Atelier de Lectures Oecuménique du 8 février 2024
Atelier animé par P. et G. Bécheret
Jacques MUSSET JÉSUS POUR LES NON – RELIGIEUX
( Rendre son humanité au prophète de Nazareth ) Éditions KARTHALA : collection SENS & CONSCIENCE
Jacques MUSSET est né le 29 mars 1936, il a 88 ans.
Il a été successivement aumônier de lycée, animateur de groupes bibliques et formateur à l’accompagnement des malades en milieu hospitalier.
Ancien prêtre, marié, il a écrit plusieurs livres sur son itinéraire spirituel. Il anime des sessions de l’association culturelle des Amis de Marcel LÉGAUT.
Nous avons eu l’occasion de le côtoyer et de découvrir sa spiritualité dans différentes rencontres organisées par la fédération des Chrétiens du Parvis, à laquelle nous appartenons.
Qui sont les Non – Religieux , pour Jacques MUSSET ? On pourrait penser que son livre vise les agnostiques et les athées . C’est vrai . . . et pas vrai !
Cet ouvrage s’adresse principalement à des chrétiens qui, tout en demeurant attachés à la figure de JÉSUS, ont pris leur distance avec leur église, et notamment la Catholique.
Jacques MUSSET se classe lui-même comme un Non-Religieux , c’est-à-dire comme un chrétien qui dénie à l’institution religieuse de gouverner sa route et sa spiritualité.
Comme les Non-Religieux, il ne peut accepter ni supporter que l’on ait enfermé le personnage de Jésus ( son message, son approche responsable ) dans un système religieux
avec ses dogmes. . . ( Ce qu’il faut croire ),
sa morale . . . ( Ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour être un bon chrétien ),
ses rites . . . ( Comment célébrer pour être en relation avec Dieu )
et sa hiérarchie sacralisée . . . ( qui fait loi et à qui obéir ).
Jésus n’a pas institué une religion ; il a initié une manière de vivre humainement dans toutes ses dimensions.
Les « non-religieux » sont ceux qui reconnaissent à la science et à la recherche le pouvoir de dresser d’autres représentations possibles de Dieu.
Les Non-Religieux ont abandonné la conception théiste de Dieu ,
La conception « théiste de Dieu « . . . Qu’est-ce que cela veut dire ?
le Dieu théiste est celui qui a créé le monde et tout ce qui existe , dont l’homme .
- C’est un Dieu qui conduit l’histoire humaine et les destins individuels en leur attribuant à chacun une vocation.
- C’est un Dieu qui rétribue le bien et punit le mal,
- C’est celui qui peut grâce à sa puissance opérer des miracles dans l’univers et dans la vie des individus,
- C’est celui qui a parlé pour se faire connaître et pour révéler aux hommes comment se comporter en humains.
Cette conception de Dieu pour J.M. est totalement invraisemblable
Jacques MUSSET distingue deux catégories de « NON – RELIGIEUX ».
La première, dont il fait partie, désigne des chrétiens qui ont déserté les églises dont ils étaient membres. Dispersés géographiquement, un certain nombre d’entre eux sont membres de petites communautés où ils se rencontrent pour échanger et se soutenir. Ils méditent les Évangiles, partagent le pain et le vin en mémoire de Jésus pour réanimer en eux l’esprit d’authenticité et de fraternité qui l’animait.
Les Non-Religieux ne se retrouvent plus dans la doctrine officielle , celle que leurs Église d’origine continuent de professer sur Jésus.
Ils ne se retrouvent plus dans les liturgies qui le célèbrent,
Ils ne se retrouvent plus dans les prétentions des autorités hiérarchiques à parler en leur nom.
Ces chrétiens non-religieux reprochent au christianisme devenu une religion établie, d’avoir dénaturé Jésus.
Ils sentent un décalage phénoménal entre ce que fut Jésus de Nazareth, l’intrépide marcheur sur les routes de Galilée, pressant chacun à « vivre vrai « , et l’auguste personnage divin à l’identité figée, définie par les dogmes promulgués aux 4èmeet 5ème siècles.
