ne s’agit pas seulement de contester la loi de Gabor, mais de mettre en oeuvre un autre possible et d’en témoigner : témoigner de son espérance et adopter un posture prophétique..
L éthique de la non-puissance découle de la foi des chrétiens. L’incarnation est bien le choix par Dieu lui-même, en Jésus-Christ, d’un chemin de non-puissance. Et la résurrection est la victoire sur la mort. lncarner dans notre vie quotidienne notre foi en la résurrection, c’est être libéré de toute obsession de faire nos preuves, de tout souci de déployer notre propre puissance pour régler tous nos problèmes au moyen de nos propres forces.
L éthique de la non-puissance n’est pas une voie de facilité, elle est une rupture avec les valeurs et les idéologies ambiantes. A l’heure des défis écologiques, des perspectives effrayantes du changement climatique, du développement chez nos contemporains de l’éco-anxiété, l’éthique de la non-puissance est d’une pertinence inégalée.
Dès 1950 Jacques Ellul anticipait cette évidence du développement durable : il ne peut poursuivre un développement infini au sein d’un monde fini.
Chaque recours à la puissance doit être passé au crible de ce critère décisif: est-ce au service de l’amour, de la vie, de l’être humain ? Ou est-ce une manifestation de puissance pour la puissance, un déferlements de puissance en faveur des intérêts de quelques-uns.
L’éthique de la non-puissance doit nous permettre de privilégier en toute situation l’amour et la vie.
Jacques Ellul proclame : « Seule la non-puissance peut avoir une chance de sauver le monde »
Quinzième jour
BILAN D’UNE VIE
J’ai dit ce que je pensais et cela n’a pas était entendu. Je l’ai probablement mal dit. Mais bien plus important, il m’a peut-être été donne parfois de rendre témoignage à Jésus-Christ. Peut-être au travers d’une parole ou d’un écrit, un homme a rencontré ce Sauveur, le seul, l’unique, auprès de qui tous les projets humains sont des enfantillages ; alors, si cela a eu lieu, je serai comblé et, à ce moment, gloire à Dieu seul.
Jacques Ellul n’est pas qu’un lanceur d’alerte. Il est aussi un grand spirituel, un témoin de la grâce et de la fidélité du Dieu de Jésus-Christ.