Atelier de Lectures Oecuménique du 18 janvier 2024
« Le défi de Jérusalem »
Un voyage en Terre Sainte d’Eric-Emmanuel Schmitt (2023)
présenté par Geneviève Guyot
Éric-Emmanuel Schmitt, né le 28 mars 1960 à Sainte-Foy-lès-Lyon, est un dramaturge, nouvelliste, romancier, réalisateur et comédien franco-belge. Il vit en Belgique.
1-Origine du livre :
Ce voyage a été proposé à l’écrivain par le Vatican dans le but de l’élaboration d’un journal de voyage ou d’un livre (« au Vatican, nous apprécions votre foi et votre liberté »)
E-E Schmitt se pose alors des questions sur le but de ce voyage :
–Pourquoi partir ?
1ere réflexion : « Ma foi ne sera pas modifiée quand elle aura gagné des pieds ! pourtant j’aspire à m’y rendre »
2e :« Irais-je à Jérusalem pour donner un corps à ma foi ? »
Il finit par accepter ; Il dit p.12 « Pourtant, à l’instar de tant de pèlerins …. Marcher là-bas où tout a débuté …à m’y rendre. »
il y aura 3 étapes :
il sera pèlerin parmi les pèlerins dans un groupe ; puis seul à Jérusalem et enfin il aura des entretiens avec Lorenzo Fazzini du cabinet du St Siège.
3e : ce voyage est en cohérence avec le livre qu’il est en train de terminer : « Soleil sombre » qui se situe en Egypte du temps de Moïse (-1650) et qui s’en ira en direction de la terre promise… (3e partie d’une œuvre intitulée « La traversée du temps »)
2- Le point sur son parcours spirituel avant son pèlerinage :
-Dans son enfance il ne voyait que l’absence de Dieu ; il n’entendait que son silence. Il n’avait pas connaissance de Jésus, juste de la sympathie pour son personnage.
-Il est allé au catéchisme à l’âge de 10 ans où il a été initié aux valeurs chrétiennes mais pas de connaissance des Evangiles.
-Ensuite il a fait des études supérieures classiques évoluant dans le paganisme.
En philosophie il acquiert un athéisme articulé et instruit.
-Il fait une thèse de doctorat sur la métaphysique de Diderot (lequel a été emprisonné pour athéisme).
-En 1989, il a 28 ans, il part à Tamanrasset pour l’écriture d’un scénario sur la vie de Charles de Foucauld. Il entre dans le Sahara athée, il en ressort croyant. Il décrit sa crise mystique dans son livre « La nuit de feu ».
-Plus tard à Paris, il lit les Evangiles où il découvre que Jésus place l’amour au-dessus de tout. A partir de là, la pensée de Jésus ne le lâche plus .il a un grand appétit de savoir mais il découvre que cette recherche exige de lui un changement radical.
Il doit accepter le mystère : « le mystère ne réside pas dans l’inconnu mais dans l’incompréhensible… »
Questions :
-Dieu se fait Homme ?
-Le hors-temps surgit dans le temps ?
-l’Eternel s’habille d’éphémère ?
-Le Transcendant se mue en Immanent ?
Les deux mystères du christianisme auxquels il adhère :
L’Incarnation : Dieu a pris chair, os, voix et sang en Jésus, et la Résurrection.
« Le christianisme ne nous aide pas à penser l’impensable, il nous incite à l’affronter humblement … ». « La raison n’embrasse pas tout, l’essentiel lui échappe peut-être … »
3- Le voyage en Terre Sainte :
—-La 1ere étape est à Nazareth : « pourquoi Dieu a choisi un trou pareil ? C’est une ville banale » p.62 : « Maintenant la ville de Nazareth…ordinaire. »
Il loge chez les sœurs de Notre Dame et visite la ville ; il fait la rencontre de son groupe de pèlerins ; ils sont Réunionnais.
On lui propose d’aller aux Vêpres : il n’en a pas envie… « je n’avais pas envie de partager ma foi ni d’appartenir à une communauté ni de ritualiser une vie spirituelle faite d’une croyance sauvage, personnelle… »
—S’ensuit un monologue où il se dit qu’il manque d’humilité. p.70-71-72 : « J’arpente ma cage…où la liturgie a débuté. »
Finalement il y assiste. Il en sort moins dominant, fragile. » L’ancien Schmitt cédera sa place au nouveau ; du moins il essaiera. »
Il va au Lac de Tibériade : là le paysage est intact, le temps est comme aboli ! La nature le ramène au temps de Jésus.
