Atelier de Lectures Oecuménique du 13 février 2025

présenté par Gérard Houssin
Visages du Christ dans le Premier Testament
Michel Barlow, Editions Cabédita 2024
Michel Barlow n’est pas un nouveau venu dans l’édition. Ce lyonnais a écrit près d’une trentaine de livres, dans le domaine de la littérature, de la pédagogie, de la théologie. Catholique d’origine, il s’est converti au protestantisme il y a quelques années et a publié à ce sujet Le bonheur d’être protestant , un livre que certains ici connaissent. Il viendra d’ailleurs lui-même en mai nous parler de son itinéraire spirituel qu’il décrit dans son tout dernier livre, Le Christ, miroir de nos vies.
Mais revenons au présent ouvrage. De quoi s’agit-il ?
Nota bene : dans le résumé que je vous propose, ce sont le plus souvent les mots de l’auteur lui-même, complétés de quelques phrases de liaison de ma part.
On répète à l’envie que la venue du Christ avait été annoncée par certains auteurs du Premier Testament. L’évangile de Matthieu fait même de cette idée un refrain de ses récits : « Tout cela arriva pour que s’accomplissent les Ecritures. » Il faut y regarder de plus près ! Mais, comme toujours, le texte ne prend sens que dans son contexte : dans quelles circonstances, pour quels interlocuteurs cela a-t-il été écrit ?
Ainsi situées, ces annonces prémonitoires, ces « figures du Christ » sont-elles toutes ressemblantes ? Et sinon, l’écart, le décalage entre l’annonces et sa réalisation donne à penser et à prier, renouvelle, si besoin était, notre compréhension et surtout notre amour du Christ, notre espérance et notre vie.
C’est cette filiation entre les deux Testaments à propos du Christ que tente de décrypter Michel Barlow dans ce livre, Visages du Christ dans le Premier Testament qui vient de paraître en 2024 aux Editions Cabédita.
PREMIER CHAPITRE : L’EMMANUEL
Le livre commence immédiatement par une citation percutante : « Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’on déclaré les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit cela et qu’il entrât dans sa gloire ? Et, commençant par Moïse et pat tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait. »(Luc 24,27). Luc, et Michel Barlow, soulignent d’emblée un premier décalage entre l’attente des disciples d’un Christ puissant, et l’image du Christ humble et souffrant.
Alors, semblables ou pas, les deux Testaments ? Matthieu nous en propose une synthèse en une phrase : Jésus «n’est pas venu abolir, mais accomplir la loi et les prophètes » (Mt 5,17).
Le premier accomplissement, c’est la prophétie dite de l’Emmanuel, celle de l’incarnation, annoncée par Esaïe lui-même en 7,14 : « Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel ».
Mais, ajoute Michel Barlow, regardons-y de plus près. A quelle occasion et face à quelle situation Esaïe a-t-il prononcé cet oracle ? Les circonstances ! Toujours regarder les circonstances particulières, pour ensuite saisir la portée universelle !
Le royaume de Juda est en danger, Jérusalem et assiégé, le roi Akhaz prend peur. Esaïe lui dit d’avoir toute confiance en son Dieu qui promet un signe fort : confiance ! L’avenir est assuré, car un enfant naitra d’une femme. On a à faire à une prophétie messianique qui annonce un avenir radieux pour le peuple juif d’alors, mais aussi pour les croyants à venir. Au-delà de la naissance d’Ézéchias, fils du roi, c’est le Messie, l’Emmanuel, qui est annoncée et proposée à l’espérance des croyants d’hier et de tous les siècles à venir. A noter, précise Michel Barlow, que le texte hébreu emploie le mot almah, qui veut dire femme, tandis que la traduction grecque dont nous avons hérité emploie le mot parténos, qui veut dire vierge.
Pour conclure ce premier chapitre intitulé l’Emmanuel, l’auteur évoque « la plus parfaite des citations d’accomplissement qu’on puisse trouver dans les évangiles », en Luc, chapitre 4 . A la synagogue, Jésus ouvre le Livre et lit un passage d’Esaïe, chapitre 61 : « l’Esprit de Dieu est sur moi. Le Seigneur, en effet, a fait de moi un messie, il m’a envoyé porter un joyeux message aux humiliés, aux captifs, etc. » Puis il referme le Livre sur le verset 21 : « aujourd’hui, cette écriture est accomplie », laissant l’assistance médusée : Cette bonne nouvelle d’être libérés s’adressait aux exilés de Babylone. Elle s’adresse aussi à eux, à nous.