Ainsi Jacques MUSSET nous présente dans son ouvrage des penseurs chrétiens actuels, porteurs tous d’un témoignage vécu en lien avec la personne de Jésus dans la culture de notre temps. Leurs écrits se complètent, aidant leurs lecteurs à devenir des chrétiens « adultes « . Les médias , fortement influencés par les appareils institutionnels religieux ayant pignon sur rue, les considèrent comme « pas très catholiques ! » , et se refusent à en informer leurs lecteurs.
Ainsi l’auteur consacrera un tiers de son étude à la présentation de 7 de ces chercheurs-philosophes-théologiens qu’il qualifie de non-religieux , mais viscéralement chrétiens:
Le philosophe-théologien Lucien LABERTHONNIÈRE ( 1860 – 1932 )
- L’évêque Anglican John Shelby SPONG ( 1932 – 2021 ) dont le premier ouvrage traduit en français en 2013 s’appelait « Jésus , for the Non-Relgious ».
- Le théologien Jésuite Joseph MOINGT ( 1914 – 2020 )
- Le penseur Marcel LÉGAUT ( 1900 – 1990 ) dont une association culturelle perpétue le souvenir et le message à Mirmande ( Drôme )
- Le chercheur-écrivain Gérard BESSIÈRE ( 1930 – . . .)
- Le psychothérapeute Eugen DREWERMANN ( 1939 – . . . )
- Le théologien-philosophe Bruno MORI. ( 1939 – . . . )
Ces chrétiens font subir au christianisme traditionnel une décantation radicale avant de le rebâtir sur des racines évangéliques.
Il y a dans l’ouvrage de J. M. une deuxième catégorie de non-religieux actuels. Ce sont des non-chrétiens de notre temps, agnostiques ou athées mais pour qui Jésus de Nazareth demeure une figure de proue de notre histoire contemporaine ( bâtie dans les sillages des Croisades, des colonies , de la Shoa, de la Terre Promise . . . ) . Ce « Messie juif » ne cesse de les inspirer personnellement. Ils peuvent prétendre au titre de compagnons de route. Leur témoignage est stimulant .
Ainsi J.M. nous livre les analyses et interrogations d’un certain nombre de contemporains dont la fécondité de la pensée apporte une compréhension élargie du pèlerinage de JÉSUS en Palestine.
Le penseur et homme politique Antonio GRAMSCI
L’écrivain Erri De Luca ( nous avons parlé d’une de ses œuvres à l’Atelier )
Le romancier Emmanuel CARRÈRE
Le mystique Charles JULIET
Le poète René Guy CADOU
Avant de progresser avec Jacques MUSSET et d’identifier son cheminement progressif vers l’ humain qu’est Jésus, nous allons nous attacher à l’itinéraire de l’un de ses auteurs chrétiens référencés en la personne de Bruno MORI.
Théologien et philosophe d’origine italienne, Bruno Mori vit à Montréal ( Canada ) depuis 40 ans ; naturalisé Canadien, il a dirigé à Montréal de 1980 à 2002 le Service de documentation pastorale , un Centre culturel renommé et une librairie spécialisée en littérature religieuse.
L’ouvrage écrit par ce dernier donne une mise en relief et un retentissement mobilisateur du cheminement spirituel opéré par Jacques MUSSET : après avoir étudié comment sont nées et se sont développées les religions à l’ère paléolithique quand les humains étaient chasseurs-cueilleurs, puis à l’ère néolithique lorsqu’ils se sont sédentarisés, Bruno MORI s’est intéressé aux fonctions religieuses et sociales exercées par les humains au fil des siècles.
Il a débouché sur la création des mythes chrétiens fondés aux premiers siècles de notre ère. J’en citerai trois parmi ceux développés par B.M. Cela mérite un arrêt sur image qui nous fait toucher du doigt les conséquences de l’irruption de tels mythes dans la liturgie de l’église catholique.