Ensuite c’est la visite au rocher de Pierre ; il y a une chapelle très moche bâtie sur plusieurs églises successives. Messe au bord du lac.
—Il voit mieux ses compagnons.p.88 : « lorsque la messe s’achève…mon banc. »
Puis Capharnaüm : jungle de ruines … …C’est là que Jésus a commencé à enseigner …
Fatigue, chaleur en montant au mont des Béatitudes où a eu lieu le sermon sur la montagne. Il comprend là le vrai sens des Béatitudes :
p.99 « Or un jour j’ai compris que …le bonheur se trouve chez ceux qui pratiquent les vertus d’humilité, de douceur, de sensibilité, de probité, de compassion, de pureté, de pacifisme, de rébellion … »
—C’est un appel à la sainteté, un chemin pour œuvrer à la paix à la justice et à la solidarité.
(Le guide l’informe que Charles de Foucauld avait voulu acheter le mont des Béatitudes ; refus du gouverneur ottoman de l’époque ; le sœurs franciscaines l’obtinrent plus tard)
A Nazareth il entre dans l’enceinte du couvent où Ch. de Foucault a séjourné. Cela lui remémore son voyage au Sahara et son expérience mystique.
p.102 : « Quoi ? lui ? toujours lui ? …mystique. »
Pour lui le saint est un intercesseur, un guide. Il se sent frère des personnes ayant vénéré des saints au cours des âges. « Les saints nous indiquent la voie ; nous avons besoin d’eux. »
—nouvelle étape : maintenant il se lève tôt sans rechigner.
Visite à la Basilique de l’Annonciation : « Et le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » c’est le lieu de l’incompréhensible ; il hésite avant d’entrer…Il suit la messe en italien
—p.124 : « Célébrer l’Annonciation, je le souhaite peu ; en revanche célébrer l’Incarnation, ce mystère essentiel et supérieur, je le désire. »
Mont Thabor lieu de la Transfiguration ; il fait la fin de l’ascension à pied puis messe revigorante avec son groupe ; p.139-140 : « trop de spectaculaire, …toujours ».
— il discute avec les autres pèlerins. « Même lorsque nous sillonnons des sites à l’attribution incertaine, nous saisissons la possibilité de décortiquer un point spirituel…voilà le paradoxe du pèlerinage : la vérité qu’il recherche n’est pas celle de la terre, mais celle du ciel ».
—Passage à Césarée ; baptême de Corneille par Pierre ; révolution : le baptême n’était pas réservé au peuple élu mais il était ouvert aux païens… »
—Certains moments de ce pèlerinage le déconcertent ; ils ne suscitent aucune méditation en lui …ainsi à Megiddo place forte mainte fois attaquée et dont le nom a été transformé par Jean en Armageddon dans l’Apocalypse ; forte réserve concernant ce livre…
— il rencontre un Américain témoin de Jehova ; son récit est digne d’un film catastrophe ! mais est- ce une secte ? la secte est toujours la religion des autres se dit-il ?
—Bethleem : basilique de la Nativité : petite porte qui donne une impression d’entrer dans une caverne puis immense nef ! Le groupe s’approche de la grotte de la Nativité sous la basilique. Ils attendent la fin des célébrations qui se succèdent dans diverses langues.
p.165 : « Quoi ? Nous voici réduits …le lieu même de sa naissance. »
Ils finissent par y entrer. p.169-170 :« Résultat ? J’accomplis la gymnastique du pèlerin …déconcerté. »
—Le mur …sanction d’un échec historique et politique : il incarne l’impossibilité d’arriver à la paix ; deux vérités qui s’excluent ; affrontement de deux légitimités déniées par les deux …tragédie …guerre fratricide… « la conscience d’une fraternité originelle parviendrait-elle à modifier les esprits, à induire de nouveaux comportements ? »
—Messe à l’hôtel tenu par des Palestiniens chrétiens ; il songe aux siens qui subissent des épreuves ; il pense à la lenteur avec laquelle il a adopté le rythme liturgique du pèlerinage ;
—Question ; « serai-je enfin désencombré de moi-même ? »
—Rencontre avec des sœurs de l’Emmanuel de rite byzantin : p.194 « une sorte de vertige me prend … adoucir les mœurs. »
—Visite au tombeau de Lazare : p.201-202-203 : « Lazare, sors ! …quel cadeau ! »
A propos des miracles de Jésus, il parle de Thomas et contredit ses paroles ainsi :
p.204-205« Tu ne vois que ce que tu crois ; nous avons appris à regarder le monde à travers des concepts, …ma pensée dessus ».