DEUXIEME CHAPITRE : LES QUATRE CHANTS DU SERVITEUR
Nous allons rester avec le prophète Esaïe, car le second chapitre s’intitule « les quatre chants du Serviteur ». Ce sont quatre textes poétiques répartis en plusieurs endroits du livre du prophète, mais qui forment un ensemble cohérent. Notons au passage que, ce n’est pas anodin, Esaïe et Jésus signifient étymologiquement tous les deux « Dieu sauve ».
Dès le début du premier chant (42,1-19), on a le sentiment de lire une description de l’action et de l’enseignement de Jésus-Christ : « Voici mon Serviteur que je soutiens, mon élu que j’ai moi-même en faveur, j’ai mis mon Esprit sur lui ». ce verset et les suivants sont cités presque mot pour mot par Matthieu (12,18-21), juste après la guérison d’un homme à la main séchée : « Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé en qui je trouve mon bonheur».
On entend « une voix venue du ciel » reprendre ces mêmes parole lors du baptême de Jésus (Mt 3,17), et dans la bouche du vieillard Siméon bénissant le bébé Jésus (Lc 2, 30-32).
Le deuxième chant continue dans le même sens, quand le fameux Serviteur déclare (49,6) « Dieu m’a dit : je t’ai destiné à être la lumière du monde. Puis, le chant amorce le thème qui sera magnifiquement orchestré dans le troisième et surtout le quatrième chant : l’incompréhension que rencontre le Serviteur, et que rencontrera Jésus. Ces deux chants semblent une annonce prémonitoire de la Passion de Jésus Christ. Ils parlent du Serviteur « livré aux moquerie de la soldatesque ». Matthieu écrira (26,7 et 27,30) « Alors ils lui crachèrent au visage et lui donnèrent des coups ; d’autres le giflèrent ». Chez Esaïe, « le Serviteur apparait sûr de l’aide du Seigneur (50,7) : « Le Seigneur me vient en aide ; je ne cède pas aux outrages, j’ai rendu mon visage dur comme du silex, dit-il ». « Cette expression fait penser à ce passage de Luc (9,51) qui dit « Jésus durcit son visage », lorsqu’il prend la route pour Jérusalem en sachant très bien que la mort l’y attend.
Le quatrième chant du Serviteur (Esaïe 52,13-53,12) annonce tout à la foi la Passion et la Résurrection de Jésus le Christ…, en une sorte de dialogue entre les souffrances du serviteur et la promesse de son exaltation. « Voici que mon Serviteur réussira, il sera haut placé, exalté à l’extrême… ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées ». En termes de rituel juif, on peut dire que le Serviteur fait de sa vie « un sacrifice de réparation (53,10), il s’interpose pour les pécheurs (53,12) ». Et Jésus, « l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde »(Jn 1,29) fait de même.
Mais finalement, qui était donc ce Serviteur, chez Esaïe ?
Il existe actuellement quatre hypothèses :
- Pour certains, le serviteur aurait été un roi de Judas ou d’Israël, ainsi Yoakim, qui s’avança tout seul au-devant de l’armée ennemie pour se livrer à elle, et dont la captivité dura trente-sept ans. Peu probable, car ce fut par ailleurs un roi impie.
- Pour d’autres, le serviteur serait l’un des prophètes ;Jérémie notamment.
- Pour d’autres biblistes, le serviteur serait le peuple juif dans son ensemble, messager de Dieu pour l’humanité entière.
- Finalement, conclue Michel Barlow, aucune de ces trois hypothèses n’apparait pleinement satisfaisante. Le Serviteur est un personnage trop absolu pour avoir existé. Son portrait n’est sans doute qu’une réalité promise qui ne peut se réaliser qu’en Dieu. et c’est bien ainsi que le Serviteur est une image anticipée de Jésus le Christ dans sa vie terrestre, mais aussi dans sa réalité divine.
Les chants du Serviteur seraient donc un éloge du sacrifice rédempteur ?