Pour mémoire :
Saint Augustin a créé le mythe « du péché originel « ( inspiré par la faute d’Adam et Ève : tous les humains, descendants du premier couple fautif, naissent imprégnés du péché originel que seul le baptême peut effacer )
L’évêque Anselme de CANTORBERY a validé les mythes de l’incarnation et de la rédemption ( La faute originelle a produit envers Dieu une offense infinie qu’aucun humain ne peut réparer : seul le fils de Dieu lui-même envoyé sur Terre par son Père et s’incarnant, a pu l’expier par ses souffrances et sa mort sur la croix ! )
La revendication de l’Église Catholique d’être la véritable religion aux yeux de Dieu frise le ridicule dans un monde actuel où s’étale la diversité des religions, des philosophies et des traditions spirituelles : sa doctrine, son organisation, sa morale etc. . . n’ont plus de crédit auprès des populations.
Dans une humanité capable de s’autogérer, il s’agit pour Bruno.Mori. d’inventer des sagesses qui stimulent intérieurement les humains à s’humaniser : débattre et appliquer les voies les meilleures pour sauver la Planète, lutter contre les inégalités, instaurer la justice et la fraternité, remplacer la religion par « La Voie ! « .
Un gros mot que « LA VOIE . . . ! » : il s’agit de substituer à une religion chrétienne moribonde ce que les premiers chrétiens appelaient déjà « La Voie ». La Voie , soit une nouvelle manière de vivre de Jésus de Nazareth, assez révolutionnaire pour exercer une si forte attraction sur ses disciples . ( un humanisme actif. ?)
La référence à un Dieu, perçu comme la dimension la plus profonde du cosmos et le cœur qui le fait battre, se substitue à celle du Dieu théiste , à la fois magique et olympien que les chrétiens ont déployés.
Finie l’identification du christianisme avec les doctrines dogmatiques qu’il faut apprendre,
Finie sa confusion avec les mises en scène des liturgies religieuses éthérées, présentées par les prêtres et les pontifes en tenue d’apparat, auxquelles assiste passivement le peuple chrétien
Finie ses prétentions de régenter la pensée et les conduites du monde sécurisé ?
Bruno MORI conclut son ouvrage
<<. Pour un christianisme sans religion : RETROUVER LA « VOIE » DE Jésus. >> de Nazareth.
Par l’émission d’un souhait :
Je suis convaincu que le christianisme aura une chance de survie dans le futur, mais seulement à une condition : s’il est capable
- de retrouver la source originelle de laquelle il a coulé et que la religion a colmatée,
- de se mettre exclusivement à la suite de l’homme de Nazareth,
- De le libérer de l’emprise d’une religion qui l’a séquestré pour le transformer en un chimérique Christ-Fils de Dieu (p 255).
Il est temps de revenir à l’ouvrage de Jacques MUSSET, ainsi introduit par la réflexion théologique et philosophique de Bruno MORI , cité comme l’un des Non-religieux chrétiens par Jacques MUSSET.
CE QUE NOUS VENONS DE DÉCOUVRIR À TRAVERS CET AUTEUR ITALO-CANADIEN EST QUELQUE PEU RÉVOLUTIONNAIRE. . .
Emboitons nos pas dans la trace de ceux de Jacques MUSSET.
Et tout d’abord, quelques questions pour réveiller notre propre capacité d’adhésion aux analyses de jacques MUSSET
Qui est vraiment LE CHRIST ? . . . Est-ce le Messie annoncé par les écritures ? . . .
Est-ce L’ Agneau de Dieu ?
Quelle est précisément sa figure historique ? . . . Quel personnage Jésus de Nazareth a-t-il vraiment été ?
Comment une religion dite « Chrétienne » pourrait s’affranchir du personnage évangélique qu’est Jésus ?
Comment le chrétien pourrait-il vivre dans un Monde sans Dieu ? . . .
Le Dieu théiste est mort ! . . . Mais existe-t-il un autre Dieu . . . ?
Le chrétien peut-il vivre dans une société dont Dieu serait totalement absent , inconnu . . . ?
Être chrétien , ne serait-ce pas tout simplement être humain ? . . .
Quelle responsabilité doit assumer le chrétien dans le milieu au sein duquel il est plongé ?