« Croire reste un saut. Se rallier au christianisme ne relève pas du rationnel, c’est consentir à un signe. Foi et refus de la foi expriment notre liberté. »
Visite à l’église de la Visitation. Il médite sur le oui de Marie et le « Magnificat ».
p.214-215 : « Me vient à l’esprit que …notre époque marche sur la tête en valorisant le non…au chemin qui y conduit. »
—En route pour Jérusalem
1ere impression : chaleur, remparts, « Ville qui rejette sans accueillir ; Le dôme du rocher tout recouvert d’or domine, il nous foudroie ». Elle l’impressionne, c’est une citadelle inhospitalière ; qui exhale de l’agressivité, de la méfiance, des violences, de l’insécurité. » Jérusalem est tragique. Il éprouve un malaise devant une puissance hostile. Pourquoi cette crainte ?
Il prend pension chez de sœurs maronites libanaises.
—pour aller au Saint Sépulcre, il traverse avec son groupe, des venelles étroites et odorantes, encombrées de boutiques en tout genre : nourriture et souvenirs. Ils arrivent sur une place où une foule bigarrée piétine devant l’église du Saint Sépulcre.
Il entre et se colle à son groupe ; p..241 : « au hasard, je me règle sur le pas de ceux qui empruntent la suite de marches usées …Jésus aurait agonisé là ».
——-p.242 -243-244-…250 : « Que fais-je ici ? …Je vais m’extraire de ce rituel imbécile. Un calcul me retient……Par amour. ».
p.253 : « depuis hier, Jésus n’est plus reclus dans une histoire ancienne, révolue, mais il est là…sans amour on ne souffrirait pas. »
—Chemin de croix : dialogue intérieur avec jésus au long des stations ; puis visite du tombeau. Le lendemain il a l’impression d’être fourbu, cassé, concassé.
—Emmaüs : » j’y arrive sombre, épuisé, inquiet, j’en repars heureux, une lumière dans le cœur… Elle est celle de la résurrection. »
p.298 : « L’athée est celui qui croit en la mort, il y voit le néant. Le chrétien est celui qui croit en la vie dont il attend qu’elle triomphe du néant. Tout relève de la croyance quand il s’agit d’appréhender ce que nous ignorons. »
—Le mont Sion, ils vont au Cénacle. p.301 : « Je songe à l’Eucharistie dont l’apparition se produisit ici…sens à mes yeux. »
Réflexion sur le rôle de Juda : p.304 : « Jésus a demandé à Juda de le dénoncer. Il a exigé de lui …du groupe. » p.305 : « Par là j’avais à cœur de couper le mal à la racine…deniers. »
Nuit difficile, rongé par la conscience de ses péchés : « J’ai fait souffrir…, ces heures pénibles constituent la contrepartie aigüe et douloureuse du cadeau reçu au Saint Sépulcre. Après qu’il me fut donnée l’assurance que Jésus me parlait, j ‘obtiens maintenant la terrible confirmation que j’ai péché à maintes reprises. »
—dernier jour du pèlerinage : visite des deux autres Jérusalem : la juive et la musulmane.
Le mont du temple pour les juifs, l’esplanade des mosquées pour les musulmans. Espace sacré pour les deux religions. Place vide qui insuffle un sentiment d’humilité et de sublime : crainte et respect, étonnement et émerveillement. C’est une invitation au détachement, à la modestie, à la sérénité.
Il contemple une dernière fois Jérusalem, le cœur rongé par la mélancolie. « Pourquoi les peuples s‘avèrent-ils incapables de se comprendre, surtout quand ils vénèrent le même Dieu ? »
—Il arrive au Mur des Lamentations. « Pendant 2000 ans, les juifs venaient pleurer la destruction du Temple et leur exil, maintenant leur présence manifeste leur attente du Messie. » Il se questionne : Pourquoi n’ont-ils pas reconnu Jésus comme Messie ?
Avant de quitter Jérusalem il la contemple depuis le Mont des Oliviers. Il constate une certaine harmonie qui se dégage de la profusion des différentes architectures. Les pierres coexistent à l’inverse des hommes.