Je cite l’auteur : « les Chants du Serviteur ont souvent été mis au service d’un théologie du sacrifice rédempteur du Christ : celui-ci se serait sacrifié pour obéir à une mystérieuse volonté de Père, afin de racheter le péché de l’humanité. L’aspect « marchand » d’une telle présentation heurte bon nombre de croyants aujourd’hui ? Une théologie de la « rédemption » induit des idées de Dieu proprement blasphématoires ! Dieu serait un créancier impitoyable à l’égard de l’humanité, un père infanticide à l’égard de Jésus, et un être vénal qu’on pourrait « acheter » au prix d’un sacrifice, à condition que celui-ci soit à la hauteur de sa majesté divine ! C’est, en gros, la position d’Anselme de Canterbury au XIIe siècle.
Pour notre part, poursuit l’auteur (et personnellement je le suis très volontiers), nous préférons penser que Jésus le Christ est d’abord l’homme d’une droiture absolue qui accepte consciemment le risque d’être mis à mort pour ne pas transiger avec ses convictions… et c’est bien en vertu de cette générosité héroïque que, par-delà sa mort corporelle, il ressuscite ».
Pour clore le parallèle entre le Serviteur du livre d’Esaïe et Jésus, l’auteur incite chacun à se demander en quoi le portrait du Christ qui transparait dans ces Chants du Serviteur interpelle notre réflexion, notre prière, notre action.
TROISIEME CHAPITRE : LE FILS D’HOMME
Le troisième chapitre explore l’énigmatique expression « fils d’homme » ou « fils de l’homme » qui est utilisée dans les deux testaments. On la trouve chez Ezéchiel et Daniel d’un côté, chez Matthieu de l’autre.
Ezéchiel et Daniel ne donnent pas le même sens à l’expression.
Chez Ezéchiel, on lit « fils d’homme » et non pas « fils de l’homme ». On pourrait remplacer « fils d’homme » par l’interjection : « Eh, toi ! », qui banalise la personne. Mais l’expression « fils d’homme » fait aussi appel à la dignité de l’homme auquel il est demandé de se tenir droit, debout, et non pas la face contre terre. Si Ezéchiel ne dit pas tout simplement, « toi, homme ! », c’est parce que la filiation « par le père » a une importance capitale dans la tradition juive : fils de. On voit bien que, chez Ezéchiel, ce « fils d’homme » est essentiellement humain.
L’auteur nous dit que « chez Daniel, la connotation de « fils d’homme » est tout à fait différente. Bien loin de souligner la banalité de l’humain, sa petitesse, elle désigne un personnage auréolé de toute la gloire divine…Dans le livre de Daniel, les juifs retenaient surtout les textes de type apocalyptique : pour eux l’expression « fils d’homme » était surtout l’annonce du Messie à venir ».
Il n’est pas sûr, nous précise Michel Barlow, que tous les auditeurs de Jésus aient bien compris ce rôle essentiellement spirituel du Messie, si l’on fait référence, par exemple, « aux disciples d’Emmaüs qui avaient espoir que Jésus serait celui qui délivrerait Israël de l’envahisseur … Cependant, dans ce qu’il est convenu d’appeler son « discours apocalyptique », aux chapitres 24 et 25 de Matthieu, le « fils de l’homme » apparait …sur les nuées du ciel dans la plénitude de la puissance et de la gloire.
Plus loin, lors de son procès devant le sanhédrin, Jésus répond sans ambiguïté, en employant les mêmes éléments de langage que Daniel, les nuées, le mouvement d’arrivée, la souveraineté, la présence de Dieu le Père. Il déclare en effet, au chapitre 26, verset 14 : « vous verrez le Fils de l’Homme siégeant à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel ».
L’auteur ajoute : on pourrait considérer que la promesse de « la plénitude de la puissance et de la gloire » (Mt 24,30) est la définition même du Fils de l’Homme, souverain du monde à venir.
QUATRIEME CHAPITRE : ZACHARIE
Le chapitre suivant tourne autour du prophète Zacharie. Si je dis tourne autour, c’est que la pensée de ce prophète n’est pas toujours simple à décrypter, dans la mesure ou ses chapitres sont truffés de citations de ses prédécesseurs prophètes et du Deutéronome. Ce quatrième chapitre est donc lui-même assez complexe, et j’avoue qu’il me sera difficile de vous le résumer. Cependant, il faut bien souligner que les évangiles font souvent référence à Zacharie.