Que devient la promesse pour chacun d’une vie éternelle après la mort ? . . .
La vie éternelle correspond-elle à une promesse dans les propos de Jésus ?
Jacques MUSSET a introduit son ouvrage par la question de savoir qui sont les personnes interpellées par le livre « Jésus pour les non-religieux « .
Nous avons évoqué la distinction qu’il fait entre deux espèces de Non-religieux.
Il y a ceux qui appartenaient à l’église et s’en sont séparés.
`Il y a ceux qui n’ont jamais rejoint le christianisme , mais connaissent et comprennent les valeurs qui unissent les chrétiens .
Il s’interroge ensuite sur l’absolue nécessité d’actualiser à nos jours la figure du Nazaréen, lequel a vécu à une autre époque que la nôtre . Ce travail d’identification de la personnalité de Jésus permettra de réaliser que Jésus est bien autre chose que « l’opium du Peuple » .
Il n’est pas le refuge des résignés, des névrosés comme le dit Jacques.Musset. ni une assurance-vie pour l’au-delà, comme le laissent entendre certaines formes de christianisme traditionnel
I/ * Qui était JÉSUS de Nazareth , en son temps *
J.M. nous invite à rejoindre en direct l’homme que fut Jésus sur Terre, et non pas le Fils de Dieu,/Jésus/le Messie envoyé sur Terre.
Il s’agit de mettre à la poubelle les images d’Épinal de Jésus , et de s’imposer un travail d’exégèse sur les textes évangéliques pour distinguer le JÉSUS historique ( qui a marqué l’histoire ) du JÉSUS divin ( dépendant d’une interprétation croyante )
D’où la nécessité de faire apparaître les enjeux sur lesquels il a misé sa vie en paroles et en actes, quels combats difficiles il a mené , quels conflits il a suscité, avec qui, . . . et pour quelles raisons il a finalement été éliminé .
Le Jésus historique identifié ne couvre que quelques mois , voire une année et quelque mois . . . Son passé ne nous est pas connu : les révélations tirées de la confrontation des écrits évangéliques et des premières lettres de Paul sont discordantes, voire incohérentes, et ne peuvent prétendent à établir quelque biographie que ce soit.
Le Jésus historique nait , lui, de sa rencontre avec Jean-le Baptiste. Jésus a 34 ou 35 ans.
Il apparaît comme un prédicateur original du règne de Dieu, confronté à une ambiance sociale mouvementée : domination romaine, attente d’une libération du pays, triomphe des justes qui respectent la loi , existence d’une riche aristocratie sacerdotale dont les intérêts économiques n’attendent rien d’un bouleversement divin . . . )
Où Jésus puise-t-il ses convictions qui unissent la cause de Dieu et l’homme dans son humanité ?
J.M. souligne le comportement d’un Jésus accordant ses actes à ses paroles. Il remarque l’extraordinaire souci manifesté par Jésus, tout au long de son ministère , de cultiver par la prière une relation intime avec Dieu.. . . Un véritable ressourcement !
Et toujours des prises de position manifestant une autorité qui a tant frappé ses compatriotes !
De l’avis des historiens, Jésus meurt crucifié le 7 avril 30 ! Son implication dans l’annonce d’un monde nouveau, monde qu’il appelle Le Royaume de Dieu , aura déclencher des conflits dans 3 directions : avec sa famille, avec ses disciples, avec les spécialistes de la loi et gardiens du Temple.
J.M. analyse les raisons qui justifient une vérité essentiellement symbolique des écrits qui nous sont parvenus, et qui en conséquence doivent éviter toute interprétation littérale. Les démonstrations sont édifiantes et font prendre un recul salutaire par rapport au démêlage du vrai – de l’historique- et du faux – de la foi/conviction intérieure-
2/ * actualiser l’esprit de Jésus en notre temps * nécessité et exigences
Une impérieuse responsabilité.
Il ne s’agit pas de copier le Jésus historique
Notre temps n’est plus le sien : après sa mort, durant des dizaines d’années, on a continué à attendre l’avènement sur Terre du Royaume de Dieu . En vain . Jésus l’avait cependant annoncé.