Jérusalem le jauge, c’est elle qui l’observe : « Te voilà chrétien, cependant tu aurais pu demeurer athée ou baigner dans une civilisation juive ou musulmane…relativise un peu. »
« Non ! je m’insurge, rien ne s’équivaut. Même quand elles parlent d’un seul Dieu, les religions se distinguent. ». » Je n’ai pas choisi mon Dieu, lui m’a choisi. Touché, j’ai consenti à ce qui m’est apparu, j’ai accepté la vérité. ». « Qu’est-ce-que la Vérité ? ». « Avoir une religion ce n’est pas détenir la vérité. Aucune religion n’est vraie ou fausse. Quand on pratique un culte, on possède une manière de vivre et de penser. A la différence de la raison qui soumet notre esprit, la religion sollicite notre liberté. »
—Le défi que Dieu lance aux croyants, aux incroyants, outrepasse ce qu’ils s ’imaginent. Il ne dit pas « Entendez-moi !» mais « Entendez-vous ! ». A Jérusalem où tout a commencé, rien n’est fini. p.331 –332 : « A Jérusalem plus que partout ailleurs, Dieu nous provoque, il ne nous pousse pas seulement vers le divin, il invoque notre humanité …le défi de Jérusalem ».
« Mon christianisme ne constitue pas un savoir, mais une façon d’habiter ce que ma raison ignore…lumière. »
—il quitte ses compagnons de pèlerinage ; il est fracassé, épuisé. Que se passe-t-il ? Il a du mal à se sortir du lit ! p.341 : « Le choc du Saint Sépulcre le percute et se répercute, forçant le passage, brisant mille barrières, créant un homme nouveau. J’avais négligé la révolution d’une révélation ! …Il faut se reconstruire, tout repenser, modifier son vocabulaire, s’aboucher avec d’autres références. Changer. » « Je saute d’un christianisme spirituel à un christianisme incarné. C’et la première fois que ma foi gagne cinq sens. »
p.350-351 : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? Quel défi !…Ma foi est devenue un assentiment au réel. »
Il retourne devant le Saint Sépulcre mais n’y entre pas. Il médite et prie.
p.354 : Pourquoi ne pas y entrer ? …gratitude infinie. »
—Fin de son périple. Il s’installe à l’école biblique et archéologique de Jérusalem. « Voici l’endroit où je terminerai ma mue. » Il y rencontre le frère Jean Baptiste Humbert archéologue.
Celui-ci dit de Jérusalem : « Non seulement tout y est outré, mais tout est faux. Voici une ville qui célèbre un temple disparu, un tombeau vide et un rocher caché à l’attribution douteuse. »
Il assiste aux vêpres, perdu, dépassé. Mais il vibre à l’écoute des chants. « De jour en jour, je me rapièce, je recolle les morceaux, j’unifie ma pensée, je trie l’essentiel et l’accidentel, je prie. Souvent je me lève à l’aube pour participer à la messe. Je suis saisi par une fringale d’Eucharistie. »
–p.367-368 : Chaque religion met une vertu en avant …L’incarnation. »
- 370 : Au fur et à mesure de ce voyage, rien ……ce qui me dépasse. »
—Adieu à Jérusalem : il va au mémorial de Yad Vashem : il en sort, brisé, sonné, muet, hagard. » Comment l’humanité peut-elle à ce point se retirer de l’humanité ? ». « L’essence de l’âme juive comprend la crainte permanente de sa destruction. Si rien ne légitime la violence, l’histoire l’explique. Expliquer ne revient pas à justifier. ». « Je pensais traverser Jérusalem, Jérusalem m’a traversé. »
—Retour en passant par Rome ; discussion avec Lorenzo Fazzini sur la possibilité d’écrire un livre de témoignage sur ce qu’il vient de vivre.il en conclut que pèlerin parmi les pèlerins il doit raconter ce qu’il a vécu.
—Rencontre avec le pape. Sa bienveillance l’apaise, le grandit. Il lui parle de ses conceptions et de ses interrogations et lui raconte son long cheminement vers la Foi.
—Conclusion : Il lui semble évident maintenant que l’esprit avance avec les pieds.p.401 : « marcher, s’épuiser …route. Pourquoi partir ? …hygiène nécessaire. »
p.404-405 : on ne devient pas chrétien parce qu’on a élucidé le mystère…le ciel. »