Par exemple, lorsque Jésus que Michel Barlow appelle pour la circonstance, « le roi débonnaire et pacifique », entre triomphalement dans Jérusalem monté sur un âne. Matthieu en 21,4 cite Zacharie « Dites à la fille de Sion : voici que ton roi arrive à toi ; modeste, il monte une ânesse et un ânon, petit d’un bête de somme ». mais ce qui est intéressant, c’est que, comme toujours, dans le contexte de cette citation, Zacharie déclare, avec le prophète Sophonie, que c’est Dieu lui-même qui sauve son peuple de l’ennemi, non par les armes, mais en messager de paix : « Le roi d’Israël, le Seigneur lui-même est au milieu de toi », dit Sophonie. Les juifs qui acclament Jésus entrant dans Jérusalem l’ont-ils compris, interroge l’auteur.
Si vous lisez ce livre, vous découvrirez les autres parallèles entre Zacharie et les évangiles. Par exemple autour du verset « Ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé, ou à propos des trente pièces reçues par Judas dont l’auteur se fait en quelque sorte le défenseur, en affirmant que Judas n’a pas agi par cupidité.
CINQUIEME CHAPITRE : ELIE
Dans le dernier chapitre, l’auteur va nous démontrer, toujours textes bibliques à l’appui bien sûr, que la figure d’Elie est à la fois annonciatrice et antithèse de celle de Jésus. Elie, dans le deuxième livre des rois, on s’en souvient, avait été enlevé au ciel sur un char de feu. Il n’était donc pas mort !
Elie semble hanter toute la vie de Jésus. Dès le début de sa prédication, lorsqu’il déclare que nul n’est prophète en son pays, c’est à Elie qu’il pense, lui qui fut envoyé jusqu’à Sarepta pour rencontrer une veuve, alors qu’il y en tant chez lui. Et ses derniers mots sur la croix sont « Eli, Eli, lema sabaqthani ! » Matthieu précise en effet que certains spectateurs croient qu’il appelle le prophète. Beaucoup l’interrogent pour lui demander s’il est Elie.
Bien souvent dans les évangile, Jésus est plutôt l’anti-Elie, nous dit l’auteur.
- Les miracles de Jésus sont toujours des actes de bienfaisance, alors que ceux d’Elie sont des malédictions. Il fait « pleuvoir le feu » sur une escouade de cinquante soldat (2R1,10).
- Jésus est ouvert aux païens, doux et humble de cœur, alors qu’Elie égorge 400 prophètes de dieux païens.
Mais Elie est cependant précurseur de Jésus.
- Elie commence par demander de l’eau à boire à la veuve de Sarepta dont nous parlions tout à l’heure, et Jésus demandera de l’eau à la Samaritaine.
- Ensuite, Elie fait en sorte que la cruche de farine de la veuve ne désemplisse pas (1 Rois 17,16), il multiplie la farine, en quelque sorte. Jésus multipliera les pains.
- Ailleurs, Elie refuse à son disciple Elisée de prendre le temps d’aller embrasser ses parents lorsqu’il lui demande de le suivre. Jésus refusera à un futur disciple de prendre le temps d’enterrer son père avant de le suivre.
- N’oublions pas non plus, ajoute l’auteur qu’Elie et Jésus passent quarante jours et quarante nuit dans le désert.
- L’auteur note aussi que lorsque le successeur l’Elie, Elisée, son alter ego, procédera à une multiplication des pains, il y aura des restes, comme après celle de Jésus au chapitre 6 de Jean. Les biblistes s’accordent pour dire que cette image des reste signifie que l’humanité entière est concernée.
- Enfin,« l’enlèvement au ciel » d’Elie n’est pas sans analogie avec l’Ascension de Jésus. Pour Elie, la mise en scène est grandiose, avec le char de feu. Les circonstances de l’Ascension de Jésus sont présentées de façon plus sobre dans les Actes, au chapitre premier. Et puis, l’enlèvement d’Elie vivant est significatif d’un retour. L’Ascension de Jésus annonce également le retour de celui-ci.
On l’a vu : Elie est une figure annonciatrice du Christ par certains côtés, par d’autres il en est l’exacte antithèse. Qu’est-ce que cela signifie pour nous aujourd’hui, interroge Michel Barlow ? En guise de réponse, l’auteur nous renvoie à l’épisode où Elie prie sur le mont Horeb. « Ce n’est pas dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu que Dieu se manifeste, mais dans la brise légère. En relisant chaque soir sa journée, conclue l’auteur, rien n’est plus religieux sans doute que d’y chercher les traces, même les plus ténues, du Royaume qui vient ».