Jésus était un homme singulier
Il n’a pas épuisé toutes les figures possibles d’humanité : justifier aujourd’hui l’impossibilité pour une femme de devenir prêtre ou évêque au motif du sexe de Jésus témoigne d’une piteuse fidélité à la transposition des us suivant les âges.
Les représentations de Jésus concernant le monde, l’homme et Dieu ne sont plus les nôtres.
Les cieux sont vides d’une présence divine, l’univers s’explique très bien sans faire intervenir un créateur divin, le couple humain n’est pas sorti des mains de Dieu mais de la longue évolution des espèces vivantes.
Reproduire, répéter purement et simplement ce que le Nazaréen a dit, fait et vécu serait de l’anachronisme et la pire des infidélités.
Comment se référer aujourd’hui à Jésus d’une manière créatrice.
Un héritage ne demeure vivant que recréé :
Dans une société marquée par l’exigence de comprendre en se référant aux découvertes scientifiques , le chrétien ne pourra accepter passivement des explications qui n’ont plus de sens pour lui. ( J.S.Spong )
La religion juive a le grand mérite de générer un modèle de réinterprétation permanente. La foi juive a sans cesse évolué. Les croyants juifs ont traversé de nombreux bouleversements qui les ont amenés à mettre en question leur catéchisme du moment qui ne répondait plus aux situations nouvelles.
Exemple du livre de Job, qui est une longue protestation contre le catéchisme de l’époque.
Le drame de la conceptualisation du christianisme
Dans les premières doctrines chrétiennes élaborées dans la culture grecque et dans les dogmes sur Jésus aux IVè et Vè siecles, l’accent se déplace sur l’acquisition d’un savoir concernant son identité. La doctrine prétend délivrer une connaissance et non inviter à un changement de vie.
La nécessaire inculturation du christianisme pour qu’il soit crédible : l’usage de ce terme utilisé dans le vocabulaire théologique signifie qu’une tradition spirituelle, née historiquement à un moment donné et dans un contexte particulier à besoin d’être repenser pour prendre tout son sens dans un autre contexte culturel.
Cette « « inculturation « a pris tout son sens quand les indigènes des colonies africaines ont été déversés dans les religions des colonisateurs sans prendre en compte leur propre représentation de l’humain et du divin.
Il en est de même aujourd’hui pour les vieux pays de chrétienté catholique en occident. Les fidèles se sentent étrangers à la doctrine officielle de leur église.
Les exigences d’un christianisme inculturé dans la modernité actuelle
Les représentations traditionnelles de Dieu créateur du monde, intervenant à sa guise, faisant la pluie et le beau temps et conduisant l’histoire en sous-main, sont devenues totalement périmées.
En conclusion , J.M. précise que la nouveauté de Jésus se vit dans l’épaisseur de la vie humaine, culturelle, politique, sociale. C’est à cette condition que l’expérience évangélique a pu, et peut inspirer la vie de femmes et d’hommes de toutes les cultures au cours des siècles.
Cf lettre d’un chrétien anonyme du 2ème siècle à son ami Diognète, non chrétien. P 51 ;
<< Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes, ni par le pays, ni par le langage, ni par le vêtement.
Ils n’habitent pas des villes qui leur soient propres,
ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’rien de singulier.
Ça n’est pas à l’imagination ou aux rêveries d’esprits agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils ne se font pas , comme tant d’autres, les champions d’une doctrine humaine.
Ils se répartissent dans les cités ( . . . grecques et barbares . . . ) suivant le lot échu à chacun ;
ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle.
Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et une patrie une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils partagent tous la même table, mais pas la même couche.
Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies ; leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois.
En un mot, ce que l’âme est dans le corps,
Les chrétiens le sont dans le monde . . .
John Shelby SPONG ( 1931 – 2021 )
Auteur de 26 livres entre 1973 et 2918. Ancien évêque anglican qui s’est libéré des croyances chrétiennes traditionalistes ;
A combattu toute forme de lecture ( et d’interprétation fondamentaliste ) des Écritures ( Ancien et Nouveau Testaments ).
Pour lui, les représentations d’un Dieu tout-puissant et justicier
- ont engendré culpabilité et irresponsabilité
- ont entretenu un machisme clérical vis-à-vis des femmes
- ont entretenu un rejet des homosexuels
J.S.Spong a constaté combien les identités glorieuses données à Jésus après sa mort au fil des siècles étaient aux antipodes de l’homme fraternel qui remet debout des hommes et des femmes marginalisés, rejetés par la religion et la société.
Marcel LEGAUT (1900 – 1990 )
Élève de Normale sup à 18 ans, jeune scientifique , pratiquant dans toutes ses études des principes méthodologiques et des analyses critiques qui lui font poser quelques interrogations essentielles.
Officier de réserve, il est démobilisé après l’armistice de 1940. Quitte l’enseignement supérieur en 1942, pour créer une bergerie dont il assumera la direction jusqu’à sa mort.
A été très influencé par le prêtre Fernand PORTAL, religieux lazariste fortement engagé dans un projet d’union entre anglicans et catholiques. Suspendu brutalement par Rome, Fernand PORTAIL devient aumônier officieux des jeunes étudiants catholiques de Normale sup ( les TALAS ) !
Marcel L. découvre un christianisme de liberté, personnel, centré sur Jésus. Il rejette le christianisme traditionnel avec sa doctrine dogmatique, sa liturgie bien cadrée, son obéissance au Pape, aux évêques et aux prêtres mandatés par Dieu pour diriger le peuple chrétien.
A étudié la manière dont avait surgi les dogmes dés les premiers siècles. Il s’est demandé comment cette culture singulière s’est imposée à tous les chrétiens comme étant la vérité alors qu’elle repose sur des postulats invérifiables, contredits par les acquits scientifiques et fragilisés par des interprétations périmées – car littérales – des Évangiles.
Inculturer la foi chrétienne dans la culture actuelle : cela veut dire qu’une religion doit sans cesse se réinterpréter, pour traduire ce qui en est le cœur dans les manières de penser des cultures où elle s’implante.
Marcel L. est devenu progressivement la cheville ouvrière d’une vaste communauté d’enseignants chrétiens de l’enseignement public, qui se retrouve après sa mort au sein d’une association culturelle dont le siège est à Mirmande (Drôme)
A publié en 1970 : < Intelligence du passé et de l’Avenir du Christianisme >
En 1975 : < Mutation de l’Église et conversion personnelle >
En 1971 ; < L’Homme à la recherche de son humanité >
Il existe une édition de ses dialogues avec le Jésuite François VARILLON, rencontres organisées en 1971 ( Paris ) et en 1978 ( Lyon ) par le Centre Catholique des Intellectuels
DREWERMANN: une phrase résume sa vie et sa démarche:
la psychanalyse est un moyen de libération intérieure
né en 1940 dans la Rhur, il fait des études philosophiques, devient prêtre puis plus tard enseignant.
Jeune prêtre, il exerce son premier ministère dans un centre de cure thermal: les personnes qui viennent là souffrent de maux psychiques liés à des évènements traumatisants, dont ils n’arrivent pas à s’en sortir.
Ni la messe, ni la prière, ni les rencontres avec des prêtres ne les aident à retrouver leur équilibre.
Mais Drewermann se rend compte que le fait de les écouter, de les laisser s’exprimer et d’être pris en considération leur apporte un début de soulagement.
Cette expérience le renvoie au Jésus des Evangiles.
Il s’interroge:
L’Eglise et les chrétiens ne peuvent ils pas s’inspirer de la pratique d’accompagnement de Jésus, l’Ecoutant par excellence, auprès de ses contemporains?
Drewermann se soumet alors à une psychanalyse puis se forme comme thérapeute à l’école de Sigmund Freud et Carl Jung.
Il reçoit ensuite en consultation et aide les personnes à retrouver équilibre et joie de vivre. Il vérifie alors le bien-fondé de son travail thérapeutiques et de sa conception du christianisme comme une Parole qui guérit.
Après une analyse psychanalytique des Evangiles. il est persuadé que sa vision de Jésus comme thérapeute des humains blessés est pour l Eglise catholique plus que jamais nécessaire dans la mesure où elle est incapable à les guérir; elle les considère comme pécheurs. p 144 (la parole qui guérit)
Cette incapacité selon Drewermann est la conséquence d’une infidélité à la traduction biblique et à celle de Jésus et des Evangiles par rapport à sa conception du salut.
Comment en est-on arrivé là?
Le point de départ, c’est l’interprétation littérale de l’homme biblique comme s’il s’agissait de données historiques;
Or, la Genèse est un mythe,une réponse aux questions des Juifs des 7 et 8ème siècles avant Jésus qui se posent des questions: pourquoi le mal? Pourquoi la jalousie , le besoin de dominer? Pourquoi la mort?
Après la venue des prophètes, Jésus révèle à travers sa pratique d’accueil, d’écoute, de libération offerte sans condition, le visage d’un Dieu, partenaire de l’homme: c’est le message véhiculé par les 1ers chrétiens:
Mais au 2ème siècle après JC, se met en place un mythe chrétien en lien avec le mythe biblique des origines: Jésus par son sacrifice sur la croix sauve tous les humains de leur condition pécheresse, héritée du péché d’origine. En interprétant littéralement l’affirmation de Paul dans sa lettre aux Romains 6.11 p146 «Par le baptême, considérez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu, en Jésus-Christ. », autrement dit »Vous avez été sauvés, vivez comme tels ». Les chrétiens n’ont plus qu’à entretenir leur fidélité à Dieu par une adhésion aux dogmes, par l’observation de leur hiérarchie religieuse mise place- leur dit-on- par Jésus lui-même. Voilà la dérive mortifère.
Pour les hommes d’aujourd’hui, cette attitude de l’église défendant sa morale et sa doctrine qui traite durement les chrétiens qui n’obtempèrent pas, est inhumaine et ne reflète pas l’attitude de Jésus et son accueil des personnes dans leurs histoires singulières.
Selon Drewermann, l’exégèse historico-critique des Evangiles montre qu’ils ne sont pas des reportage en direct du vécu du peuple juif,mais des interprétations et des prises de position pour en révéler le sens profond. Ainsi est interprété l’évènement Jésus par les apôtres : pour eux, la mort physique de Jésus n’a pu avoir raison de la Vie qui l’habitait. Il demeure Vivant de cette Vie-là.
La pratique thérapeutique de Jésus est présente dans toutes les pages des Evangiles à travers les miracles, qui sont la mémoire grossie des premières générations chrétiennes sur l’aventure de Jésus thérapeute. Ces miracles sont toujours possibles aujourd’hui « il n’y a de salut qu’à travers une conversion… une transformation qui conduit l’individu de passer de la mort à la vie ».
En conclusion, Drewermann pense que le christianisme primitif a dévié de sa trajectoire initiale et que la Parole qui engage à s’humaniser est devenue une institution rigide ignorant les péripéties humaines.
Ce moralisme de l’église catholique, générateur d’angoisse, a généré selon lui des névroses.
A cause de sa lecture psychanalytique des évangiles et de l’audience qu’il recueille, à cause des idées qu’il défend, Drewermann est sanctionné: interdiction de célébrer, de prêcher ou de confesser et d’enseigner.
En position d’excommunication de fait, Drewermann quitte l’église catholique en 2005.
Jacques Musset a écrit un chapitre intitulé
JÉSUS INSPIRATEUR D’AGNOSTIQUES ET D’ATHÉES EN NOTRE TEMPS
Jésus parle aussi aujourd’hui à des non-chrétiens qui ont peut être entendu parler de Jésus et s’efforcent de vivre d’une façon juste, solidaire et pacifique.
Jacques Musset cite quelques noms : le penseur et homme politique Gramsci, les écrivains Emmanuel Carrère, Erri de Luca , etc. qui ont puisé et puisent entre autres sources, au témoignage de Jésus et à certains de ses disciples.
Ces hommes et ces femmes vont trier pour discerner et choisir ce qui dans sa manière de vivre , de parler et d’agir de Jésus, leur est leçon de vie.
Quels sont les aspects de l’itinéraire et de l’enseignement de Jésus auxquels ils peuvent être sensibles?
1°) Jésus est un homme qui a cherché et trouvé sa voie. qui a été comme la nôtre , une naissance progressive à lui-même: chemin évolutif dont il ignore par avance jusqu’où il le conduira.
Après avoir été le disciple de Jean Baptiste, Jésus « se met à son compte ».
Les foules viennent à lui, c’est le succès, mais assez vite l’opposition des religieux se dresse contre lui. Jésus sait se défendre et il se ressource au cours de nuits de silence à l’écart.
Dans ce combat de fidélité, Jésus, pour tracer son chemin et découvrir « sa mission » a dû assumer sa solitude fondamentale.
Des évènements vont l’appeler à élargir ses perspectives de départ et faire découvrir des dimensions nouvelles de sa « mission » auxquelles il n’avait pas songé: La cananéenne, la samaritaine par exemple
jésus s’est risqué à inventer son chemin à ses risques et périls mais au fur et à mesure, il a été convaincu que son action était libératrice.
Et lors des derniers jours de son existence qui semblait se terminer par un échec , il ne renia rien de ce qu’il avait vécu et l’assuma en toute liberté .
Jésus nous invite à inventer notre chemin pour devenir ce que nous avons à être.
2°) L’humanisme de Jésus est une mine où puiser à sa convenance
tout l’enseignement de Jésus vise à aider chaque être humain rencontré à naître à lui-même, à devenir lui-même en inventant son propre chemin d’humanité.
Le coeur de son enseignement se résume à cette phrase: la vraie vie est en vous.
Naître à soi-même c’est pour Jésus veiller incessamment à vivre dans la vérité
Mais comment vivre en vérité?
- en incarnant ses convictions dans le quotidien de l’existence, dans les choix qui sont posés, dans la qualité de la relation avec autrui, dans le rapport avec l’argent. Le critère n’est pas l’appartenance à une religion.
- en débusquant les l’illusions et les perversions possibles: Jésus met à nu la contradiction entre le dire et le faire.
- en cultivant la lucidité et en développant sa liberté intérieure
- en étant cohérent dans notre pratique entre le penser, le dire et le faire pour construire solidement l’humain en soi
- en pratiquant l’échange avec autrui afin de vivre en authenticité.
- en consentant à rencontrer l’épreuve et à en faire un tremplin de maturation; cette épreuve vécue par Jésus est incontournable: perdre sa vie pour la sauver c’est se dépouiller de tout ce qui fait obstacle à la naissance à soi-même, c’est expérimenter au fur et à mesure du ménage que l’on fait en soi que l’on advient peu à peu à sa véritable identité.
- en pratiquant une fidélité endurante à longueur de vie; l’essentiel est d’être en marche
- en osant prendre le risque de faire fructifier à sa manière son potentiel d’humanité .
Pour Jésus, l’unique responsabilité de chaque être humain est de construire l’humain en lui au fil des évènements et des rencontres, d’être le sel de la terre. Nul ne sait l’impact exact de sa vie aussi féconde qu’elle ait pu être. Chaque être est ferment pour d’autres.
Jésus désigne toujours Dieu comme source de son inspiration et de ses engagements. Dieu est l’appel à pratiquer l’ouverture permanente et à dénoncer les apparences trompeuses, les petits arrangements, à affronter les orthodoxies qui se font passer pour la vérité.
La société moderne, pour qui le mot »Dieu » est vide, ne peut-elle pas être sensible à l’exigence que ce mot impliquait pour Jésus c’est à dire:
– penser et agir dans la rectitude intérieure
– redonner dignité aux humains mis au rancart
– contester le système qui déshumanise
– changer de comportement.
Et Jacque Musset de conclure
Ces femmes et ces hommes modernes n’éprouvent-ils pas le même appel intérieur quand ils s’efforcent de vivre vrai? n’expérimentent-ils pas là la même source inspiratrice que Jésus?
* * * * *